Jean 15 - Le Cep et les sarments
Jean 15 - Le Cep et les sarments
« Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit. Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples. »
Jean 15.1-8
S’il est un passage connu des Évangiles, c’est bien celui-là! À force de l’entendre, pourtant, nous n’en saisissons plus ni sa profondeur ni son mystère… car le mystère est là!
Souvenons-nous : le dernier souper s’achève. Jésus a distribué le pain et le vin. Judas vient de sortir. Dans quelques heures, Jésus va être livré, interrogé, supplicié… Mort, que pourra-t-il donc être pour ses disciples, pour nous? C’est justement ce moment-là que Jésus choisit pour affirmer : « Moi, je suis le vrai Cep, et vous, vous êtes les sarments. »
Cette allégorie est une tapisserie où les fils d’argent de l’image sont si intimement tissés avec les fils d’or de la réalité que l’interprétation surgit d’elle-même : elle illustre le lien qu’au-delà de la mort, le Christ maintiendra avec ses disciples et celui qu’ils doivent avoir avec lui.
Tout est centré ici sur un seul mot : « les fruits ». Comment les disciples peuvent-ils porter du fruit? Comment, dans ce but, peuvent-ils porter beaucoup de fruits?
Selon Jésus, les sarments sont de deux sortes : fructueux ou infructueux. Attentif aux fruits nécessaires et attendus, le Vigneron retranche net ou émonde avec soin.
Pour souligner l’obligation de « demeurer en Christ », la comparaison nous est d’abord présentée de manière négative : « Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi », dit Jésus. « De lui-même », sans attache au cep, le sarment est stérile parce qu’il est mort. Si nous ne demeurons pas en Christ, nous ne pouvons porter aucun fruit, parce que nous sommes spirituellement morts. « Nous sommes stériles et secs de nature, dit Calvin, sinon qu’étant entés en Christ, nous puisons et tirons de lui une nouvelle vertu provenant d’ailleurs que de nous. » Pour le sarment, le cep est tout; pour nous, le Christ est tout. Par sa Parole, il purifie; par sa vie, il vivifie. Nous ne sommes purifiés qu’en Christ, nous ne sommes vraiment vivants qu’en lui.
Jésus poursuit : « Moi, je suis le vrai Cep, vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, car hors de moi vous ne pouvez rien faire. » Après la négation, voici l’affirmation; après le pluriel, voici le singulier : « celui qui… ». Jésus s’adresse à chacun de nous, car demeurer en lui est assurément une affaire personnelle, la plus personnelle de toutes. Sans lui, je ne suis rien; hors de lui, je ne peux rien; avec lui, je peux beaucoup. La pêche miraculeuse illustre ce vide ou cette plénitude : aussi longtemps que les disciples agissent de leur propre initiative, leur filet reste vide. Sous la direction du Seigneur et en sa présence, leur filet est rempli. « Hors de moi, sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Tous les fruits que je puis porter proviennent de l’abondance du Christ, le vrai Cep, du suc vital et vivant qu’il me communique : il est le trésor de mon cœur, le sel de ma langue, la force de mes mains… Hors de toi, sans toi, Seigneur, je ne puis rien!
La dominante de ce texte n’est pas simplement « du fruit », mais « encore plus de fruits », « beaucoup de fruits ». La vie, la vitalité du Christ en nous n’ont pas de bornes; nous devons produire « encore plus », et « beaucoup », au long des jours, des semaines et des années : le but n’est jamais atteint. Pour chacun de nous, une seule alternative : « encore plus », ou rien du tout. « Demeurer en Christ », c’est ouvrir notre cœur, le garder grand ouvert, pour que sa grâce, ses dons, son Esprit, sa vie, sa puissance le remplissent. Christ en nous! Cela signifie tout de même quelque chose : avec lui, toujours plus; sans lui, rien!
Mais voici l’angoissante question : « Qui donc sont les sarments qui ne portent pas de fruit en Christ? » Ce ne sont certes pas des sarments morts, puisque, d’une certaine manière, ils sont « en Christ ». Attachés au Cep, ils verdoient et déploient leurs feuilles. Leur raison d’être n’est pourtant pas la beauté de leur feuillage ou l’ombre qu’ils donnent : c’est le fruit qu’ils doivent porter. Alors, comment peut-on, en Christ, ne pas porter de fruit?
Le Cep et les sarments sont une image de l’Église et de ses membres. Sont sarments, tous ceux qui, par la bonté de Dieu, ont été placés dans l’alliance de sa grâce, à qui Dieu a présenté ou offre encore, en Christ et par lui, le pardon, la justice, une vie nouvelle; ceux sur qui cette alliance a été scellée par le baptême, à qui l’Évangile a été enseigné, la Parole prêchée, la grâce offerte pour qu’ils l’approprient par la foi. Par cette alliance, ce baptême, cette Parole, un lien organique profond les a unis au Christ. Enfants, adolescents, adultes, ils ont reçu de lui une vie, celle d’un sarment attaché au Cep, tout ce qu’il fallait pour produire en abondance de très bons fruits. Mais voici que, contre toute logique et toute attente, ces sarments ne portent pas de fruit!
Serais-je l’un de ces sarments qui ne portent pas de fruit en Christ? Et alors, pourquoi? Aurais-je corrompu la grâce de mon Dieu? L’aurais-je rejetée? Mon baptême, l’aurais-je vilipendé? Cette grâce offerte, l’ai-je laissé étouffer par ma nonchalance ou ma paresse? La crainte du ridicule, une fausse science, les soucis quotidiens, l’amour de moi-même ou de l’argent, l’ont-ils dévorée et détruite en moi? Et cela malgré tout ce que j’ai reçu, en Christ, pour porter du fruit?
Nous nous abuserions lourdement si, ayant lutté contre le mal, cherché à mener une vie droite selon le monde, nous pensions que par là nous avons quand même beaucoup fait, assez fait! Ne pas porter de mauvais fruits, ce n’est pas encore en produire de bons! Si donc, par notre faute, la grâce offerte n’est pas devenue une communion de vie avec le Christ, portant du fruit, beaucoup de fruits, toujours plus de fruits « en lui », alors — Jésus lui-même nous en prévient — parce que nous n’aurons rien fait, tôt ou tard nous serons retranchés; jetés dehors, nous sécherons; jetés au feu, nous brûlerons. De deux choses l’une, et une seule : ou le sarment porte du fruit, ou il brûle.
« Hors de moi, vous ne pouvez rien faire. […] Demeurez en moi, et moi, je demeurerai en vous. »
Demeurer en Christ, c’est d’abord reprendre conscience que nous avons été, que nous sommes, que nous pouvons être « en lui », et par lui en Dieu, par la grâce qu’il nous offre, la vie qu’il communique à quiconque ne les rejette pas.
Demeurer en Christ, c’est croire en lui, et par lui en Dieu, toujours, toujours plus; c’est recevoir grâce, jour après jour et toujours plus; c’est l’accueillir, lui, et toujours mieux.
Demeurer en Christ, c’est garder sa Parole et, par elle, le garder, lui; car tout se fait par sa Parole et son Esprit; c’est accepter d’être sans cesse émondé par Dieu, purifié, pour porter encore plus, toujours plus de fruit, afin de glorifier Dieu dans nos vies mieux que nous ne l’avons jamais fait.
Prions donc, car « demeurer en Christ », c’est aussi prier : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. » Par la prière, nous faisons l’expérience que l’Évangile est vraiment la puissance de Dieu, puissance qui révèle notre péché, puissance de pardon, puissance de libération et de vie nouvelle, puissance de réconciliation.
Souvenons-nous, souvenez-vous : « Voici comment mon Père sera glorifié : c’est que vous portiez beaucoup de fruits, et alors vous serez mes disciples. […] Hors de moi, vous ne pouvez rien! » Alors, le Cep divin s’épanouira, et, selon la prophétie d’Ésaïe, « ses sarments couvriront de leurs fruits la surface de la terre » (És 27.6).