Jean 20 - L'apparition aux dix disciples
Jean 20 - L'apparition aux dix disciples
« Le soir de ce jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient fermées, par la crainte qu’ils avaient des Juifs; Jésus vint, et debout au milieu d’eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous! Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »
Jean 20.19-23
Le soir de ce premier jour de la semaine, les disciples étaient réunis, probablement dans la chambre haute qui leur rappelait tant de souvenirs. Il est impossible que les événements de la matinée, le tombeau vide, l’apparition à Marie-Madeleine n’aient pas rempli leurs cœurs d’une immense espérance. Jean avait cru dès qu’il avait contemplé ce sépulcre vide. Pierre avait eu par la suite une apparition sur laquelle nous n’avons aucun détail (Lc 24.34; 1 Co 15.5). Deux autres disciples encore avaient vu le Seigneur (Mc 16.12; Lc 24.13-35).
Cependant, l’événement était si extraordinaire que les apôtres, dans leur ensemble, avaient bien de la peine à y croire (Mc 16.13). Pour la plupart d’entre eux, la seule réalité certaine, c’était la haine des Juifs menaçant ceux qui avaient été les disciples du Crucifié, et ils se cachaient dans un lieu dont les portes étaient soigneusement verrouillées.
Et voici que, tout à coup, il est là, parmi eux; il les salue de la manière habituelle : « Que la paix soit avec vous! » (Jn 20.19). Comment a-t-il pu entrer ainsi dans cette chambre fermée? Les portes sont-elles tombées devant sa majesté, comme l’affirme Calvin? Ou bien, comme on le dit souvent, son corps glorifié, son « corps spirituel » (1 Co 15.44) était-il doué de facultés extraordinaires l’affranchissant des lois de la nature physique? Imitons la sobriété de l’évangéliste et soyons respectueux du mystère de la résurrection qui demande non des explications ou des preuves, mais la foi et l’adoration. Le fait incompréhensible, mais indéniable est que celui qui était mort sur la croix et avait été enseveli dans le tombeau de Joseph d’Arimathée est là, vivant.
Devant l’hésitation et le trouble des disciples, qui se demandent s’ils n’ont pas affaire à un fantôme ou à un esprit désincarné, Jésus leur montre sur son corps les traces du supplice qu’il a subi. Alors, les derniers doutes sont emportés. Les disciples comprennent que, selon sa parole, il a « vaincu le monde » (Jn 16.33), qu’il est revenu (Jn 14.3,18); et dans leurs cœurs naît et s’épanouit cette joie merveilleuse qu’il leur avait promise. Lorsque le Seigneur répète la salutation « Que la paix soit avec vous! » (Jn 20.21), les disciples prennent conscience que le Ressuscité donne à ces mots leur sens le plus complet et que, sans reprocher à ses amis leur lâcheté ou leur incrédulité, il leur apporte le pardon, il leur donne la paix, la paix du cœur qui sait que Dieu n’est pas irrité contre son enfant.
« “La paix soit avec vous!” Cette salutation vient de l’éternité, par delà la tombe. Elle est prononcée par un homme dont le nom a été porté sur le registre des décès et qui a ressuscité des morts. À sa naissance, le ciel a déjà proclamé : “Paix sur la terre!” (Lc 2.14). C’est lui dont le prophète a déclaré, du fond d’un obscur millénaire : “On l’appellera Merveilleux, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix!” (És 9.5). C’est lui qui nous dit aujourd’hui : “La paix soit avec vous!” » (Walter Lüthi).
Ce soir, il n’annonce pas seulement la paix; il la donne aux disciples, mais aussi à nous-mêmes, à nous qui, si souvent, avons été leurrés par les déclarations « paix, paix, paix », et il n’y a point de paix! Mais ici, c’est le Ressuscité qui la donne. Sa paix éternelle veut être avec nous en permanence sur la terre. Elle ne se laisse pas confiner dans l’au-delà. Elle met sa joie à faire irruption en ce monde où vivent de pauvres êtres démunis. Elle assiège la terre avec persévérance comme une forteresse dont on ne quitte les remparts ni jour ni nuit. Toute la révélation de Dieu, depuis les pages de l’Ancien Testament à celles du Nouveau Testament, est la preuve de l’offensive inlassable de la paix éternelle que Dieu veut lire dans notre univers. Celui qui parle aux hommes le jour de Pâques n’est pas un ange ni un quelconque des messagers et serviteurs de l’éternité. C’est le Ressuscité, le Prince de la paix en personne qui a établi une base d’opérations dans le monde.
Remarquons de nouveau l’endroit où elle est annoncée : un lieu qui n’est rien moins que paisible. C’est la nuit. Quelques hommes sont assemblés dans le plus grand secret. La crainte d’être découverts se lit sur eux. Ils ont verrouillé les portes. Le Ressuscité fait connaître son identité à ces hommes apeurés. Il est bien celui qu’ils ont suivi jusqu’au jour de sa crucifixion. Il ne leur adresse pas un vœu pieux, une parole en l’air, mais le don du Père. La terre n’est pas seulement son marchepied, mais le lieu où il demeurera désormais avec ses enfants par son Esprit.
En vérité, les apôtres sont les premiers à bénéficier de la rédemption acquise par la croix; ils sont réconciliés avec le Père céleste. Qu’il n’y ait donc plus en eux de crainte ni d’amertume, mais qu’ils se livrent à la joie, car « il est venu annoncer […] la paix » (Ép 2.17).
Pourquoi les hommes ne courent-ils pas vers cette paix-là? Pourquoi ne font-ils pas la queue pour l’obtenir? Ils ne le feront pas. C’est pourquoi le Christ envoie ses apôtres vers eux : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20.23). Nous comprenons à présent de quelle nature est la paix et pourquoi les hommes n’en veulent pas. La paix du Christ, c’est le pardon divin. Elle nous presse et nous contraint personnellement.
C’est dans le cœur des hommes que s’allume la lumière qui doit éclairer le foyer, la nation, le monde. Heureux celui qui croit indéfectiblement à la paix du monde et qui l’espère contre toute espérance. Le Christ, en ce soir de Pâques, a mis dans sa parole la promesse d’une paix totale et globale, d’une paix qui sera la réponse aux soupirs de toutes les créatures.
Ainsi, ce n’est pas seulement pour effacer le passé que Jésus veut leur communiquer sa paix, c’est aussi pour les confirmer dans leur vocation apostolique. La mission qu’il leur avait confiée avant sa mort, il va la leur renouveler dans la lumière de la résurrection. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20.21). L’envoi des disciples pour annoncer la Bonne Nouvelle au monde se trouve, sous une forme ou une autre, à la fin de chaque Évangile. Jean, à son tour, la relate avec une extrême sobriété. Le Seigneur, pour montrer aux apôtres qu’ils ne font plus qu’un avec lui et pour exalter leur courage, assimile la mission qu’il leur confie et qui va commencer à celle que le Père lui a confiée et qui vient de se terminer. Ainsi, les disciples savent que, comme le Maître, ils auront à souffrir dans l’obéissance, mais qu’après avoir porté leur croix dans la communion de leur Maître, ils aboutiront, comme lui, à la victoire.
« Jésus-Christ par manière de dire, consacre ses apôtres par ces paroles à l’office auquel il les avait destinés. […] Jésus-Christ atteste donc en premier lieu que bien qu’il ait eu une charge ou un office temporel d’enseigner, toutefois la prédication de l’Évangile ne sera pas pour un peu de temps, mais sera éternelle. De plus, afin que l’autorité de la doctrine ne soit point moindre en la bouche des apôtres, il veut qu’ils succèdent à la même charge qu’il a reçue de son Père; il les substitue en son lieu et leur assigne la même puissance. Et ainsi fallait-il que leur ministère fût consacré. Car ils étaient hommes inconnus et de vile et basse condition. De plus, nous savons qu’encore il eût en eux quelque splendeur ou grande dignité, néanmoins tout ce qui est des hommes n’approche point de l’excellence de la foi. C’est pourquoi ce n’est point sans cause que Jésus-Christ communique aux apôtres l’autorité qu’il a reçue de son Père; afin que par ce moyen il déclare que la prédication de l’Évangile leur est enjointe par commandement et ordonnance de Dieu, et non point par les hommes » (Jean Calvin).
L’envoi des disciples est comme le prolongement du geste même de Dieu en Jésus-Christ. Les disciples sont les émissaires du Fils, comme il est celui du Père; les relations de confiance et d’obéissance qui relient le Fils au Père doivent relier les disciples au Fils. C’est par le Saint-Esprit qu’il agissait et manifestait la présence du Père (Jn 1.32); les disciples vont recevoir le Saint-Esprit pour accomplir leur rôle de témoins de la seigneurie du Christ.
Puis, de même qu’au commencement du monde Dieu avait insufflé son Esprit dans la créature humaine, ainsi en est-il dans ce Nouveau Monde qui commence et à ces hommes nés de nouveau. « Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20.22). Jésus, au moyen d’un geste symbolique, communique l’Esprit qui sera leur guide, leur force et, quand il le faudra, leur Consolateur.
On est étonné que Jean ait placé ici le don du Saint-Esprit et que, par conséquent, il semble s’opposer au livre des Actes des apôtres qui fait coïncider l’effusion de l’Esprit avec la fête de la Pentecôte. Pour résoudre cette difficulté, certains ont pensé qu’il ne faut voir là que la promesse d’un don que les disciples recevront plus tard. Mais nous ne pouvons croire que le geste du Sauveur ait été vain. Il est probable que, dès le moment de la résurrection, Jésus ait voulu associer ses amis à sa vie de Ressuscité et leur donner les arrhes de l’Esprit dont, selon sa parole (Jn 16.7), ils ne pourront recevoir la plénitude que lorsque le Seigneur sera remonté au ciel.
Jésus a certainement aussi voulu leur rappeler que ce n’est que par la puissance de l’Esprit qu’ils pourront accomplir leur ministère. Celui-ci, nous l’avons déjà dit, est essentiellement un témoignage du pardon des péchés accordé à ceux qui croient. Cette charge, confiée à l’Église naissante, ne lui appartient pas. Ce n’est que dans la mesure où elle se laissera diriger par l’Esprit qu’elle pourra agir au nom du Christ, avec l’autorité qui vient d’en haut. Lourde responsabilité de l’Église, car la bonne nouvelle de la grâce qu’elle doit annoncer est accompagnée de la terrible nouvelle du jugement pour ceux qui se refuseront au salut.