Jean Calvin - Prophète de notre temps
Jean Calvin - Prophète de notre temps
Parler de l’actualité de la Réforme protestante du 16e siècle, c’est en évoquer en même temps l’une des figures les plus marquantes, celle du Français Jean Calvin. Il l’a brillamment et loyalement illustrée. Ce n’est pourtant pas le génie de l’homme que nous voulons exalter ici, mais l’exercice du gouvernement providentiel de Dieu, aussi bien sur le cours de l’histoire que sur les vies individuelles. L’Église contemporaine aussi bien que le monde contemporain auraient bien mauvaise grâce de vouloir ignorer l’actualité de la Réforme religieuse du 16e siècle.
Car, comment serait-il possible de comprendre le monde occidental sans mesurer, du même coup, l’impact ecclésiastique, culturel et social que la Réforme calvinienne a produit sur lui depuis plus de quatre siècles et le rôle insigne joué par le grand réformateur genevois? Un siècle après sa mort, il était déjà considéré comme l’homme le plus influent de son époque. Aucun esprit des temps modernes, depuis la Renaissance, n’aura contribué à façonner aussi bien la théologie chrétienne que la pensée moderne. Ainsi, à la suite de bien d’autres, nous l’appellerons à juste titre « Calvin, prophète de notre temps ». On peut le considérer véritablement comme notre contemporain.
Un aperçu, même rapide, nous démontrera qu’il existe de profondes correspondances entre notre siècle et celui du réformateur. Au niveau politique pour commencer, les régimes totalitaires, les tensions internationales, les conflits ouverts, les troubles et les confusions de toutes sortes, les soulèvements révolutionnaires, l’invasion d’armées étrangères à la conquête de nouveaux territoires, la concentration de forces redoutables créant une situation précaire, engendrant panique ici, fuite ailleurs, caractérisaient le 16e siècle autant que le nôtre.
À l’époque de Calvin, nombreux étaient les chrétiens qui s’attendaient à la fin imminente du monde. N’est-ce pas l’attitude de beaucoup de chrétiens actuels? La désintégration de la civilisation d’avant la Renaissance était entamée, et elle ne prédisait que ruine et malheur. Elle se poursuit à l’heure actuelle, où nous appréhendons le futur immédiat. L’apparition de l’État-Léviathan a de quoi effrayer le plus serein des observateurs. Quant à la sécularisation et à l’athéisme, ils ne diffèrent pratiquement pas entre les deux siècles que nous comparons. L’homme a commencé, en tout cas depuis quatre siècles, à croire au mythe de son autoaccomplissement et à déclarer sa souveraineté absolue sur sa destinée et sur l’univers. Actuellement, il s’y adonne avec toute l’agressivité de ses pulsions naturelles, avec toute l’obsession de ses immoralités. Il réussit de la sorte à perdre son âme et à disloquer le monde qu’il habite.
Un autre phénomène moderne peut se comparer aisément à celui du 16e siècle. Je veux parler de la confusion religieuse contemporaine. Au 16e siècle, trois problèmes spécifiquement chrétiens avaient surgi, qui, curieusement, sont les nôtres à l’heure actuelle :
- Le refus de l’autorité de l’Écriture sainte, comme Parole de Dieu adressée à l’homme.
- Le conflit entre le salut par la seule grâce et celui acquis par les efforts de l’homme.
- Le subjectivisme incohérent et irrationnel qui explose dans des spiritualités religieuses de tout acabit et de toute couleur.
Un attachement ferme et sans compromission aux principes bibliques de l’autorité de l’Écriture sainte, le salut par la grâce et la centralité de Jésus-Christ avaient jadis coûté très cher à beaucoup de chrétiens réformés. Et même actuellement, dans le syncrétisme facile de l’omniprésent marketing religieux qui nous submerge, il faut une bonne dose de courage et de loyauté, qui exigent bien des sacrifices. Le prix de la fidélité n’a jamais connu de variations dans ses taux; il est le seul qui n’augmente pas; il sera le seul à ne pas être abaissé! Ici ou là, un autoritarisme excessif, voire abusif, des instances ecclésiastiques; ailleurs, l’anarchie tous azimuts de marginaux, plus loin l’exagération de l’expérience vécue… Tout cela ne laisse guère de répit à ceux qui se sont engagés dans un combat loyal pour défendre l’honneur de Dieu, afin de mieux proclamer l’unique source de salut de l’homme.
L’une des vérités que les contemporains de Calvin avaient de la peine à admettre — et que nombre de nos contemporains refusent d’accepter à leur tour — c’est que l’Église et la Parole de Dieu doivent aller nécessairement ensemble. De même que l’Esprit de Dieu et la Parole de Dieu ne sauraient se dissocier un seul instant. C’est dans cette jonction de la Parole et de l’Église que les chrétiens poseront l’importante question de leur unité. Je suppose que nul chrétien animé d’esprit évangélique ne niera l’importance, la nécessité, voire l’appel à l’unité des chrétiens. Mais la question se posera aussitôt : comment la réaliser? Au 16e siècle, le pouvoir dit spirituel eut recours au bras séculier pour forcer cette unité. À notre époque, si les armes ne sont pas déployées, des procédés contraignants — moraux et ecclésiastiques — ont encore cours de nos jours, même s’ils se pratiquent sous des formes déguisées.
Sans une écoute humble, patiente et obéissante de l’Écriture, il ne peut pas y avoir d’unité de l’Église. Ce n’est pas l’opportunisme ecclésiastique ni même les bons sentiments, qui dicteront la recherche sincère de l’unité chrétienne. Le souverain Pasteur de l’Église, l’unique Médiateur, Jésus-Christ, s’adresse à nous et nous appelle à son unité à travers sa parole.
Dans sa situation propre, Jean Calvin avait réussi à respecter ces principes bibliques. Il a admirablement conduit l’Église et le christianisme réformé en Europe à travers écueils et tempêtes. Qui est l’homme Jean Calvin? Je ne puis pas offrir ici une large esquisse biographique. Il me suffit de renvoyer le lecteur aux ouvrages du regretté doyen Jean Cadier, qui a su faire un portrait émouvant, dans sa véritable grandeur d’homme et de pasteur, du grand réformateur français.
L’un des traits de sa personnalité, que je tiens à souligner, c’est sa foi en la direction providentielle de Dieu. Il avait une connaissance spirituelle véritablement extraordinaire de la révélation chrétienne. Ce qui m’entraîne à désigner un autre trait : sa grande humilité. Rappelons-nous les débuts du jeune étudiant, fuyant Paris et se rendant à Strasbourg. Arrivé à Genève, il recevra le soir même la visite de son bouillant compatriote Guillaume Farel. Celui-ci le somme de rester dans cette ville pour y entreprendre la Réforme et il le menace des foudres célestes s’il n’accepte pas l’invitation…
Calvin tremblait de tout son corps à l’idée qu’il pouvait échapper à un appel aussi contraignant. Il accepta donc et, à l’exception des deux brèves années d’exil, il y resta jusqu’à sa mort, survenue en 1564. « Je ne m’appartiens pas », dira-t-il, « j’offre mon cœur à Dieu, en sacrifice vivant ».
Sans aucun doute, il fut un géant intellectuel. Esprit brillant et pénétrant, il percevait avec une lucidité étonnante les vérités de la révélation. Mais surtout esprit sanctifié qui plongeait ses regards dans les grands mystères de la foi non pas pour bâtir des concepts abstraits, mais pour expliquer au commun des fidèles le dynamisme de la Parole divine, « puissance pour le salut de quiconque croit ». Pourtant, et en dépit de toutes les ignobles calomnies dont il fut la victime, Calvin fut un homme d’une grande endurance et modestie. Il ne fut jamais cet homme arrogant qu’on s’évertue à nous présenter, on ne sait pour servir quels desseins! « Par une conversion subite (ou subie?), Dieu m’a amené à la docilité », écrit-il dans sa préface au commentaire du livre des Psaumes. Le doyen Cadier a titré avec raison l’une de ses biographies : Calvin, l’homme que Dieu a dompté.
L’Institution de la religion chrétienne n’est pas seulement un chef-d’œuvre littéraire et une somme théologique, mais c’est tout d’abord un livre de piété chrétienne. L’actualité du message du grand réformateur pourrait se résumer en une phrase lapidaire : La vérité de Dieu, révélée dans sa grâce, n’est rien d’autre que Dieu en personne, révélé au pécheur. L’Écriture sainte, la Bible, qui nous la transmet, est Parole divine, seule norme de la foi et de la pratique de la foi. En l’écoutant, en la lisant avec foi et dans l’obéissance, nous restons à l’écoute de Dieu lui-même, qui nous y enseigne avec autorité.
Actuellement, affirmer que l’Écriture sainte détient l’ultime autorité en matière de foi et de vie, dans l’Église et pour le monde, est se rendre à coup sûr impopulaire. L’homme, souvent même l’homme chrétien, se délecte à parler de lui-même, à évoluer avec un narcissisme obsessionnel autour de son expérience, et cette manie se voit aussi bien dans les multiples et contradictoires subjectivismes que dans l’irrationnel suicidaire de l’homme de notre époque.
La grâce de Dieu, par laquelle le salut est offert, est un autre point qui demeure d’une étonnante actualité. D’autant plus qu’il rencontre de très sérieux obstacles, par exemple celui de l’idée superficielle du péché. Or, à la suite de la révélation, Calvin soutient que le péché originel a produit sur notre entendement de tels ravages qu’il nous est impossible, par notre raison, de saisir et de comprendre l’œuvre du salut. Calvin a osé parler de la radicalité du péché parce qu’il se tenait du côté de la Bible, affirmant la corruption totale de l’homme. Il a mieux que quiconque démasqué l’imposture de l’homme naturel, qui atténue la gravité de son mal et de sa faute, pour mieux se couvrir d’une religiosité d’apparat aussi futile qu’hypocrite. Ce n’est pas tant par délectation morbide que Calvin est descendu dans les abîmes où l’homme a plongé, mais afin de mieux lui présenter un salut total et gratuit, unique voie pour sortir de ses mortels égarements. Salut conçu et décrété de toute éternité, de sorte qu’il est solidement ancré non pas dans une hypothétique liberté de choix, mais en une offre réelle et efficace du Dieu Sauveur.
Voilà l’homme dont la pensée a été si critiquée, sur ce point sur dans tant d’autres, et qui, pourtant, n’a jamais été un spéculateur abstrait… Il a parlé, écrit et enseigné afin que l’homme pécheur saisisse avec émerveillement et reconnaissance la liberté des enfants de Dieu, acquise par le sang précieux de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Calvin n’est pas un théoricien aux idées ésotériques. Il a voulu être, avant tout, pasteur d’âmes.
Un mot de conclusion : Calvin s’est passionnément intéressé à la personne de Dieu : Créateur, Sauveur, Seigneur, Dieu saint et juste. D’où le motif central de toute sa pensée : Soli Deo gloria, à Dieu seul la gloire.
Dans un monde ébranlé socialement, culturellement et spirituellement, dans une Église presque aux abois, il nous faut, à nous aussi, une idée correcte de Dieu et du salut, afin de survivre et de vaincre. Calvin nous aide encore aujourd’hui à vivre notre foi par son génie chrétien, qui n’est rien d’autre qu’esprit sanctifié et vie offerte entre les mains du Dieu de notre salut.