L'Église, une institution vivante
L'Église, une institution vivante
Le sujet qui nous occupe est, reconnaissons-le, parmi les plus importants et les plus délicats; bien des malentendus persistent au sujet de l’Église-institution et nous ne pouvons pas esquiver la question, même si de multiples problèmes demeurent, pour l’heure, sans solution. Le corps vivant dont nous parlions précédemment, la communion des adorateurs et des serviteurs de Jésus-Christ est une institution structurée dont l’Écriture nous informe et qu’elle nous décrit. L’origine en remonte au Christ. Aussi, par fidélité à notre Chef, nous sommes conviés à nous joindre à cette institution et à lui rester attachés. C’est elle qui reçoit l’ordre missionnaire autant que la délégation du pouvoir des clés qu’elle exercera dans le monde et le temps présent en sa qualité de représentante et de porte-parole plénipotentiaire de son divin Chef.
Mais l’une des questions qui surgit aussitôt après ce rappel est la suivante : Quelle Église historique représente cette Église plénipotentiaire et comment? Rappelons-nous que selon le Nouveau Testament l’Église n’est pas seulement la somme totale des membres individuels, mais encore et surtout l’ensemble des fonctions qui lui sont assignées et la structure instituée dont elle reste l’héritière.
Prenons l’exemple de la première célébration de la Cène. Lorsque le Sauveur s’adresse à ses disciples dans les termes bien connus : « Faites ceci en mémoire de moi », il ne fait rien moins que d’instituer son Église. De même, au moment de les quitter le jour de l’ascension, il leur donne l’ordre missionnaire qu’on sait : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28.19).
Ici également l’ordre ne s’adresse pas qu’aux croyants individuels, mais à un corps vivant. Aussi, partout où la Parole de Dieu est proclamée, où la Cène et le Baptême sont administrés, la forme instituée de l’Église va apparaître sans délai.
Les explications du Nouveau Testament sont nombreuses. Le jour où Pierre fit sa confession publique, le Christ lui déclara que cette confession — j’avoue que je donne ici mon interprétation personnelle — constituerait le fondement de son Église (Mt 16.15-18).
D’autres instructions dans le cadre de l’institution de cette Église furent encore données par le Christ. L’Évangile selon Matthieu en contient l’énoncé (Mt 18.15-18). Il s’agit de la procédure de réconciliation entre membres de l’Église. Détenant une autorité qui lui est conférée par son divin Seigneur et qui sera valable pour le temps et pour l’éternité, l’Église exerce un pouvoir de discrétion et de jugement entre deux parties en litige.
Il est évident que l’Église-institution ne saurait se manifester sans le ministère de ses officiers qui en sont les mandataires particuliers. Les douze disciples de Jésus-Christ furent ainsi appelés apôtres, du grec « apostolos », c’est-à-dire envoyés. Ce terme lui-même contient une idée hébraïque fort importante, celle de l’envoyé plénipotentiaire, porte-parole de celui qui l’a envoyé et qui dans la langue originelle s’appelle « shaliach » (Mt 10.1-15 contient des instructions particulières).
L’effusion du Saint-Esprit le jour de Pentecôte consacra définitivement les disciples, qui furent effectivement des envoyés du Christ, ses messagers plénipotentiaires. Bientôt, ils s’adjoignirent quelques aides. Le livre des Actes les nomme diacres (Ac 6). Plus tard, dans des Églises instituées en Asie Mineure, les premiers missionnaires Barnabas et Paul choisirent des « anciens », des presbytres (du grec « presbyteros », d’où est aussi dérivé le terme français de prêtre; Ac 14.23). Le livre des Actes des apôtres fait état du premier colloque des chefs d’Église, apôtres et anciens, peut-être aussi diacres, qui se sont réunis lors de la conférence de Jérusalem (Ac 15).
Dans ses lettres dites « pastorales » (à Timothée et Tite), l’apôtre Paul donne de claires indications quant à la fonction de celui qu’il appelle « évêque » (1 Tm 3; Tt 2). Il déclare ailleurs que le Christ appelle certains comme anciens, d’autres comme apôtres, d’autres comme évangélistes, et certains comme enseignants ou docteurs (Ép 4.11). Peu à peu, nous voyons surgir les divers ministères ou offices dans l’Église. Ce qui nous semble moins clair c’est le maintien absolu de ces ministères dans l’Église contemporaine. En dehors d’une instruction très spéciale de Paul d’ordonner des anciens (Tt 1.5), nous n’avons rien de très précis. Tite, lui, n’était pas apôtre. Sans doute fut-il aide de camp de Paul et pasteur, mais ses charges et ses attributions ne sont pas clairement définies. À notre avis, que nous tenons pour biblique, le ministère apostolique est intransmissible. Nous pouvons nous interroger en long et en large sur l’ordre des prophètes, des évangélistes et des docteurs. D’après le livre des Actes, les diacres sont devenus aussi des évangélistes (Étienne et Philippe, en tout cas).
Ce qui ressort des pages du Nouveau Testament, c’est que l’essence d’une Église organisée est le rassemblement des croyants qui professent la même foi que Pierre. Tous les ministres actuels devraient fidèlement refléter les offices prophétiques, sacerdotaux et royaux de leur divin chef. En cela seulement l’Église, et toute confession, pourra se réclamer de la droite et ininterrompue succession apostolique.
Quels sont le but et l’objet de l’organisation? Toute l’Église est un organisme orienté vers le service. Elle n’est pas une fin en soi. Proclamer la Parole, administrer les sacrements et prendre un soin pastoral de ses membres sont ses traits essentiels. Un tel service ne se limite pas aux seuls membres, mais il se destine aussi à ceux qui demeurent à l’extérieur. Sa tâche extérieure se résume dans les termes suivants de l’Évangile : « Va par les chemins et le long des haies, contrains les gens d’entrer afin que ma maison soit remplie » (Lc 14.23). Cette tâche consiste à servir l’homme afin qu’il découvre la guérison de l’Évangile; proclamer le salut par la seule grâce; se prononcer sur les péchés particuliers de l’époque, c’est-à-dire sur toutes les formes d’injustice, de préjudice, d’immoralité, etc.; annoncer le jugement de Dieu sur l’obscénité et sur tous les crimes. Voici des services concrets qu’elle peut rendre au monde. S’il n’appartient pas à l’Église, comme telle, de faire de la politique, son témoignage ne manquera jamais de toucher directement et avec courage aux problèmes sociaux, culturels et tout simplement humains de l’époque. Il faut regretter que tant d’Églises ne se soient pas toujours montrées à la hauteur de leurs responsabilités.
Le service principal de l’Église c’est l’exercice du pouvoir des clés (Mt 16.19; comparer aussi la question 31 du Catéchisme de Heidelberg).
Le Royaume s’ouvre ou se ferme par la simple proclamation de l’Évangile. C’est l’une des deux clés; l’autre consiste en l’exercice d’une saine discipline spirituelle. Le Christ tient son Église pour responsable de toute défaillance et de tout échec. Il est essentiel que l’Église et toutes les Églises sachent enfin quelle est la nature véritable de son pouvoir. Je sais que cette autorité ne s’exerce pas facilement de nos jours. La mentalité moderne répugne à tout ce qui lui apparaît comme un relent d’autoritarisme. Mais au milieu des courants modernes, souvent dangereux, l’Église doit écouter avant tout l’avertissement de son Sauveur en vue du maintien d’un pouvoir des clés prudent et utile.
Puisque l’Église détient une telle autorité, elle doit savoir comment elle prêchera et ce qu’elle prêchera. Ses normes seront bibliques, la Bible étant la source de la révélation qui lui est faite.
Formuler avec précision, prendre soin que rien ne soit omis de la richesse de la Bible, veiller à ce que l’erreur soit exclue et les tromperies des faux enseignements combattues, c’est l’autorité que l’Église devra exercer à l’aide de la Parole écrite et sous la direction dynamique de l’Esprit. N’en concluons pas qu’elle sera automatiquement à l’abri de toute erreur. Elle n’avance que pas à pas; de futures générations pourront mieux saisir parfois telle ou telle vérité, qui pourtant était pleinement manifeste. Et puis, des problèmes nouveaux surgiront toujours… C’est pourquoi la tâche que nous devons accomplir continuera à nous aider à formuler notre foi et à l’enrichir. Oui, il n’existe pas de foi infaillible. Ce qui explique la raison pour laquelle, si souvent, le travail accompli sur ce terrain est imparfait. Mais la différence est bien grande entre la réponse fidèle que l’on veut donner au Seigneur en confessant sa foi et les erreurs que l’on formule et propage dans l’inconscience et dans une totale irresponsabilité.
Si l’Église est fidèle dans sa prédication et dans l’administration des sacrements, elle le sera aussi en tant que manifestation de l’institution fondée par le Christ.
Comme il n’est pas toujours aisé de distinguer le vrai du faux. Quelle est l’Église qui possède toute la pureté? Il faudrait qu’il y ait beaucoup d’échecs accumulés pour juger une Église infidèle. Selon l’Apocalypse, « celui qui est le premier et le dernier », à savoir le Christ vainqueur, marche au milieu de ses Églises. Il reprend et il exhorte, il console et il encourage, il avertit ou il juge. Il appelle toute Église à la repentance et à la sanctification.
Les marques de l’Église sont plus que prédication et sacrements; la communion aussi est un trait essentiel de sa fidélité. Mais à moins que l’Église à laquelle nous appartenons ne soit irrémédiablement infidèle, ne cherchons pas à la changer contre une autre que nous aurions idéalisée et qui pourrait s’avérer un rêve chimérique.