L'éthique biblique du travail
L'éthique biblique du travail
Qui n’a jamais entendu la célèbre phrase prononcée par Karl Marx, le philosophe et économiste allemand du 19e siècle : « La religion est l’opium du peuple. » Marx voulait sans doute dire que la religion qu’il voyait autour de lui ressemblait à une drogue endormant le sens de la réalité chez ceux qui la pratiquaient. Elle créait un monde irréel, fictif dans lequel se réfugiaient ceux qui cherchaient à oublier les dures réalités de l’existence. Au lieu d’apporter des solutions concrètes aux problèmes des masses, la religion, selon Marx, ne s’intéresserait pas à lutter contre les injustices existantes, mais plutôt à faire miroiter aux yeux des plus crédules un monde meilleur dans un au-delà futur et mythique.
Au 20e siècle, le marxisme est à son tour devenu une religion, un dogme mis en pratique par ses adhérents. Pour des populations entières dûment endoctrinées par les successeurs du philosophe allemand, le marxisme est devenu cet opium qu’il dénonçait lui-même. Le communisme a fait miroiter des « lendemains qui chantent » au milieu de l’univers concentrationnaire instauré dans de nombreux pays au nom du bien général. Pourtant, la petite phrase de Marx ne dispense pas les chrétiens de réfléchir sérieusement à leur propre pensée et pratique.
George Kinoti, un chrétien africain du Kenya, penseur et scientifique, écrit quelque part qu’il arrive aux chrétiens d’utiliser leur foi comme un narcotique, afin d’échapper à la douleur, à la laideur, aux difficultés, à la réalité concrète dans laquelle ils se trouvent. Veut-on des exemples d’une telle tendance? On voit parfois des assemblées de croyants s’adonner à de frénétiques et interminables sessions de chants et prières, pendant lesquelles un état de transe est recherché. La seule chose qui compte alors est de chercher à faire s’évader l’âme du corps et de toute réalité matérielle. L’exaspération des sens et le mouvement des corps semblent n’être là que pour expulser l’âme de son enveloppe physique, comme si une telle agitation constituait pour elle une porte de sortie vers l’au-delà.
Faut-il rappeler, une fois de plus, que Dieu est le Créateur de la réalité physique et spirituelle dans son intégralité, et que Jésus-Christ, au cours de son ministère, a guéri de leurs infirmités physiques les malades qui l’ont approché? Les chrétiens sont appelés à prier, à chanter les louanges de Dieu, mais aussi à le louer et à l’honorer par leur activité, par leur travail.
La Bible proclame dans toutes ses pages la valeur du travail accompli sous le regard de Dieu et en conformité avec ses ordonnances. C’est pour travailler de manière créative, pour produire des fruits et en cela refléter l’image divine, que Dieu plaça le premier couple dans le jardin d’Eden. Le quatrième commandement, en prescrivant de sanctifier le repos du sabbat, enjoint en même temps de travailler pendant six jours : « Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier », lisons-nous au livre de l’Exode. « Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage, mais le septième jour est le sabbat de l’Éternel, ton Dieu » (Ex 20.8-9). Il est évident que, sans le travail accompli pendant les six jours qui précèdent le sabbat, celui-ci ne saurait être sanctifié.
Quant à ceux qui méprisent le travail, voilà ce que nous lisons à leur propos dans le livre des Proverbes :
« Va vers la fourmi, paresseux; considère ses voies et deviens sage. Elle qui n’a ni capitaine, ni officier, ni maître. Elle prépare en été sa nourriture, elle amasse pendant la moisson de quoi manger. Paresseux, jusques à quand seras-tu couché? Quand te lèveras-tu de ton sommeil? Un peu de sommeil, un peu d’assoupissement. Un peu se croiser les mains en se couchant… et la pauvreté te surprendra, comme un rôdeur, et la disette comme un homme en armes » (Pr 6.6-11).
Un peu plus loin, nous lisons :
« Celui qui agit d’une main nonchalante s’appauvrit, mais la main des hommes actifs enrichit. Celui qui amasse pendant l’été est un fils prudent, celui qui dort pendant la moisson est un fils qui fait honte » (Pr 10.4-5).
Toujours au livre des Proverbes, on lit : « La main des hommes actifs dominera. Mais la main nonchalante est destinée à la corvée » (Pr 12.24). Une autre traduction donne, pour le même passage : « Ceux qui travaillent beaucoup s’assurent la direction des affaires, mais les nonchalants seront réduits à l’esclavage. » Au verset 27 du même chapitre, nous lisons encore : « Le paresseux ne fait pas rôtir son gibier; le bien le plus précieux de l’homme c’est l’activité. »
Comme nous le voyons, le livre des Proverbes, ce trésor de sagesse inspiré par Dieu, lie étroitement l’activité, le travail et la prévoyance avec la prospérité. La misère attend l’imprévoyant et le paresseux. Mais la précipitation n’est pas non plus un remède : « Les pensées de l’homme actif vont bien vers l’abondance, mais celui qui agit avec précipitation va bien vers la disette » (Pr 21.5). D’après la Bible, Dieu n’est pas non plus indifférent, à la manière dont les biens sont acquis. Elle nous avertit : « Le gain du juste est pour la vie; le revenu du méchant est pour le péché » (Pr 10.16). Plus loin, nous lisons : « Les biens mal acquis diminuent, mais celui qui amasse peu à peu les augmente » (Pr 13.11). Un autre sage de l’Ancien Testament, l’Ecclésiaste, s’exprime ainsi sur la provenance des biens matériels et de leur jouissance :
« Voici ce que j’ai constaté : le bonheur qui convient à l’homme est de manger, de boire et de jouir de ce qui est bon au milieu de son travail qui lui donne tant de peine sous le soleil, pendant les jours que Dieu lui donne à vivre; c’est là ce qui lui revient. En effet, si Dieu donne à un homme des richesses et des biens, et s’il lui accorde la possibilité d’en profiter, de retirer ce qui lui revient et de trouver de la joie dans son travail, c’est un don de Dieu » (Ec 5.17-18).
Bien sûr, nous savons tous que la pauvreté n’est pas toujours due à la paresse. Les circonstances économiques qui règnent dans beaucoup de pays, comme le chômage endémique, aggravent la condition de beaucoup de gens. La mauvaise gouvernance, à l’échelon local ou national, paralyse ou retarde les efforts des plus dynamiques. L’exploitation des plus pauvres par les plus puissants est aussi souvent la cause de la pauvreté qui sévit. Parfois, ce sont les nations plus puissantes qui profitent des nations plus faibles, en les exploitant économiquement. Plusieurs passages de la Bible réprimandent fortement de tels abus. Certaines personnes sont aussi physiquement diminuées, à cause de maladies ou d’accidents, et ne peuvent pourvoir à leur subsistance. Pourtant, tous ces facteurs n’enlèvent rien à l’actualité et à l’autorité de ce que nous dit la Bible sur la valeur du travail, de l’effort, de l’activité planifiée.
Les nombreux exemples de personnes issues d’un milieu pauvre et qui ont réussi par leurs efforts, par leur esprit d’initiative, à se sortir de la pauvreté, pourraient le démontrer amplement. Mais au-delà des individus, des personnes particulières, ce sont les nations entières qui sont invitées par la Parole de Dieu à fournir un effort, un travail créatif, à l’image du Créateur. L’enseignement du livre des Proverbes était d’abord adressé aux jeunes princes, aux fils des notables, mais par-delà ces personnes, cet enseignement s’adressait à la communauté d’Israël dans son ensemble. Car si un esprit de travail sérieux, de responsabilité individuelle et communautaire ne règne pas dans un pays, les efforts d’une personne auront beaucoup plus de mal à remonter le courant et à lui permettre de prospérer. Pourtant, au bout du compte, par le fruit de son effort, sa situation n’ira pas empirant, mais s’améliorant.
Au cours de notre siècle, on a vu des pays considérés comme pauvres remonter la pente économique et se situer en bonne place quant au revenu annuel par tête d’habitant, tout cela à cause d’un effort communautaire intense. Ce n’est pas que de telles nations aient été nécessairement influencées directement par la Parole de Dieu et par une puissante communauté chrétienne; cependant, là où le mandat et commandement divin du travail ont été appliqués, les fruits bénéfiques s’en sont fait sentir même chez ceux qui ne confessent pas le Dieu révélé dans la Bible. La prospérité ne s’est pas fait attendre. Mais là où un esprit de nonchalance a prévalu, là où l’imprévoyance et la précipitation l’ont emporté, là où les biens ont été dilapidés par des dépenses inutiles et insensées, là où l’État a découragé l’entreprise et l’initiative privée, on n’a vu que pauvreté et misère croître et dominer le paysage économique. Certaines religions encouragent même la mendicité, en enseignant qu’une des bonnes œuvres qui permet à ceux qui l’accomplissent de gagner le paradis, c’est de faire l’aumône aux mendiants.
Ce n’est pas seulement l’Ancien Testament, dans la Bible, qui nous parle du commandement concernant le travail. Le Nouveau Testament, en droite ligne de l’Ancien, enseigne les mêmes préceptes. Les paraboles du Seigneur Jésus-Christ sont pleines d’images et de comparaisons avec le monde du travail. Une des plus célèbres, la parabole des talents, met en valeur l’activité de serviteurs auxquels un maître partant en voyage a confié des sommes importantes. Ceux qui ont fait prospérer les sommes en question, en les investissant de manière fructueuse, sont loués.
L’apôtre Paul, dans sa première lettre adressée aux chrétiens de la ville de Thessalonique, en Macédoine, leur écrit :
« Mais nous vous exhortons, frères, à progresser encore, à mettre votre honneur à vivre en paix, à vous occuper de vos propres affaires et à travailler de vos mains, comme nous vous l’avons recommandé; cela pour que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux du dehors, et que vous n’ayez besoin de personne » (1 Th 4.11-12).
Le principe très important énoncé ici, est l’indépendance financière d’une toute petite en encore très jeune communauté de chrétiens. Afin de glorifier le nom du Seigneur, Paul les exhorte à travailler de leurs mains (comme il le faisait d’ailleurs lui-même, étant fabricant de tentes). Ce faisant, ils ne seront pas à la charge d’autres, et particulièrement des non-croyants. Car ceci aurait pour désastreuse conséquence de faire passer les chrétiens pour des parasites qui se mêlent des affaires des autres, mais sont incapables d’assurer leur propre subsistance.
Paul est encore plus explicite à cet égard dans la deuxième lettre écrite à cette même toute jeune communauté chrétienne de Thessalonique. Il semble que l’attente du retour du Christ soit devenue prétexte pour certains à l’oisiveté et au désordre. Paul parle ici de manière très ferme. Voici ce passage en guise de conclusion :
« Nous vous recommandons, frères, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, de vous éloigner de tout frère qui vit dans le désordre et non selon la tradition que vous avez reçue de nous. Vous savez vous-mêmes comment il faut nous imiter, car nous n’avons pas vécu parmi vous dans le désordre; nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne; mais dans le labeur et dans la peine, nous avons travaillé nuit et jour pour n’être à charge à aucun de vous. Ce n’est pas que nous n’en ayons le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous-mêmes un modèle à imiter. Car lorsque nous étions chez vous, nous vous recommandions ceci : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus! Or nous apprenons que certains d’entre vous vivent dans le désordre, et qu’au lieu d’agir ils s’agitent. Nous invitons ces gens-là, et nous les exhortons par le Seigneur Jésus-Christ, à travailler paisiblement et à manger leur propre pain. Pour vous frères, ne vous lassez pas de faire le bien. Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous disons dans cette lettre, prenez note de lui et n’ayez avec lui aucune relation, afin qu’il en ait honte. Ne le considérez pas comme un ennemi, mais avertissez-le comme un frère » (2 Th 3.6-15).