Le yoga et le chrétien
Le yoga et le chrétien
Bain de jouvence pour l’ésotérisme, titrait un grand quotidien de Paris en rapportant la vogue des salons à caractère ésotérique. « Ces manifestations, ajoutait-il, traduisent la croissance chez nous des nouvelles pratiques ésotériques, mystiques et psychocorporelles. »
C’est à l’une de celles-ci, le yoga, apparemment la plus familière aux Occidentaux que je voudrais consacrer ces quelques lignes, et ceci relativement aux positions chrétiennes.
Il me faut cependant survoler rapidement la religion hindoue si nous voulons comprendre aussi bien l’essence du yoga que sa pratique.
1. L’hindouisme⤒🔗
Dans la religion hindoue, le problème fondamental humain n’est pas l’ordre moral, comme c’est le cas dans le christianisme. L’homme n’étant pas coupable d’avoir transgressé la loi morale divine, il n’a pas besoin de pardon et de réconciliation; au contraire, son problème est d’ordre métaphysique. L’homme fait l’expérience d’une réalité qui est étrangère à sa nature, mais hélas! il ne fait pas l’expérience de ce qu’il est en réalité. Le problème hindou est donc celui de l’être. Deux courants principaux de la pensée hindoue, moniste et dualiste, en expriment la philosophie fondamentale.
Le monisme est une philosophie qui réduit toute réalité sensible à une seule et unique réalité. Tout y est d’une seule et même essence. L’homme, les animaux, les plantes, les roches, les arbres, etc., forment l’ensemble de la conscience universelle infinie. Tout ce que nous percevons est la manifestation ou la transformation de cette conscience. Le problème est celui d’une conscience impersonnelle infinie, bien que l’homme, quant à lui, se rend compte qu’il n’est pas cette conscience infinie. Il n’est simplement qu’un être fini. Son problème est celui de son aliénation. Il est dieu, mais il a oublié qu’il l’est. Le salut consiste par conséquent à s’autoaccomplir, à se rendre compte que le moi est le Moi universel. Votre conscience finie est, en réalité, la conscience infinie.
D’autres courants de pensée hindous, par exemple le Hare Krishna, font partie d’un monisme qu’on appelle qualifié. Selon cette pensée, l’homme n’est pas dieu et pourtant il n’est pas distinct de la divinité. Celui qui prétendrait être dieu n’est qu’un chien et il faut l’abattre. L’état originel de l’âme humaine est une béatitude due à la conscience de Krishna. L’âme a vécu au ciel avec le Seigneur Krishna comme sa servante, mais le malheur est qu’il s’est aliéné de lui et a perdu sa félicité. En chantant « Hare Krishna, Hare Krishna », il peut réintégrer cet état originel de béatitude. Bien que ce ne soit pas un système de monisme absolu, ce courant considère le problème humain comme celui de la conscience et de la perception de l’être, à savoir que l’âme est la conscience de Krishna, mais qu’elle n’en a pas une conscience heureuse. Par conséquent, il faut revenir en arrière et établir une relation de l’âme avec Krishna.
D’autres systèmes de pensée hindous sont dualistes. Dans ce système, il existe deux réalités : l’âme et la matière. Ce sont là des entités séparées. Pourtant, ici encore, l’âme n’est pas conscience de soi. Plus simplement, elle a la conscience de la réalité matérielle, du corps et du monde. Le salut consistera alors à séparer ou à isoler l’âme du corps et du monde.
Ces systèmes ont un dénominateur commun : le problème de l’homme est invariablement d’ordre métaphysique. Son salut consiste à revenir en arrière, vers un état antérieur dans lequel l’âme n’était pas encore soumise au karma ni plongée dans l’esclavage et la souffrance. L’âme est donc engagée irrémédiablement dans une chaîne ininterrompue, dans un cycle infini de la naissance et de la mort. Il n’est pas question de chercher le pardon divin et la réconciliation avec Dieu, mais de prendre conscience de l’identité de son propre moi, ou de son soi, comme on le dit aussi parfois; ce n’est qu’une simple affaire de perception. Cette perception ne sera pas définie en matière de compréhension intellectuelle, mais de manière directe.
Étant donné que toute perception dépend du système nerveux, les techniques du salut consisteront à manipuler ce système nerveux. Il existe des voies différentes pour altérer le système nerveux et pour entrer dans un état altéré de conscience, ou encore pour réaliser un état de conscience transcendant.
2. Le yoga←⤒🔗
Le yoga est essentiellement une technique de manipulation de cette nature qui poursuit un tel objectif. À l’origine, il ne cherchait pas l’unité, mais la séparation et l’isolement. Plus tard, la même technique fut mise au service d’un objectif opposé. Le yoga chercha l’union sous le même joug de l’âme, c’est-à-dire du petit moi, avec le grand moi universel, pour réaliser l’union de l’homme avec le divin.
Il existe différents types de yoga. Cinq d’entre eux sont les plus familiers aux Occidentaux : le Japa Yoga, le Surat Shabd Yoga, le Kundalini Yoga, le Tantra Yoga et le Hatha Yoga. Nous nous arrêterons sur ce dernier, le plus connu d’entre eux.
Le Hatha Yoga cherche le salut essentiellement à l’aide d’exercices physiques. Parce que la perception dépend, ainsi que nous le disions plus haut, du système nerveux et que le système nerveux fonctionne grâce à l’exercice physique, celui de la respiration, on peut le manipuler en vue de parvenir au salut désiré. Le salut est compris comme une affaire de perception et de réalisation de soi. Selon cette logique, si je suis une conscience infinie, je dois m’interroger : de quelle manière ma conscience peut-elle s’altérer? Parce que ma conscience est intimement reliée à mon corps, mes exercices corporels peuvent l’altérer. Que se passe-t-il lors de ces exercices? Il faut se rendre compte qu’il ne s’agit nullement d’une méthode ou d’un système pour vous donner ou redonner une bonne forme et une bonne santé physique. Certes, votre santé pourrait en profiter, mais tel n’est pas l’objectif principal. Essentiellement, cette pratique cherche à isoler votre esprit de votre corps.
Ainsi, lors des exercices de respiration, on cherchera à réduire systématiquement la quantité d’oxygène inhalé afin de parvenir au contrôle de la respiration, ce qui deviendra bientôt une pratique aussi habituelle qu’involontaire. En réalité, la méthode cherche à anéantir le corps. C’est ainsi que les Hatha yogis les plus avancés sont ceux qui sont capables de s’enterrer durant plusieurs semaines et de séjourner dans la tombe en état d’hibernation. Les activités du corps sont ralenties jusqu’à presque atteindre le point mort. On peut affirmer que le but de cet exercice n’est pas la recherche de la santé physique, mais de la mort volontaire quoique provisoire du corps, ce qui vous permet d’aller au-delà de votre enveloppe physique pour rejoindre la pure conscience qui vous dépasse.
3. La réponse chrétienne←⤒🔗
Quelle sera la réponse chrétienne? Le premier point à souligner est que, dans un tel système, votre salut ne dépend plus d’un Dieu transcendant et souverain, mais de vos propres efforts. Le yoga est un moyen pour essayer de devenir son propre sauveur à travers un effort humain et humaniste. Lorsque toute autre technique et science ont échoué, l’homme se dit : « Peut-être, en me rendant à ma conscience originelle, puis-je faire l’expérience de la liberté et me réaliser ainsi avec tout mon potentiel! »
Ainsi, le yogi s’engage-t-il dans une autoévolution, une automaîtrise, une autoconquête, une autoréalisation, une autoactualisation… bref, en une frénétique autosatellisation. En somme, je dois devenir mon propre sauveur, puisque je n’en connais point d’autres. Parce que l’homme est faible et qu’il a besoin d’un sauveur, le yoga se présente aussi à lui comme recherche de pouvoir. Cet aspect du yoga est aisément perçu dans les exemples de Mahesh Yogi, qui enseigne la voie vers des techniques avancées de la méditation transcendantale par la lévitation et par la sortie hors de son corps.
Cependant, en Inde, spécialement dans la mythologie, les sages qui pratiquent l’austérité yogi, le renoncement à soi, le font pour exercer leur ascendant sur l’univers. Le pouvoir que la science et la technique ne peuvent donner leur est accessible à travers leur psychisme. Même le yoga physique est une recherche de pouvoir. La mythologie hindoue fournit nombre d’histoires éclairant cet aspect, comme celle du sage Goha qui commença à pratiquer l’austérité yogi et devint si puissant que même les dieux eurent peur de lui! Goha possédait un tel ascendant qu’il pouvait se hisser jusqu’à eux. C’est pourquoi les dieux envoient à ces ascètes des femmes pour les tenter ou pour les divertir de leurs pratiques ascétiques.
Le contraste est évident et frappant entre le yoga pratiqué comme une religion d’autorédemption et comme recherche de pouvoir et la foi chrétienne qui, elle aussi, pratique la méditation ou, pour le dire mieux, exerce la prière adressée au Dieu souverain et transcendant révélé en Christ. Ici, le fidèle attend et espère en Dieu seul. Selon le prophète Ésaïe, « les adolescents se fatiguent et se lassent, et les jeunes hommes trébuchent bel et bien; mais ceux qui espèrent en l’Éternel renouvellent leurs forces » (És 40.30-31). Cette attente est, bien entendu, une soumission au Dieu souverain, celui qui n’a rien à craindre de l’homme. Au contraire, il prend plaisir à être en relation avec lui, il cherche à le renouveler. C’est pourquoi notre soumission n’est pas une spiritualité centrée autour de soi-même ni la recherche et la culture du moi.
Le sommaire de la loi, telle que nous l’a résumée le Christ, invite à aimer Dieu et à aimer son prochain comme soi-même, à détourner le regard de soi pour le fixer sur le Dieu transcendant et sur autrui. Hélas!, actuellement d’habiles manipulateurs de l’exégèse biblique et autres alchimistes du discours, même chrétien, prétendent que pour pouvoir aimer le prochain, il convient auparavant et surtout d’aimer son propre moi! Hélas!, rien de nouveau sous le soleil. Cette nouvelle religion chrétienne, dont nous avons les principaux porte-parole dans la bienheureuse Californie, a un slogan accrocheur : Amour pour soi-même en tout premier lieu! Votre pensée peut tout… Les existentialistes européens, plus sophistiqués, ne sont, au fond, que des nouvelles écoles de la vieille culture du soi, de l’exaltation du moi et, finalement, des tentatives à peine déguisées de faire son propre salut, de parvenir par ses propres efforts et des voies déviées à accomplir sa propre rédemption.
En concluant, je rappellerai quelques idées fondamentales qui nous serviront de point de repère, pour ne pas dire de défense et d’illustration de notre foi, dans notre confrontation avec le yoga en particulier et avec toute religion humaniste en général.
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Proclamer Jésus-Christ, Fils incarné de Dieu, en qui il n’y a aucune division entre la chair et l’Esprit, bien qu’il n’existe point de mélange ni de confusion entre les deux.
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Souligner l’ordre moral, qui est le terrain sur lequel nous nous tenons aussi bien par rapport à Dieu que dans nos relations avec le prochain. Le problème essentiel de l’homme n’est pas d’ordre métaphysique, mais éthique.
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Annoncer la présence d’un Sauveur en dehors de moi et au-dessus de moi, offrant par son sacrifice sur la croix l’expiation de mes péchés et le pardon de mes offenses.
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Enfin, porter les regards vers une espérance eschatologique, d’après laquelle nous n’avons pas à retourner en arrière pour trouver le salut et la béatitude, mais à attendre le renouvellement de toutes choses par l’intervention du Dieu souverain, par l’opération effective de son Saint-Esprit, grâce à la royauté invincible qu’exerce Jésus-Christ, notre Sauveur.