L'essentiel du bouddhisme
L'essentiel du bouddhisme
- Les écrits
- La doctrine
- La méditation
- Sagesse et compassion
- L’anthropologie bouddhiste
- Dieu et les êtres surnaturels
- Le culte de Bouddha
- Le monde
- Le bien et le mal
- Le salut
- La souffrance
- La réincarnation
- Le nirvana
1. Les écrits⤒🔗
Entièrement différent d’autres fondateurs d’écoles religieuses ou de philosophies, Bouddha n’a manifesté aucun intérêt pour une pensée spéculative. Il n’a pas laissé d’écrits. Sa prédication pieusement conservée par une tradition orale a été retranscrite, commentée pendant huit siècles qui ont suivi sa mort. Les écritures du bouddhisme se divisent en deux catégories :
La Triple Corbeille (Tripitaka) : Ce sont des textes qui correspondent au bouddhisme primitif, tel qu’il fut enseigné par le Bouddha lui-même et ses premiers disciples. Ce sont les textes du bouddhisme du petit véhicule.
La Triple Corbeille comprend trois catégories de textes : La Corbeille de la discipline; la Corbeille du sermon; la Corbeille de l’essence de la loi.
Les textes écrits en une autre langue que le pali, généralement en sanskrit, se rapportent à ce qu’on appelle souvent le bouddhisme septentrional ou bouddhisme du grand véhicule (mahayana). À cette littérature appartiennent les biographies du Bouddha, les textes de la sagesse parfaite.
Le Sermon de Bénarès : Si les textes écrits ne sont pas nombreux, en revanche, Bouddha montre son intérêt pour ce qu’actuellement nous appellerions la psychologie. C’est un remède d’ordre psychologique qu’il faut appliquer aux misères et aux maux qui accablent le genre humain. Car le mal fondamental ne se trouve pas en la pensée, mais dans les émotions, plus spécialement dans les désirs de l’homme, lorsque ces derniers ne sont pas strictement contrôlés.
2. La doctrine←⤒🔗
La doctrine du Bouddha se résume en quatre points, appelés les quatre vérités « sublimes » ou « nobles ».
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La noble vérité de la souffrance, car tous les hommes souffrent. On n’a qu’à ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. L’idée générale est que la souffrance humaine a pour origine l’existence, c’est-à-dire la constante incarnation de l’âme en un corps; le but à atteindre, par un suprême détachement, est l’état de Bouddha, c’est-à-dire du délivré vivant. L’essentiel de cette doctrine est contenu dans la première prédication faite après son illumination, sermon connu sous le titre de « Quatre vérités nobles ».
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La noble vérité de la cause de la souffrance, à savoir le désir.
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La noble vérité de la cessation de la souffrance; elle cessera lorsqu’on cessera de désirer.
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La noble vérité de la voie à huit étapes qui conduit à la fin de la souffrance.
L’observation de cette octuple voie assure à la mort l’accession au nirvana. Au bout de cette voie moyenne qu’est la pureté bouddhique, il y a la possibilité de l’illumination telle que l’a connue le bienheureux Gautama, acte de compréhension suprême qui délivre définitivement le moi de la servitude de l’existence et de la transmigration, qui le fait entrer dans cet état de nirvana. Le nirvana n’est ni un paradis ni un état où le moi se dissout dans l’absolu comme dans l’hindouisme; à travers tous les textes du bouddhisme primitif, il n’est jamais défini de façon positive, mais négativement : il est la non-existence et cette non-existence tend à être, comme le soutiendra le bouddhisme ultérieur, celui du grand véhicule, la plénitude même.
Le second point, la cause de la souffrance, c’est le désir. Au moment où Gautama exerçait son activité, le brahmanisme dominait la scène religieuse en Inde. Comme pour les brahmanes, pour le Bouddha aussi le sort des hommes est voué à une chaîne ininterrompue d’incarnations successives. Le désir pousse à l’action, et l’action se solde par une récompense ou un châtiment qui, selon l’enseignement des philosophes hindous, atteint parfois l’homme dans son existence présente, mais plus souvent dans une existence ultérieure.
Pour remédier à cet état de choses, il faut tuer le désir et empêcher l’action qu’il engendre. Celui qui est détaché de tout désir vit dans une indifférence complète pendant le reste de sa carrière terrestre, et à la mort, il ne paraît plus. Mais tandis que les brahmanes envisageaient cette fin de l’individualité comme un retour à Brahman, la réalité ultime identique à la sienne, l’âme du monde et celle de notre être, Bouddha nie l’existence de Brahman, lequel, déjà dans le brahmanisme, était une notion assez évanescente; pour Bouddha, les sages, parvenus à éteindre leurs passions et leur personnalité, passent dans le nirvana, c’est-à-dire pratiquement dans le néant.
Il n’est pas facile de se détacher de tout désir. Aussi, les trois premières vérités nobles sont-elles complétées par la quatrième qui indique la voie à suivre pour atteindre cet état de détachement; c’est une voie qui, en huit étapes ou embranchements, comporte des préceptes moraux et des règles pour parvenir à se concentrer dans une méditation analogue à celle du Bouddha lui-même.
Voici ces étapes : croire de manière correcte; avoir un but correct; parler correctement; se conduire correctement; avoir des moyens corrects de subsistance; déployer un effort correct; penser de manière droite; méditer correctement.
3. La méditation←⤒🔗
La méditation bouddhique n’a aucun rapport avec un exercice mental qui mettrait en action la seule raison raisonnante et où le corps n’aurait aucune part. En fait, le terme de méditation traduit plus ou moins bien le mot pali bhâvanâ, qui signifie « développement » et qui est employé ici dans le sens d’entraînement psychosomatique.
On distingue deux sortes de méditations : le développement de la tranquillité et le développement de la vision profonde. Ces expressions sont celles de la tradition palie conservée par le theravada; mais l’essentiel de ces méthodes ne constitue nullement un bien propre à cette école; il s’agit bien plutôt d’une base qui est commune à toutes les écoles. Les deux seules pratiques originales par rapport au bouddhisme ancien représenté par le theravada sont les techniques tantriques utilisées dans le bouddhisme tibétain et l’usage des kôans dans l’école zen rinzi.
La voie de la tranquillité est un état d’esprit concentré, inébranlable, paisible, qui purifie l’esprit des souillures et de ses attachements. Elle s’obtient par la pratique de la méditation assise, pendant laquelle l’esprit est fixé sur un seul objet; il se concentre intensément.
La voie de la vision profonde est comme une lumière intérieure qui apparaît brusquement, et qui fait saisir de façon intuitive la non-permanence, la misère et la non-substantialité de tous les phénomènes corporels et mentaux. Seule cette vision profonde mène au nirvana. L’apparition de cette lumière intérieure est conditionnée par l’attention à la fois intense et simple que le méditant porte à tout ce qui lui advient. Cette attitude de conscience vigilante lui permet de vivre totalement dans le présent, sans évasion vers le passé ou vers l’avenir. La pratique intensive de la méditation bouddhique, quelle que soit sa forme, requiert, pour être à la fois efficace et sans danger, la direction d’un maître expérimenté.
Le zen (en japonais « méditation ») est né au 4e siècle en Chine (Chen), d’une influence de la sagesse du tao sur des bouddhistes appartenant au courant du grand véhicule; infiltré au Japon au 12e siècle, il y est devenu le zen; il met l’accent sur la concentration rigoureuse de la pensée; il a donné naissance à plusieurs écoles pratiquant des méthodes différentes : celle du soto, par exemple, met l’accent sur la posture de la méditation (za-zen); mais, en s’affranchissant de soi-même sous la conduite d’un maître, il s’agit toujours d’accéder à la pleine liberté intérieure et ainsi à un niveau insoupçonné de l’être. Les méthodes du zen ne sont pas sans affinité avec le yoga, mais restent liées à la pensée bouddhique.
À l’image du bouddhisme des origines, le zen ne se présente pas comme une religion, mais comme une sagesse humaine libérant le corps et l’esprit. Tout un art de vivre a d’ailleurs fleuri chez ses adeptes (théâtre, judo, aïkido, peinture, jardins, art floral, etc.).
La méditation zen comme le yoga sont subordonnés à une posture (celle du lotus, za-zen, est la position assise); c’est en pratiquant la méditation dans cette posture immobile, les jambes croisées, le corps droit, les yeux fixant le sol à un mètre devant soi, les mains croisées au bas du ventre, pouces l’un contre l’autre, et faisant le vide dans son esprit, que le fidèle atteint le satori, l’éveil.
Il s’agit d’abord de prendre conscience que nous ne connaissons pas ce que nous sommes; il faut partir à la recherche de soi-même avec l’aide de maîtres spirituels, mais en les dépassant pour atteindre la réalité, au-delà des paroles et des concepts.
La connaissance de soi passe ensuite par l’oubli de soi; la méditation zen conduit le fidèle à s’identifier au cosmos, dans une communion intégrale à la nature. Par ce cheminement, il découvre en lui l’entité (esprit, âme, nature fondamentale de l’univers…) qui dépasse et remplace toutes les différenciations individuelles et les transformations épisodiques; il rejoint la suprême unité toujours présente dans l’existence. Le zen se veut comme la voie humaine de sagesse qui conduit au détachement de soi et aboutit par là au nirvana.
Mais, indépendamment de la philosophie bouddhique qui est à ses origines, on sait le succès qu’il a rencontré en Occident comme école de silence intérieur pratiqué par l’homme moderne, qui sans cesse est incité à vivre à la surface de lui-même et de ce qui l’entoure, n’exerçant aucune maîtrise sur ses pensées, ses sentiments, son action.
Des chrétiens ont cherché à aller plus loin dans la pratique du zen! L’état de vide suscité par la voie du zen rendrait l’âme disponible à la présence de Dieu, à sa Parole, à la vie de l’Esprit. Des contemplatifs y voient un cheminement proche de celui qui a été suivi par de grands mystiques (maître Eckhart, saint Jean de la Croix, etc.). Tout n’est pas clarifié pour autant; par exemple, des moines zenistes contestent absolument la compatibilité entre le zen authentique et la prière, celle-ci étant d’ailleurs opposée à l’enseignement du Bouddha.
4. Sagesse et compassion←⤒🔗
Tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant pourrait laisser croire que le bouddhisme est essentiellement et exclusivement une sagesse. En fait, la sagesse constitue bien l’un des deux pôles de la spiritualité bouddhique, mais l’autre pôle, la « bienveillance et la compassion », n’est pas moins important. Si la sagesse consiste à « voir les choses telles qu’elles sont », c’est-à-dire telles que le Bouddha les a révélées dans les quatre vérités nobles, représentant donc l’aspect intellectuel de la voie bouddhique, la compassion, elle, en représente les qualités du cœur.
Le mahayana a mis tout particulièrement l’accent sur la compassion; mais il n’en a pas le monopole, car la compassion appartient à l’idéal bouddhique dès ses origines. Pour s’en convaincre, il n’est que de lire ce que Bouddhagosha a écrit sur les « quatre états sublimes » : l’amour, la compassion, la sympathie joyeuse, l’équanimité.
Nous nous demanderons cependant à qui s’adresse cette compassion puisqu’il n’y a pas de sujet permanent. Celle-ci n’est-elle donc pas vide? Le bouddhiste répondra qu’il la vit de manière solidaire avec ceux qui souffrent. Dans la mesure où on cultive la vraie sagesse, on développera une authentique compassion, car c’est alors que la compassion serait libérée de tout mouvement passionnel égocentrique!
5. L’anthropologie bouddhiste←⤒🔗
Le bouddhisme est une religion qui cherche le bien. Il enseigne à abandonner le mal et à pratiquer le bien.
La personne humaine traverse trois cycles de vie : passé, présent, futur. Ces étapes sont dues au karma qui est la loi fondamentale de la cause et de l’effet. Il n’existe pas de doctrine ou de théorie de la création.
Tout procède d’une cause, le karma, dans lequel les actes d’autres êtres continuent à engendrer d’autres êtres. Par exemple, si quelqu’un tue un poulet (cause) lors de la transmigration future il naîtra poulet, et à son tour il sera tué (effet). C’est à cause de cette idée qu’on craint de commettre un mauvais acte et non par crainte de transgresser un commandement transcendant. On a peur de souffrir lors de la réincarnation. Mais cette croyance soutient l’endurance dans la souffrance. On estime que, dans une existence antérieure à la présente, on a commis un acte mauvais, dont la cause est inconnue; aussi souffre-t-on durant l’existence présente (effet).
L’homme n’est pas anéanti à sa mort. Aussi s’efforcera-t-il d’améliorer sa conduite et l’état de son cœur. Diverses méthodes l’aideront à y parvenir. L’une d’elles consiste en la méditation et en la discipline imposée à soi-même.
Tous les hommes ont la nature du Bouddha et sont égaux entre eux. Le terme sattya signifie « toutes les créatures vivantes ». Elles sont distinctes par quatre formes de naissances : naissance dans le sein maternel pour les hommes et les animaux, naissance par des œufs pour les oiseaux; naissance aquatique pour les poissons, enfin naissance métamorphotique entre autres pour les chrysalides et les papillons. Tous ces êtres doivent traverser six étapes de transmigration et c’est pour cette raison que le bouddhiste ne consommera pas du porc, du bœuf, du poulet ou du poisson. Sinon, il risquerait de consommer ses propres parents, ses arrière-parents ou de proches parents.
Même si tous ne reconnaissent pas ces animaux comme étant la réincarnation d’ancêtres, néanmoins on n’osera pas consommer de la viande, car tout animal possède la même valeur que la personne humaine. Le bouddhiste critique le commandement d’amour chrétien, qui exclut l’amour envers l’animal. Les religieux bouddhistes s’intéressent davantage à l’animal qu’à leurs proches parents ou intimes.
6. Dieu et les êtres surnaturels←⤒🔗
Il existe des dieux et des démons. Le monde n’est pas simple univers matériel, il est aussi spirituel. Athée pourtant, paradoxalement le bouddhisme est aussi polythéiste. Le bouddhiste adore son dieu avec une dévotion exemplaire, pourtant son dieu est totalement inexistant!
Il ignore le concept d’un Dieu personnel qu’il faut adorer. Il est athée non au sens adversaire et agressif du mot, mais au sens originel (a-théos = sans dieu). Même ceci n’est pas encore tout à fait exact. Certes, il ne s’est pas particulièrement occupé de la question de Dieu. Car il s’est surtout penché sur le problème de la souffrance et non sur la question des rapports entre Dieu et l’homme. Cette question n’intéressait pas le maître. Elle n’est pas au cœur du problème, c’est-à-dire la douleur intérieure et sa solution qu’est l’évacuation du désir. Et puis, la croyance dans les devas ou les démons, de même que la prière n’a aucune importance.
Le fondateur avait coutume de dire : « Voyez, le Bouddha a enseigné cela; la vérité sur la souffrance et la libération de celle-ci. C’est pourquoi ce qui n’a pas été révélé par moi reste non révélé. » Fait partie de ce non-révélé l’ensemble des questions relatives à Dieu. C’est pourquoi on peut dire à bon droit que, de manière prédominante, le Bouddha est un moraliste plutôt qu’un métaphysicien ou un théologien. Son enseignement voulait répondre surtout à la question « Que dois-je faire? » et non à la question « Que dois-je croire? »
Cependant, Bouddha a aussi fait une déclaration au sujet de la foi. Il a parlé des « lois éternelles » en tant qu’instance ultime. En outre, il s’est exprimé au sujet du « karman », la doctrine relative au péché et à la rétribution qu’il entraîne. Ces deux doctrines des lois éternelles et du karman sont étroitement imbriquées; la loi éternelle enregistre les bonnes et les mauvaises actions de l’homme, ses bonnes et ses mauvaises intentions. La rémunération, karman, aura lieu suivant le relevé des comptes de chacun. Cependant, le Bouddha a omis de donner des précisions sur cette « loi éternelle » qui existerait comme instance ultime. C’est pourquoi on peut raisonnablement traiter sa doctrine sur Dieu de doctrine sous-développée.
Parce que Dieu n’a pas de place définie, voire décisive dans sa pensée, la prière est superflue. Aux yeux de Bouddha, les Védas, de même que l’ensemble du rituel sacerdotal de l’Inde, sont sans valeur. On peut dire sans se tromper que le bouddhisme apparaît malgré tout comme la forme philosophique la plus représentative du pur athéisme.
Pour nier Dieu, les bouddhistes ne nient pas pour autant les dieux; dieux moraux et bienveillants, mais aussi lutins, ondines, vampires, démons, êtres redoutables à qui l’on ne capte pas leur amitié par quelque hommage ou ne possède pas un talisman pour se défendre. Les moines y ont pourvu, beaucoup pour leur propre compte, davantage pour le compte de leurs clients. La préoccupation capitale des laïcs et des moines en général est de vivre confortablement; or les dieux y sont d’un grand secours; ils les assurent d’une renaissance dans quelque paradis (svarga) aux joies médiocrement quintessenciées. C’est une grande tentation de préférer le ciel au nirvana; le Bouddha met en garde contre cette faiblesse, mais au bénéfice des bonnes gens, il insiste sur les tortures infernales, sur la récompense paradisiaque de bonnes actions sages pour maintenir la superstition à un étage assez bas. Le moment ne tarda pas où le bouddhisme se fit des dieux bien à lui, saintes divinisées, dieux païens convertis et des paradis dignes de ses ascètes, étagés au-dessus du vieux paradis de Brahma.
7. Le culte de Bouddha←⤒🔗
Bien que le bouddhisme soit une psychologie athée, après la mort du fondateur, ses adeptes se mirent à l’adorer tel un dieu, en cherchant le réconfort en lui en personne plutôt qu’en ses enseignements qui, à vrai dire, étaient assez compliqués pour le commun des mortels de l’Inde. Il sera considéré comme le miséricordieux aussi bien que comme l’illuminé par excellence.
À proprement parler, un culte voué au Bouddha devrait être inconcevable, ce qui le rend différent du bouddhisme mahayana. La disparition du Bouddha a été représentée de manière symbolique dans les reliefs bouddhistes primitifs; Gautama en personne est absent des sculptures forgées par ses disciples. Sa présence est simplement indiquée par un tel ou tel signe, par exemple les traces de ses pas. Quoique le Bouddha sera considéré supérieur aux dieux, même au grand dieu Brahma, il n’est pas dieu. Ceci explique la tolérance du bouddhisme à l’égard d’autres religions et croyances. Sans un Dieu Créateur suprême (comme dans la révélation chrétienne), il ne peut exister de jalousie au sens biblique du terme envers d’autres dieux inférieurs rivaux ou menaçants. De très nombreux temples se sont attachés des devales ou des autels à ces dieux inférieurs. Outre une certaine symbiose avec d’autres religions, le Dharma bouddhiste s’accommode de ce qui est magique dans les autres religions. L’astrologie a pénétré dans les pratiques bouddhistes et les cultes qui l’environnent forment un ensemble organique de la variété des cultes et des pratiques observées pour les besoins des populations laïques.
Le culte du Bouddha fait du bouddhisme une confrérie monastique, une église au sens propre du mot, qui se superpose à une philosophie que nous appellerons laïque, une hagiographie qui tourne à la théologie. La doctrine relative à la personne du Bouddha n’y est qu’un accessoire. Au contraire, dans le bouddhisme postérieur, la bouddhologie devient chose essentielle. Il a été magnifié, divinisé et on a multiplié non seulement dans le passé, mais encore dans le présent des Bouddhas semblables à lui, êtres sublimes, sanctifiés au cours de siècles sans nombre, des dieux providence, sauveurs.
Ceci est un polythéisme d’une nature très particulière. Les simples espèrent renaître dans des paradis où trônent des Bouddhas pratiquement éternels et où les hommes sont transportés par la grâce des grands saints, les futurs Bouddhas. Les spirituels ne se contentent pas d’être des élus, ils veulent devenir eux-mêmes des Bouddhas et commencent aussitôt par des résolutions et des exercices qui soient à la portée de leur faiblesse. La carrière des futurs Bouddhas doit se prolonger pendant des milliers de renaissances consacrées à la charité et à la méditation.
8. Le monde←⤒🔗
Le bouddhisme ne considère pas le monde comme la création de Dieu. Le monde possède quatre éléments distincts : la terre, l’eau, le feu et le vent. Tous sont liés par le hepuprataya, dans lequel les causes primaires et secondaires ne possèdent ni plan ni destinée. Le bouddhiste n’aperçoit pas la beauté du monde ni la grâce de la création, à moins de se laisser instruire par une autre théorie que celle du Bouddha. Il ne la tient que pour un lieu de misère; tout ce qui s’y trouve est sujet à la vanité. Le monde n’est pas contrôlé ni régi par un Dieu régent; il est la conséquence du karma, de la loi de cause et d’effet.
Tout conduit inévitablement au fatalisme : la richesse, la pauvreté, les bénédictions, les détresses, l’existence sont causées par le karman de vies antérieures.
Par conséquent, la conception bouddhiste de la vie est foncièrement pessimiste. Quoique le bouddhiste n’admet pas son pessimisme, il considère pourtant la vie comme un désastre. Il existe huit espèces de désastres : naissance, vieillesse, maladie, mort, séparation d’avec ceux que l’on aime, rencontre avec ce que l’on hait, objectifs non atteints et tous les maux des cinq skandhas (agrégats). L’être humain est destiné à souffrir, ce qui amène le bouddhiste à fuir le monde et ce qui fit du Gautama un moine ascète. Il vit les misères décrites plus haut. Elles le forcèrent à renoncer à toute affection humaine envers le père, la mère, l’épouse, l’enfant, d’autres familiers de même qu’envers des serviteurs et des servantes.
Quoique dans le bouddhisme mahayana le bodhisattva peut avoir sa famille temporaire, le mariage y demeure source de karma, c’est-à-dire d’intarissable détresse. Croyance totalement fataliste, richesse comme pauvreté, etc., sont considérées comme la trame de l’existence causée par le karma à partir des vies antérieures.
Lorsque Gautama tomba malade d’empoisonnement alimentaire, il dit à ses disciples que l’accident était dû au karma d’une vie antérieure : Il avait administré un faux remède à un patient. Aussi devait-il à présent en subir le châtiment. Lorsqu’une armée vint du nord pour détruire la race de Gautama, il déclara que cela aussi était dû au karma. Cette calamité n’aurait pas pu être évitée, car dans le passé ces soldats du nord avaient été des poissons nageant dans une piscine et avaient été mangés par des compatriotes des générations antérieures à Gautama. Telle était l’interprétation du danger qui menaçait la race et le pays! Aussi il n’entreprit aucune action pour le délivrer.
À la vue du bouddhiste, le monde et la vie offrent une existence remplie uniquement de détresse. La seule solution consiste à fuir le monde; c’est pourquoi Bouddha, ayant vu les misères qui frappent les humains, était devenu moine. Ces misères l’avaient incité à abandonner l’amour humain. Plus tard, il obligera les siens à devenir à leur tour, et à sa suite, des religieux ascètes.
9. Le bien et le mal←⤒🔗
On a pu se demander si le bouddhisme était une religion et la réponse dépendra du sens qu’on donne au mot religion : si l’on y inclut, comme certains le font, la croyance en un être ultime personnel, il sera difficile de classer le bouddhisme parmi les religions du même type; son courant de pensée est essentiellement « humaniste ». Nous avons vu qu’au sens objectif du mot, il est athée : Dieu et les dieux restent en dehors de sa problématique de même que de ses solutions.
Un bouddhiste moderne disait : « Le monde doit se libérer de l’idée de Dieu. On perd son temps en priant; cela est inutile. » La manière dont le bouddhisme définit le bien et le mal ne se réfère nullement à un être suprême, législateur personnel envers lequel l’homme « pécherait » ou auquel il « obéirait », au sens monothéiste de ces expressions.
Ce serait aller trop loin de conclure que le bouddhisme est un système moral, du fait des principes qu’il épouse ou des pratiques qu’il prescrit. En fait, le bouddhisme est essentiellement une thérapeutique de l’universelle douleur humaine; il se veut d’abord efficace. Le Bouddha s’est comparé à un médecin. Ses jugements de valeur s’expriment de façon utilitaire : les vues et les actions sont vraies ou fausses, favorables ou nuisibles. Les notions les plus centrales sont situées dans la zone impersonnelle du « pragmatisme » plus ou moins déterministe. Le bien et le mal ne sont pas jugés selon leur intention personnelle responsable, mais selon leur situation objective de concordance ou de discordance avec des lois qui régissent, dans l’univers tout entier, les jeux des causes et des effets humains, bienfaisants ou funestes, comme le seraient la croissance des moissons ou les éruptions d’un volcan. Ainsi, le bien et le mal ne se définissent et n’existent qu’en fonction de leur rapport aux lois.
Multiples, ces lois s’enracinent dans la loi fondamentale. Il faut se délivrer, et tout ce qui y mène est bien. De cette loi part tout l’exposé « moral ». Face à cette loi, on montrera le comportement fondamental de l’homme. Ensuite, on expliquera de façon concrète en quoi consiste l’accomplissement de la loi, ce qui est la morale bouddhique. Deux mots indiquent la loi, niyâma, l’ensemble des lois physiques qui règlent l’existence et la marche de l’univers; dhamma ou Dharma. La loi figure parmi les trois « pierres précieuses » essentielles au bouddhisme : Bouddha, Dharma et Sangha. Ce Dharma est immuable et éternel. Il ne doit son éminence qu’à lui-même. La loi ne s’appuie pas sur la volonté de Dieu ni sur celle des dieux qui lui sont soumis. Des spéculations ultérieures iront jusqu’à voir dans le Bouddha la simple manifestation de la loi, historiquement « transformée » à notre usage. C’est elle qui constitue au fond sa vraie nature, sa substance solide, pérenne.
L’univers est le champ d’action du Dharma. Il régit tout ce qui existe. L’homme y est soumis. On ne peut aborder la morale bouddhique à partir de notre notion de péché, acte commis librement par une personne, contre le précepte de Dieu. Ni la « personne » ni « Dieu » n’interviennent essentiellement ici.
La fausseté est un caractère d’ordre objectif; elle se révèle par comparaison au réel. La seconde note péjorative employée par le bouddhisme est celle de défavorable, nuisible, quant aux conséquences karmiques futures de la personne en question, ou de toutes les personnes. La conformité à la loi est ce qui est exact (samma) et ce qui est favorable (kusala).
S’il existe mille manières d’être faux et nuisible, il n’existe qu’une manière d’être vrai, exact; celle de voir comme voit la loi, prêchée par le Bouddha, et agir selon la voie indiquée par lui. Les vraies vues sont existentielles, expérimentales, elles partent d’un fait universel et « scandaleux » à la fois, c’est-à-dire de l’existence du mal. La loi impose à tous, comme terme ultime, le détachement du soi, l’évacuation du soi.
Il faut reconnaître qu’au cours de 2500 ans d’histoire, l’austérité de ces principes, effrayantes pour notre nature, et leur stoïcisme altier, décourageant pour notre faiblesse, se sont atténués en plus d’un cas. La masse bouddhiste a constaté, selon les mots de saint Paul : « Je ne fais pas ce que je voudrais, je fais ce que je ne veux pas », et elle a cherché des secours extérieurs. C’est ainsi que, dès les débuts, à côté de leur foi bouddhique, beaucoup de disciples à l’esprit simple ont conservé la pratique du recours à des dieux protecteurs, au moins pour les difficultés quotidiennes, de façon provisoire.
10. Le salut←⤒🔗
Toutes les religions s’assignent finalement un même but qu’elles proposent à l’homme : le salut. Toutes reconnaissent que l’homme est dans un état qui réclame un salut et que ce salut est possible, d’une façon ou d’une autre. Mais chacune a sa manière de poser le problème, de choisir ses axiomes et de proposer ses solutions.
Le Bouddha a dit : « Comme l’océan est pénétré d’une seule saveur, celle du sel, ainsi mon message a une saveur unique, celle de la délivrance. » Il faut de suite noter la formulation négative employée par le fondateur : il s’agit d’échapper à des liens, à un emprisonnement, à un esclavage, à une fatalité. On ne peut le comprendre qu’en rappelant le contexte religieux et général de la vie du Bouddha : c’est là qu’est né son problème. Le premier facteur à considérer, ce sont les axiomes religieux fondamentaux de son époque et de sa région. Le Bouddha est très soucieux de se présenter non comme un novateur (ce qu’il fut pourtant), mais comme un continuateur (ce qu’il fut aussi). Il affirme présenter « un ancien chemin, une ancienne route… suivie déjà par les vieux sages ». On a dit que le bouddhisme est né, a vécu et est mort hindou.
Le premier de ces axiomes est, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la loi de la rétribution des actes (karma); toute action porte des germes qui mûriront fatalement en rétribution, bonne ou mauvaise selon la nature de l’acte posé.
La rétribution ne s’épuise pas nécessairement en une seule vie; le jeu de ses effets peut s’étendre dans une succession d’existences (croyance à la transmigration, samsara).
Cette succession semble ne pas avoir de raison de s’arrêter; de fait, chaque action, en même temps qu’elle découle d’une rétribution précédente, provoque à son tour un fruit de rétribution ultérieure. L’effet, ou le fruit produit, comporte douze causes, chacune provenant de la précédente et produisant la suivante, tandis que la douzième produit à nouveau la première; si bien qu’on est pris dans un cercle sans fin. Les douze causes, qui forment le cercle extérieur, enveloppent un espace circulaire divisé en cinq ou six destinées : on peut renaître deva (être brillant surhumain) asura (titan) homme, ombre famélique, démon, dans divers mondes hiérarchiques : supérieurs, moyens ou inférieurs.
Mais, notons-le, car c’est l’essentiel, aucune de ces destinées n’est permanente, pas même celle de deva ou celle de démon; aucun bonheur comme aucun malheur n’est éternel. En revanche, la succession l’est! Il n’est donc ni repos ni sécurité à espérer et, semble-t-il, il n’est ni moyen ni lieu d’arrêt.
Un bouddhiste peut être disciple laïc. Il peut même consentir à le rester pendant une ou plusieurs existences; un bouddhiste laïc peut, au moins exceptionnellement, atteindre l’illumination, l’histoire le prouve. Mais le bouddhiste vraiment logique et zélé rejoint une communauté monastique : publiquement et totalement, « il prend refuge dans le Bouddha, la loi et la communauté ».
Le laïc a d’ailleurs ses obligations traditionnelles qui lient aussi le moine. Elles s’expriment en cinq défenses qui sont cinq prohibitions de cinq désirs mauvais de l’homme : ne pas tuer, ne pas voler, garder la chasteté (selon son état), ne pas mentir, ne pas user de boissons enivrantes. Le devoir positif du laïc est de respecter le moine; il l’écoutera et l’aidera par ses dons. Mais tout cela ne l’amène encore que dans les cieux provisoires. Aux cinq défenses du laïc, le moine ajoute cinq autres, qui conviennent à sa condition : point de danses, musique ou spectacles; point d’onguents, de parfums, de guirlandes; point de literie ni de mobilier de luxe; point d’or ni d’argent; aucun repas après midi. Autour de ces dix directives se sont tissés des règles complexes et des prescriptions sans fin, surtout pour les moines (deux cent cinquante règles) et pour les nonnes (cinq cents).
Bouddha est postérieur à l’hindouisme et il fit faire à cette religion un progrès considérable. Il peut être considéré comme son réformateur de la manière suivante :
Il a écarté l’existence injuste et avilissante des castes. Il n’existe pas de monopole du salut pour une caste donnée, comme c’est le cas pour les brahmanes. Le motif véritable de l’expansion ample et rapide du bouddhisme se trouve dans ce refus des castes comme société, dont certains sont exclus du salut. Le salut est accessible à chacun grâce à un effort déterminé.
D’abord, il n’existe rien de permanent, puisqu’il n’existe point de Créateur transcendant et par conséquent permanent. Il n’existe donc pas d’être suprême que l’on doive adorer. Le dieu Brahma, considéré comme créateur par l’orthodoxie de l’époque du Bouddha, est traité avec ironie dans les écrits bouddhistes. Lui non plus n’est pas permanent et il est bien inférieur à Bouddha quant à la connaissance ou à la compréhension. Ainsi, en un sens très important, il n’existe point de Dieu dans le bouddhisme theravada.
Il n’existe pas d’âme qu’il faut sauver. L’individu est lui-même un écheveau d’événements non permanents, et rien de permanent n’est porté vers l’autre vie. Du même coup, on ne peut parler d’individu libéré comme existant au-delà la mort en tant qu’âme désincarnée. Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude si, après l’affranchissement, Bouddha vit ou ne vit point. C’est comme si l’on demandait si une flamme subsiste après qu’on a soufflé sur elle. L’essence individuelle permanente, ou de l’âme, est étrangère à la tradition bouddhiste.
Le bouddhiste cherche à faire son salut en observant des commandements. À la mort de Gautama, ses disciples lui ont demandé : Maître, qui nous dirigera après ton départ? Et celui-ci a répondu : Ce sera Pratimoska, ce qui veut dire les commandements.
Gautama n’a jamais prétendu être le Sauveur. L’objectif final est d’atteindre le nirvana, c’est-à-dire l’extinction tranquille, la totale tranquillité, l’entrée dans l’état d’extinction. Tous les bouddhistes ne partagent pas les mêmes idées relatives à l’état réel du nirvana. Si quelqu’un y entre, il y existe en tant que personne individuelle. Les uns admettent la permanence de la personnalité, d’autres estiment qu’elle sera entièrement annihilée. On dira : si une goutte d’eau tombe dans l’océan, elle disparaît. La goutte d’eau existe, mais pas en tant que goutte, car son individualité a été absorbée dans l’océan.
Moraliste et psychologue, le bouddhisme enseigne qu’au sens strict du mot l’homme est son propre sauveur. Il s’agit, on en conviendra, d’un humanisme religieux dans lequel l’homme, par ses propres moyens et grâce à ses efforts intelligemment déployés, parvient à se défaire de tous ses désirs impurs et nuisibles.
Il faut aimer les hommes, enseigne Bouddha, pourtant l’amour dont il parle est un sentiment exprimant un amour impersonnel, un amour pour l’humanité en général, et non pour une personne individuelle ou des personnes précises. Il tracera ainsi les quatre vérités nobles de même que la voie octuple comme mode de salut. Grâce à leur observation, un bouddhiste sérieux espère échapper au processus infini des naissances successives.
Le bouddhiste abandonnera sa famille pour devenir moine ou végétarien et chantera les louanges du Bouddha, afin d’accumuler ainsi des mérites pour sa prochaine vie et d’acquérir du bonheur. Il ne se préoccupe guère du péché. Sa seule raison ou son seul objectif est d’échapper à la souffrance.
11. La souffrance←⤒🔗
La doctrine de Bouddha est alourdie par le fardeau écrasant de ses conceptions sur la vie et sur la souffrance. Rappelons-nous qu’il n’a pas abouti à une théologie, à un enseignement clair et précis sur Dieu. Son point de vue essentiel est une doctrine sur la vie et sur le monde. Notre monde n’est qu’apparence, le voile de Maya, de l’illusion, mais il est néanmoins plein de souffrance. Le Bouddha affirme : Vivre c’est souffrir, et souffrir c’est la vie. La conception centrale du maître tient en cette courte phrase. C’est pourquoi toute sa pensée tourne autour de cette idée : délivrer l’homme des souffrances inhérentes à ce monde et à ses apparences.
Il mourut en disant : « Toute apparence doit disparaître. Inlassablement, combattez en vue du salut. » Le combat de Bouddha et de son disciple consiste à s’affranchir toujours davantage des apparences du monde temporel, trompeur, rempli de douleurs, pour atteindre le nirvana et jouir de la paix parfaite de l’âme. Plus le fidèle prend sur lui des souffrances pour se défaire du monde des apparences trompeuses, plus il aura de joie et de gloire dans l’au-delà. Il est permis d’étiqueter au moyen de ce seul mot la doctrine bouddhiste : pessimisme extrême.
12. La réincarnation←⤒🔗
L’un des aspects du bouddhisme qui confronte le monde occidental avec une énigme, c’est la doctrine de la réincarnation. La perspective du samsara, que ce soit ici-bas ou au ciel, dans un purgatoire où sous une forme divine, humaine ou animale, est une autre forme d’exister que celle de la naissance, ou celle de la mort et de l’immortalité successive.
Le Bouddha a trois aspects ou corps : aspect transfiguré dans lequel il apparaît sur terre, le Gautama historique; aspect de béatitude dans sa forme céleste, le Bouddha divin; aspect de Dharma ou de vérité où le Bouddha est devenu identique à l’absolu.
La nature intérieure de tout est le vide, elle est imprescriptible. Mais ce vide peut faire l’objet de l’expérience de manière existentielle. L’individu atteint l’illumination, l’expérience mystique qui n’est pas un duel. Dans un sens spirituel, il devient l’absolu pour atteindre la bouddhaïté. L’idéal n’est pas d’atteindre la sainteté (arhat), mais la réalisation de la bouddhaïté.
13. Le nirvana←⤒🔗
Quelle est la voie ou quel le véhicule qui conduit au nirvana? La réponse est très nette : c’est l’absence du désir. Mais ceci est du pur brahmanisme. Selon Bouddha, tout ce qui advient est la conséquence d’actes anciens. Nous sommes ce que nous avons pensé et les actes de la présente vie mûrissent dans une existence à venir. Quelle que puisse être cette existence, même divine, il faudrait l’éviter. Car les dieux prévoient leur future dégradation et sont malheureux. Or, pour éviter la renaissance, infailliblement suivie d’une deuxième mort, il faut ne pas agir, plus exactement ne pas accomplir d’actes qui, procédant du désir et engendrant le désir, revêtent l’âme de potentialités appelées à s’actualiser dans une vie ultérieure. Du principe fondamental de la rétribution des actes découle logiquement, pour ceux qui veulent échapper à la survie et à la rétribution, la loi du non-agir ou du non-désir, ainsi qu’une règle qui facilite ou provoque l’extinction du désir.
Le nirvana est un au-delà indéfinissable, une arrivée en Brahma sans Brahma, identique à l’immortalité des brahmanes, et décrit à l’occasion, dans des termes mêmes qui sont familiers aux brahmanes, pour dénommer la fin dernière et exempte de souffrance. Cependant, un grand nombre de textes nous invitent à reconnaître le nirvana dans le calme recueillement du moine, exempt du désir et qui attend paisiblement sa fin prochaine. De la sérénité de l’arhat, du sage parvenu à ce haut degré d’ataraxie et de quiétisme, on peut dire qu’elle est le nirvana sur terre, car elle est l’avant-goût et le gage certain du vrai nirvana de l’immortalité ou de la non re-mort. L’arhat meurt pour la dernière fois, car il ne renaîtra plus; il possède la connaissance de la destruction des naissances et encore cette sérénité qu’est le nirvana ou rafraîchissement du feu de la passion, par opposition au nirvana d’après la mort, rafraîchissement du feu de l’existence. Le complet détachement des choses d’ici-bas, entouré d’ailleurs des délices et jouissances de la vie monastique « parfumée » par les extases, apparaît vraiment aux bouddhistes comme le bien en soi. Tout est en feu hormis le cloître.
Les contradictions du bouddhisme, tant au point de vue strictement dogmatique qu’au point de vue du sentiment religieux, sont inutilement paradoxales et provocantes. La voie de renoncement du nirvana, qui est l’essentiel du bouddhisme, est, en effet, presque identique à celle que préconisent les docteurs brahmaniques, et elle est parfaitement conciliable avec leurs principes. On ne voit pas quel avantage trouvèrent les bouddhistes à remplacer Brahma, l’infini, réalité et fin dernières (vedanta) par un nirvana qui n’a même pas l’avantage d’être le néant.
La continuité de la vie individuelle et de sa conscience est un mal dont il faut s’affranchir. La non-existence est la fin ultime. La foi biblique, elle, tient la vie de l’homme comme le don divin. Elle affirme son espérance en la vie éternelle. La vie individuelle a été créée en vue de l’éternité. Elle peut se purifier de désirs égoïstes, de pensées mauvaises, et ses aspirations pures, sanctifiées y seront pleinement et définitivement satisfaites. Le bouddhiste cherche l’annihilation du désir; la foi chrétienne la satisfaction sur un plan supérieur.