L'implication pastorale des doctrines (2) - Définir la tâche pastorale
L'implication pastorale des doctrines (2) - Définir la tâche pastorale
-
Le principe de délégation
a. Dieu – tous – quelques-uns
b. Les notions de service et d’autorité -
Cultiver et garder, protéger et faire croître
a. Pourquoi garder?
b. Que signifie cultiver? -
La communauté et l’individu
a. Chacun et tous
b. La notion biblique d’édification -
La responsabilité et la grâce
a. Toute la Bible est loi, toute la Bible est grâce
b. Le bon usage de la loi, le bon usage de la grâce
Ce que nous avons dit sur les notions d’intelligence et de justice nous a assez directement dirigé vers la responsabilité pastorale. La notion biblique de doctrine comprend l’enseignement et sa juste application, autrement dit l’enseignement dans ce qu’il a de général et l’application dans ce qu’elle peut avoir de particulier. Cela peut se traduire par cette formule : Pas de doctrine sans application pratique dans la vie du chrétien et de l’Église. Pas d’application pratique sans doctrine sous-jacente. L’attitude des chrétiens de Bérée peut, à cet égard, être regardée comme exemplaire (Ac 17.11).
Après avoir approché la notion de doctrine, tentons de cerner ce qui constitue la tâche pastorale. Ce n’est pas « tout et n’importe quoi », comme on l’observe assez souvent.
1. Le principe de délégation⤒🔗
a. Dieu – tous – quelques-uns←↰⤒🔗
Tout ce qui est juste et bon, sur cette terre, est le reflet d’une réalité qui existe en Dieu. Le soleil est une création qui reflète ou représente, dans le temps, la lumière éternelle de Dieu. Un jour, il n’y aura plus de soleil (Ap 21.23). C’est ce qui nous porte à rendre grâce à Dieu et à l’adorer lui seul, en portant un regard intelligent sur la création.
Cette réalité importante a été bien cernée par les réformateurs. Concernant la charge des parents dans la maison, Luther écrit par exemple : « C’est Dieu qui lange l’enfant et lui donne la bouillie; mais il le fait par les mains de la mère. » Dans un style différent, Calvin ne dit pas autre chose : « Dieu met l’enfant dans les bras de la mère et lui dit : Prends soin de lui de ma part, maintenant. » Concernant la maison encore, Calvin écrit qu’elle doit être « gouvernée comme une petite Église », et que les parents doivent être comme « les bergers de leurs enfants ». En un sens, toute réalité renvoie à une réalité plus grande qui lui donne son sens.
L’expression « de ma part » correspond au principe de délégation qui revêt une grande importance. En réalité, tout procède de Dieu (Rm 11.36) : toute autorité (Rm 13.1-7), toute grâce excellente, tout don parfait (Jc 1.17). Cela, tout à la fois, relativise les choses créées ou instituées : elles ne sont que secondes; et leur accordent leur sens et leur importance : c’est de la part de Dieu qu’elles existent et c’est de sa part qu’elles doivent être exercées. Cela va nourrir tout à la fois l’humilité et la détermination, ce qui est la double marque des disciples. L’oubli de cette règle conduit à mépriser ce que Dieu a institué ou, au contraire, à en exagérer l’importance, ce qui n’est pas mieux1.
Jésus a admiré la foi du centenier qui le priait de guérir son serviteur (Lc 7.2-10). En réalité, c’est l’intelligence de cet officier romain que Jésus a admirée : cet homme, soumis à des supérieurs, était revêtu de l’autorité qui était au-dessus de lui. C’est en vertu de ce principe qu’il reconnaît en Jésus celui que Dieu a envoyé et qui peut dire « une parole, et le serviteur sera guéri »2!
Le Psaume 23 dit que l’Éternel est le Berger, l’unique Berger. Jésus affirme aussi qu’il est le seul et véritable Berger de son peuple (Jn 10; 1 Pi 5.4). Cependant, David a gardé des brebis, les arrachant de la gueule du lion (1 S 17.34-37). Puis, il a marché à la tête du peuple de Dieu. De même, Jésus a confié à ses apôtres de prendre soin de ses brebis (Jn 21.16), de sa part. On pourrait dire ainsi : C’est le Seigneur lui-même qui veille sur son troupeau (Éz 34.11-16), le protège et le conduit. Mais il le fait par la main de ses serviteurs les bergers3. C’est le principe de délégation.
Notons que cette délégation s’exerce de manières diverses, comme Dieu le veut (1 Co 12.28; Ép 4.11-12). En un sens, chaque chrétien est concerné, comme témoin et serviteur, là où Dieu l’a placé, avec la mesure de foi qui lui a été impartie (Rm 12.3-5). En ce sens, on a parlé quelques fois de « pastorat mutuel ». L’expression « les uns les autres » associe chaque chrétien à ce service mutuel. Veiller les uns sur les autres, s’instruire et s’exhorter les uns les autres, c’est exercer un service qui n’est pas sans rapport avec le souci pastoral.
En même temps, tous les chrétiens n’ont pas reçu un ministère d’enseignement ou de direction dans l’Église (1 Co 12.28-29). Certains ont reçu cette charge, de laquelle ils doivent s’acquitter avec diligence (Ac 20.28-32; 1 Tm 3.1-7; Hé 13.7, 17; Jc 3.1; 1 Pi 5.1-5). Les réformateurs l’ont clairement enseigné : le sacerdoce commun des croyants n’abolit pas les ministères institués.
b. Les notions de service et d’autorité←↰⤒🔗
On a souvent voulu opposer l’amour et l’autorité. Cela n’est pas juste. Ces deux vertus sont-elles opposées en Dieu? Elles ne le sont nullement. En nous aussi, dans la famille et dans l’Église, elles devraient se retrouver constamment associées, secourables et positives l’une comme l’autre.
Il est vrai que ces deux postures peuvent nous paraître contraires, et qu’il peut nous sembler difficile de les concilier par nous-mêmes, de même qu’il nous paraîtra difficile d’être à la fois « prudents comme des serpents et simples comme des colombes » (Mt 10.16). Pourtant, comment choisir entre les deux? En réalité, cela ne peut être vécu qu’avec et en Jésus-Christ qui, non seulement nous a donné un modèle parfait de ce qui est juste, mais nous accorde aussi de recevoir l’Esprit qui agit en nous et au travers de nous, comme Dieu le veut (1 Co 12.11; Hé 2.4). C’est pourquoi Jésus peut dire à son disciple : « Pais mes brebis! » (Jn 21.16).
Le principe de délégation nous donne le cadre dans lequel cette mise en œuvre est possible. Celui qui est soumis de cœur à une autorité est revêtu d’une part de l’autorité à laquelle il est soumis. Les démons l’ont compris tout de suite en voyant Jésus (Mc 1.24). Dans une position semblable à la nôtre, dépouillé de sa gloire divine, Jésus a appris l’obéissance et exercé la piété en vue d’accomplir la mission qui lui était confiée : « Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Hé 10.9). Comment nous apparaît-il? Comme un serviteur humble, doté d’une grande autorité. C’est ce que le centenier a perçu (Lc 7.7). Il est évident que ceux qui sont appelés et envoyés par lui doivent refléter ces deux caractères : chaque chrétien, et avant tout ceux qui sont les modèles du troupeau (1 Pi 5.3). Le centenier romain du Luc 7 le reflétait déjà.
Cela est-il idéal seulement? Non. Cela est très pratique. La fonction même d’un berger le montre. Le berger est le serviteur, quasiment l’esclave de son troupeau. En même temps, c’est lui qui donne la direction. Est-il déficient dans l’une ou l’autre de ces attitudes? Le troupeau sera alors en danger4.
2. Cultiver et garder, protéger et faire croître←⤒🔗
a. Pourquoi garder?←↰⤒🔗
On appelle parfois « mandat culturel » la responsabilité confiée à l’homme de cultiver et garder le jardin où Dieu l’avait placé (Gn 2.15). Cette vocation est sans nul doute bouleversée par l’irruption du péché, mais elle demeure cependant et concerne tous les hommes. Quoi qu’il en soit, ces deux verbes ont une grande importance. Avant la chute, avant que la mort survienne, avant que le travail ne devienne pénible (Gn 3.17-19), il n’y avait pas rien à faire dans le jardin. Il fallait cultiver et garder.
Écoutons ce que dit Jean Calvin :
« Que l’homme vive des fruits de telle sorte qu’il ne gâte rien par excès ni ne laisse rien corrompre ou périr par négligence. Afin qu’une telle épargne ait lieu parmi nous et qu’il y ait une telle diligence [un tel sérieux] à entretenir les biens dont Dieu nous a donné jouissance, que chacun pense qu’il est l’économe de Dieu en tout ce qu’il possède. Par ce moyen, il ne lui adviendra pas de se comporter dissolument ni de corrompre par abus ce que Dieu veut être gardé et entretenu.5 »
Une étude approfondie serait nécessaire pour comprendre tout ce qui est contenu dans cette double mission. Remarquons simplement la similitude qui existe avec celle des bergers : protéger et faire croître (prospérer). Nous savons si peu de la réalité qui a précédé la chute et ses conséquences. Dans le jardin, avant la chute, il fallait déjà un gardien! Il fallait déjà cultiver!
Le verbe « garder » traduit l’hébreu shamar, très utilisé dans l’Ancien Testament, qui signifie aussi : veiller sur, protéger. Ce sens convient spécialement pour la charge des bergers (Jr 31.9). Il est intéressant de remarquer que ce qui doit être gardé est vulnérable (le troupeau, la ville, l’étranger) ou précieux (l’argent, l’âme, le roi). Cette tâche est par excellence celle de la sentinelle, le mot shamar signifiant aussi observer, remarquer, retenir (le contraire de l’oubli, de la négligence). Il est alors appliqué aux commandements, à l’alliance.
Cette responsabilité correspond exactement à celle d’un intendant, comme on le voit dans plusieurs passages des Évangiles. C’est là un grand honneur — car le Maître confie ce qui lui appartient (Mt 25.14) — et une grande responsabilité : « Rends compte de ton administration » (Lc 16.2).
Cela concerne, nous l’avons dit, chaque chrétien, car il n’y a pas de chrétien qui n’ait reçu quelques biens à gérer de la part de Dieu6. Cela concerne aussi, et d’une manière particulière, ceux à qui Dieu demande de veiller sur son troupeau. Pour son Église d’Éphèse, c’est à Paul qu’il a confié le soin de former et d’établir des gardiens, des surveillants pour « paître l’Église du Seigneur qu’il s’est acquise par son propre sang » (Ac 20.28). Qui établit ces bergers? Le Saint-Esprit! (Ac 20.28). Grand honneur? Certainement (1 Tm 3.1). Grande responsabilité aussi : « Prenez donc garde à vous-mêmes et à tout le troupeau » (Ac 20.28). Pour cela, Paul n’a cessé de les enseigner, publiquement et dans les maisons, nuit et jour et avec larmes (Ac 20.20, 31).
L’expression « prendre garde à » traduit le verbe grec prosêkô qui signifie aussi s’appliquer à, attacher son attention à, s’occuper de7. On la trouve dans la bouche de Jésus : « Prenez garde à vous-mêmes. Si ton frère a péché… » (Lc 17.3). Le contraire de la négligence ou de l’indifférence.
Pourquoi garder? On ne sait pas pourquoi la brebis égarée (Mt 18.12) s’est égarée. Le berger a-t-il été négligent? Il ne se donnera pas de repos qu’il l’ait retrouvée. On est tenté de dire : une brebis peut bien s’égarer toute seule, sans loup ni lion… Est-ce mal parler des chrétiens que de s’exprimer ainsi? C’est plutôt décrire une réalité qui nous concerne tous.
Jésus et les apôtres associent fréquemment les disciples aux enfants, aux petits. « Mon enfant », dit Jésus au paralytique (Mc 2.5). « Mon enfant », dit Paul à Timothée (2 Tm 2.1). « Petits enfants », écrit Jean à plusieurs reprises (1 Jn 2.1, 12, 18). Est-ce pour les amoindrir? Non, car chacun d’eux est appelé à devenir fort et ferme dans la foi (Ép 6.10). Il n’empêche que le chrétien est devenu vulnérable quand son cœur a été circoncis, quand il s’est rendu humble devant Dieu et devant les hommes. Il est devenu simple comme une colombe. Il faut lui rappeler d’être prudent comme un serpent (Mt 10.16)8.
Pourquoi garder? Parce qu’un ennemi est susceptible de s’introduire à tout moment; c’était déjà le cas dans le jardin d’Eden. Après que Jésus l’eut repoussé à trois reprises dans le désert, il est écrit que « le diable s’éloigna de lui jusqu’à un moment favorable » (Lc 4.13). Paul le dit ainsi aux anciens d’Éphèse : « Il s’introduira des loups ravisseurs et cruels qui n’épargneront pas le troupeau » (Ac 20.29; 1 Jn 2.19). Il n’y a pas de raison qu’il ait dit cela sans raison. Et pourtant, c’est le peuple de Dieu, acquis à prix élevé!
Nous savons que le diable rôde, « cherchant qui il dévorera » (1 Pi 5.8). Cette affirmation est si massive qu’on peut être tenté de la relativiser. C’est oublier que l’Adversaire est rusé, qu’il singe la vérité, se déguise en ange de lumière, connaît les points faibles, qu’il est dénué de scrupules.
Prendre soin. Nous avons vu que les mots veiller et protéger étaient proches. Il faut aussi mentionner l’expression « prendre soin ». Elle est fréquemment mentionnée dans l’Écriture. Elle reflète l’intention de Dieu pour son peuple. Elle traduit le grec thalpô qui signifie réchauffer avec affection (une épouse, Ép 5.29; un enfant, 1 Th 2.7); ou le grec mérimaô qui signifie s’inquiéter, se préoccuper de (comme les membres d’un même corps, 1 Co 12.25) afin qu’il n’y ait pas de division; ou encore le grec épiméléomaï (prendre soin de l’Église de Dieu, 1 Tm 3.5) que l’on voit associé au verbe proïstaménô : administrer, gouverner (appliqué à la maison, 1 Tm 3.5). Ce dernier verbe est utilisé pour le bon Samaritain qui prend soin du blessé (Lc 10.34), mais qui prend aussi l’initiative de le confier à l’aubergiste, de lui commander d’en prendre également soin avec la promesse de pourvoir aux dépenses (Lc 10.35). Cela confirme que la notion de service, liée au fait de prendre soin, de veiller, n’exclut pas le sens de l’initiative et même l’exercice d’une autorité.
Cela nous conduit au verbe paître qui, en grec, a la même racine que le mot berger (ou pâtre). Ce verbe, à la signification riche, implique lui aussi le fait de prendre soin comme une infirmière et de diriger comme un capitaine. Cela confirme ce que nous avons dit : les notions de service et d’autorité ne s’excluent nullement. Avec ce verbe, Paul confie l’Église d’Éphèse à la charge pastorale des anciens : « … paître l’Église du Seigneur qu’il s’est acquise par son propre sang » (Ac 20.28). Nous nous souvenons que Jésus l’utilise aussi pour appeler Pierre à sa vocation : « Pais mes brebis » (Jn 21.15-17). Ce verbe comprend la charge de nourrir, soigner, protéger, diriger (voir le Ps 23). En un sens, il contient les deux verbes qui définissaient la responsabilité de l’homme, en Eden : garder et cultiver.
b. Que signifie cultiver?←↰⤒🔗
Protéger est sans aucun doute une tâche prioritaire des jardiniers et des bergers. Mais ce n’est pas la seule. L’impératif de croissance est là, tout aussi important. Croissance individuelle (vers la maturité), croissance numérique, croissance dans le service et la mission confiée. Nous continuons à établir un parallèle entre la tâche pastorale et la mission confiée à l’homme dès la création.
Le verbe cultiver (Gn 2.15) traduit l’hébreu habad qui signifie travailler (« Tu travailleras six jours », Ex 20.9), labourer, servir (pour quelqu’un d’autre, Gn 20.26). Le fait que ce verbe soit utilisé en Genèse 2.15 atteste que le caractère pénible du travail n’est pas sa seule justification : le travail n’est pas d’abord une punition, c’est une participation! (1 Tm 5.17). Dieu lui-même a travaillé six jours9. Cela explique que la paresse soit traitée si durement dans la Bible (Pr 13.4; 15.19; Mt 25.2610; Tt 1.12). Elle constitue une forme de trahison, une complicité avec celui qui détruit.
Après avoir béni l’homme et la femme, Dieu leur commande « d’être féconds et de multiplier » (Gn 1.28). Cette dimension de croissance progressive, tout à la fois accordée par Dieu et résultat d’une obéissance, se constate dans toute la Bible. Nous la trouvons de manière frappante, par exemple, dans la promesse faite à Abraham : « Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai » (Gn 12.2). « Je te bénirai et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer » (Gn 21.17).
Cette croissance est sans doute numérique, mais pas seulement11. Darby traduit « soyez féconds » par : « fructifiez ». Le verbe hébreu parah signifie croître, porter du fruit, être fécond (Ps 28.3). C’est le signe d’une vie qui développe sa puissance, qui révèle son potentiel. Cela nous rappelle le chant du bien-aimé sur sa vigne : « Il en remua le sol, ôta les pierres. […] Il espéra qu’elle porterait du bon fruit » (És 5.1-2). Nous savons ce que le fait de porter du fruit a d’important dans le Nouveau Testament, en témoignage et pour la gloire de Dieu (Jn 15.8). On pense à ce qui est écrit de l’enfant Jésus : « Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2.52). Quel beau programme pour l’Église12!
Ces considérations peuvent être appliquées directement à la vocation des bergers dont la mission est de préserver le troupeau mais aussi de le rendre fécond et prospère. Le verbe paître, nous l’avons dit, comprend la charge de donner au troupeau tout ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance, pour sa santé, pour son repos, pour sa croissance, comme le Psaume 23 le dit si bien. Il est évident que les lettres apostoliques révèlent exactement cette préoccupation13.
Un des aspects importants du verbe paître — même si ce n’est pas le seul — est évidemment de nourrir. Dans la perspective pastorale, cela est inévitablement lié à la Parole de Dieu qui constitue à proprement parler une nourriture. Encore faut-il qu’elle soit assimilable et assimilée! Cela introduit certaines questions : Y a-t-il des conditions pour que la Parole de Dieu constitue une nourriture profitable pour les chrétiens? Suffit-il de placer une certaine quantité de nourriture devant eux?
3. La communauté et l’individu←⤒🔗
a. Chacun et tous←↰⤒🔗
La parabole de la brebis perdue (Lc 15.3-7) nous montre un des principaux soucis de la vocation pastorale. Sur quoi se porte principalement l’attention du berger : sur la brebis qui manque (celle-là)? Ou sur le fait que le troupeau est incomplet (il en manque une)? Il est difficile de trancher cette question, car les deux réponses sont évidemment recevables. La parabole de la drachme perdue (Lc 15.8-10) nous donne une indication : en un sens, c’est la somme globale qui importe. À cette somme, il ne doit rien manquer. Le nombre doit être complet14.
« Je ramènerai le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées, je les ramènerai dans leurs pâturages; elles seront fécondes et multiplieront. J’établirai sur elles des pasteurs qui les paîtront, elles n’auront plus de crainte, plus de terreur; et il n’en manquera aucune, dit l’Éternel » (Jr 23.3-4; Éz 34.11.13; voir aussi Ap 6.11).
Pour le Seigneur, chaque brebis est précieuse et, en un sens, unique, irremplaçable. Cependant, la parabole de la drachme perdue montre que ce n’est pas l’individu seulement qui compte (une drachme en vaut bien une autre), c’est la somme globale.
Ces deux mots : chacun et tous (qui reviennent souvent dans la Bible, notamment dans les lettres apostoliques), sont importants l’un et l’autre. En un sens, c’est le « chacun » qui prime, ce que semble indiquer la parabole de la brebis perdue (Lc 15.3-7) : le berger laisse 99 brebis pour retrouver celle qui est égarée15. Cela est à rappeler chaque fois qu’un chrétien considère que sa vie (ou ce qu’il fait, en bien ou en mal) a peu d’importance. En un sens, le « tous » prime, ce que semble indiquer la parabole de la drachme perdue (Lc 15.8-10) : peu importe une drachme ou une autre, la somme globale doit être réunie! C’est là un des principes de la discipline dans l’Église : ce que chacun fait a une incidence — positive ou négative — sur tous. Par ailleurs, l’intérêt de tous (et notamment des plus fragiles) rend nécessaires des mesures qui peuvent réduire la liberté de chacun (1 Co 8.11). L’amour l’impose et l’unité spirituelle l’impose16.
C’est probablement une des aptitudes qui démontre la vocation pastorale (des pasteurs et des anciens) : avoir en même temps la préoccupation de chacun et celle de la communauté dans son ensemble, comme formant un tout, presque une personne. Observons ce qu’écrit Paul : « Comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ » (1 Co 12.12). Dans ce passage, Christ n’est pas la tête seulement, mais c’est le corps tout entier! En d’autres termes, si le corps n’est pas sans les membres, les membres ne sont pas non plus sans le corps! C’est là une donnée essentielle17.
C’est aussi ce que Paul écrit aux Corinthiens :
« Ayez soin les uns des autres, afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps; car si un membre souffre, tous souffrent avec lui; et si un membre est honoré, tous se réjouissent avec lui » (1 Co 12.24-25).
Ce passage démontre tout à la fois l’importance de « chacun » et la vision du « tous » qui demeure primordiale : afin qu’il n’y ait pas de division18. En un sens, le corps prime, mais aucun membre ne doit être négligé!
Nous avons déjà mentionné le discours de Paul aux anciens d’Éphèse. Il a prêché et les a enseignés publiquement (tous) et dans les maisons (chacun) (Ac 5.42; 20.20). Il les considère tous comme une entité (20.25-26), tandis que nuit et jour, il n’a cessé d’exhorter avec larmes chacun d’eux (20.31). Si les anciens et les diacres le vivent ainsi, cela se transmettra à chacun et à tous dans l’Église!
b. La notion biblique d’édification←↰⤒🔗
L’expression « pour l’utilité commune » (1 Co 12.7) confirme la priorité du « tous » dans la pensée du Seigneur, bien que cela passe par la participation de chacun.
« À chacun, la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. A l’un est donné […]. Un seul et même Esprit opère toutes ces choses, les distribuant à chacun en particulier, comme il veut » (1 Co 12.6-7, 13).
En un sens, tous, c’est chacun; et chacun, c’est tous!
Le mot « édification », en français, a généralement une connotation individuelle. « Ce message ou ce livre m’édifie. » Dans les lettres apostoliques cependant, le sens est toujours communautaire19. Édifier, c’est participer à la construction d’un édifice, d’une maison, d’un temple, d’un ensemble bien coordonné.
« Vous avez été édifiés [construits ensemble] sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire » (Ép 2.20).
« C’est de Christ, grâce à tous les liens de son assistance, que tout le corps, bien coordonné et formant un solide assemblage, tire son accroissement selon la force qui convient à chacune de ses parties et s’édifie lui-même dans la charité » (Ép 4.16).
C’est Christ qui le fait, comme Dieu tisse le corps d’un enfant dans le sein de sa mère; mais ce passage révèle que les ministères de la Parole sont mis à contribution, « pour l’équipement des saints… en vue de l’édification », de telle sorte que chacun et tous y contribuent (et pas seulement les ministères établis). Cela apparaît encore peu après :
« Qu’il ne sorte de votre bouche [chacun] aucune mauvaise parole, mais s’il y a lieu, quelque bonne parole qui serve à l’édification [tous] et communique une grâce à ceux qui l’entende [chacun et tous] » (Ép 4.29).
Écoutons encore ce que dit l’apôtre Pierre : « Vous-mêmes [chacun et tous], édifiez-vous [unissez-vous fortement] pour former une maison spirituelle, un sain sacerdoce… » (1 Pi 2.5). Ensuite, il est encore question de la pierre d’angle et de ceux qui bâtissent.
Ces rappels nous aideront à réfléchir sur le passage de la doctrine à l’application pastorale et à poser les bonnes questions.
4. La responsabilité et la grâce←⤒🔗
a. Toute la Bible est loi, toute la Bible est grâce←↰⤒🔗
Il y a de nombreuses manières d’aborder la nature du travail pastoral, depuis l’enseignement et la prédication jusqu’à la visite dans les maisons. Un des axes porteurs est sans aucun doute le rapport entre la loi et la grâce avec le risque du légalisme d’un côté et celui du laxisme (de l’antinomisme) de l’autre. Il ne s’agit pas ici de présenter toute une étude de ce sujet important, mais d’en relever quelques aspects dans la perspective de notre sujet.
Nous savons que la loi et la grâce peuvent définir des réalités différentes. Un verset en témoigne, notamment : « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jn 1.17). Faut-il en déduire que la loi de Moïse était dépourvue de grâce et de vérité? Loin de là. Le Décalogue, par exemple, est un texte d’alliance qui est porteur de grâce autant que de sainteté. Dans la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, Abraham dit : « Ils ont Moïse et les prophètes. Qu’ils les écoutent » (Lc 16.29). En un sens, tout est déjà contenu chez Moïse et les prophètes, y compris la grâce et la vérité, et nous ne tomberons pas dans l’hérésie de Marcion (au 2e siècle) qui, par un dualisme injuste, rejetait l’Ancien Testament20.
À propos de Jean 1.17 et sur les mots grâce et vérité, Calvin écrit : « C’est comme s’il eût dit que la grâce — en laquelle consiste la vérité de la loi — a été finalement manifestée dans le Christ. » Le mot finalement indique un rapport chronologique d’accomplissement et non d’abolition, comme il est dit par ailleurs (Mt 5.17). Calvin dit encore : « Il s’ensuit que si on sépare la loi d’avec le Christ, il ne reste plus rien en elle que des figures vaines et sans substance. » Il ne s’agit donc pas de séparer, encore moins d’opposer. Il s’agit de tenir ensemble dans un rapport conforme à l’Évangile.
b. Le bon usage de la loi, le bon usage de la grâce←↰⤒🔗
Il est évident que, dans la prédication, dans l’enseignement, comme dans les entretiens pastoraux, ce rapport de la loi et de la grâce conforme à l’Évangile sera constamment présent dans l’esprit des pasteurs, des anciens et des diacres. Soit pour présenter les deux dimensions ensemble, de manière équilibrée; soit pour rappeler l’une ou l’autre, selon que l’une ou l’autre est oubliée ou que l’on en fait un mauvais usage. Soit à l’assemblée tout entière, soit individuellement.
Je donne de cela un exemple très simple. Quand Jésus dit : « Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes » (Mt 10.16), il donne les deux éléments à connaître et à retenir par tous et en tout temps. Mais on peut penser qu’à telle personne (ou telle assemblée) inquiète, l’attitude pastorale consistera à rappeler l’importance de la simplicité de la colombe, nourrie de modestie et de confiance; et on pourra lire le Psaume 131 (ou Mt 6.25-34; 1 Pi 5.7…). Cependant, devant une personne (ou une assemblée) naïve ou paresseuse, il conviendra de rappeler l’importance de la prudence, de la vigilance; et on lira ce que dit la Parole de Dieu dans ce sens (Pr 2.16; 22.24; Ac 20.28; Ép 6.10-18; 1 Tm 6.9; 1 Pi 5.8…). Dans les deux cas, c’est pour secourir. Dans les deux cas, c’est en rapport avec Christ.
Ce rappel nous aidera à poser les questions utiles dans la recherche du passage de la doctrine à l’application pastorale. Ce sera l’objet du prochain cours intitulé De la doctrine au travail pastoral.
Notes
1. Voir par exemple ce qu’il en est du pouvoir politique, méprisé ou absolutisé.
2. Ce récit remarquable nous montre que la foi et l’intelligence spirituelle ont un lien avec l’attitude du cœur vis-à-vis de Dieu et de son peuple : le centenier aime le peuple hébreu, a aidé à construire une synagogue. C’est assurément un craignant Dieu. Pensons à l’autre centenier Corneille en Ac 10.1-2; voir Pr 28.5.
3. Cette réalité se traduit notamment dans cette formule : Quand j’aime et visite mon frère ou ma sœur chrétiens, c’est Christ qui l’aime et le (la) visite; et c’est Christ que je visite! C’est grand!
4. Voir en complément mon article D’abord diriger sa propre maison.
5. J. Calvin, Commentaire sur Gn 2.15.
6. « Que chacun de vous, comme de bons administrateurs des diverses grâces de Dieu, mette au service des autres le don qu’il a reçu » (1 Pi 4.10).
7. Noter que le verbe proseukomaï signifie prier.
8Jacques demande à chacun de « résister au diable » (Jc 4.7). Protéger n’est pas infantiliser. C’est aussi équiper.
9. Il est permis de s’interroger sur le sens de ce qui est écrit au sujet de Dieu : « Il s’est reposé le septième jour » (Ex 20.11).
10. « Serviteur méchant et paresseux! »
11. Il me semble que la croissance numérique est plutôt l’affaire de Dieu… Voir Ac 2.47; 13.48; 16.5; 18.10; Gn 12.2. À nous seulement de la rendre possible.
12. On pense aussi à ce que dit Paul : « … jusqu’à ce que nous soyons parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’hommes faits, à la mesure de la stature parfaite de Christ, afin que nous ne soyons plus des enfants flottants et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes, mais que, professant la vérité dans l’amour, nous croissions à tous égards en celui qui est le chef, Christ » (Ép 4.13-16). Ce passage important sur le développement et la croissance de l’Église ne parle pas de croissance numérique.
13. On peut dire que les lettres du Nouveau Testament traitent trois thèmes majeurs qui semblent occuper toute la pensée des apôtres : l’unité spirituelle, l’amour fraternel et la sainteté de vie.
14. « Jusqu’à ce que fut complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères… » (Ap 6.11).
15. Noter qu’il s’agit d’une brebis du troupeau…
16. C’est ce qui fait dire à ce même apôtre : « C’est déjà certes un défaut d’avoir des procès les uns avec les autres. Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt quelque injustice? Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller? Mais c’est vous qui commettez l’injustice et qui dépouillez, et c’est envers des frères que vous agissez de la sorte! » (1 Co 6.7-8). Le corps prime sur l’individu, ce que démontre la mort de Christ : mieux vaut qu’un seul périsse pour que le corps vive (Jn 11.50; 18.14). C’est aussi ce qui fait dire à Paul : « J’ai le désir de m’en aller, ce qui est de beaucoup le meilleur, mais à cause de vous, il est plus nécessaire que je demeure… » (Ph 1.23).
17. Nous avons de cela une application frappante quand le Seigneur, déjà élevé en gloire, s’adresse à Paul en ces termes : « Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac 9.5). Cette expression met en évidence que ce que l’on fait à un des membres du peuple de Dieu, on le fait à Christ directement, c’est-à-dire aussi au corps tout entier!
18. Noter qu’il ne s’agit pas ici de division doctrinale ou liée à la personnalité de tel ou tel, mais de divisions causées par la négligence et le manque de soutien fraternel à l’égard de membres fragiles. D’où l’importance capitale du diaconat, à côté du ministère pastoral des anciens. Voir mon cours intitulé Le ministère diaconal.
19. Ce que dit Paul en 1 Co 14.4 : « Celui qui parle en langue s’édifie lui-même » constitue une exception et a probablement un sens péjoratif : ne s’édifie que lui-même, tandis que les dons ont normalement pour finalité l’utilité commune.
20. De manière plus subtile, cette hérésie s’observe encore aujourd’hui, avec le choix absurde de préférer l’amour à la sainteté, par exemple.