Luc 9 - Disciples du Christ
Luc 9 - Disciples du Christ
« Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive. »
Luc 9.23
Jean-Baptiste l’avait annoncé peu avant l’apparition du Christ et il exigeait que l’on soit prêt à l’accueillir. Jésus, venu après lui, déclarait alors être « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14.6). Le terme de voie désigne Jésus-Christ et la vie qu’il a vécue, la mission qu’il a accomplie, la mort qu’il a subie. Lorsqu’il annonce : « Je suis la voie », il entend être et rester le seul salut de l’homme, et, comme tel, l’objet exclusif de notre foi. Quiconque le suit vit dès à présent de la vie du Royaume. Il se place sur le chemin de l’éternité. Il n’est pas étonnant que des disciples du Christ aient été appelés jadis, aux premiers temps du christianisme, « les gens de la voie » (Ac 9.2; 19.9; 22.4).
Juifs et Romains de l’époque avaient entendu parler de cette secte étrange adorant et suivant un Maître appelé « la Voie », ayant la curieuse prétention d’être placée sur le chemin de l’éternité, et étonnamment conforme, dans sa conduite, avec sa profession de foi. Les contemporains des premiers chrétiens observaient ces gens étranges ayant abandonné derrière eux de précieuses possessions matérielles et parfois même leurs plus proches, pour rejoindre les rangs du Nazaréen. Ils allaient parfois jusqu’à l’offrande suprême, celle de leur corps, en signe et comme prix de leur fidélité. Le sang des martyrs scellait leur allégeance à cet étrange Roi, crucifié mais vivant, qui réclamait pour lui non seulement la fidélité des mortels, mais encore le pouvoir universel. Et c’est de ce Christ-là que les disciples devinrent aussi les apôtres, c’est-à-dire les proclamateurs de sa cause.
Être disciples implique pour nous que nous apprenions et que nous adhérions aux vues et aux modes de la cause dont nous nous réclamons. Être disciples entraînera aussi une discipline fort coûteuse. Un ordre nouveau de vie, un mode d’une action nouvelle et des structures radicalement transformées sont des exigences que fonde cette allégeance sans compromission du disciple. Notez que la vie de disciple et l’exigence d’une discipline nouvelle contrasteront sans cesse avec les autres conceptions et modes de vie, avec toutes les allégeances auxquelles les hommes se vouent, ou qu’ils cherchent avec passion et fougue, mais qui n’entraînent, hélas!, que mort et perdition. Même lorsqu’ils rejettent avec violence les gens de la société qui les environne, ils sont, en définitive, les éternels perdants et perdus.
Lorsque dans la ville d’Antioche, quelque part dans le Proche-Orient, les premiers disciples furent affublés du sobriquet de chrétiens, c’était pour les déshonorer et les injurier; mais ce terme est devenu leur titre d’honneur et leur privilège. Car ils savaient. Ils avaient la ferme conviction que ni les sobriquets, ni les injures, ni même les persécutions sanglantes n’ébranleraient la voie sur laquelle ils étaient placés et qui conduisait vers l’établissement de l’autorité suprême, unique et incontestée de Jésus de Nazareth, proclamé Seigneur de l’univers.
C’est ce même Christ et son autorité qui, de nos jours encore, dicte nos motivations profondes, inspire et fonde nos convictions, donne l’impulsion à nos actions concrètes. C’est le Christ qui, souverainement et sans jamais reculer en dépit des apparences, poursuit son chemin triomphal à travers les athéismes arrogants, les sécularisations cataclysmiques et les néo-paganismes dominateurs. C’est lui qui, à chaque instant, fait reculer dans une lutte gagnée d’avance les forces hostiles qui se dressent contre lui et anéantit les antithèses.
Mais puis-je me permettre de souligner, en dépit de cette conviction (ou bien grâce à elle), que l’autorité du Christ dont nous sommes les disciples jusqu’à la fin ne supporte pas de symbiose, de synthèses ni d’éléments parasitaires. Les non-chrétiens ne doivent pas oublier le caractère et la nature absolue de notre foi. C’est ainsi, et la crucifixion est le signe le plus évident et le plus convaincant du non possumus (refus ferme et sans appel). Le non-chrétien n’accepte pas d’éliminer l’antithèse qui, ayant commencé le jour de la chute dans le jardin de Dieu, se présente à chaque époque et se perpétue de siècle en siècle.
Et nous, disciples du Christ, nous discourons et agissons à contre-courant. Nous n’avons donc pas à nous plier, ni même à nous conformer aux impératifs d’une culture prédominante ou d’une société qui clame son opposition à Jésus-Christ. Nous sommes invités à vivre pleinement, sans compromissions ni demi-mesures notre vie de disciples. Bien plus, nous avons même à refaçonner et à remodeler les cultures et les sociétés afin d’amener toute pensée captive à Jésus-Christ. Malheur si notre foi et notre Évangile s’allient sans protestation à la culture de l’heure, qui se présente comme une nouvelle religion. Le but de l’Évangile est la recréation de toutes choses, afin que le Christ soit reconnu et proclamé souverain de la vie et de l’univers. De sorte qu’univers, société, culture, institutions et individus puissent dans un hommage universel, porter leurs richesses et leurs louanges à la gloire du Dieu Sauveur.
Voilà sur quel plan et à quel niveau, niveau cosmique, se joue le drame de notre fidélité. Engagés dans une milice chrétienne, nous sommes les combattants d’une compagnie qui, de siècle en siècle, reste membre de l’Église militante. Veillons à ce que ni la lutte ni la communication ne soient lésées par des lacunes, des imperfections et surtout par l’esprit de défaite. Rappelons pour cela que le Maître nous impose une discipline coûteuse; il nous avertit que nous devrons payer un prix élevé et annonce le sacrifice de nos personnes.
Aussi, devons-nous nous poser une question troublante, voire pénible, à savoir : jusqu’où vont nos fidélités et nos allégeances? Cette question devrait rester le souci majeur de toute notre existence et le thème de réflexion de plus urgent. Mais pour bien en saisir la portée, nous la poserons tout d’abord au niveau individuel, comme le fit Jésus en ce jour mémorable où il prononça son discours : « Si quelqu’un veut venir après moi… » Son invitation transcende les âges et les générations et se fait pressante; elle s’adresse à nous de manière toute personnelle. « Quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas ne peut pas être mon disciple » (Lc 14.27).
Le renoncement exigé est total et radical. J’espère que nous l’avons saisi. Il s’agit de la réalité dont parle saint Paul dans sa lettre aux Romains, où il fait état de mort et de vie nouvelle en Christ. « Or, si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6.8).
Jésus le disait avec un autre style et une autre comparaison :
« Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui a de la haine pour sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle » (Jn 12.24-25).
À une autre occasion, il disait : « Celui qui aime père ou mère plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10.37). Il avait une bonne raison pour dire à ce jeune homme nanti de biens matériels qui était venu le trouver : « Va, vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens et suis-moi » (Lc 18.22). L’existence du jeune homme en question, malgré tout le sérieux qui la caractérisait, était aliénée, entièrement dépendante de ses richesses chiffrables.
Mais le Christ n’a pas prononcé que de simples discours. Il a vécu ce qu’il a dit; il a mis en pratique ce qu’il a enseigné; au moment crucial, lors de l’agonie précédant son arrestation, il a su prier : « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14.36).
Nous avons le droit de nous demander ce que le Christ a voulu dire par cette exigence. Ce serait évidemment trop simpliste et erroné de conclure qu’il faut nous séparer de tout et de tous pour rester fidèle à Jésus-Christ. Le Christ ne fait que fixer des priorités. Si nous sommes décidés à le suivre, nous aurons des choix à faire et des options à prendre. Nous devons prévoir le prix du sacrifice consenti. De toute manière, renoncer à son propre moi veut dire très clairement qu’il faut le déboulonner du piédestal sur lequel nous l’avons hissé, pour nous charger de la croix du renoncement.
Porter la croix. Voilà jusqu’où va son exigence. Avant même qu’ils n’en comprennent le sens, Jésus en parle aux disciples. Les gens de son époque étaient bien familiers avec la peine infamante infligée aux criminels. Et l’opprobre en était plus grand lorsque le supplicié était forcé de porter lui-même l’instrument de son exécution. Rappelons-nous que ce fut le cas pour Jésus. Le discours de Jésus ne contient pas d’allusions à une crucifixion littérale en ce qui nous concerne. Le Maître a en vue la souffrance qui résultera de notre marche sur la Voie.
« Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux! Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on répandra faussement sur vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5.10-12).
Ainsi, porter une croix, amis chrétiens qui vous dites disciples de Jésus-Christ, n’a rien de commun avec les douleurs d’une sciatique chronique, la présence d’un époux tyrannique ou d’une épouse acariâtre et les nouvelles de l’effondrement des valeurs et des actions de la bourse.
Renoncement à soi et porter la croix impliquent, pour nous qui vivons sous un régime de liberté, notre identification à sa cause; nos efforts pour la promouvoir par tous les moyens, parfois en la plaçant au service des autres. En cela, le Maître fut aussi l’exemple vivant du sacrifice et du service.
« Quelle gloire, en effet, y a-t-il à supporter de mauvais traitements pour avoir péché? Mais si, tout en faisant le bien, vous supportez la souffrance, c’est une grâce devant Dieu. C’est à cela, en effet, que vous avez été appelés, parce que Christ lui aussi a souffert pour vous et vous a laissé un exemple, afin que vous suiviez ses traces » (1 Pi 2.20-21).
Nous aurons à l’imiter. Parfois, nous aurons à imiter des hommes ou des femmes dont l’exemple chrétien peut nous inspirer en vue d’une saine émulation.
Nous aurons compris, je pense, que devenir disciple n’est pas affaire d’ambition personnelle, de promotion sociale, de grade religieux. Le Christ a eu des paroles dures pour les ambitieux et pour les vaniteux : « Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8.35; voir avec les exhortations d’Ép 4.1 et Col 1.10).
L’opposition, l’incompréhension, la persécution violente ou insidieuse nous attendent dans une société, et dans toute société, qui n’a de souci que de l’éphémère, du temporel, du périssable, et non de Dieu. Perdre et retrouver sa vie a des implications bien plus profondes que les simples aspects physiques. Il s’agit pour chacun d’entre nous de vivre une vie authentique. Celui qui refuse de se placer sur la voie, dans la vérité qui s’appelle Jésus-Christ, mènera une existence dépourvue de signification profonde, peut-être même désespérante. Mais à tout homme et à toute femme, au jeune comme à l’adulte qui se tournent vers Jésus-Christ en lui déclarant à la manière de Pierre, le disciple de la première heure :
« Voici que nous avons tout quitté et que nous t’avons suivi. Jésus répondit : En vérité, je vous le dis, il n’est personne qui ait quitté, à cause de moi et de l’Évangile, maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou terres, et qui ne reçoive au centuple présentement […] et, dans le siècle à venir, la vie éternelle » (Mc 10.28-30).
Oui, le Maître parle d’exigence et de renoncement, mais il accompagne toujours sa demande par la promesse de la récompense. Le sacrifice consenti n’est rien par rapport à la joie et la consolation qui nous attendent.