L'union avec le Christ
L'union avec le Christ
Jusqu’ici, notre étude a démontré tout au moins que les bénéfices obtenus par la mort du Christ s’appliquent intégralement dans la vie du croyant. Ceci est déjà comme tel une description de l’expérience chrétienne. L’union mystique avec le Christ forme une partie essentielle d’une telle expérience. Lorsque nous concevons cette union d’après les données bibliques, c’est-à-dire en son sens large, cet aspect de notre expérience englobera quasiment tous les autres. Selon Calvin, l’homme pécheur ne peut prendre part aux bénéfices de l’œuvre rédemptrice à moins d’être un avec lui. Car, de même qu’Adam a été la figure représentative de l’humanité déchue, de même le Christ est le représentant de l’humanité nouvelle, rendue vivante par sa mort. Tous les dons de l’Alliance découlent par conséquent de celui qui a été le Médiateur de la Nouvelle Alliance. Même la toute première bénédiction que nous recevons de la grâce divine ne présuppose que notre union avec le Médiateur. Mais, ainsi que le déclarait Jésus dans Jean 16.14, cette union entre le Christ et le croyant s’effectue de manière subjective par l’opération de l’Esprit Saint. Écoutons ici encore Calvin.
« Par l’Esprit Saint, Christ nous unit à soi et nous communique ses grâces. Nous avons maintenant à voir comment les biens que Dieu le Père a mis en son Fils parviennent jusqu’à nous, vu que le Fils ne les a pas reçus pour son utilité privée, mais pour en subvenir aux pauvres et indigents. Premièrement, il est à noter que, tant que nous sommes hors de Christ et séparés de lui, tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut du genre humain nous est inutile et de nulle importance. Il faut donc, pour nous communiquer les biens dont le Père l’a enrichi et rempli, qu’il soit fait nôtre et habite en nous. C’est pourquoi il est nommé notre Chef et premier-né entre plusieurs frères; et il est dit aussi d’autre part que nous sommes entés en lui et le vêtons (Rm 8.29; 11.17; Ga 3.27), parce que rien de ce qu’il possède ne nous appartient, comme nous avons dit, jusqu’à ce que nous soyons faits un avec lui.
Or, bien que nous obtenions cela par la foi, néanmoins puisque nous voyons que tous indifféremment n’embrassent pas cette communication de Jésus-Christ, qui est offerte par l’Évangile, la raison nous induit à monter plus haut, pour nous enquérir de la vertu et opération secrète du Saint-Esprit, par laquelle nous jouissons de Christ et de tous ses biens.
J’ai traité assez amplement ci-dessus de la déité et essence éternelle du Saint-Esprit1. Que les lecteurs se contentent donc pour l’instant de ce sommaire : c’est que Jésus-Christ est venu avec l’eau et le sang, de telle sorte que l’Esprit lui rende aussi témoignage, afin que le salut qu’il nous a acquis ne s’écoule point pour ne nous profiter de rien. Car comme s. Jean nous allègue trois témoins au ciel : le Père, la Parole et l’Esprit, aussi il en produit trois sur terre : l’eau, le sang et l’Esprit (1 Jn 5.7-8). Et ce n’est point en vain que le témoignage de l’Esprit est réitéré, témoignage que nous sentons être gravé en nos cœurs comme un sceau, pour sceller la purification et le sacrifice qui sont dans la mort du Fils de Dieu. Pour cette raison aussi saint Pierre dit que les fidèles sont élus par la sanctification de l’Esprit, en l’obéissance et aspersion du sang de Christ (1 Pi 1.2). Par ces mots, il nous déclare que nos âmes sont purifiées, par l’arrosement incompréhensible de l’Esprit, du sang sacré qui a été répandu une fois pour toutes, afin que cela n’ait été fait en vain. Et c’est aussi pourquoi s. Paul, traitant de notre purification et justice, dit que nous obtenons toutes deux au nom de Jésus-Christ et en l’Esprit de notre Dieu (1 Co 6.11). En bref, le Saint-Esprit est comme le lien par lequel le Fils de Dieu nous unit à soi avec efficace. À quoi se rapporte tout ce que nous avons déduit, au livre précédent2 de son onction.3 »
Nous n’examinerons pas ici toute la doctrine de l’union mystique, mais seulement l’aspect de celle-ci qui est en rapport avec l’Esprit Saint. Suivons donc ici L. Berkhof.
« L’union de vie est réalisée de manière subjective par l’opération du Saint-Esprit. Lorsque le Christ gagna le salut pour son peuple et qu’il fit l’acquisition des bénédictions du salut, son œuvre n’était pas pour autant achevée. Dans le conseil de rédemption, il accepta de mettre son peuple en possession de ses bienfaits. Il le fait par l’opération de son Esprit, lequel prend tout ce qui est en Christ et nous le donne. Cependant, nous ne devons pas comprendre cette réalisation subjective de l’union mystique de manière individuelle, comme si elle s’effectuait en amenant au Christ, individuellement, tantôt un pécheur tantôt un autre. Il faut la comprendre du point de vue du Christ. Objectivement, la totalité de l’Église est en lui; elle a pris naissance de lui qui est la Tête. Il ne s’agit pas d’un mécanisme dans lequel les parties précèdent l’ensemble, mais d’un organisme dans lequel c’est la totalité qui précède les parties. Les parties sont issues du Christ grâce à l’œuvre régénératrice de l’Esprit Saint et, ensuite, elles continuent dans une relation vivante avec lui.
C’est sur cette relation organique que Jésus attire l’attention lorsqu’il dit : “Je suis le Cep et vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire.” (Jn 15.5). C’est pourquoi, il n’est pas exact d’affirmer que l’union mystique soit le fruit de la foi du croyant en Christ, comme si la foi n’était pas une des bénédictions de l’alliance qui découlent de la plénitude du Christ, mais une condition que l’homme devrait remplir, partiellement ou intégralement, par sa propre force, pour pouvoir entrer en relation vivante avec Jésus-Christ. La foi est avant toutes choses un don de Dieu et, comme telle, elle fait partie des trésors cachés en Christ. Elle nous rend capables de nous approprier ce qui nous a été donné en Christ et d’être toujours davantage au bénéfice de notre union avec le Christ, source de toutes nos richesses spirituelles.
Cette union peut être définie comme étant l’union spirituelle entre le Christ et son peuple, en vertu de laquelle il est la source de leur vie et de leur force, de leur bonheur et de leur salut. Le fait qu’il s’agisse d’une union d’une profonde intimité apparaît dans les images que l’Écriture utilise pour la décrire. Il s’agit d’une union comme celle du cep et des sarments (Jn 15.5), du fondement et de l’édifice (1 Pi 2.4-5), de l’époux et de l’épouse (Ép 5.23-32) et, enfin, comme celle de la tête et des membres du corps (Ép 4.15-16). Même ces images ne parviennent pas à exprimer pleinement la réalité. Cette union dépasse tout entendement. Selon Ch. Hodge, le terme technique théologique de cette union est celui de “mystique”, car elle dépasse et transcende toutes les analogies des rapports terrestres, dans l’intimité de son lien, dans la puissance transformante de son influence et dans l’excellence de ses conséquences.4 »
L. Berkhof signale également les caractéristiques de l’union mystique. Il s’agit d’une union organique; d’une union vitale; d’une union effectuée par la médiation du Saint-Esprit; d’une union impliquant une action réciproque, l’acte initial étant celui du Christ qui s’unit au fidèle, l’acte second étant le fidèle qui s’unit au Christ par la foi; d’une union personnelle; enfin, d’une union qui transforme, puisque le croyant est transformé à l’image du Christ5. John Murray, de son côté, précise le sens de cette union spirituelle :
« Peu de mots du Nouveau Testament ont subi autant de distorsions que le mot “spirituel”. Le plus souvent, il indique ce qui est à peine plus qu’une vague sentimentalité. Mais dans le Nouveau Testament, “spirituel” se réfère à ce qui est du domaine du Saint-Esprit. L’homme spirituel est l’homme en qui habite le Saint-Esprit, et un état d’esprit spirituel est un état qui est engendré et maintenu par le même Esprit. Par conséquent, lorsque nous affirmons que l’union avec le Christ est “spirituelle”, nous entendons tout d’abord qu’elle est le fait du Saint-Esprit (voir 1 Co 12.13; 1 Co 6.17,19; Rm 8.9-11; 1 Jn 3.24; 4.13). Nous devons grandement apprécier l’étroite interdépendance du Christ et du Saint-Esprit dans les opérations de la grâce salvifique. Le Saint-Esprit est l’Esprit même du Christ; l’Esprit est l’Esprit du Seigneur et le Christ le Seigneur de l’Esprit (voir Rm 8.9; 2 Co 3.18; 1 Pi 1.11). Le Christ demeure en nous si son Esprit demeure en nous, et il nous habite par son Esprit. L’union avec le Christ est un grand mystère. Que le Saint-Esprit soit le lien qui établit cette union ne diminue en rien le mystère, mais cette vérité déverse un flot de lumière sur le mystère et simultanément le met à l’abri contre toute notion “sensuelle” d’une part et contre toute sentimentalité de l’autre.6 »
Notes
1. J. Calvin, Institution, I.13.14 et 15.
2. J. Calvin, Institution, II.2.16
3. J. Calvin, Institution, III.1.1.
4. L. Berkhof, Systematic Theology, Eerdmans, p. 449.
5. L. Berkhof, Systematic Theology, p. 450-451.
6. J. Murray, Redemption Accomplished and Applied, Eerdmans, 1956, p. 205-206.