Matthieu 2 - Déjà l'ombre de la croix
Matthieu 2 - Déjà l'ombre de la croix
« Après leur départ, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu’à ce que je te parle; car Hérode va rechercher le petit enfant pour le faire périr. Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait déclaré par le prophète : J’ai appelé mon fils hors d’Égypte. Quand Hérode se vit joué par les mages, sa fureur fut extrême, il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans son territoire, d’après l’époque qu’il s’était fait préciser par les mages. Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par le prophète Jérémie : Une voix s’est fait entendre à Rama, des pleurs et beaucoup de lamentations : C’est Rachel qui pleure ses enfants; elle n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus. Après la mort d’Hérode, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Égypte, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, et retourne dans le pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts. Joseph se leva, prit le petit enfant et sa mère et rentra dans le pays d’Israël. Mais quand il apprit qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode, son père, il craignit de s’y rendre, et, divinement averti en songe, il se retira dans le territoire de la Galilée, et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplisse ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen. »
Matthieu 2.13-23
« Hérode était un monstre; et l’un des plus perfides qu’aient jamais vomis les déserts d’Orient. Il n’était ni Juif, ni Grec, ni Romain. C’était un Iduméen : un barbare qui rampait devant Rome et singeait les Grecs pour assurer son pouvoir sur les Juifs. Fils d’un traître, il avait usurpé le trône des malheureux Asmonéens. Pour légitimer sa royauté, il épousa une de leurs nièces, Mariamne, qu’il tua par la suite sur d’injustes soupçons. Il n’en était pas à son premier crime; il avait fait noyer son beau-frère Aristobule; il avait condamné à mort Joseph, son autre beau-frère, ainsi qu’Hyrcan II, dernier souverain de la dynastie vaincue. Il fit tuer Alexandra, mère de Mariamne, non content du meurtre de la fille, et jusqu’aux enfants de Baba parce qu’ils étaient lointains parents des anciens rois. Entre temps, il faisait brûler vif Judas de Sarifée et Matthias de Margaloth, avec bien d’autres pharisiens. Plus tard, craignant que les deux fils qu’il avait eus de Mariamne ne voulussent venger leur mère, il les fit étrangler; près de mourir, il donna l’ordre d’exécuter Archélaüs, son troisième enfant.
Luxurieux, défiant, impitoyable, avide d’or et de gloire, il n’eut jamais la paix ni en Judée, ni chez lui, ni en lui-même. Pour que ses crimes fussent oubliés, il fit au peuple de Rome un don de trois cents talents, à dépenser en fêtes; il s’humilia devant Auguste pour l’associer à ses infamies et en mourant il lui laissa, outre dix millions de drachmes, une nef d’or et une d’argent, pour Livie.
Cet Arabe mal civilisé prétendait concilier et se concilier Hellènes et Hébreux : il réussit à acheter les descendants dégénérés de Socrate, mais les Juifs le détestèrent toujours. C’est en vain qu’il réédifia Samarie et restaura le Temple de Jérusalem : il était à jamais pour eux le païen et l’usurpateur.
Craintif comme les princes nouveaux et les malfaiteurs vieillissants, il sursautait au moindre souffle, au moindre bruissement de feuillage. Oriental superstitieux, attentif aux présages et aux prophéties, il dut croire sans peine les mages orientaux conduits par une étoile au pays qu’il s’était approprié par fraude. L’idée seule d’un prétendant le faisait trembler. Et quand il apprit des mages qu’un roi des Juifs était né, son cœur de barbare s’effraya. Et ne voyant pas revenir les étrangers pour lui indiquer le lieu où était apparu le nouveau fils de David, il ordonna le massacre de tous les enfants de Bethléem. Celui qui avait fait mettre à mort ses propres fils n’était-il pas capable d’immoler les enfants d’autrui? » (Giovanni Papini).
La fureur despotique d’Hérode, exaspérée par la sagesse de Dieu qui se joue de lui, se donne libre cours et frappe aveuglément les innocents. Il donne de la sorte la mesure de son acharnement d’Antichrist, par l’abus de pouvoir qu’il commet. Il persécute le Messie dans la personne des enfants du peuple.
Personne ne sut jamais le nombre des enfants sacrifiés à la peur d’Hérode. Ce n’était pas la première fois, au pays des Juifs, que l’on passait au fil de l’épée les enfants à la mamelle. Nous ignorons le nombre des innocents, mais nous savons qu’il y eut parmi eux un enfant d’Hérode, en nourrice à Bethléem, sans savoir non plus si le vieux monarque meurtrier des siens fut capable de souffrir quand on lui avoua l’erreur. Peu de temps après, il dut quitter la vie à son tour, accablé de maux honteux; la vermine lui rongeait les testicules, il avait les pieds enflammés, le souffle court, l’haleine insupportable. Répugnant à lui-même, il tenta de se tuer à table d’un coup de couteau. Il mourut enfin, après avoir ordonné à Salomé de faire périr nombre de jeunes gens enfermés dans les prisons.
Le massacre des innocents fut le dernier geste d’Hérode. Cette immolation d’innocents autour du berceau d’un innocent, ce sang versé pour l’enfant qui devait acheter de son sang le pardon des coupables, ce sacrifice humain à celui qui sera lui-même sacrifié, a un sens prophétique. Des milliers d’innocents devront mourir, après sa mort, pour le seul crime d’avoir cru à sa résurrection; il naissait destiné à se sacrifier aux autres et voici, des milliers de nouveau-nés meurent pour lui.
Il y a dans cette offrande sanglante, dans cette décimation des purs, un redoutable mystère. Ils appartenaient à cette génération qui devait trahir Jésus et le crucifier. Mais eux, qui tombèrent ce jour-là sous les coups d’Hérode, ne virent pas mourir leur Seigneur.
Le massacre de Bethléem demeure un scandale et un mystère. Il demeure le fait de l’Antichrist. Mais, à travers ce mystère et au-delà, le dessein du Seigneur s’accomplit; il faut que Jésus soit le Christ; il faut qu’il meure, mais non dans le massacre de Bethléem; c’est pourquoi il échappe au massacre, descend en Égypte et retourne plus tard au pays d’Israël. En vérité, « la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu » (Jc 1.20).
Un poète chrétien chantait à Jésus naissant cette berceuse : « Dors, enfant, ne pleure pas; dors, enfant céleste. Les tempêtes n’osent gronder sur ton chef. » Mais le Fils incarné ne s’est pas fait chair pour dormir; et les tempêtes peuvent gronder : elles ne l’épouvanteront point.
« L’Égypte, terre des infamies et des splendeurs anciennes, pays de prodige, né de l’eau, brûlé de soleil, arrosé du sang des peuples, habité par des bêtes de toutes formes, pays absurde et surnaturel, l’Égypte était, par raison de contraste, l’asile prédestiné du fugitif.
La richesse de l’Égypte était dans sa fange, dans le gras limon que le Nil, chaque année, répandait sur le désert avec ses reptiles; l’obsession de l’Égypte était la mort; son peuple la refusait et la niait; il prétendait la vaincre par les simulations de la matière, les embaumements, les portraits fidèles du corps de chair sculptés par le statuaire. L’Égyptien riche et gras, fils de la boue, adorateur du bœuf et du cynocéphale, ne voulait pas mourir. Il édifiait, pour la seconde vie, d’immenses nécropoles pleines de momies emmaillotées et parfumées, de figures de bois et de marbre; il élevait des pyramides sur son cadavre pour que la masse des pierres le défendît du néant. »
Rien n’arrive ici-bas sans la volonté de Dieu. La destinée terrestre du Fils incarné, elle aussi, en est réglée. À présent, de même qu’Israël avait été conduit en Égypte, dans la maison de servitude, mais pour en sortir plus tard à l’appel de Dieu, de même Jésus-Christ s’y retire, en attendant son heure. L’Égypte devient pour lui comme pour Israël la terre de passage et d’attente; le pays dont on revient libéré par la grâce de Dieu. Il semble bien que l’on puisse discerner dans cet épisode une annonce de la mort et de la résurrection du Christ. Par ce récit, l’évangéliste veut indiquer que la carrière terrestre du Fils de Dieu va se dérouler sous le double signe de la croix et de la résurrection.
Enfin, voici le retour et l’établissement à Nazareth. Malgré l’opposition d’Hérode, Jésus finit quand même par retourner au pays d’Israël, car il faut qu’il règne. Le temps vient où Dieu fait tomber en poussière les obstacles qui s’opposent à l’entrée de son Fils dans son royaume. Le Messie ne reste pas sans peuple, la « faible plante » finit quand même par trouver son terrain : le pays d’Israël.
Tout est conduit par Dieu; l’instrument dont il se sert est encore ici le père adoptif. Celui-ci est conduit par des visions et des songes, il marche par la foi, dans l’obéissance à la parole de Dieu. Joseph est le serviteur « fidèle » et « vigilant », dont tout le ministère consiste à prendre au sérieux la Parole de son Maître et qui se laisse conduire dans toutes ses décisions par les avertissements divins. Grâce à lui, le petit enfant devient « Jésus de Nazareth », à travers un lent cheminement dans lequel l’évangéliste voit encore l’accomplissement des prophéties.