Matthieu 28 - L'ordre missionnaire
Matthieu 28 - L'ordre missionnaire
« Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes; Jésus s’approcha et leur parla ainsi : Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »
Matthieu 28.16-20
Selon l’ordre que Jésus a donné aux femmes (Mt 28.7), les disciples se rendent « en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée » (Mt 28.16). Cette montagne leur rappelle sûrement le souvenir, dans un cadre semblable, de son sermon sur la montagne, et celui de sa transfiguration. C’est dans le cadre familier de son ministère terrestre, dans les lieux mêmes qui furent le théâtre de la première mission apostolique (Mt 10.1-15) que l’Église rassemblée par la voix de son Chef reçoit sa vocation suprême. Sera-t-il là aujourd’hui encore? Oui, le voici, car il est fidèle à ses promesses.
Quand ils le voient, ils l’adorent. Mais quelques-uns doutent encore. Est-ce bien lui? Ce serait si beau! Mais, bien qu’ils soient venus là exprès comme à un rendez-vous, ils hésitent à croire en un tel miracle, car ils ne veulent pas d’illusions. C’est parce que la résurrection du Seigneur serait pour eux un fait d’importance capitale qu’ils ont peine à l’admettre. La foi naissante au Christ ressuscité ne rencontre aucun appui dans l’homme naturel; elle ne peut être qu’une victoire remportée sur l’incrédulité instinctive. Il ne manque pas aujourd’hui de gens qui répètent sans aucune hésitation avec le Symbole des apôtres « le troisième jour il est ressuscité des morts », mais pour qui ces paroles n’ont guère d’importance, leur foi superficielle ne vaut pas mieux que l’incrédulité des onze, pour qui cette question était vraiment vitale. La réalité de la résurrection ne s’imposera à eux que par l’action souveraine du Saint-Esprit (voir Mc 16.8,11-14; Lc 24.11,25-27; Jn 20.25-27).
Mais il s’approche, il leur parle. « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (Mt 28.18). Ce pouvoir ou cette autorité, dont tout son ministère n’a cessé de manifester les signes, autorité de la parole (Mt 7.29), miracles (Mt 8.27), pouvoir de pardonner les péchés (Mt 9.6), de chasser les démons (Mt 17.18), de juger (Jn 5.27), il la possède en tant que Fils de l’homme et Fils de Dieu (Mt 9.6; 14.33). C’est une domination éternelle, celle du Messie lorsqu’il viendra dans son règne (Dn 7.14; Mt 24.30); elle s’étend « au-dessus de toute principauté, autorité, puissance, souveraineté » (Ép 1.21) et s’exerce « dans les cieux et sur la terre » (Ép 1.10), c’est-à-dire sur tout l’univers créé, le monde « visible et invisible » (Col 1.16). La résurrection manifeste que cette puissance lui a été « donnée » par Dieu; de même qu’en lui habite la plénitude de l’amour de Dieu (Mt 3.17; 17.5), Dieu a déployé en lui sa puissance (Ép 1.20); il est lui-même « la puissance de Dieu » (1 Co 1.24).
Ce que Jésus affirme c’est qu’il est désormais de droit le Seigneur universel. Satan et ses anges ont connu leur défaite dans le monde invisible (1 Pi 3.22; Ép 1.20-23), et sa royauté doit s’exercer aussi sur la terre, à partir de son ascension. Ce sera, sans doute, une royauté contestée et cachée, « jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds » (1 Co 15.25). Mais il n’empêche qu’il règne à travers toutes les oppositions. Il faut que les hommes reconnaissent sa souveraineté, non seulement sur les « âmes », mais aussi sur les institutions, les nations. Quiconque ne regardera pas Jésus-Christ comme l’autorité suprême sera en révolte contre lui et préparera sa propre ruine. C’est en vertu de ce pouvoir (« exousia » en grec, signifiant le pouvoir d’exercer une autorité) que Jésus va maintenant donner des ordres.
Enfin, la dernière tâche confiée à l’Église concerne l’enseignement de toutes les instructions données par Jésus. L’Évangile du Royaume revêt dans la bouche même de Jésus la forme d’un commandement, d’une loi. Quiconque entend la Parole de grâce est par là même appelé à recevoir cette même Parole comme un ordre : Enseigner, baptiser, puis apprendre aux hommes à faire ce que Jésus a ordonné. Car le salut s’obtient par la foi, mais se traduit par l’obéissance. L’Évangile commence par l’annonce de Jésus-Christ, puis ceux qui l’ont reçu conforment leur vie aux enseignements du Seigneur. Ce qu’il a ordonné, ce ne sont pas des pratiques légalistes ou rituelles, mais la pureté, la vérité et surtout l’amour fraternel. L’Église, qui entend et qui annonce à toutes les nations le salut par la grâce et la justification par la foi en Jésus-Christ, est aussi celle qui enseigne à garder l’Évangile en tant qu’il est « l’accomplissement de la loi ». La prédication doctrinale de l’Église est inséparable de son enseignement moral, parce que l’une et l’autre concernent la Bonne Nouvelle de l’œuvre accomplie par Jésus-Christ.
Allez donc, enseignez toutes les nations. Puisque Jésus est Roi, il faut que les hommes le sachent. Or, Dieu a choisi les disciples pour le leur annoncer. Il fera d’eux ses apôtres, c’est-à-dire ses envoyés, ses missionnaires. Ils iront « enseigner », ou plutôt « faire des disciples ». Car l’enseignement apostolique, missionnaire, n’aura pas pour objet d’informer ou de rendre savant. Il est un enrôlement au service du Maître. Toutes les nations, et non plus seulement le peuple d’Israël, doivent maintenant recevoir cet enseignement évangélique, car Jésus est venu pour que « quiconque » croit en lui soit sauvé. Il n’y a plus désormais de différence entre « Juifs, Grecs, Barbares et Scythes » (Col 3.11). La mission de l’Église consiste à prêcher l’Évangile du Royaume « dans le monde entier » (Mt 24.14). Cette prédication s’adresse indistinctement à toutes les nations. Par l’Église, le salut est proclamé aux païens qui sont appelés à être « purifiés par la foi » (Ac 15.9). Dans son sein, le mur de séparation entre Juifs et païens est abattu (Ép 2.11-18).
« Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28.19). À la prédication de l’Évangile s’ajoute le signe baptismal. Si nous voulons retrouver la pleine signification de ces mots, nous pouvons les rendre à peu ainsi : « Les plongeant dans la communion, dans la présence du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Le baptisé par immersion disparaît dans l’eau, d’où il ressort « pour une vie nouvelle » (Rm 6.4). Désormais, tout son être est renouvelé par la grâce de Dieu. Et ce Dieu est Père, qui le connaît et l’aime; le Fils, par lequel il a connu le Père; le Saint-Esprit, par qui le Père et le Fils sont présents dans son cœur et dans l’Église. C’est la Trinité, mystère qui ne nous est pas proposé comme un objet de spéculation, mais « comme ce qu’il y a de plus pratique et de plus tendre au monde, parce que c’est l’expression de l’amour qui est en Dieu » (Adolphe Monod).
Le dernier mot de l’Évangile est une promesse : « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20). Rien de ce que Jésus ordonne aux disciples ne serait possible s’il n’était avec eux. Étrange parole, que lui seul peut prononcer : au moment où il s’en va, il annonce qu’il reste avec eux! Il est bien vrai qu’il va partir à l’ascension, que personne ne le verra plus jusqu’à son retour et que l’Église ne doit pas tenter de conserver, sous aucune forme, « sa présence corporelle ». Mais il est tout aussi certain que le Saint-Esprit envoyé à la Pentecôte sera la présence continuelle de Jésus auprès des croyants dans l’Église, qui est son corps. Et il en sera ainsi « jusqu’à la fin du monde », c’est-à-dire jusqu’à ce que vienne le jour où il mettra fin à l’histoire séculaire de l’humanité, pour instaurer le « siècle à venir », où les croyants « le verront tel qu’il est » (1 Jn 3.2).
Par là, Jésus fixe le terme de l’existence de l’Église sur cette terre : la fin du monde qui est l’avènement du Royaume. Tous les ordres donnés par le Seigneur sont en vue de cette fin. Il s’agit pour tout disciple de persévérer jusqu’à la fin (Mt 24.13; Hé 3.6; 1 Pi 1.5). Désormais, tout est accompli par celui qui est venu et qui viendra. Or, entre sa première et sa seconde venue, le Christ ne laisse pas ses disciples orphelins (Jn 14.18). Celui qui était et qui vient est aussi celui qui est! (Ap 1.4,8; 4.8). « Je suis avec vous tous les jours. » C’est là la parole du « Tout-Puissant » (Gn 17.1; Ex 3.14-15; Jg 6.12). En Jésus, le Christ, c’est le Dieu vivant de toute la Bible qui répète pour la dernière fois avant la fin des temps et jusqu’à ce qu’il vienne : « Je suis avec vous… » Ainsi, l’Évangile s’achève par la parole même qui l’a inauguré : « On lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous! » (Mt 1.23). Telle est l’espérance et la consolation dernière de l’Église qui sait en qui elle a cru.