Matthieu 4 - Marc 1 - Luc 4 - La tentation de Jésus
Matthieu 4 - Marc 1 - Luc 4 - La tentation de Jésus
« Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et fut conduit par l’Esprit dans le désert, où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là et, quand ils furent achevés, il eut faim. Alors le diable lui dit : Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre de devenir du pain. Et Jésus lui répondit : Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement. Le diable l’emmena plus haut, lui montra en un instant tous les royaumes du monde et lui dit : Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes; car elle m’a été remise, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et, à lui seul, tu rendras un culte. Le diable le conduisit encore à Jérusalem, le plaça sur le haut du temple et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges afin qu’ils te gardent; et : Ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. Jésus lui répondit : Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. Après avoir achevé de le tenter, le diable s’éloigna de lui jusqu’à une autre occasion. »
Luc 4.1-13
(Matthieu 4.1-11; Marc 1.12-13)
Il s’agit ici du plus gigantesque des combats. Satan cherche à renouveler auprès du « deuxième Adam » ce qu’il a entrepris avec succès auprès du premier (Rm 5.12-21). Et ce combat nous concerne.
« Satan est l’ennemi capital et enragé du salut des hommes… il a donc lors combattu notre salut en la personne du Christ… Le Fils de Dieu a comme combattu en face afin de nous acquérir le triomphe par sa victoire » (Jean Calvin).
Dieu a dit, lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mt 3.17). Et le tentateur dit à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu… » (Lc 4.3). De même, il avait demandé à Ève : « Dieu a-t-il réellement dit? » (Gn 3.1). La tactique de Satan est de faire douter de la parole de Dieu.
Gardons-nous de croire que la victoire de Jésus sur la tentation a été rendue plus facile parce qu’il était le Fils de Dieu. Certes, il ne portait pas dans son cœur, comme nous, les germes du péché; mais en revanche, l’assaut de Satan a été plus rude contre lui que contre quiconque, parce que Satan avait en lui un adversaire capital. Il a connu, comme nous, la tentation; il peut « compatir à nos faiblesses » (Hé 4.15).
Il faut prendre au sérieux la personnalité de Satan, sans en faire un diable du Moyen Âge. La puissance qui, dans le chant de louange de Zacharie, est discrètement évoquée par le terme « d’ennemi » (Lc 1.71) est maintenant nommée. En harmonie avec toute la Bible, les Évangiles la considèrent premièrement comme personnelle, objective et opposée à Dieu.
Satan n’est pas assez naïf pour prendre une figure grotesque ou hideuse; il se déguise en ange de lumière (2 Co 11.14). Au reste, aucune description ne vaut pour une créature « spirituelle ». De l’existence et de l’action de Satan, les Évangiles ne donnent aucune explication métaphysique ou psychologique. Les hommes de la Bible sont tellement engagés dans ce combat qu’ils n’ont guère le temps de se soucier de l’origine du mal sous l’angle philosophique. Ils ont tellement devant les yeux cette réalité du Malin qu’ils n’ont aucun répit pour réfléchir à son sujet. Une chose est claire : cette puissance « a peu de temps » (Ap 12.12). Non seulement la victoire appartient à Dieu, mais il l’a, en fait, déjà en mains, au point que le royaume du Malin dressé contre sa volonté doit dès maintenant et involontairement servir son plan et ses desseins. Il est le Seigneur de grâce dont les démons eux-mêmes doivent exécuter les saintes décisions, alors même qu’ils agissent selon leurs désirs.
Le récit de la tentation nous le montre très clairement. L’essentiel de ce récit est de montrer Satan rassemblant ici toute sa puissance et toute sa ruse. Toute cette scène évoque invinciblement l’idée d’un drame cosmique, véritable réplique de celui de la Genèse, qui se joue autour de la personne du Fils de Dieu et dont le thème central est la mise en question de la Parole de Dieu. Le diable est une puissance personnelle qui s’élève contre la volonté de Dieu.
Cette confrontation est une nécessité voulue de Dieu lui-même : c’est par l’Esprit que Jésus est amené au désert pour y être tenté. On devine que Dieu assiste, tel un témoin invisible, à cet engagement décisif qui fait partie de son plan. Tandis que Jésus apparaît dans un état d’extrême faiblesse, Satan, lui, déploie toute son activité et sa puissance. Il s’approche, il parle, il paraît maître de la situation, il essaye de faire de Jésus sa chose.
Toute la Bible nous décrit ainsi la personne et l’œuvre de Satan; il est une puissance que Dieu laisse agir et se manifester dans le monde pour exercer et éprouver la patience et l’obéissance de ceux qu’il a choisis. Il est à la fois l’adversaire et l’instrument de Dieu, car, à travers sa révolte et son entreprise destructrice, Dieu manifeste sa gloire et sa puissance, il tient en réserve une éclatante victoire. La « puissance des ténèbres », qui est celle du prince de ce monde, est « tenue en brides » (Jean Calvin) et, finalement, vouée à l’anéantissement.
Cela n’exclut pas le caractère très positif de la tentation. Le drame n’est pas une comédie. La puissance de Satan est très réelle, même lorsqu’elle se manifeste contre Dieu. C’est pourquoi ici, comme dans la Genèse, la tentation s’exerce dans l’ordre de la volonté et de l’obéissance. Il s’agit de savoir si la Parole que Dieu a dite va être écoutée, si la créature va se soumettre à l’ordre du Créateur.
Le récit de la tentation nous révèle un des aspects essentiels de l’obéissance et de l’abaissement du Fils de Dieu. Jésus est représenté comme un vrai homme : à la suite de son jeûne de quarante jours, il a faim. Aucun appétit humain n’est péché en soi, mais tous peuvent devenir l’occasion d’une tentation satanique. Satan n’utilise pas seulement la sensation de la faim, mais aussi la contradiction entre cette faim humaine et la filiation divine attestée dans le baptême. Il agit comme si la filiation divine de Jésus était mise en question par sa faim et comme si Jésus devait la confirmer à nouveau par un acte de puissance. Mais dans ces conditions, ce n’est plus l’affirmation divine qui est le garant de l’élection messianique, mais bien le pouvoir utilisé comme une arme contre l’incrédulité; Jésus devait, pour obéir à Satan, abandonner la Parole de Dieu pour utiliser la force que Dieu lui a donnée. Mais il répond, au contraire, par une parole de l’Écriture. Il s’appuie sur une promesse de Dieu faite dans l’Ancien Testament : « Dieu n’est pas à court de moyens. »
Dans la deuxième tentation, Jésus voit s’ouvrir devant lui tout son champ d’action : les royaumes du monde. On lui propose de les transformer en royaumes du Christ. Des possibilités inespérées lui semblent offertes. La véritable tentation ne consiste pas, pour Jésus, dans la possibilité d’échapper à sa mission en remplaçant le salut du monde par un règne égoïste. En effet, c’est dans le cadre même de la mission messianique que Satan attaque. C’est pour le salut du monde que Satan ouvre ici les portes en sorte que le monde doit être propriété de Jésus. L’opposition du monde contre Jésus doit être anéantie, Jésus peut en faire l’économie. Il peut sans peine accomplir sa mission qui consiste à soumettre le monde à la royauté de Dieu; il lui suffit d’accepter l’offre de Satan. Celui-ci se déclare prêt à lui céder le monde à cette seule et insignifiante condition : que Satan soit reconnu comme celui qui possède le monde et qui en dispose.
Jésus refuse à Satan la reconnaissance, si discrète soit-elle, le droit de disposer de la création divine. Il ne prend pas au sérieux la domination du diable. Il proclame que Dieu est aussi le Seigneur de Satan, car Dieu seul peut disposer de la puissance et de la domination sur la terre.
La troisième tentation marque le paroxysme de l’attaque satanique, car elle utilise la foi elle-même comme point d’attaque. Satan se fait pieux, se transforme en ange de lumière, ouvre la Bible et change le bouclier de l’Écriture en un poison tentateur… Ainsi, la force de la foi devient elle-même un piège. Et c’est ici la forme la plus effrayante de la ruse du diable. Elle agit dans l’équivoque jetée sur la Parole de Dieu. La promesse de Dieu devient alors une arme satanique. La foi est insidieusement poussée à faire une démonstration de sa force; elle est tentée de jouer avec la Parole de Dieu et de préférer un chemin artificiel et sensationnel. Mais si elle fait ce choix, la foi va se perdre elle-même. Car la foi ne signifie pas croire que Dieu accorde sa force à nos plans, mais bien au contraire, elle est obéissance confiante, une confiance obéissante. Les promesses de Dieu sont valables pour les chemins de Dieu et non pour les nôtres. Satan cherche à dominer l’Écriture et à l’exploiter. La foi véritable se soumet à l’Écriture et lui obéit.
Cette obéissance ne peut être comprise qu’en relation étroite avec le sens du baptême que Jésus vient de recevoir : le « chemin du Seigneur » que préparent le baptême et la prédication de Jean, c’est le chemin de la croix. C’est en suivant ce chemin que Jésus vient accomplir « toute justice », se soumettre à la Parole de Dieu telle qu’elle est exprimée dans la loi et les prophètes (Mt 5.17). Sur ce chemin, Jésus rencontre le tentateur. Son combat et sa victoire manifestent son obéissance de Fils par laquelle il refuse toute autre voie que celle de la croix pour l’accomplissement de la justice de Dieu. Sa résistance aux suggestions de Satan rappelle son insistance devant Jean-Baptiste (Mt 3.15) et annonce déjà le « il faut » (Mt 16.21-23; 17.12,22-23; 26.54). De plus, la tentation fait partie intégrante du ministère que Jésus assume en recevant le baptême. Nous avons vu que, par son baptême, Jésus veut montrer qu’il entend prendre la place de l’homme pécheur et partager entièrement la condition humaine. Cette condition implique la tentation.
Nous avons déjà laissé entendre qu’il ne s’agissait pas ici d’un combat d’apparence. Satan est réellement monté à l’attaque et, pour Jésus, la lutte fut sévère. Il est devenu si totalement homme que la faiblesse humaine devant la tentation est devenue son lot. Être homme, c’est être sensible aux pressions démoniaques. Bien qu’il soit « tout autre », Jésus a connu la condition humaine avec ses luttes et ses incertitudes. Cependant, là où il est vainqueur, nous sommes vaincus. Mais ce combat, Jésus l’a soutenu en tant que notre Sauveur, c’est-à-dire pour nous, ses disciples, son Église, et non pour lui-même. Dans ce combat, nous ne sommes pas à côté du Christ, mais à sa suite. Si l’Église s’accroche à son Seigneur, elle saura qu’elle est bénéficiaire de ce combat victorieux, mené pour nous hommes et pour notre salut, dans le désert brûlant de la Palestine, il y a déjà deux mille ans.