La mission de Dieu par Christopher J.H. Wright
La mission de Dieu par Christopher J.H. Wright
- La mission comme œuvre de Dieu
- Être une bénédiction
- Des éléments positifs
- L’utilisation des passages de l’Ancien Testament
- Un manque de preuves dans le Nouveau Testament
- L’eschatologie
- Une faible conception du péché et du jugement
- Action sociale et évangélisation
- Conclusion
Il peut être déroutant de savoir comment distinguer les théologiens qui ont le même nom de famille, surtout s’ils sont du même pays et de la même confession religieuse. Dans la tradition réformée, par exemple, nous avons deux Bavinck et deux Schilder. Dans le monde anglican contemporain, nous avons le phénomène des deux Wright. Plusieurs connaissent le nom de N.T. Wright, le célèbre évêque anglican et spécialiste du Nouveau Testament. Dans cet article, je veux vous présenter un autre Wright, un membre du clergé anglican également (mais pas un évêque) et un érudit de l’Ancien Testament. Il s’appelle Christopher J.H. Wright1.
Wright est directeur international de Langham Partnership International, un groupe de ministères fondé par John Stott en 1974. Wright est également un leader au sein du mouvement de Lausanne et a prononcé l’un des principaux discours lors du troisième congrès de Lausanne au Cap (2010). Il a écrit plusieurs livres, dont The Mission of God (2006) et The Mission of God’s People (2010). Son point de vue théologique a été influencé par John Stott, mais il semble s’éloigner quelque peu de certaines des positions de Stott (nous en reparlerons plus loin).
Le livre La Mission de Dieu2 est un livre massif de plus de six cents pages. Il est devenu un ouvrage de référence dans le domaine de la théologie biblique de la mission. On s’attend à ce que ce livre soit un manuel pour les séminaires évangéliques au cours des prochaines décennies. Puisque le livre va influencer la pensée de la prochaine génération de pasteurs et de missionnaires dans le mouvement évangélique en général, il est important de prendre note de ce que dit Wright. Une autre raison de le faire est que la théologie de la mission de Wright comporte d’importantes faiblesses. Comme j’espère le démontrer, il ne serait pas bon que l’approche de Wright soit gobée tout entière sans réfléchir.
Je vais tenter de résumer le livre, après quoi je mentionnerai quelques points positifs et je discuterai d’un certain nombre de problèmes importants. Je dois mentionner que j’ai bénéficié de l’écoute d’une critique du livre de Wright par le Dr Gary Millar à la conférence de la Gospel Coalition de 2013 à Orlando, en Floride3. J’ai aussi trouvé des commentaires utiles dans Quelle est la mission de l’Église? de Kevin DeYoung et Greg Gilbert4.
1. La mission comme œuvre de Dieu⤒🔗
Résumer un livre de plus de 600 pages est un défi de taille. Je m’excuse à l’avance auprès du lecteur si ce résumé sera un peu dense également. Je vais essayer de ne souligner que les aspects les plus importants du livre.
Premièrement, comme l’indique le titre du livre, Wright souligne que la mission est l’œuvre de Dieu. Wright donne la définition suivante de la mission :
« Fondamentalement, notre mission (si elle est éclairée et validée bibliquement) signifie notre participation engagée en tant que peuple de Dieu, à l’invitation et sur l’ordre de Dieu, à la mission même de Dieu dans l’histoire du monde de Dieu pour la rédemption de sa création » (p. 22-23).
Cette définition représente une tendance populaire dans la pensée missiologique actuelle. Nous ne devrions pas considérer la mission d’abord comme étant l’œuvre de l’Église. Nous devrions plutôt penser à la mission comme étant l’œuvre de Dieu, et nous devrions garder à l’esprit que Dieu est déjà à l’œuvre dans le monde. L’Église est appelée à participer à cette œuvre. Bien sûr, la question importante sera : Que croit-on que Dieu fait dans le monde?
Un dernier commentaire concernant la définition de Wright : Vous aurez remarqué qu’il formule un but pour l’œuvre missionnaire. La définition dit que le but de la mission de Dieu est « la rédemption de la création de Dieu », ce qui permet à Wright d’inclure l’action sociopolitique et la protection de l’environnement comme partie intégrante du travail missionnaire. (Je suis tenté de commenter, mais complétons d’abord le résumé du livre de Wright.)
Deuxièmement, Wright dit que la mission de Dieu est holistique, en ce sens que les besoins spirituels et physiques sont tous les deux satisfaits. Par conséquent, la mission est tout ce que les chrétiens font pour répondre aux besoins spirituels et physiques du monde. C’est là un changement important dans la façon de concevoir la mission! La théologie réformée classique reconnaît que les chrétiens ont une tâche dans ce monde, une tâche qui inclut l’action sociale et le souci de l’environnement. Cependant, on n’appellerait pas cela du travail missionnaire. Dans la théologie réformée classique, le travail missionnaire est défini en termes de diffusion de l’Évangile pour (1) le salut des individus et (2) l’implantation d’Églises. Wright, suivant John Stott, adopte une approche plus large. Il considère le travail missionnaire comme étant l’action de l’Église « par l’engagement combiné de tous ses membres… appliquant le pouvoir rédempteur de la croix du Christ à tous les effets des péchés et du mal dans la vie, la société et l’environnement » (322, accentué comme dans l’original). En d’autres termes, la mission peut inclure n’importe quoi, allant de l’évangélisation à l’engagement social et à la protection de l’environnement. De l’avis de Wright, tous ces aspects sont importants et nous ne devrions pas dire que l’un est plus important que l’autre (à cet égard, il diffère de John Stott qui dirait plutôt que l’annonce de l’Évangile est la partie la plus importante du travail missionnaire).
2. Être une bénédiction←⤒🔗
Troisièmement, Wright croit que le travail missionnaire consiste plus à être une bénédiction qu’à être envoyé. Il suggère que le grand mandat missionnaire de Matthieu 28 a joué un rôle trop important dans la réflexion sur la mission. À cet égard, Wright est une fois de plus un adepte de John Stott qui a dit des choses similaires dans son livre Mission chrétienne dans le monde moderne5. Comme Stott, Wright met en garde contre la suraccentuation de l’aspect de « l’envoi » dans la mission. Il met en garde contre une « obsession » pour les grands impératifs de la mission, comme le grand mandat missionnaire (61). Au lieu de comprendre la mission avant tout comme étant un envoi dans le monde, Wright aimerait que la mission soit comprise comme étant une bénédiction pour la société. À cet égard, il considère l’appel d’Abram (Gn 12.1-3) comme un passage clé. Abram a été envoyé en Canaan dans le but que les nations soient bénies par sa présence et son intercession en leur faveur. Wright fait l’étonnante suggestion que l’appel d’Abram dans Genèse 12 est plus digne d’être appelé « le grand mandat missionnaire » que Matthieu 28.18-20. Il dit ceci :
« Il serait tout à fait approprié et pas une mauvaise idée si nous prenions ce texte comme étant “le grand mandat missionnaire”, et c’est certainement le fondement biblique sur lequel repose le texte de Matthieu qui est habituellement élevé à ce rôle » (214, souligné comme dans l’original).
Quatrièmement, Wright suggère que certains événements ou motifs de l’Ancien Testament devraient jouer un rôle plus important dans notre compréhension de la mission. L’un de ces événements est l’Exode, que Wright appelle « le modèle de rédemption de Dieu », ce qui a des implications importantes. Plutôt que de considérer le pardon des péchés et la réconciliation avec Dieu comme étant des aspects clés de la rédemption, Wright suggère que nous devrions regarder l’Exode afin de déterminer la nature de la rédemption. Il soutient que la rédemption que les Israélites ont reçue par l’Exode avait des dimensions politiques, économiques, sociales et spirituelles. C’était un salut de type holistique. Il conclut :
« Ainsi, bien que l’exode soit un événement unique dans l’histoire d’Israël dans l’Ancien Testament, il est aussi un modèle paradigmatique et tout à fait reproductible de la manière dont Dieu veut agir dans le monde… » (275).
En d’autres termes, la mission de Dieu est toujours la même : il veut bénir les gens sur les plans politique, économique, social et spirituel. Le travail missionnaire doit donc se concentrer sur tous ces aspects. Un autre thème de l’Ancien Testament que Wright prend pour « paradigmatique » est l’année du Jubilé, qu’il appelle « le modèle de restauration de Dieu » (300).
Cinquièmement, et enfin, le livre de Wright s’efforce de prouver que la Bible doit être interprétée en utilisant une herméneutique missionnelle. La Bible contient beaucoup plus de choses à propos de la mission que quelques « textes missionnaires ».
Toute la Bible doit être comprise d’un point de vue missionnel! Après tout, affirme Wright, Dieu est un Dieu missionnaire, un Dieu qui est en mission. Par conséquent, le Livre de Dieu doit être interprété dans une perspective missionnaire. Wright appelle cette approche une « herméneutique missiologique des Écritures » (26). Cela ne veut pas dire que tous les textes de la Bible parlent de mission. L’idée est plutôt qu’une perspective missionnelle peut fonctionner comme une sorte de carte pour nous aider à trouver notre chemin à travers la Bible, nous aider à comprendre ce que Dieu est en train de faire dans le monde.
3. Des éléments positifs←⤒🔗
Pour ce qui est de notre évaluation, commençons par noter un certain nombre de points positifs. La meilleure partie de La mission de Dieu, à mon avis, est la deuxième partie qui s’intitule « Le Dieu de la mission » et qui contient trois bons chapitres. Le premier chapitre est une défense du monothéisme biblique. Le deuxième chapitre est une défense de Jésus-Christ en tant que Sauveur unique de l’humanité. Wright souligne que la Bible ne contient qu’un seul message à cet égard : « Le monothéisme de l’Ancien Testament centré sur YHWH est devenu le monothéisme du Nouveau Testament centré sur Jésus » (126). Le troisième chapitre explique comment la Bible affronte l’idolâtrie sous ses nombreuses formes, anciennes ou modernes.
« Bien que les dieux et les idoles soient quelque chose dans le monde, ils ne sont rien en comparaison avec le Dieu vivant » (187, accentué comme dans l’original).
Une autre force du livre de Wright est son explication de certains aspects importants et de certaines institutions de l’Ancienne Alliance, par exemple l’appel d’Israël du milieu des nations et l’année du Jubilé. Même si je ne suis pas d’accord avec les implications missiologiques que Wright tire de ces passages, on peut apprendre beaucoup de son travail exégétique. Il en va de même pour sa discussion des passages des psaumes et des prophètes qui parlent prophétiquement des nations voyant la lumière, apprenant la loi de Dieu et se rassemblant devant son trône (230-243).
4. L’utilisation des passages de l’Ancien Testament←⤒🔗
Ayant mentionné que l’accent mis par Wright sur les passages de l’Ancien Testament est l’un des aspects forts du livre, je dois également dire que la façon dont il utilise l’Ancien Testament soulève de sérieux problèmes. Le premier problème est que son exégèse des passages de l’Ancien Testament semble être influencée par son désir de mettre dans le texte la mission holistique. Afin d’illustrer ceci, jetons un autre coup d’œil à ce que Wright fait avec Genèse 12.1-3. Alors que tout le monde s’accorde à dire que l’appel d’Abram est un moment charnière dans le plan de l’histoire rédemptrice de Dieu, il y a différentes façons d’interpréter ce qu’on attend d’Abram. Dans quelle mesure s’attend-on à ce qu’il soit impliqué dans la vie des tribus et des villes voisines? Doit-on s’attendre à ce qu’il parle de Dieu à ses voisins? Est-il censé promouvoir la justice et la paix en Canaan? Ou s’attend-on à ce qu’il vive dans un isolement relatif par rapport à ses voisins?
Wright soutient qu’Abram est chargé d’agir comme médiateur entre les bénédictions de Dieu et les nations. Alors que la plupart des traductions considèrent cela comme indiquant le résultat ou le but du voyage d’Abram vers la terre promise (« pour que tu sois une bénédiction »), Wright préfère le prendre comme un commandement distinct : « Sois une bénédiction ». Il suggère même qu’il serait tout à fait approprié de prendre Genèse 12.1-3 comme étant « le grand mandat missionnaire » dans la Bible (p. 214).
Eckhard J. Schnabel, dans son livre Early Christian Mission (2004), rejette l’idée qu’Abraham ait été appelé à agir comme médiateur actif de la bénédiction de Dieu pour les pays voisins. Il interprète Genèse 12.1-3 comme suit :
« La bénédiction pour les nations est une promesse et non un commandement. Abraham n’est pas chargé de porter la bénédiction de YHWH aux nations; au contraire, les nations reçoivent la promesse de la bénédiction divine si et quand elles voient la foi d’Abraham en YHWH et si et quand elles établissent un contact avec ses descendants.6 »
Ceci est confirmé dans les chapitres suivants du livre de la Genèse. Ceux qui sont bien disposés envers Abraham et ses descendants s’en sortent bien (Melchisédek, Abimélek), tandis que ceux qui s’opposent à lui ou à ses descendants sont punis.
La promesse selon laquelle Abraham et ses descendants seront une bénédiction pour les nations est répétée plusieurs fois dans le livre de la Genèse (Gn 18.18; 22.18, 26.4; 28.14). De toute évidence, c’est un aspect important du plan de rédemption de Dieu pour le monde. En même temps, l’accent n’est pas mis sur l’idée que le peuple d’Israël doive « répandre activement les bénédictions » aux autres nations. L’accent est plutôt mis sur le fait que le peuple de Dieu est appelé à vivre dans l’obéissance à l’alliance et que cela apportera la bénédiction non seulement au peuple de Dieu, mais aussi au monde entier. En fin de compte, ce sera par le grand descendant d’Abraham, le Seigneur Jésus-Christ, que les nations seront bénies.
Voici une question connexe : Si Abram était appelé à « être une bénédiction » pour les nations qui l’entouraient, comme le suggère Wright, quelle forme cet appel était censé prendre concrètement? S’attendait-on d’Abram qu’il évangélise ses voisins? Ou devait-on s’attendre à ce qu’il aide les pauvres et lutte contre l’injustice? Un passage clé pour Wright à cet égard est Genèse 18, le plaidoyer d’Abraham pour Sodome, et en particulier les paroles du Seigneur au verset 19 : « Car je l’ai choisi afin qu’il ordonne à ses fils et à sa famille après lui de garder la voie de l’Éternel en pratiquant la justice et le droit; ainsi, l’Éternel accomplira pour Abraham ce qu’il avait dit à son sujet. » Se concentrant particulièrement sur l’expression « pratiquer la justice et le droit », Wright affirme que le Seigneur s’attendait d’Abraham « qu’il fasse droit et justice aux opprimés contre l’oppresseur » (367). Dans le cas de Sodome et de Gomorrhe, cela signifiait que le Seigneur voulait qu’Abraham se préoccupe « de la souffrance des opprimés de la région aux mains de ces villes » (367). La faiblesse de l’argument de Wright est que le texte n’appuie pas ce qu’il essaie de prouver. Le texte dit qu’Abraham devait enseigner à ses enfants et à sa famille à faire ce qui est juste et droit. Aucune référence n’est faite à l’enseignement à donner aux nations.
De plus, la suggestion de Wright selon laquelle Abraham se souciait de la souffrance des opprimés dans les villes de Sodome et de Gomorrhe n’est pas étayée par des preuves dans Genèse 18 et 19. Le mal qui est mis en évidence dans ces chapitres n’est pas l’injustice sociale, mais plutôt le déclin moral et la perversion, comme en témoigne le fait que les hommes de la ville sont dépendants de la sodomie. Dans le Nouveau Testament, nous lisons que le neveu d’Abram, Lot, apparemment le seul homme juste de la ville, était affligé par « la conduite déréglée de ces criminels » à Sodome (2 Pi 2.7).
En conclusion, l’explication de Wright de Genèse 12.1-3 illustre le problème selon lequel il tente de trouver une vision holistique de la mission dans l’Ancien Testament.
5. Un manque de preuves dans le Nouveau Testament←⤒🔗
Un deuxième problème concernant l’utilisation de l’Ancien Testament par Wright est qu’il ne se demande pas suffisamment si les implications tirées de l’Ancien Testament sont appuyées par des preuves dans le Nouveau Testament. Par exemple, quand Wright dit que l’Exode et le Jubilé sont des modèles paradigmatiques et tout à fait reproductibles de la manière dont Dieu veut agir dans le monde (275, 300), il ne se demande pas si de telles affirmations sont réellement soutenues par le Nouveau Testament. Prenons le Jubilé : Le Nouveau Testament indique-t-il vraiment que le Jubilé est un modèle paradigmatique et reproductible pour le travail missionnaire dans le monde actuel? Wright aurait du mal à convaincre ses lecteurs que c’est le cas. Mais il ne soulève même pas la question.
On pourrait dire la même chose de l’Exode. Wright affirme que « le reste de la Bible le considère manifestement comme paradigmatique » (275), mais il n’offre aucune preuve biblique pour soutenir cette affirmation. Il en va de même pour l’affirmation faite dans le paragraphe suivant :
« Le résultat inévitable est certainement que la rédemption selon le modèle de l’exode exige une mission selon le modèle de l'exode » (275, accentué comme dans l’original).
En d’autres termes, Wright dit que, tout comme l’Exode avait des dimensions politiques, économiques, sociales et spirituelles, ainsi notre rédemption en Christ a des dimensions politiques, économiques, sociales et spirituelles. Une telle affirmation a l’air solide. Wright dit que c’est « inévitable », mais le Nouveau Testament appuie-t-il réellement cette conclusion? La question se pose de savoir ce que fait Wright avec des passages tels que Colossiens 1.14 et Éphésiens 1.7 où la rédemption en Christ est décrite en termes de pardon des péchés7. On se serait attendu à ce que Wright discute de ces passages et tente ensuite de prouver que, même si l’apôtre mentionne le pardon des péchés, le Nouveau Testament soutient une compréhension plus large de la rédemption. Étant donné que Wright ne le fait pas, cela renforce l’impression que la compréhension de la mission « selon le modèle de l’exode » que Wright promeut ne découle pas de passages bibliques, mais plutôt de son propre désir de comprendre la mission de cette façon.
Un aspect clé du livre de Wright est le fait qu’il donne à l’Ancien Testament une place importante dans la construction d’une théologie biblique de la mission. C’est louable en tant que tel. Il s’agit d’une correction bien accueillie faite à l’approche suivie par de nombreux auteurs (que l’on peut résumer comme suit : Parcourons vite l’Ancien Testament et passons au Nouveau Testament le plus rapidement possible). En même temps, l’approche suivie par Wright donne au livre l’impression d’une théologie de la mission de l’Ancien Testament, plutôt que d’une théologie biblique de la mission. Il y a beaucoup de références au Nouveau Testament dans le livre, mais il n’y a pas de discussion significative sur la mission dans les Évangiles, dans les Actes ou dans les lettres de Paul.
Cela serait peut-être acceptable si rien d’autre n’était en jeu que le fait que l’Ancien Testament reçoive plus d’attention dans le livre de Wright que dans la plupart des autres livres sur la mission. Mais quelque chose de plus grave est en train de se produire : Parce que Wright est tellement convaincu de la valeur permanente des motifs de l’Ancien Testament comme l’Exode et le Jubilé, il ne tient pas compte du fait qu’il existe une discontinuité significative entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Il est vrai que Dieu a délivré son peuple socialement et économiquement en le libérant politiquement de l’esclavage en Égypte et en l’amenant dans son propre pays. Cependant, la situation dans la Nouvelle Alliance, du moins dans sa forme actuelle, est différente. Pour les croyants chrétiens, la rédemption signifie en premier lieu le pardon des péchés, la réconciliation avec Dieu et le rassemblement dans l’Église qui est le corps du Christ. Et bien que les effets de cette situation se répercutent sur d’autres aspects de la vie chrétienne, il ne s’ensuit pas que les chrétiens sont toujours délivrés de l’esclavage politique ou de la misère économique. On pourrait même dire que la vie chrétienne peut, dans une certaine mesure, être comparée à la vie du peuple de Dieu en Égypte. Les chrétiens sont « étrangers et voyageurs » dans le monde (1 Pi 2.11-12).
6. L’eschatologie←⤒🔗
Ce n’est pas seulement la distinction entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance qui n’est pas suffisamment reconnue. Il en va de même pour la distinction entre l’ère actuelle et l’ère à venir où Dieu fera toutes choses nouvelles. Les promesses bibliques concernant le jugement dernier (Ap 20.11-15) et un nouveau ciel et une nouvelle terre (Ap 21) ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent. Il n’y a pas dans le livre le sentiment profond que, dans cette ère actuelle, nous avons seulement un avant-goût de la plénitude des bénédictions qui nous attend sur la nouvelle terre. Bien sûr, Wright admettra que nous ne voyons pas encore l’achèvement de cette œuvre rédemptrice dans l’histoire actuelle. Mais il fera aussi des déclarations telles que :
« La restauration de l’harmonie écologique fait partie des possibilités d’une histoire humaine rachetée » (410).
Cela suggère que nous pouvons avoir de grandes attentes quant à la possibilité de salut et de restauration dans l’ère actuelle. Quand Wright affirme que la mission devrait se concentrer sur les aspects sociaux, politiques et environnementaux, on a presque l’impression que Dieu est censé construire et établir progressivement la plénitude de son Royaume sur terre, et que l’Église est appelée à participer au processus de construction. C’est une notion populaire aujourd’hui, surtout dans la théologie libérale œcuménique, mais elle n’est pas biblique.
7. Une faible conception du péché et du jugement←⤒🔗
À cet égard, je dois ajouter que le livre de Wright dénote une faible conception du péché et du jugement. Le fait que Dieu exercera une vengeance terrible sur les méchants (Ap 21.8) ne joue pas un rôle significatif dans l’eschatologie de Wright. Le fait que les gens ont besoin d’être sauvés de la colère à venir (1 Th 1.10) ne fait pas partie de sa justification pour le travail missionnaire. Qu’il y ait un endroit appelé enfer n’est même pas mentionné dans le livre (à moins que je ne l’aie manqué; en tout cas, il n’y a aucune référence à l’enfer dans l’index biblique du livre).
La même faiblesse apparaît lorsque Wright décrit les conséquences de la chute. Il ne parle pas de notre culpabilité devant Dieu ni de notre besoin de nous réconcilier avec Dieu. Au lieu de cela, il se concentre sur « le désordre » que nous voyons tout autour de nous :
« Par la rébellion et la désobéissance contre notre Dieu Créateur, nous avons généré le désordre que nous voyons maintenant autour de nous à tous les niveaux de notre vie, de nos relations et de notre environnement » (55).
De même, lorsqu’il décrit le salut, il ne parle pas de réconciliation avec Dieu. Au lieu de cela, il dit :
« La solution a été initiée par Dieu à travers le choix et la création d’un peuple, Israël, par l’intermédiaire duquel Dieu a l’intention d’apporter sa bénédiction à toutes les nations de la terre et de renouveler finalement toute la création » (55).
Je soupçonne que Wright, si nous le lui demandions, serait d’accord pour dire que le pardon des péchés est un aspect important du salut. Toutefois, ce sujet n’est pas mis en valeur dans son livre. C’est malheureux. Les changements en théologie se produisent habituellement de façon progressive. Dans le cas de Wright, l’accent n’est plus mis sur la réconciliation avec Dieu, mais sur la restauration de la création. Ce n’est pas une bonne évolution.
8. Action sociale et évangélisation←⤒🔗
Cela nous amène à un autre aspect important du livre de Wright : sa compréhension de la relation entre l’action sociale et l’évangélisation. Sa position peut se résumer en deux points. Premièrement, tout fait partie de la mission, qu’il s’agisse de prêcher l’Évangile ou d’aider les pauvres, de prendre soin des malades du sida ou de protéger l’environnement. Deuxièmement, Wright soutient qu’il est faux de dire que l’évangélisation devrait avoir priorité sur l’action sociale dans le programme missionnaire de l’Église. Il préfère dire que l’évangélisation occupe une place ultime.
« Nous pouvons entrer dans le cercle de la réponse missionnaire en tout point du cercle des besoins humains. Mais en définitive [ultimately], nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers tant que nous n’aurons pas inclus dans notre propre réponse missionnelle l’intégralité de la réponse missionnelle de Dieu à la situation difficile de l’humanité » (319).
Ce que Wright dit ici, c’est que peu importe par où nous commençons, que ce soit par l’évangélisation ou par l’action sociale, pourvu que nous en arrivions à dire aux gens la bonne nouvelle du Christ.
Il convient de noter qu’il s’agit là d’un changement de mentalité au sein du mouvement de Lausanne. Pendant de nombreuses années, la position dominante a été que l’évangélisation et l’action sociale sont toutes deux importantes, mais que l’évangélisation a la priorité dans la mission de l’Église8. C’est aussi la position défendue par John Stott9. Toutefois, Wright encourage ce qu’il appelle « une manière différente de penser la mission » (317). Nous devons comprendre la mission de manière holistique, et tous les aspects sont également importants, qu’il s’agisse d’action sociale, d’évangélisation ou de protection de l’environnement.
En y réfléchissant, je me souviens des paroles de John Stott :
« Les chrétiens devraient ressentir une douleur aiguë de conscience et de compassion lorsque des êtres humains sont opprimés ou négligés de quelque façon que ce soit. […] Mais y a-t-il quelque chose d’aussi destructeur de la dignité humaine que l’aliénation de Dieu par ignorance ou rejet de l’Évangile? Et comment pouvons-nous sérieusement soutenir que la libération politique et économique est tout aussi importante que le salut éternel?10 »
La principale préoccupation de l’apôtre Paul au sujet de son propre peuple, les Juifs, n’était pas qu’ils subissaient l’oppression politique, mais qu’ils étaient séparés du Christ (Rm 9.1-3). Son principal désir pour eux n’était pas qu’ils retrouvent leur indépendance politique, mais qu’ils puissent se réconcilier avec Dieu et être sauvés (Rm 10.1). Paul comprenait son propre mandat comme étant « le ministère de réconciliation, car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, sans tenir compte aux hommes de leur faute, et il a mis en nous la parole de la réconciliation » (2 Co 5.18-19).
C’est une réelle faiblesse dans le livre de Wright que de ne pas traiter de ces passages dans les lettres de Paul, et de ne tenir aucun compte d’autres passages du Nouveau Testament qui décrivent la nature du mandat missionnaire, comme les paroles du Seigneur aux apôtres (Ac 1.7-8) ou celles de Paul à Timothée (2 Tm 4.1-5). Wright semble très préoccupé par le fait que les gens aient une compréhension trop étroite du mandat missionnaire de l’Église (en se concentrant seulement sur le salut de l’individu). Malheureusement, sa propre compréhension du mandat missionnaire est trop large et conduira inévitablement à une confusion sur les priorités. L’évangélisation et l’implantation d’Églises seront remplacées par des activités telles que le creusement de puits d’eau en Afrique et l’aide aux réfugiés pour qu’ils s’installent ici en Amérique du Nord. Il n’y a rien de mal à s’occuper de telles activités! Mais si elles prennent la place de l’évangélisation et de l’implantation d’Églises dans la vision de l’Église pour le travail missionnaire, il y a vraiment quelque chose qui cloche.
9. Conclusion←⤒🔗
En conclusion, La mission de Dieu de Wright est un livre intéressant et stimulant qui contient de bonnes sections sur le monothéisme biblique, le caractère unique du Christ et d’autres questions importantes. Le trait marquant de ce livre est sa tentative de rendre l’Ancien Testament pertinent pour le développement d’une théologie biblique de la mission. Malheureusement, le livre a comme problème une forte tendance à utiliser des aspects de l’Ancien Testament pour promouvoir une vision holistique de la mission dans laquelle l’action sociale et l’évangélisation sont considérées comme aussi importantes l’une que l’autre. Le livre lui-même illustre le fait que les aspects fondamentaux de la mission, tels que la prédication de l’Évangile pour le pardon des péchés, sont mis de côté pour faire place à l’action sociopolitique, aux soins médicaux et à la protection de l’environnement. Le livre comporte également une faible eschatologie. Ce que la Bible présente comme appartenant à l’ère à venir (après le retour du Christ) est ramené dans le temps présent.
Si ce livre doit façonner la compréhension du travail missionnaire de la prochaine génération de travailleurs missionnaires dans le monde évangélique, je crains que nous voyions un déclin de la prédication de l’Évangile. Ce n’est peut-être pas l’intention de Wright, mais son livre ouvre la porte à l’activisme sociopolitique qui reçoit plus d’attention que la prédication de l’Évangile et l’implantation d’Églises.
Il y a un dicton bien connu dans les milieux missionnaires qui est attribué à l’évêque Stephen Neill : « Si tout est mission, rien n’est mission. » Wright déteste cette boutade et la qualifie de « vieille ligne de démolition11 ». Si seulement il avait considéré plus sérieusement le danger qu’elle représente!
Notes
1. Soit dit en passant, les deux Wright ont pris la parole lors d’une conférence sur « Une lecture missionnaire des Écritures », organisée par le Calvin Theological Seminary (Grand Rapids) en novembre 2013. Voir A Missional Reading of Scripture [Une lecture missionnelle des Écritures].
2. Christopher J.H. Wright, La mission de Dieu : Fil conducteur du récit biblique. Éditions Excelsis, 2012. Les citations indiquées plus loin sont tirées de la version anglaise originale The Mission of God et de sa pagination.
3. Atelier à la Gospel Coalition, Orlando, 7 avril 2013, par le Dr Gary Millar, intitulé A Biblical Theology of Mission: An Evaluation of Chris Wright [Une théologie biblique de la mission : Une évaluation de Chris Wright].
4. Kevin DeYoung et Greg Gilbert, Quelle est la mission de l’Église? Quels liens y a-t-il entre la justice sociale, le shalom et le grand mandat. Éditions Cruciforme, 2015.
5. John R. W. Stott, Christian mission in the modern world. London, Falcon, 1975, 29. Version française : Mission chrétienne dans le monde moderne. Éditions des groupes missionnaires, 1977.
6. Eckhard J. Schnabel, Early Christian Mission [Mission chrétienne ancienne], volume 1. IVP, 2004, 63.
7. Pour ce point, je suis redevable à Bobby Jamieson pour son excellente critique du livre suivant de Wright, The Mission of God’s People [La mission du peuple de Dieu].
8. La déclaration de Lausanne, 1974, paragraphe 6, L’Église et l’évangélisation.
9. Voir John Stott, Christian mission in the modern world [Mission chrétienne dans le monde moderne], 35-36.
10. John Stott, Christian mission in the modern world [Mission chrétienne dans le monde moderne], 35.
11. Wright, The Mission of God’s people [La mission du peuple de Dieu]. Zondervan, 2010, 25-26.