Nicée-Constantinople - La confession de Jésus-Christ
Nicée-Constantinople - La confession de Jésus-Christ
- Qui est Jésus-Christ?
- La situation historique avant le Concile de Nicée
- Division sur une question ecclésiastique : la querelle donatiste
- Division sur une question théologique : la querelle arienne
- Le Concile de Nicée en 325
- Le Concile de Constantinople en 381
- Un seul Dieu en trois personnes
1. Qui est Jésus-Christ?⤒🔗
La personne de Jésus-Christ a suscité au cours de l’histoire des deux derniers millénaires bien des questions, des débats, voire des controverses acharnées. Jésus-Christ est-il vraiment le Messie promis aux Juifs, qui a accompli toutes les promesses de l’Ancien Testament? N’a-t-il été qu’un prophète particulièrement inspiré, porteur d’un enseignement moral supérieur et digne d’être écouté, ou bien est-il véritablement le Fils de Dieu, comme le confessent les chrétiens? Et que signifie exactement être le Fils de Dieu? Jésus-Christ est-il appelé « Fils de Dieu » à cause de sa personnalité exceptionnelle, ou bien est-il lui-même vrai Dieu, au même titre que le Père céleste? Aurait-il été un homme choisi, adopté et équipé par Dieu pour devenir son Fils et faire connaître le Père aux hommes, ou bien serait-il Dieu de toute éternité, devenu homme pour un peu de temps, afin d’habiter parmi eux et accomplir une œuvre unique de salut?
Toutes ces questions n’ont pas commencé à être posées à notre époque. À vrai dire, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, elles ont été débattues avec une très grande intensité. Voyez-vous, les chrétiens d’aujourd’hui, qu’ils soient européens, africains, asiatiques ou américains, ne sont pas une génération spontanée, née subitement et sans aucune racine. Pour un chrétien, ignorer ces racines, méconnaître l’histoire de l’Église, revient forcément à appauvrir le contenu de sa foi propre, car c’est ignorer que Dieu tient les rênes de l’histoire, et en particulier de son peuple, les croyants.
C’est pourquoi je vous propose d’examiner ensemble un chapitre particulièrement significatif de l’histoire de l’Église, celui qui a trait à la Confession de foi de Nicée-Constantinople, rédigée et acceptée par l’Église chrétienne au 4e siècle de notre ère, c’est-à-dire il y a quelque 1700 ans. Vous verrez, à la lumière de ce chapitre, que toutes les questions sur la personne de Jésus-Christ que je viens d’énoncer étaient d’une actualité brûlante, et que les réponses qui ont été données restent elles aussi d’une actualité brûlante pour les chrétiens contemporains et leur témoignage dans le monde.
2. La situation historique avant le Concile de Nicée←⤒🔗
Considérons d’abord la situation historique qui prévalait avant la tenue du Concile de Nicée, en l’an 325 de notre ère. L’empereur romain Constantin était au pouvoir depuis une dizaine d’années; il s’était converti à la foi chrétienne 13 ans auparavant après une bataille décisive contre son ennemi Maxence, et avait peu après, en 313, fait promulguer l’Édit de Milan qui accordait la liberté de conscience et de culte aux chrétiens. En effet, ceux-ci avaient été violemment persécutés sous le règne de l’empereur Dioclétien et de ses associés puis successeurs, à partir de 303. Ce fut du reste la dernière grande persécution des empereurs romains contre les chrétiens; elle sévit particulièrement dans les provinces de l’est, avec les empereurs Galère et Maximin Daia. Pour ces empereurs païens, le culte chrétien avait aliéné les dieux traditionnels de Rome, mettant en danger la stabilité et l’unité de l’empire. Il fallait donc éliminer les chrétiens (qui étaient encore une minorité au sein de l’empire) d’abord de la cour impériale et de l’armée, puis de l’empire dans son ensemble.
Pour des raisons de santé, Dioclétien avait démissionné du pouvoir en 305 et s’était retiré dans sa province natale, la Dalmatie (aujourd’hui la Croatie, sur les bords de la mer Adriatique). Son empereur associé, Maximien, avait été contraint de démissionner lui aussi. Le nouvel empereur qui dirigeait les provinces de l’ouest, Constantin Chlore, n’était pas favorable à une persécution des chrétiens, même si lui-même n’était pas un adepte du christianisme. Lui et son fils, le jeune Constantin, étaient des adorateurs du soleil comme divinité unique. En revanche, comme nous venons de le voir, Galère, l’empereur responsable des provinces de l’est, et son associé Maximin Daia allaient poursuivre la persécution pendant des années, jusqu’à ce qu’ils l’abandonnent, ayant reconnu qu’elle n’avait pas eu le succès escompté.
Entre autres, le royaume d’Arménie qui avait été cédé par les Perses aux Romains, et était donc devenu le vassal de Rome depuis 298, avait adopté le christianisme comme religion officielle sous l’impulsion de son roi Tiridate vers l’an 301. Maximim Daia s’était fixé comme objectif de le faire revenir aux coutumes païennes et avait entrepris une campagne militaire, laquelle se solda par un échec, en raison d’une épidémie qui décima son armée, épidémie aggravée par une famine. La première nation au monde à avoir adopté le christianisme comme religion officielle était donc devenue, en l’espace de quelques années, la première nation à devoir défendre cette foi nouvellement adoptée contre ceux, bien plus puissants qu’elle, qui cherchaient à l’en détourner.
Quoi qu’il en soit, tombé gravement malade en 311, l’empereur Galère proclama un édit de tolérance vis-à-vis des chrétiens, reconnaissant l’échec de l’entreprise de persécution. Il s’était rendu compte que non seulement les chrétiens ne s’étaient pas éloignés de leur foi et de leurs coutumes, mais qu’en plus ils avaient été détournés de prier leur Dieu pour le bien de l’empire, ce que Galère leur enjoignait maintenant de faire dans son édit. Peut-être attribuait-il aussi sa maladie au fait qu’il avait irrité le Dieu des chrétiens, cherchant maintenant à se concilier sa faveur. Pourtant, peu après avoir promulgué cet édit de tolérance, Galère allait être emporté par cette même maladie.
Dès sa mort, Maximin Daia reprenait les persécutions contre les chrétiens dans les provinces de l’est qui lui étaient échues. À l’ouest de l’empire, dans les provinces de Gaule, d’Angleterre et d’Espagne, l’empereur Constantin Chlore était mort en 306, et son fils Constantin avait été porté à la dignité impériale par les troupes de son père dès son arrivée en Angleterre. Le conflit pour le pouvoir allait bientôt éclater entre Constantin et un usurpateur, Maxence, qui s’était rendu maître de l’Italie et de l’Afrique du Nord. Maxence était lui-même le fils de Maximien, l’empereur associé à Dioclétien qui avait été obligé de démissionner avec celui-ci en 305. Un autre candidat à la dignité impériale, Licinius, combattait Maximin Daia à l’est après la mort de Galère, et avait fait alliance avec Constantin, tandis que Maxence et Maximin Daia s’étaient eux-mêmes alliés. Comme vous le voyez, ces années furent extrêmement troublées pour l’Empire romain, avec ces luttes sans merci entre équipes rivales luttant pour la suprématie.
L’année 313 allait voir cet écheveau se débrouiller. Lors d’une bataille, Licinius vainquit son rival Maximin Daia et s’empara donc de toutes les provinces de l’est. Exactement une année auparavant, Constantin, quant à lui, avait vaincu Maxence à la bataille du pont Milvien, juste en dehors de Rome, sur le fleuve Tibre. Or, la veille de cette bataille décisive, Constantin eut un rêve : il vit les lettres initiales du nom de Christ et une phrase qui disait : « Par ce signe tu vaincras. » Persuadé qu’il s’agissait là d’un augure, il fit peindre ces deux lettres de l’alphabet grec sur les boucliers de ses soldats, ayant résolu de confier le sort de la bataille à ce Dieu dont il n’était pourtant pas un adepte, même s’il s’était opposé, comme son père, aux persécutions contre les chrétiens à l’ouest de l’empire. Le lendemain, il remportait cette bataille, malgré des forces très inférieures en nombre à celles de l’armée ennemie. Son rival Maxence y perdait même la vie. Constantin entra donc triomphalement dans Rome, mais omit de rendre des actions de grâces aux divinités traditionnelles, ayant accepté que sa victoire lui avait été accordée par le Dieu des chrétiens. Le continuateur de l’œuvre administrative et militaire de Dioclétien (qui allait mourir dans sa retraite de Dalmatie l’année suivante, en 313) considérait désormais le Dieu chrétien comme le protecteur de l’empire.
Cela dit, Constantin ne supprima pas tout d’un coup de la partie de l’empire qu’il dirigeait les signes du paganisme romain traditionnel, loin de là. Il était conscient que les chrétiens formaient encore une minorité au sein de l’empire, et qu’il fallait ménager les païens. Les pièces de monnaie qu’il fit frapper représentaient encore le dieu soleil dont il avait été l’adepte. Il reçut le titre de Pontifex Maximus, c’est-à-dire de Grand Prêtre du culte païen. Mais dès 313, avec son associé Licinius, il proclamait dans la ville de Milan, au nord de l’Italie, un édit qui accordait la liberté de conscience aux chrétiens et une pleine égalité avec les autres cultes. Les propriétés des églises qui leur avaient été confisquées lors des persécutions leur étaient retournées.
De son côté, Licinius, un adhérent loyal du paganisme, n’était pas prêt à accorder plus de privilèges aux Églises qu’il ne fallait, et appliquait l’édit de Milan très parcimonieusement dans les provinces de l’est, tâchant même de réduire progressivement leur vie publique. En fait, la tension entre lui et Constantin allait grandir durant la décennie à venir, au point qu’en 324 cette situation amena ce dernier à envahir les provinces de l’est. Après deux engagements militaires perdus par Licinius, celui-ci fut forcé de se retirer dans la ville de Thessalonique, en Grèce, et fut finalement mis à mort. Désormais, Constantin était le seul maître de l’empire, et la cause de Rome et celle de Christ semblaient être devenues une et même cause.
Le rôle de Constantin ne se limita toutefois pas à accorder la liberté de culte aux chrétiens et à leur garantir que de nouvelles persécutions n’éclateraient pas. Il allait jouer un rôle majeur dans la vie de l’Église, en tâchant de résoudre les conflits internes qui se développaient en son sein. C’est d’ailleurs ce rôle croissant qui l’amènerait à convoquer un concile dans la ville de Nicée, en l’an 325.
3. Division sur une question ecclésiastique : la querelle donatiste←⤒🔗
Dès son accession à la tête de l’empire, Constantin avait pris un conseiller pour les affaires ecclésiastiques, en la personne d’Hosius, évêque de Cordoue, au sud de l’Espagne. L’empereur faisait régulièrement des dons en argent aux Églises pour leurs activités caritatives et faisait aussi construire des basiliques à ses propres frais. Mais dès le début, il avait dû prendre connaissance d’une rupture au sein des Églises d’Afrique du Nord, suite aux persécutions du début du siècle. On y vénérait les martyrs, ceux qui étaient morts pour leur foi sans renier Jésus-Christ. Un courant largement représenté au sein de ces Églises considérait qu’un évêque qui avait abjuré la foi chrétienne même momentanément, par peur de la persécution, ne pouvait avoir accompli d’acte ecclésiastique valide, par exemple une ordination. Ainsi donc, si un évêque avait fait preuve de faiblesse à un moment donné de son office, même ses actes officiels étaient nuls et non avenus. Pour réintégrer la communauté des croyants, il fallait qu’il soit baptisé à nouveau et, pour ainsi dire, qu’il soit de nouveau sauvé.
L’Église dite des martyrs, ceux qui n’avaient jamais abjuré leur foi, était représentée par Donatien. En revanche, l’évêque Cécilien représentait les Églises qui maintenaient des liens avec les autres Églises de l’empire et qui acceptaient en leur sein ceux qui s’étaient repentis d’avoir abjuré à un moment ou un autre, sans qu’ils soient baptisés à nouveau. On leur prescrivait seulement l’observation d’une pénitence décidée localement. Du reste, Cécilien ne favorisait pas le culte des martyrs.
Or un des évêques qui avait ordonné Cécilien avait à un moment donné fait preuve de faiblesse, en remettant tous les livres sacrés aux autorités romaines pour qu’ils soient brûlés, au moment de la persécution lancée par Dioclétien. Ce qui amena les partisans de Donatien à considérer que l’élection et l’ordination de Cécilien n’étaient pas valables. De plus, il y avait une question politique liée à l’élection hâtive de Cécilien comme nouvel évêque après la mort de son prédécesseur, car les évêques de la province de Numidie, en Afrique du Nord, n’avaient pas été consultés à ce sujet. Où se trouvait donc la véritable Église? Du côté de Cécilien ou du côté de Donatien?
Constantin intervint dans cette affaire pour reconnaître l’office de Cécilien et son groupe comme étant l’Église dite catholique, c’est-à-dire celle qui représentait la vérité en communion avec les autres Églises de l’empire. Mais les donatistes insistèrent fortement en soutenant qu’eux seuls formaient la véritable Église. Constantin décida alors de confier cette affaire à un concile d’évêques comprenant l’évêque de Rome et trois évêques gaulois. Ce concile ayant confirmé la validité de l’ordination de Cécilien et le fait que son groupe était véritablement catholique, les donatistes firent appel de cette décision, ce qui amena Constantin à convoquer un synode plus large en 314, dans la ville d’Arles, en Gaule. Ce concile maintint la décision du concile précédent, mais les donatistes ne s’avouèrent pas vaincus. Constantin tenta alors de réduire par la force ce mouvement, mais en vain. En 321, il leur accordait à nouveau la liberté de culte, n’ayant pas réussi à les soumettre par la violence. Le schisme en Afrique du Nord allait durer encore un siècle.
4. Division sur une question théologique : la querelle arienne←⤒🔗
Une autre question, cette fois théologique, divisait les Églises des provinces de l’est. Après l’élimination de Licinius en 324, Constantin découvrit que la querelle en question faisait rage : elle concernait la nature de la relation entre Dieu et sa Parole incarnée, c’est-à-dire Jésus-Christ. La querelle arienne, du nom du presbytre Arius, secouait l’Église chrétienne et divisait les Églises d’Égypte et d’Asie Mineure. Le mot grec pour la parole divine est « Logos », comme on le trouve au début de l’Évangile de Jean : « Au commencement était la Parole [Logos], et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » (Jn 1.1). Parallèlement, la relation entre ce Logos et la réalité créée était aussi en question. Ce débat ne serait en fait résolu officiellement que 60 ans plus tard.
La controverse avait commencé à Alexandrie, probablement en 318. Le presbytre — ou, si vous voulez, ancien de l’Église — Arius présidait sur une paroisse locale et était une figure assez populaire de l’Église à Alexandrie. Il soutenait l’idée que le Logos dont parle le Nouveau Testament, c’est-à-dire la personne de Jésus-Christ ne pouvait pas être de même nature que Dieu, car cela aurait impliqué un deuxième Dieu à côté de Dieu. Il affirmait que le Logos est une créature qui a été appelée à l’existence par Dieu à partir de la non-existence. Il y a eu un temps, disait Arius, où il n’existait pas. Le Fils de Dieu n’a donc pas d’existence éternelle tout comme le Père, soutenait Arius. En tant que créature, il était sujet à des changements et capable, au moins en principe, de manifester soit le vice soit la vertu.
L’évêque principal d’Alexandrie, qui s’appelait Alexandre, ayant pris connaissance de ces vues sur le Logos, ou Fils de Dieu, enjoignit alors à Arius de cesser de les répandre, mais celui-ci, qui disposait d’un fort soutien, continua. La controverse devenait de plus en plus répandue et aiguë. Alors Alexandre réunit un concile d’une centaine d’évêques égyptiens qui déposa Arius et ses associés. Mais entre-temps, Arius avait fui en Palestine où il continua à gagner le soutien des uns et des autres. Appuyé par ceux-ci, il chercha à faire pression sur Alexandre pour être restauré dans son office de presbytre à Alexandrie, et une campagne de lettres écrites d’un côté et de l’autre s’ensuivit.
Alexandre soutenait que le Fils de Dieu est engendré éternellement, et non dans le temps, et qu’il provient de Dieu lui-même et pas de la non-existence : il est sans changement et parfait dans sa divinité. Mais Arius répondait que l’enseignement d’Alexandre impliquait deux dieux coexistant l’un à côté de l’autre. Que voulait dire exactement « être engendré »? Ou bien Dieu seul est éternel et tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, est « engendré » n’est pas de même essence que lui et ne peut donc prétendre à une divinité semblable, ou bien il y a plus qu’un Dieu, et nous sommes donc de nouveau dans le polythéisme, comme les païens, c’est-à-dire que nous croyons en l’existence de plusieurs dieux. Comme vous le voyez, c’est toute la question de l’enseignement sur l’être même de Dieu, en fait sur la Trinité, qui se posait avec acuité à l’Église et qu’il fallait trancher en recourant à l’Écriture sainte.
Voilà donc le nœud de la controverse arienne, qui allait forcer Constantin à convoquer un grand concile pour définir la foi de l’Église à cet égard.
5. Le Concile de Nicée en 325←⤒🔗
Beaucoup d’évêques ont pris position sur ce débat de manière très tranchée et polémique, que ce soit pour des raisons purement doctrinales ou pour des raisons de prestige personnel. Au début, l’empereur Constantin a tâché de jouer les conciliateurs en envoyant son conseiller personnel pour les affaires ecclésiastiques, l’évêque Hosius de Cordoue. Après sa visite en Égypte, celui-ci présida sur une assemblée d’évêques dans la ville d’Antioche, en Syrie, laquelle émit une déclaration sur cette question qui prenait le contrepied des affirmations d’Arius : elle insistait sur le fait que le Logos existe éternellement et qu’il n’a pas été fait; il est inchangeable. Encouragé, Constantin décida alors de convoquer un grand concile pour résoudre la question définitivement. Il appela donc tous les évêques de l’empire à se réunir dans la ville de Nicée, sur le détroit du Bosphore, au mois de mai de l’an 325. Il paya lui-même tous leurs frais de voyage, ce à quoi ils n’étaient pas habitués, car nombre d’entre eux avaient subi une persécution violente de la part des prédécesseurs de Constantin à peine 15 ans auparavant.
Quoi qu’il en soit, sur les 200 ou 300 évêques à s’être rendus à Nicée, la très grande majorité venait des provinces de l’est. Seuls six évêques venaient de l’ouest de l’empire. Un petit nombre, mené par Eusèbe de Nicomédie, représentait la position d’Arius pure et dure. Un autre groupe, lui aussi minoritaire, soutenait la position directement opposée, celle de l’évêque d’Alexandrie. Entre eux se trouvait le jeune Athanase, diacre de l’Église d’Alexandrie, appelé à succéder à Alexandre. La majorité soutenait la position traditionnelle des Églises de l’est : il y a un premier principe éternel et inchangé, Dieu, qui engendre un Fils lequel est son image, le Logos, et par cette image le premier principe divin appelle à l’existence un monde de créatures, tirées de la non-existence.
L’empereur Constantin présidait lui-même aux sessions du Concile. Peu après son ouverture, les ariens présentèrent une confession de foi qui fut rejetée par la majorité des participants. Le ton était donné. Plusieurs autres formules furent introduites et, en y ajoutant des expressions très significatives, on arriva peu à peu à la confession qui allait s’imposer comme le critère de l’orthodoxie, c’est-à-dire du contenu de la vraie foi : Jésus-Christ était appelé « vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, de la même essence que le Père ». Ces expressions excluaient absolument l’idée que le Logos est une créature, elles affirmaient qu’il est véritablement le Fils éternellement engendré de Dieu, et elles insistaient pour dire qu’il appartient au même ordre d’être que Dieu.
Pourtant, dès le début, certains avaient des doutes sur la formulation adoptée. En particulier, le mot grec « homoousios » — celui-là même qui signifie « de la même substance » ou « essence » — suscitait des questions. Voulait-il dire exactement de la même substance, ou bien d’une substance très similaire? La deuxième interprétation laissait naturellement la porte ouverte à une conception du Logos comme n’étant après tout pas pleinement divin, même si étant très proche de l’état divin. Et puis c’était un terme qu’on ne trouve pas dans la Bible. Les gens plus populaires auraient pu comprendre que le Logos était une sorte d’« extension », ou de « morceau » de la matière divine, et donc suggérer que Dieu lui-même est corporel, visible et changeable.
Il existait aussi une conception, nommée « monarchianisme » selon laquelle Dieu se manifeste tantôt comme Père, tantôt comme Fils, tantôt comme Saint-Esprit, au gré de sa volonté et de ses manifestations, mais sans qu’il puisse y avoir trois personnes divines de même essence coexistant éternellement. Les Églises de l’est surtout rejetaient très fortement le monarchianisme. Or là aussi, le mot « homoousios », en soulignant la similarité d’être entre Dieu et le Logos, sa Parole éternelle, aurait pu être compris comme niant la distinction des personnes divines.
En dépit de toutes ces réticences de la part de beaucoup, l’énorme majorité des évêques présents à Nicée signa cette confession, ce Credo, à l’exception de deux évêques. Mais après le concile, beaucoup tâchèrent d’en minimiser la portée et de le citer le moins possible. Si l’unité de l’Église et de la foi qu’elle confesse sortait officiellement renforcée du Concile de Nicée, en revanche bien des débats allaient encore avoir lieu sur la signification précise des termes employés. L’arianisme, du reste, subsisterait en Europe pendant quelque quatre siècles, notamment au sein des tribus germaniques.
Athanase, le successeur de l’évêque Alexandre d’Alexandrie, allait dédier sa vie à défendre la définition de Nicée contre vents et marées, au prix de cinq exils dramatiques en 50 ans de carrière. Pendant des années, il allait trouver refuge dans les monastères égyptiens où les moines lui étaient favorables. Constantin, lui, était décédé en l’an 337, s’étant fait baptiser sur son lit de mort par l’évêque Eusèbe de Nicomédie. À cette date, on peut dire que les tenants de la théologie traditionnelle de l’est, qui étaient réticents vis-à-vis de la formulation de Nicée, dominaient le paysage ecclésiastique et allaient recevoir le soutien des empereurs romains pendant une bonne cinquantaine d’années.
6. Le Concile de Constantinople en 381←⤒🔗
La confession de foi définie initialement dans la ville de Nicée est connue sous le nom de Symbole (c’est-à-dire credo, ou confession) de Nicée-Constantinople. La raison en est qu’un autre concile d’une très grande portée se tint dans la ville impériale de Constantinople en l’an 381, sous le règne de l’empereur Théodose, donc 56 ans après le Concile de Nicée. Son but était d’affirmer la pleine divinité du Saint-Esprit, qui était niée par le parti des Macédoniens. Auparavant, ceux-ci avaient aussi nié la divinité du Fils, mais s’étaient finalement ralliés à la confession de Nicée. Un Père de l’Église de la région de Cappadoce, Basile de Césarée, avait fortement milité par ses écrits pour cette reconnaissance de la divinité pleine et entière du Saint-Esprit. À Constantinople fut émise dans un symbole baptismal la déclaration selon laquelle le Saint-Esprit, qui règne et donne la vie — ou vivifie — est adoré et glorifié avec le Père et le Fils. Cette déclaration, acceptée par les 150 évêques présents à Constantinople, allait être employée de plus en plus fréquemment dans la liturgie et la formule de baptême; elle devint officielle lors d’un autre concile d’une importance majeure, celui de Chalcédoine, tenu en l’an 451.
En tout cas, à Constantinople, le parti arien avait définitivement perdu, malgré tout l’appui dont il avait bénéficié de la part de certains empereurs romains après Constantin. Cette défaite était le fruit du travail sans relâche de figures exceptionnelles de l’Église au 4e siècle, telles qu’Athanase, mort en l’an 373, Basile de Césarée, son jeune frère Grégoire de Nysse et leur compagnon cappadocien Grégoire de Nazianze. Par leurs écrits persuasifs et d’une grande pénétration, ils avaient réussi à rallier autour de la définition de Nicée la majorité de tous ceux qui été opposés à l’arianisme sans pourtant s’être mis d’accord sur une définition commune. De plus, dès l’an 380, l’empereur d’orient Théodose et son collègue d’occident Gratien avaient promulgué un édit décrétant que tous les peuples de l’empire devaient désormais pratiquer la religion professée par l’évêque de Rome et celui d’Alexandrie, c’est-à-dire le christianisme confessant l’unique divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le christianisme issu de Nicée était donc devenu la religion officielle de l’Empire romain, quelque 67 ans après l’édit de Milan, qui lui avait simplement donné un droit d’existence à côté des religions païennes traditionnelles en cours dans l’Empire romain.
7. Un seul Dieu en trois personnes←⤒🔗
Ce qu’il faut retenir de ces controverses théologiques du 4e siècle, c’est qu’elles ont contribué de manière cruciale à clarifier et exprimer la foi chrétienne en un seul Dieu distingué en trois personnes au statut divin égal, et non en trois dieux associés l’un à l’autre, ou encore un seul Dieu ayant deux agents subalternes, le Fils et le Saint-Esprit. Les trois personnes divines existent ensemble éternellement dans un rapport d’amour et de parfaite harmonie. Elles contribuent à tous les actes de la création, de la providence et du salut, de manière à la fois distincte, mais jamais indépendante l’une par rapport à l’autre. Il n’y a pas un principe divin qui se manifeste tantôt comme Père, tantôt comme Fils, tantôt comme Saint-Esprit, selon les nécessités du moment, ni trois personnes qui possèdent chacune un tiers de divinité seulement, mais une parfaite unité des trois personnes dans une seule et même essence divine.
Voilà donc le Dieu qu’adorent les chrétiens, et qu’ils retrouvent sur les pages de sa révélation spéciale, qui est la Bible. C’est de ce Dieu-là, et pas d’un autre, que les pères de l’Église du 4e siècle ont voulu rendre compte en lisant la Bible attentivement et avec le plus grand respect. L’héritage qu’ils ont légué à l’Église à travers les siècles demeure vivant aujourd’hui encore et définit toujours le vrai contenu de la foi chrétienne, lorsqu’on cherche à le mesurer à l’aune de l’Écriture sainte.