Notes sur la piété biblique
Notes sur la piété biblique
- Une sainte piété vécue devant Dieu
- Doctrine et piété
- Quel sens a la piété?
- Théologie de la piété
- Cultiver la vie spirituelle
1. Une sainte piété vécue devant Dieu⤒🔗
Pour Abraham Kuyper, penseur et auteur néerlandais du début du 20e siècle, homme d’État et homme d’Église, théologien, fondateur de l’Université libre d’Amsterdam, il advient que celui qui cherche Dieu est très souvent tenté, même à son insu, de dépasser les limites que Dieu a fixées et cherche à forer irrespectueusement l’entrée jusqu’à l’être même de Dieu. Ce faisant, il ignore la majesté divine et sous-estime l’honneur qui lui est dû.
Toutefois, précise le chrétien Kuyper, ce danger ne devrait nullement décourager les sentiments d’adoration portés vers Dieu. S’il use de discernement spirituel, son imagination alerte pourra exprimer, dans des formes riches et variées, la louange de Dieu le Père en Jésus-Christ1.
Écoutons encore son avertissement. Le simple « penser » n’est pas l’équivalent de « méditer ». En matière de foi, l’intellectualisme peut réussir à produire des cristaux de glace merveilleusement taillés et finement ciselés, d’une transparence qui dépasse toute idée de pureté et de clarté; mais la couche de glace qui couvre le lit du ruisseau empêche, hélas!, l’eau vive de donner libre cours à son jaillissement impétueux et finit par en faire tarir jusqu’à la source.
La théorie et la doctrine chrétiennes offriront d’incalculables avantages à l’édification de la foi. Cependant, la religion entendue comme « piété », celle qui émane du cœur de la foi, sera insuffisante en vigueur et en fraîcheur si l’ardeur des sentiments en est absente. Mais nul besoin qu’il en soit ainsi. Les Pères de l’Église, qui nous ont laissé tant d’évidences de leur virile argumentation logique et théologique en matière de foi et de la défense de celle-ci, ont également et sans cesse animé leurs discours et irrigué leur théologie d’une ardente mystique chrétienne.
La pensée contemplative, les réflexions et les méditations au sujet de la proximité et de l’intimité de Dieu sont les indispensables correctifs d’un intellectualisme qui peut s’égarer dans le terrain aride d’une raison dépourvue d’âme. Elles nous arrachent à l’abstraction et à la stérilité tant en matière de doctrine que de vie. Elles nous ramènent vers la source vive, vers les torrents d’eaux fraîches et nous replongent dans leurs flots vivifiants. Seul celui qui s’approchera de tels flots et se laissera emporter par le courant impétueux et puissant de la piété biblique connaîtra la communion avec le Dieu vivant. Il sera à l’abri de toute menace d’aridité spirituelle. Dans sa vie personnelle comme dans celle de son foyer, parmi ses compagnons ou dans le monde, sa piété sera communicative, de telle sorte qu’il inspirera le respect même à ceux qui méprisent la vie en Dieu, si ce n’est Dieu en personne.
A. Kuyper a été l’un des maîtres les plus éminents de l’époque contemporaine, aussi bien dans l’activité théologique que dans l’élaboration d’une pensée fidèle à la révélation. Il est aussi d’une portée pratique tout à fait actuelle, jusque dans les moindres détails de la vie ordinaire. À ceux qui, par ignorance, s’imaginent qu’orthodoxie et orthopraxie sont des attitudes dissociées — si ce n’est en conflit —, A. Kuyper apporte un vigoureux démenti et démontre l’indissolubilité totale de ces deux réalités. Qu’on lise le fort et beau volume récemment traduit en anglais : Être présent devant Dieu. Kuyper, comme Calvin avant lui, nous aide à découvrir les sources des eaux vives de la piété biblique et chrétienne. Combien inutile et dangereux est, pour les croyants, de vagabonder en terre étrangère et peu sûre; de quêter sur les sols et contrées infestées de parasites, sur des continents spirituels au climat malsain, alors que les composantes d’une authentique spiritualité se trouvent pourtant tout près de nous.
Le mot de piété est actuellement honni dans certains cercles de l’Église. Sans doute, les excès des mouvements piétistes issus du protestantisme en sont en partie responsables. Rien n’empêche, cependant, d’en redécouvrir le sens biblique. Les remarques qui suivent voudraient apporter leur contribution à cet effort. Elles veulent surtout rappeler et souligner le lien intime, le rapport organique qui existe entre la piété chrétienne et la doctrine biblique. Le Nouveau Testament, nous rappelle Donald Bloesch, parle à la fois de saine doctrine et de peuple saint! La redécouverte de ce lien et le maintien de cet équilibre entre les deux éviteront au peuple de Dieu d’échouer sur les écueils d’un légalisme aride ou de faire naufrage dans les sables mouvants d’un spiritualisme irraisonné!
Selon S. Vander Linde, la piété virile a caractérisé depuis toujours le protestantisme réformé. À tel point que les traits les plus sensibles et même les plus vulnérables, qui distinguent les fidèles réformés d’autres spiritualités, ne sont pas en tout premier lieu la doctrine comme telle ni même l’éthique, mais plus simplement la manière de vivre nouvelle, le nouveau style de vie de ces chrétiens sous le regard de Dieu. Cette manière découle directement d’une doctrine correcte et d’une éthique biblique. Dès lors, on comprend l’importance capitale que la personne et l’œuvre du Saint-Esprit tiennent dans la théologie de Jean Calvin, au point que le grand réformateur a été appelé à juste titre le théologien par excellence du Saint-Esprit2. Ici, la doctrine biblique comme telle ne constitue pas une fin en soi.
Cela nous autorise à déclarer que, sur un tel terrain, il n’est plus permis de parler d’orthodoxie morte! Le rôle de la doctrine, correctement comprise et enseignée, consistera précisément à placer le croyant sous le regard de Dieu et de le faire vivre sola fide, coram Deo, c’est-à-dire vivre devant Dieu par la foi seule. Un enseignement biblique correct et solide permet de comprendre et d’exposer toute la réalité et toute la richesse du salut; il explique également comment il opère et la manière de se l’approprier personnellement. Si donc la doctrine est véritablement orthodoxe, elle ne faillira pas à sa tâche, qui est la recherche de la communion avec Dieu.
L’étymologie même du mot orthodoxe ne donne-t-elle pas la visée de celle-ci? « Orthos doxein » signifie louer Dieu correctement, ce qui devrait être le synonyme même de la piété chrétienne. Néanmoins, si l’orthodoxie ne restait qu’enseignement, elle court le risque de s’occuper surtout de vétilles et de laisser le fidèle dans un ennui mortel. Toutefois, on sait qu’il ne peut exister de distinction entre l’enseignement de l’Église fidèle au mandat apostolique et à la saine tradition et la vie dans la prière, l’adoration, les œuvres bonnes et la conduite qu’ordinairement l’on nomme la vie pieuse. Le divorce qui existe entre les deux dans le christianisme moderne est plus que troublant; il annonce la disparition d’une vie vécue sous le regard de Dieu et d’une foi active dans ces Églises qui ont perdu la force de la piété parce qu’elles l’ont déjà complètement reniée. Ici et là, c’est la paille sèche qui sert d’enseignement; ailleurs, ce sont quelques étincelles qui passent pour être le feu et la lumière allumée par l’Esprit…
Le protestantisme réformé, pour ne parler que de lui, a cherché à honorer ce qui fait le cœur de la foi et à faire fonctionner ce qui le fait battre avec un rythme régulier en prenant soin d’irriguer les artères par l’influx d’un sang régénéré; en un mot, en soulignant l’importance d’une piété biblique, vivante et communicative.
Selon Ernst Troeltsch, le calvinisme a cherché la création d’une sainte communauté3. Il s’est occupé et préoccupé de la formation d’une communauté de gens rachetée par Dieu et purifiée de toute iniquité, zélée en toute bonne œuvre, pour en faire la propriété de son Seigneur et Libérateur (Tt 2.14).
Cette vigueur et cette authenticité des Églises issues de la Réforme atteignirent d’autres familles chrétiennes, y compris les catholiques romains.
Dans son livre Jean Calvin, l’homme que Dieu a dompté, le regretté doyen Jean Cadier écrivait voici quelques années :
« On a pu comparer la révolution que Calvin a suscitée dans le domaine de la piété à celle que, à cette même époque, Copernic a suscitée dans le domaine de la cosmologie. […] La conception sur le cosmos en a été changée. Calvin a enlevé à la piété de l’époque son centre habituel, qui était l’âme, ses sentiments, ses besoins, ses effusions, et lui a donné son véritable centre, c’est-à-dire Dieu. […] La véritable religion consiste à adorer Dieu et à le servir. »
Dès les premiers mots de son Catéchisme de 1542, Calvin déclarait :
« Dieu nous a créés et nous a mis au monde pour être glorifié en nous. Il est bien raisonnable que, puisqu’il est l’auteur et le principe de notre vie, nous la rapportions toute à sa gloire. »
À partir d’ici, Donald Bloesch nous guidera en grande partie dans nos remarques consacrées à la piété biblique et chrétienne.
2. Doctrine et piété←⤒🔗
Établissons pour commencer le lien entre ces deux aspects de la foi que sont la doctrine et la piété. Souligner le rôle de la piété chrétienne, en réclamer le renouveau sans penser et repenser simultanément à la théologie qui la sous-tend, rendrait tout discours à ce sujet inefficace et toute entreprise de renouveau une action avortée, car les deux sont liées comme mari et femme, et malheur à celui ou à ceux qui prétendraient les séparer.
Actuellement, ils sont, hélas!, légion, aussi bien du côté d’une certaine théologie libérale que de celui des monopolisateurs du Saint-Esprit. Il y a, depuis toujours, ceux qui cherchent à séparer ce que Dieu a uni depuis les origines.
En dehors de la fidélité doctrinale, on ne peut pas cultiver la véritable piété ni même, à la longue, en maintenir un semblant. La pratique pieuse divorcée de la sainte doctrine dégénérera toujours en moralisme légaliste. Inversement, une doctrine correcte qui rompt avec l’ardeur de l’attachement au Dieu de son salut aboutit à l’intellectualisme aride contre lequel A. Kuyper nous mettait en garde.
À une époque où l’on croit devoir souligner le vécu aux dépens de ce qui doit être cru, il nous faut rappeler et même insister avec vigueur sur l’unité indissoluble de ces deux aspects de la vie chrétienne et de leur indispensable harmonie en vue d’une confession de foi ferme et joyeuse.
Selon Pascal — et bien que cette phrase puisse se prêter à une interprétation discutable —, on ne peut connaître la vérité à moins de s’engager pour elle. La doctrine restera lettre morte sans l’engagement intérieur de la foi de la personne tout entière. Inversement, prenons garde à ne pas assimiler la piété biblique à n’importe quelle forme de spiritualisme et d’ascétisme ancien ou moderne. N’est pas nécessairement piété biblique tout ce qui se pare d’une auréole spiritualiste et mystique! Bien au contraire, la plupart du temps, ce genre de spiritualisme baigne dans un tel subjectivisme qu’il finit par exister complètement détaché de l’objet même de sa foi.
L’introspection maladive et l’exploration dans les gouffres du moi sont des attitudes névrotiques et obsessionnelles, propres à un mysticisme syncrétiste. Elles n’ont pas plus de parenté avec la spiritualité biblique que l’astrologie avec l’astronomie ou que la science-fiction avec l’exploration réelle de l’espace sidéral.
L’attachement profond et tendre envers la personne de Jésus-Christ, une repentance humble, la reconnaissance quotidienne des fautes, la consécration renouvelée à la volonté de Dieu, voilà des traits authentifiants de la piété biblique.
Plus on est conscient de la proximité de Dieu et plus on aspire à sa communion, plus le discernement du bien et du mal se développera et aiguisera les facultés critiques du fidèle. Il sera en mesure d’examiner toutes choses à la lumière de la Parole rendue vivante par l’opération de l’Esprit de vie et de vérité.
L’expérience religieuse n’est jamais source ou norme régulatrice de la théologie. Elle n’est que le canal à travers lequel le message chrétien est transmis et communiqué. Nul ne devrait discourir sur la piété sans s’être placé auparavant face à la croix, et avoir compris, par la foi don de la grâce, que la mort du Sauveur est la conséquence de nos fautes et l’offrande de sa personne, l’expiation de nos péchés. L’Écriture, véhicule de l’Évangile, est la source unique de la piété chrétienne.
Nous ne récuserons pas d’autres textes spirituels qui, à l’occasion, pourraient nous enrichir par des éléments de spiritualité vraiment insoupçonnés. Néanmoins, ils n’y parviendront qu’à condition de s’accorder et de se conformer avec le livre de la révélation, afin de confirmer indirectement notre foi en la révélation et la connaissance du salut.
La piété biblique est consciente de ses propres limites. Elle est humble par essence, puisqu’elle est « crainte du Seigneur ». Elle indique constamment une voie au-delà du monde, voire au-delà d’elle-même, car elle vit de son objet et pour celui-ci.
Cependant, une piété bien équilibrée ne saurait pas se satisfaire de pure « objectivité ». La piété biblique est en rapport avec celui qui accorde la foi. Elle est également, et dans la même proportion, en rapport avec le sujet qui en vit. Rendre gloire à Dieu et se préoccuper de son salut « avec crainte et tremblement » (Ap 14.7; Ph 2.12) en sont les deux pôles.
Sur la croix du Christ, la rédemption fut achevée et notre salut acquis. C’est ici que la piété biblique prend naissance et s’enracine profondément dans la pratique chrétienne. À partir d’ici, elle se charge aussi de sa croix et la porte jour après jour. La crainte du Dieu vivant et notre confiance en lui, ainsi que notre approche aux sources spirituelles de la foi et de la piété dans notre recherche pour imiter le Sauveur, nous rendront la proximité de Dieu une réalité tangible dont nous ferons chaque jour l’indicible expérience.
3. Quel sens a la piété?←⤒🔗
Dans le cadre chrétien, la piété n’est rien d’autre, ou de plus, qu’un sentiment de dévotion, d’amour et de respect à l’égard de Dieu : notre consécration au Dieu révélé en Jésus-Christ. Le mot nous vient du latin « pius ». À l’origine, il possède à peu près le même sens : le soin porté par des êtres créés aux devoirs et obligations envers leur Dieu. La piété implique également le monde organisé et un style de vie chrétien, la voie par laquelle on cherche à lui donner une expression totale, qui affecte tous les secteurs de la vie et des activités courantes. Fondée en l’Écriture sainte, elle sera caractérisée par la crainte respectueuse qu’il inspire et le zèle intérieur vers ce Dieu saint. Une piété évoluant exclusivement autour d’un Jésus copain et détachée du Jésus-Christ Dieu et homme n’a rien de chrétien.
Selon Calvin, la vraie piété consiste dans le zèle pur et véritable du croyant qui aime Dieu comme Père, le vénère comme Seigneur, accepte sa justice et tremble à l’idée de sa propre mort. La piété est la synthèse de l’amour ressenti pour Dieu et la sainte crainte qu’il inspire4.
La théologie réformée a distingué avec raison la piété d’un moralisme étriqué. Le moralisme cherche à se rendre digne du salut, à le mériter. La piété biblique, elle, est animée par la conviction du cœur et de la conscience de sa propre indignité devant Dieu. Elle se confie en sa miséricorde infinie. Elle se fonde et s’appuie sur la foi, dont elle est le fruit. Chez le réformateur français, elle possède encore un autre aspect, à savoir la sainteté chrétienne, cette « perfection » à laquelle le Christ appelle ses disciples. Dans cette optique, le fidèle ne mérite pas la grâce, bien que sa piété la confirme. Elle est ainsi en mesure de porter sa croix.
Si la piété signifie crainte de Dieu au sens biblique du terme (à la fois dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament), son renouveau requiert une nouvelle conscience de la transcendance et de la sainteté de Dieu.
Ainsi, un certain type de familiarité avec lui peut friser le blasphème parce qu’elle risque de prendre le nom de Dieu en vain. Elle risque alors d’ébranler les assises de la véritable piété et d’ensevelir sous ses décombres spiritualistes même toute velléité d’adorer le Dieu trois fois saint.
En effet, qui songerait à se confier à Dieu — et a fortiori à le craindre — si ce Dieu n’est que le « Dieu qui souffre » et qui « comprend », cher à tant de nos contemporains? Quelle confiance accorder à un amour de Dieu qui serait divorcé de sa justice et de son jugement sur toute iniquité?
La sainteté de Dieu ne sera saisie de manière correcte qu’à la lumière de l’abaissement du Fils et de la mort du Sauveur. La mort du Fils de Dieu sur la croix rend témoignage à la juste colère divine contre le péché et la rébellion des hommes, mais aussi à son amour envers le pécheur. Il est important de redéfinir notre langage sur le jugement et la condamnation. Personne ne travaillerait « avec crainte et tremblement » à son salut s’il ne se voyait pas menacé par le juste et saint courroux de Dieu.
Nous devons reconnaître ouvertement que jadis un certain langage chrétien fut, sur ce sujet, indigne de la pensée biblique. Mais ceci ne nous dispense pas de l’obligation de devenir des porte-parole de la justice de Dieu et d’annoncer l’imminence de son jugement à la lumière de la voix du Sauveur.
Nous ne soulignerons jamais assez l’importance vitale de la prière-requête, voire d’une ardente et pathétique supplication. Si le fidèle est, comme le rappela très justement Martin Luther, « simul justus et peccator », à la fois juste et pécheur, l’homme pieux s’approchera du trône de Dieu comme celui qui, par la foi, l’implore et s’attend à lui. La prière verbale n’exclut pas la légitime place de la prière mentale. Mais cette dernière n’est pas supérieure à l’autre.
Enfin, nous soulignerons le rôle décisif — si l’on peut s’exprimer ainsi — d’une vie chrétienne « vécue » pour le salut. L’engagement chrétien n’aura de sens que s’il est intégré et en rapport avec la justification et la sanctification. Car la vie vécue est tout autre chose que le produit secondaire, le simple signe de la rédemption. Elle devra devenir, par la foi, l’appropriation personnelle du salut achevé et acquis.
Tout réductionnisme, tel le « salut objectif en Christ » des théologiens modernes, ou le salut subjectif des spiritualistes du pôle opposé, est une aliénation pure et simple par rapport à la foi biblique. Il nous appartient d’œuvrer à notre salut — et nous y avons suffisamment insisté — avec crainte et tremblement. Sans la persévérance dans la foi, le salut nous échappe. L’homme pieux cherche d’abord le Royaume et la gloire de Dieu. Mais aussi, et d’une manière profonde, il s’engage dans l’œuvre du salut. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Dieu ne se glorifie nulle part mieux que dans l’œuvre de la rédemption qu’il offre au pécheur repentant. Chacun de ses enfants aura à travailler sous la croix du Christ (2 Co 9.13).
Sa gloire est intimement liée au salut de ses élus. Le renouveau de la piété ne réside pas en une nouvelle compréhension de la théologie en soi, mais en l’effusion du Saint-Esprit. Certains spiritualistes modernes ont raison de nous rappeler le rôle essentiel du Saint-Esprit, bien que, malheureusement, ils se trompent lourdement à ce sujet, pour s’aliéner finalement de toute piété biblique de l’Esprit Saint. Ainsi, ils distingueront deux étapes dans la vie chrétienne : la première, inférieure, qui serait celle de la conversion, et la deuxième, supérieure, qui serait celle de la plénitude de l’Esprit…
4. Théologie de la piété←⤒🔗
La théologie de la piété, comme toute théologie biblique et chrétienne, prend son départ dans la doctrine de la justification du pécheur et du pardon gratuit, obtenus par la foi seule, en la mort expiatoire du Christ Sauveur et Médiateur. Elle évitera le danger du pharisaïsme et du légalisme moraliste. Christ nous acquit la justice de Dieu, tandis que nous étions encore des pécheurs. Mais il est aussi devenu pour nous sanctification, et il veut nous sanctifier par l’opération de son Esprit. Nous ne sommes pas sanctifiés automatiquement lors de notre baptême et de notre conversion, mais nous devons progresser toujours. La perfection évangélique réside à demeurer en Christ. Dans la vie chrétienne, il n’y a pas que de simples facettes, ainsi qu’on aime à le penser dans certains milieux; mais encore et davantage un processus, un développement réel, un progrès qui devrait devenir visible.
La vie chrétienne tient un rôle décisif dans le plan divin du salut, bien qu’elle n’en soit ni le fondement ni la source. Elle est le champ dans lequel le salut nous est acquis et sans cesse redécouvert. Nous ne sommes pas justifiés à cause de notre vie chrétienne, mais nous sommes sanctifiés à travers elle. La théologie de la piété nous rappellera le prix de notre « suivance » du Christ, pour employer un néologisme théologique. Elle nous rappelle aussi le prix que la grâce a coûté à Dieu, et si la grâce est gratuite, elle exige de notre part la lutte contre le péché et la recherche constante de notre sainteté dans notre comportement (1 Pi 1.15).
Le salut acquis une fois pour toutes et la persévérance sous la croix, dans la foi, nous engagent dans un long combat qui ne se terminera que lorsque nous serons entrés dans la gloire.
Notre théologie de la piété nous permettra de baliser notre route et d’y marquer les points où il doit y avoir une séparation d’avec le monde. Nous en sommes, sans en être! (Jn 17.11-14). Une telle séparation soulignera la priorité de la prière, même si les tâches concrètes et la foule qui nous environne font pression sur nous (voir Lc 5.15-16).
En dernière analyse, aucune vie, aussi sainte soit-elle, n’apportera à l’homme l’assurance du pardon comme le fait la proclamation de la Parole. Confrontés au message du salut par la foi, nous nous convertissons au Seigneur. La Parole apporte la puissance nécessaire pour mener une vie de consécration. Certes, la foi sans les œuvres reste morte, ce qui revient à dire que notre prédication n’est effective que si elle nous amène à l’obéissance. La foi et la piété fleuriront là où la proclamation de la Parole est fidèle et l’écoute de l’Évangile sincère.
Une vie de sainteté au milieu du monde et la piété vécue au milieu de l’épreuve et de la souffrance, comme une folie aux yeux des hommes, sont les dons de Dieu. Aussi, il a dû nous équiper et nous armer de toutes les armes de l’Esprit.
5. Cultiver la vie spirituelle←⤒🔗
Les renouveaux spirituels dont nous sommes témoins sont souvent orientés exclusivement vers les engagements sociopolitiques et parfois même, hélas!, vers des actions violentes et meurtrières. Le mot « engagement » est devenu pour nombre de « nouveaux chrétiens » le « schibboleth », le mot de passe dans cette nouvelle non-église. Ces chrétiens modernes cultivent, entretiennent, développent et font fructifier leur mauvaise conscience afin de pouvoir s’offrir, quand même par la suite, une bonne conscience!
Nous aimerions souligner un aspect négligé de l’engagement chrétien, c’est-à-dire la vie spirituelle. Sans l’exercice de celle-ci, que l’on perd facilement de vue dans des discussions oiseuses et interminables au sujet de ce qui est sacré et de ce qui est profane, on assiste à la paupérisation de la foi et de l’Église. Le protestantisme libéral en est actuellement affligé. Il est devenu le laboratoire où l’on cultive les indisciplines organisées et où prospèrent les déliquescences dogmatico-morales. La pauvreté de notre hymnologie témoigne de manière dramatique de cette indigence doctrinale, source de sous-alimentation spirituelle.
La grâce bon marché, rappelait Dietrich Bonhoeffer, est devenue la maladie ecclésiastique du protestantisme moderne.
Les réformateurs ont critiqué certes violemment une conception et des pratiques spirituelles sans fondement ni justification biblique. À leur époque, ils devaient le rappeler et surtout proclamer la justification par la foi seule. Cependant, ils n’ont nullement banni de la vie de l’Église l’idée de la piété et sa pratique. Calvin notamment a cherché un équilibre harmonieux entre la justification par la foi et le développement de la vie spirituelle.
Jean-Daniel Benoit, calvinien si non calviniste, l’écrit bien dans son Calvin, directeur d’âmes :
« La vie de la foi a besoin d’être entretenue, comme toute vie, sous peine de s’étioler et de mourir. C’est le rôle des exercices spirituels de maintenir et de développer cette vie, il n’est pas directeur qui ne conseille certaines pratiques, une certaine hygiène d’âme, j’allais dire une certaine gymnastique spirituelle. Il y a là une nécessité due à notre infirmité; ce sont des béquilles, si l’on veut, mais des béquilles dont nous ne pouvons nous passer, n’ayant point encore les ailes de la colombe pour nous élever, d’un seul élan vainqueur, sur les hautes cimes de la foi. Cette nécessité due à notre faiblesse l’est aussi à notre nature : nous ne sommes pas de purs esprits, nous sommes des êtres de chair et de sang; si nous avons une âme, nous ne saurions oublier notre corps. […] Calvin n’a pas méconnu cette incidence de l’extérieur sur l’intérieur, il sait, par exemple, que l’on ne saurait être allègre à prier. Ainsi, Calvin peut-il écrire : “Si nous avons besoin d’être tout le cours de notre vie enseignés en la doctrine de l’Évangile, encore qu’il n’y eût mille contradictions pour nous débaucher, la nécessité est aujourd’hui d’autant plus grande que, si nous n’appliquons pas soigneusement toutes les aides que Dieu nous offre pour nous confirmer en sa pure vérité, le diable a des moyens infinis pour nous débaucher. Or, nous ne pouvons lui résister sans nous exercer continuellement tant à lire qu’à écouter.”5 »
Aussi bien le grand réformateur que ses successeurs insistèrent sur la nécessité de cultiver la vie spirituelle, et indiquèrent les moyens bibliques propres à celle-ci.
Concluons enfin ces remarques par notre certitude que la Parole vivifiée par l’Esprit, des motivations saintes, l’amour reconnaissant envers Dieu, l’humble et patiente recherche des effets du salut, la repentance dans la foi pour des péchés personnels et collectifs et notre retour constant à l’Écriture sainte seront les moyens et les signes essentiels, l’expression authentique d’une piété pratiquée pour l’honneur et la gloire de notre Dieu Rédempteur.
Notes
1. A. Kuyper, Être présent devant Dieu, commentaire du Psaume 73.
2. S. Vander Linde, Het gereformeerd protestantisme, p. 5.
3. Ernst Troelsch, The Social Teaching of the Christian Churches, vol. 2, parag. 718.
4. Jean Calvin, Institution, 1,41,1.
5. Jean-Daniel Benoit, Calvin directeur d’âme, pages 161-163.