La parousie
La parousie
- Une espérance bienheureuse
- Le vocabulaire
- Les signes
- Le mode de l’apparition de Jésus
- Enlèvement de l’Église?
- Retard de la parousie?
- Conclusion
1. Une espérance bienheureuse⤒🔗
Jésus-Christ revient! C’est là une certitude attestée par l’ensemble du témoignage chrétien et que, dans la foi dans le Sauveur, confesse son Église universelle. Il revient en sa qualité de Fils de Dieu et de Sauveur qui, au prix de son sacrifice, accéda dans son corps ressuscité à la gloire céleste. Depuis son ascension, il exerce au ciel son ministère d’intercession en faveur des siens. Il protège son Église, nous console par son Esprit et sa Parole et fait même déborder nos cœurs de joie du fait que, déclaré Seigneur universel, il met en déroute les forces de l’Adversaire.
Son Église fidèle, son épouse, l’attend des cieux; il reviendra pour la récompenser de sa fidélité et l’associer à son règne et à sa gloire.
La parousie, le retour physique et visible de Jésus-Christ, constitue le pivot principal de l’espérance eschatologique du Nouveau Testament. Elle fonde son espérance bienheureuse (Tt 2.13). Il apparaîtra dans les nuées, avec puissance, dans le même corps qu’on l’a vu monter au ciel, dans toute sa gloire (Mt 24.30; 26.64, Mc 13.25; 14.62; Lc 21.27).
Le Nouveau Testament ne parle jamais de la parousie comme d’un événement futur et spectaculaire, qui serait en quelque sorte totalement dissocié de la vie quotidienne des élus de Dieu et sans aucun rapport avec leur marche dans la foi et leur espérance constante. Il suffit d’examiner le passage déjà cité de Tite 2.13. C’est ici qu’apparaît l’expression biblique familière « d’espérance bienheureuse ». L’apôtre associe alors celle-ci à la sanctification. Il avait procédé de la même manière quand il décrivait la résurrection des fidèles (1 Co 15.58). C’est dans son habitude que d’associer la doctrine à la pratique, la foi à la conduite et l’espérance à l’œuvre de la charité. À cet endroit, il souligne l’importance de la famille en rapport avec l’espérance de l’avènement futur du Seigneur. Tite devra exhorter les adultes à mener une vie de tempérance, les femmes âgées à être respectables et les jeunes gens à exercer une discipline sur leur personne, Tite devant leur servir de modèle. Les serviteurs sont exhortés à se soumettre, à montrer des dispositions agréables et à être au-dessus de tout soupçon.
Que les femmes âgées soient en mesure d’instruire les plus jeunes à aimer leurs époux et leurs enfants, à se contrôler, à demeurer chastes, attachées à leurs foyers, aimables et soumises à leurs époux. Cette conduite sera motivée par la Parole de Dieu et la saine et sainte doctrine, afin que les ennemis de Dieu soient confondus. Le Saint-Esprit et la sanctification qu’il opère ne laissent aucune tranche d’âge, aucun type de personne ni aucune classe sociale chrétienne en dehors de son rayon d’action. Tous sont invités à se placer sur la voie de la sanctification. La grâce de Dieu s’est manifestée. En Christ, elle a pénétré le domaine des ténèbres et elle les balaie définitivement pour éclairer avec la lumière de la connaissance divine les recoins les plus éloignés de la pensée et de l’œuvre de l’homme naturel. Ici, on cueillera ses fruits que sont la joie, la paix et la sainteté qui tous attestent le salut achevé. L’apôtre, en grand pédagogue qu’il est, invite son ami, et par son intermédiaire ses futurs lecteurs, à crucifier les convoitises et les passions charnelles afin de mener une vie de piété. Ainsi, il oriente la foi vers l’espérance, celle qui attend l’avènement de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, lequel purifiera son peuple de toute iniquité et le rendra apte à toute bonne œuvre. Il recommande à Tite de se conduire de manière à ce que nul ne le méprise.
On voit bien qu’il n’y a ici aucune trace de spéculation à propos du retour du Christ, aucun développement « théorique » abstrait de cette importante doctrine, mais au contraire le constant rappel d’une espérance qui est véritablement bienheureuse. Avec patience et même ardeur, le fidèle peut se sanctifier et espérer. Bienheureuse, cette espérance le fait dès ici-bas goûter à la félicité à venir.
D’autres passages du Nouveau Testament parlent de cette même espérance avec des accents identiques et une certitude et une joie qui égalent celles d’ici, à cause de son inébranlable fondement (1 Tm 1.1-2; Hé 6.16-20), de son auteur (Rm 15.13), de son objet merveilleux et de ses effets précieux (1 Th 1.3), pour l’audace qu’elle inspire au discours du disciple (2 Co 3.12), pour la purification de la vie (1 Jn 3.3) et pour son caractère de permanence éternelle (1 Co 13.13).
Cette attente du retour du Christ prépare le chrétien à une intense vie de communion. Il sait que ce retour sera glorieux, et à aucun prix il ne voudrait le manquer, ni par une conduite négligente ni par des incartades hors des sentiers de la sanctification.
Il est rempli de gratitude et prêt à accueillir encore mieux la grâce. Quand il se souvient de quelle manière le Christ a transformé son existence afin de faire de lui, pécheur misérable, une créature semblable à lui pour l’accueillir en sa présence dans son Royaume éternel de lumière, le disciple fidèle se réjouit et sa gratitude est infinie.
Cette même note de gratitude et de joie est présente sur les pages des Évangiles. La certitude du retour du Maître y est attestée aussi clairement qu’ailleurs. Le Fils de l’homme reviendra avec ses anges dans la gloire de son Père (Mt 16.27; Mc 14.62). Jésus recommande à ses auditeurs de l’attendre dans la vigilance (Mt 24.42; Lc 12.40). Il parle de la béatitude qui attend le serviteur fidèle et vigilant (Lc 12.37, 43). Dans son discours d’adieux (Jn 14.3), il annonce que, s’il quitte les disciples et la terre, c’est pour y revenir bientôt.
Le livre des Actes des apôtres ne reste pas en arrière de cette attente. Dès la première page, le retour est annoncé (Ac 1.11). Dans son discours devant l’aréopage, saint Paul y rend témoignage (Ac 17.31). Toutes ses épîtres résonnent de la même note de certitude joyeuse. Il est proche (Ph 4.5). Il met les Corinthiens en garde contre tout jugement intempestif avant l’apparition du Seigneur (1 Co 4.5). Car même la création inanimée participe au grand désir et à l’attente de ce retour (Rm 8.19).
Les lettres dites « catholiques » portent les mêmes accents de joie et de reconnaissance, de certitude surtout. Hébreux 9.28 souligne cette dernière. Jacques invite à la fermeté dans l’attente proche du retour du Seigneur (Jc 5.8). Pierre écrit au sujet à la fois de sa certitude et de son incertitude, quant à l’heure précise de cet avènement (1 Pi 5.4; 2 Pi 3.10).
Jean exhorte ses lecteurs à demeurer en Christ, afin que lors de son apparition on ne soit pas confus (1 Jn 2.28). Alors, rassure-t-il ses lecteurs, nous serons semblables à lui (1 Jn 3.2).
C’est dans le dernier livre du canon biblique que nous trouverons l’accent le plus fort et le plus jubilant. Dès la première page, nous en lisons l’énoncé (Ap 1.7). Jésus promet son retour (Ap 3.11). Ce livre conclut sur une note de patiente attente et de prière fervente : « Viens Seigneur Jésus! » (Ap 22.20).
2. Le vocabulaire←⤒🔗
Divers termes du Nouveau Testament désignent le retour du Christ.
Parousie est l’un d’entre eux. En général, l’original grec signifie présence. Cependant, dans nombre de passages, il désigne l’avènement. Ainsi, à la question des disciples « Quel sera le signe de ta parousie? » (Mt 24.3), Jésus fait comprendre que celle-ci sera son avènement futur. Les versets 37 et 39 du même chapitre mettent l’accent sur la soudaineté de l’événement. Traduire « parousie » simplement par présence ne rend pas justice à la riche variété du terme (Mt 24.27; 1 Co 15.23; 1 Th 3.13; 4.15; 2 Th 2.8; 2 Pi 3.4). Nous retiendrons donc le sens parfaitement justifiable d’avènement, sans toutefois négliger celui de présence.
D’autres termes tels que révélation, manifestation reviennent aussi à ce propos. Ainsi, 2 Pierre 3.4 met en évidence le retour physique et visible du Christ. Révélation (apocalypsis) et manifestation (phanérosis) sont des termes qui, dans le Nouveau Testament, annoncent un événement futur, comme le fait « parousie ».
Rien ne nous autorise à penser que l’expression « le jour où le Fils de l’homme sera révélé » puisse renfermer un autre sens que celui de sa manifestation physique. L’expression « jour du Seigneur » ou bien « fin des temps » désigne également le même avènement à venir. Dans 1 Corinthiens 1.7-8, nous avons trois termes eschatologiques attente, manifestation, jour du Seigneur. Ces termes sont en rapport avec l’avènement Christ à la fin (télos). Par conséquent, le retour du Christ est considéré comme le dernier acte de la rédemption, en vue d’inaugurer la restauration cosmique et d’établir le Royaume.
Si nous insistons sur l’aspect visible du retour-parousie, c’est pour réfuter les objections de ceux qui, comme les témoins de Jéhovah entre autres, prétendent que la parousie a été la présence du Christ lors d’événements déjà passés.
Deux questions essentielles fortement débattues nous occuperont à présent. Quels sont les signes de la parousie? Et pourquoi son « retard », si toutefois on peut parler de retard dans l’accomplissement de la promesse?
3. Les signes←⤒🔗
« Les signes des temps », en grec : ta semeia tôn kairôn, désigne d’une manière générale quoique non exclusive, les événements importants du futur qui annoncent et qui précèdent le retour. Parmi ces signes se trouvent ceux qui se sont déjà produits, par exemple l’effusion de l’Esprit et la prédication apostolique. Le terme semeion possède une variété de sens. Le principal en est « signe donné par Dieu et revêtant dans l’histoire du salut une signification rédemptrice particulière ».
Le kairos (temps) est la période durant laquelle s’effectue une activité divine particulière qui en général conduit les auditeurs de la parole de Jésus-Christ à la foi et à la conversion. Durant son ministère terrestre, Jésus avait déjà annoncé de tels signes.
Dans tous les actes accomplis par Jésus, les juifs, ses contemporains, pourtant tellement avides de signes, auraient dû discerner précisément les signes qui authentifiaient sa messianité et son œuvre rédemptrice. Ce fut leur refus ou leur ignorance de la chose qui provoqua leur rejet. Les signes montrent également l’avenir. Malheureusement, depuis déjà longtemps, ils constituent une source de malentendus. À force d’attendre des signes et d’établir la liste de ceux qu’on estime authentiquement eschatologiques, on parvient à remettre à plus tard encore le retour du Seigneur. On est ainsi parvenu à s’intéresser davantage aux signes qu’à l’apparition du Sauveur en personne! Une telle curiosité et la spécialisation en séméiologie fictive expliquent pourquoi l’attente du retour est sans ardeur et la patience de la foi si faible.
Quelle est la nature de ces signes eschatologiques? Lorsque Jésus ou Paul mentionnent les signes eschatologiques, ils le font bien entendu en fonction de la compréhension de leurs auditeurs ou lecteurs immédiats. Nos contemporains, quant à eux, confondent ces mêmes signes avec ce qui est spectaculaire, cataclysmique, voire anormal! Ainsi, à chaque tremblement de terre, à chaque bruit de guerre et à chacune des éclipses lunaires, on modifie sa foi ou on fonde son espérance sur ce qui est exceptionnel, au détriment de l’élément essentiel des discours évangéliques et des prédictions faites soit par Jésus soit par ses apôtres. Ce n’est plus la conversion à Jésus qui occupe le centre d’intérêt, mais bien l’événement hors série qu’on attend ou dont on s’imagine être l’interprète privilégié.
Or, nous constatons que dans la Bible les événements spectaculaires sont, en général, étroitement associés au pouvoir et à l’agir sataniques. C’est par là qu’il cherche à induire en erreur les fidèles (2 Th 2.9; Ap 13). Nul doute que durant notre histoire se produiront des événements extraordinaires, voire cataclysmiques. Toutefois, notre espérance ne peut dépendre de ces phénomènes extraordinaires. Nous n’avons pas à cultiver notre foi en recensant les signes hors du commun ou en spéculant sur la manifestation de forces inhabituelles. Satan, lui, est véritablement le grand séducteur qui se sert de telles manifestations.
Ces signes, qu’ils soient spectaculaires ou non, engendrent l’obsession des dates, voire le programme exact de ce qui se produira. Le théologien réformé Charles Hodge écrivait au siècle dernier que la prophétie biblique n’est pas une histoire au sens courant du terme. Elle n’offre pas une vue et des connaissances précises relatives au futur.
Personne n’aurait pu dire la manière exacte dont les prophéties de l’Ancien Testament allaient se réaliser jusqu’à l’incarnation du Christ. N’ayant pas regardé l’avenir avec le regard de la foi, les contemporains de Jésus n’ont pas pu discerner en lui le Messie. Même Jean-Baptiste a dû se poser des questions. A-t-il confondu le premier avènement du Christ avec son retour glorieux? Cela est fort possible. La théologie biblique devrait nous mettre en garde contre les tentations de répertorier et de classer en catégories l’espérance bienheureuse de l’Église.
Anthony Hoekema propose la lecture suivante des signes :
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Bien qu’en général nous pensions que ces signes montrent l’avenir, il existe aussi des signes de ce que Dieu a accompli dans le passé. Ces événements révèlent le sens de l’histoire. Le Seigneur règne. Discerner de tels signes montre toute l’importance que nous leur accordons pour notre conduite quotidienne actuelle. Grâce à eux, nous marcherons comme des enfants de la lumière. Nous montrerons la qualité de vie nouvelle qui nous a été conférée.
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Ils indiquent la fin de l’histoire. Ils n’annoncent pas la date et l’heure précise du retour, mais ils assurent que de tels événements vont se produire.
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Ils révèlent l’antithèse permanente qui, au cours de l’histoire présente, existe entre le Royaume de Dieu et les forces du Malin. Nombre de paraboles de Jésus, notamment celle de l’ivraie, font état d’une grave tension.
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Ils nous appellent à une décision. Jésus reprochait à ses contemporains de ne pas être capables de discerner les signes du Royaume et de ne pas prendre une décision en sa faveur.
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Ils nous invitent à une vigilance accrue et constante. De toute manière, certains événements se dérouleront avant la parousie. Grâce aux signes, nous pouvons nous attendre à la parousie, sans jamais désemparer.
Des signes ont été donnés au cours de l’histoire. Au temps du Nouveau Testament, et même actuellement, ils sont d’une grande actualité. Hoekema propose de modifier notre vocabulaire et, au lieu de parler d’imminence du retour au sens chronologique, d’annoncer plutôt la menace suspendue sur nos têtes (impending au lieu d’imminent).
Dans le chapitre consacré au Saint-Esprit1, nous avons présenté celui-ci comme le signe par excellence des temps eschatologiques. Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement (Jn 16.8-11). Il portera témoignage à l’Évangile, et la Parole prêchée sera rendue effective. Sa mission consiste à prendre ce qui est à Christ afin de le révéler aux hommes. À la Pentecôte chrétienne, la promesse faite par Christ de proclamer l’Évangile à toutes les créatures a été réalisée. Sa signification est permanente pour notre frange d’histoire, durant laquelle le Royaume étend ses frontières.
En un sens, la parousie devient une présence lors de chaque proclamation fidèle de l’Évangile, lors de chaque célébration correcte des sacrements. Par l’Esprit et la Parole, au milieu des agitations, des rumeurs violentes, des guerres et des persécutions, Jésus-Christ est avec nous dans la communion de son Esprit.
Mais la grande apostasie est aussi un signe de la fin, de même que la grande tribulation (Mt 24.9-12, 21-24; Mc 13.9; Lc 21.22-24).
Effectivement, ces signes-là se sont manifestés peu avant la destruction de Jérusalem. À quelques reprises, saint Paul fait allusion à l’apostasie (2 Th 2.3; 1 Tm 4.1; 2 Tm 4.3-4). Cependant, l’Esprit est actif et il agit, du vivant même de l’apôtre. Mais il attire l’attention vers le futur qui sera marqué par la grande apostasie.
Dans Matthieu 24, Jésus fait allusion à la grande tribulation. Elle est liée à la parousie, car le terme y revient à trois reprises (Mt 24.27,37,39). Elle aura lieu immédiatement après la grande tribulation. Elle affectera tous les élus. Ceux-ci seront menacés d’égarement. Mais à cause des élus, les jours de l’agonie seront écourtés. Qu’ils attendent donc avec persévérance au sein du tourbillon qui s’abattra sur eux, sachant que l’arrivée de leur Maître est proche (Ap 6.9-10; 7.13-14).
R.J. Rushdoony a consacré aux « signes des temps » une étude intéressante dont nous suivons les grandes lignes.
Connaître l’avenir, comprendre le cours des événements, en mesurer les dimensions a été l’un des thèmes favoris de toute la littérature judaïque contemporaine de Jésus. Les juifs se sont profondément intéressés à la fin du monde qu’ils tenaient pour imminente. Preuve en est le foisonnement de livres apocalyptiques, dont les plus importants ont été le livre d’Énoch, les Psaumes de Salomon, l’Assomption de Moïse, le livre des Jubilés, l’Ascension d’Ésaïe, le second livre d’Esdras, l’Apocalypse de Baruch. L’ampleur de l’intérêt eschatologique manifesté sur ces pages nous aidera à comprendre l’attente passionnée et les rêves grandioses des Israélites. C’est dans ce climat marqué par une effervescence apocalyptique que Jésus a prononcé la plupart de ses discours eschatologiques. Les chapitres 24 et 25 de Matthieu constituent le sommet et la quintessence de cet enseignement. Ils font naître une solide espérance liée à une sûre connaissance des dimensions véritables de l’avenir. Laissons le Seigneur nous guider d’après Matthieu 24.
Jésus avait passablement déçu l’espoir de ses disciples quant à l’établissement du Royaume. Au lieu de celui-ci, il prédit sa passion et sa mort, mais suivies aussi de sa résurrection. Quand il parle du Royaume, son discours n’encourage nullement l’attente et l’espoir des disciples. Son discours contredit les eschatologies apocalyptiques juives en cours. Il s’oppose, implicitement au moins, à l’espoir politique des zélotes. Il ne laisse nullement prévoir un temps de gloire pour Israël. En revanche, il se lamente sur le sort qui attend Jérusalem. Avant même son discours, il déclare : « Voici, votre maison sera laissée en désolation » (Mt 23.38). Durant la dernière semaine avant son arrestation, il insiste beaucoup, aussi bien dans ses paraboles qu’en d’autres occasions, sur le fait que le Royaume leur sera ôté pour être offert à d’autres nations.
C’est ce discours qui, pour la dernière fois, attisa la haine violente de ses adversaires et lui valut son arrestation. « Il vaut mieux qu’un seul périsse plutôt que le peuple tout entier », déclara le souverain sacrificateur Caïphe (Jn 11.50). Quant aux disciples, troublés par une telle perspective, ils attirèrent l’attention du Maître sur l’édifice du temple. À leurs yeux, le sanctuaire offrait une garantie à toute épreuve de la pérennité d’Israël. Mais Jésus décourage cet optimisme illusoire : « Voyez tout ceci, il n’y aura pas une seule pierre laissée sur une autre » (Mt 24.2). Aussitôt, les disciples déduisent des paroles du Seigneur l’annonce de la destruction du Temple et de Jérusalem, ce qui présagerait la fin même du monde. Dans sa réponse, Jésus distingue nettement ces deux événements et, dans le tableau eschatologique qu’il brosse, il élimine soigneusement toute référence au millénium.
Effectivement, Jérusalem tomba en l’an 70. La première partie du chapitre traite de cette ruine, ainsi que de la venue du Christ comme juge d’Israël à travers la ruine de la capitale. Les disciples désirent en savoir plus et demandent les signes de son futur avènement glorieux.
C’est alors que Jésus entreprend d’expliquer la nature et le sens des signes eschatologiques : « Que personne ne vous séduise », dit-il (Mt 24.4). Il les met en garde contre les faux signes de la fin. Paradoxalement, ce sont ces faux signes qui ont tant encombré la compréhension du discours de Jésus et altéré la nature de l’espérance chrétienne. Premièrement, il y aura les faux prophètes, fort nombreux du vivant même de Jésus. Ils réussiront à égarer la foule, ce qui est précisément un faux signe de la fin. Ensuite, il parle des guerres et des rumeurs des guerres, signes dont il faut également se méfier. Pendant de très nombreuses années, l’Empire romain avait assuré une paix durable, mais des troubles ne tardèrent pas à éclater dans la capitale impériale et la longue suite d’empereurs qui se succédèrent et s’éliminèrent présageait une période d’extrême insécurité et de profonde instabilité. Les juifs persécutés durant cette période s’imaginaient la fin du monde toute proche. La famine, la peste, les tremblements de terre constituaient une autre catégorie de signes contre lesquels le Seigneur continue de mettre en garde ses disciples. De tels phénomènes se sont toujours produits et parfois avec une violence inouïe au cours du premier siècle de notre ère. Il suffit de mentionner la destruction de Pompéi dans les années 69-70. Enfin, un dernier faux signe, la persécution contre les disciples. Comme les précédents, celle-ci n’annonce que le début et non la fin « des douleurs de l’enfantement ».
Des signes de cette nature ont toujours existé, même avant la destruction de Jérusalem, et depuis ils n’ont pas cessé d’apparaître et d’effrayer.
Ce sont là des événements qui jalonnent toute l’histoire et qui manifestent la misère interminable de l’existence humaine en situation de chute. Les croyants sont avertis qu’ils ne seront pas épargnés. Le discours de Jésus forme un « cours d’histoire prospective » ordinaire. Les signes en question ne sont que les événements qui se produisent durant le cours normal d’une histoire ordinaire, mais frappée d’apostasie. La révolte contre Dieu déclenchera une crise aux dimensions cosmiques. C’est la proclamation de l’Évangile qui constituera l’événement décisif de la période précédant le retour. Tout pouvoir a été remis entre ses mains. Son autorité, la foi en lui, le baptême en son nom, signe et sceau d’appartenance à l’unique Dieu et Sauveur, sa présence attestée dans l’Écriture et le sacrement de la Cène, voici les signes authentiques de la fin des temps offerts au regard et à la foi du disciple. L’univers sera placé sous le signe de l’Évangile. L’Évangile pénétrera toutes les sphères des activités humaines.
Dans la deuxième partie de son discours, Jésus aborde la question de la chute de Jérusalem, qui est l’annonce du jugement de Dieu. La destruction du Temple rappelle la prophétie de Daniel. Les juifs de l’époque ne savaient pas que la véritable profanation du sanctuaire se réalisait dans la crucifixion du corps du Messie. La destruction matérielle du Temple n’était que le symbole de cette profanation du tabernacle de Dieu, à savoir le corps du Fils. À l’approche de ce temps, les disciples devaient fuir au loin. Ainsi, les chrétiens ont été épargnés durant cette période d’atrocités sans précédent qui s’est abattue sur la Palestine. Au cours des derniers mois précédant le siège de Jérusalem, la ville était remplie de pèlerins venus de toutes parts pour y célébrer la Pâque. La chronique rapporte que près d’un million de juifs furent pris dans ce tourbillon et massacrés impitoyablement. D’autres furent vendus comme esclaves. La peur et la famine incitèrent même l’élite du peuple à se livrer à des horreurs allant jusqu’au cannibalisme. Jérusalem fut systématiquement démolie, et on versa du sel dans tous les champs les rendant stériles, impropres à la culture. Si à cause des élus ces jours n’avaient pas été abrégés, l’horreur en aurait été encore plus insoutenable.
À présent, Jésus aborde le sujet de l’espoir d’un retour prématuré. De faux prophètes allaient effectivement circuler dans la Jérusalem assiégée. De nombreux habitants les suivirent dans l’espoir d’une délivrance hypothétique. Mais Jésus prévient : sa venue ne se passera pas de cette manière-là. Au contraire, elle sera soudaine, tel l’éclair qui fend l’air. « La chute des étoiles et du soleil » fait allusion à l’effondrement et à la disparition d’empires et de pouvoirs politiques. En effet, dans le langage biblique, les étoiles ont toujours symbolisé les règnes terrestres. « Après ces jours, les pouvoirs et les autorités seront ébranlés. » Le combat final sera livré et la victoire remportée à titre définitif. Alors, Jésus apparaîtra en sa qualité de Seigneur universel. En effet, la destruction en l’an 70 de notre ère de la ville sainte et la dispersion du peuple d’Israël sont les signes les plus certains de ce que la fin eschatologique est inaugurée.
La parabole du verset 32 soutient l’ensemble de cette vue. La chute de la ville, comme les autres événements qui l’ont accompagnée, n’annonce pas une fin immédiate. Dans cette même optique, la ruine de Jérusalem n’est que le début de l’été, non celui de l’hiver. Les événements dont Jésus entretient les siens ne doivent pas les décourager, mais, au contraire, les inciter à la persévérance. Le verset 43 invite de nouveau à la vigilance. L’attente, qui peut paraître interminable, constitue une sorte d’épreuve imposée au serviteur. Qu’il ne s’effraie point, car tôt ou tard il recevra sa récompense. Que personne ne parle légèrement de la venue du Seigneur ni ne se laisse emporter par ses désirs infondés relatifs à une date qu’il fixe de lui-même. Le délai est long, mais il faut vivre chaque jour cette attente fidèlement et patiemment plutôt que scruter le calendrier « politique » pour y lire les signes annonciateurs d’une fin très proche.
La destruction de Jérusalem en l’an 70 constitue la preuve irréfutable de la seigneurie absolue et incontestable de Jésus-Christ. Celui qui le rejette se lamentera terriblement ainsi que ce fut le cas des juifs. L’Église fidèle, elle, peut se réjouir. Dès maintenant, elle vit l’année du Jubilé. Elle a saisi la véritable dimension de l’avenir. Elle peut à présent s’atteler à sa mission et proclamer en temps et hors temps l’Évangile du salut, avant qu’il ne soit trop tard.
4. Le mode de l’apparition de Jésus←⤒🔗
Le retour sera soudain, visible et public, affirme le Nouveau Testament. Malgré les signes, aussi bien les croyants que les non-croyants en seront surpris. Car, comme nous l’avons vu, ces signes n’annoncent pas l’heure. C’est pourquoi l’appel à la vigilance devra constamment retentir.
Jésus reviendra dans son corps glorifié, dans les nuées du ciel. D’après la Bible, la nuée symbolise la gloire divine. Il sera entouré de ses saints anges. Les archanges seront ses hérauts. Il sera également accompagné des saints martyrs, c’est-à-dire des fidèles qui sont déjà entrés dans la gloire.
Est-il possible de préciser le lieu du retour? Pour William Hendriksen, ce serait l’endroit même d’où on l’a vu monter au ciel. Nous ferons simplement remarquer ou rappeler que le ciel biblique n’est pas simplement une condition, mais encore un lieu. Mais, quel que soit l’endroit géographique de son apparition, il nous semble que la spatialisation du Christ revêt également une très grande importance. Monté au ciel, le corps du Christ n’est point devenu diffus dans une sorte de vague entité, mais au contraire, il conserve intacte sa nature humaine.
Cette spatialisation joue un rôle pour l’interprétation de la doctrine de la Cène. Les divergences entre réformés et luthériens sont connues à ce sujet. Pour la théologie réformée, la nature humaine actuelle du Christ n’est pas « omniprésente », ce qui n’autorise pas à parler de transsubstantiation (théologie romaine), ni même de consubstantiation (théologie luthérienne du corps du Christ dans les éléments de la Cène). Il n’existe pas de communication des caractéristiques de la nature divine à celle de la nature humaine (communicatio idiomatum).
5. Enlèvement de l’Église?←⤒🔗
Le terme de parousie dans 1 Thessaloniciens 4.15 serait au regard des dispensationalistes l’équivalent de l’enlèvement de l’Église. Nous constatons que dans 1 Thessaloniciens 3.13 le même mot désigne le retour avec les saints et dans 2 Thessaloniciens 2.8 il est utilisé pour affirmer que lors du retour du Seigneur l’homme d’iniquité sera anéanti.
Le terme d’apocalypsis dans 1 Corinthiens 1.7 devient à son tour dans la théologie dispensationaliste, l’équivalent de l’enlèvement. Or, toujours d’après les dispensationalistes, dans 2 Thessaloniciens 1.7-8 ce terme désigne la seconde phase… du premier retour. Il en est de même du mot épiphanie ou manifestation dans 1 Timothée 6.14. Il ne nous semble pas qu’on puisse légitimement tirer un argument de ces termes pour fonder l’hypothèse de l’enlèvement de l’Église dans les nuées, encore moins pour envisager un retour à deux phases ou deux étapes.
D’après les dispensationalistes, l’essentiel dans le dernier acte du drame de la rédemption consiste dans l’enlèvement de l’Église. La lecture de Matthieu 24 montre que, si enlèvement il y a, il ne pourra avoir lieu qu’à la suite de la tribulation. C’est en s’appuyant sur 1 Thessaloniciens 4.16-17 que les dispensationalistes fondent leur doctrine de l’enlèvement. Pourtant, ce passage ne parle que de la résurrection des morts lors de la parousie. Cette question se posait à propos des chrétiens morts disparus avant le retour. En bon pasteur, l’apôtre Paul tient à rassurer ses paroissiens. Le Seigneur reviendra « avec tous ses saints ». Dieu ramène à la vie tous ceux qui sont morts dans la foi (2 Co 5.8; Ph 1.22-23). L’avènement du Christ avec ses saints et pour eux est un seul et même événement. Ainsi que le fait remarquer A. Hoekema, si le grec dit bien « iront » à la rencontre de (eis apantesin), il faut noter à cet endroit la présence de la préposition. Apantesis en grec est un terme technique qui décrivait l’accueil officiel réservé à un dignitaire. D’ordinaire, les gens quittaient la ville pour aller à la rencontre du personnage officiel et lui témoigner un accueil chaleureux (Mt 25.6; Ac 28.15).
Les saints en question dans notre passage représentent les fidèles et non les anges. Le malentendu de l’enlèvement est causé par l’idée dispensationaliste des deux retours du Christ! La première fois, le Seigneur reviendrait en compagnie de ses saints, pour régner sur terre durant mille ans, et ensuite, lors de la deuxième étape, pour exercer le jugement. Mais où, dans le Nouveau Testament, voit-on la moindre trace de l’annonce d’un double retour ou d’un retour diphasé? Il nous est plus clairement annoncé les deux actes qui suivront ce seul et unique retour : la résurrection et le jugement. Il y a une telle simultanéité que nous ne sommes pas du tout autorisés à voir quelque part, et n’importe comment, un double retour.
En outre, rien n’autorise à spéculer au sujet d’un quelconque enlèvement avant la grande tribulation.
D’après Matthieu 24, les jours de la grande tribulation seront écourtés à cause des élus. Il n’affirme pas que l’Église ne se trouvera pas sur terre. Marc 13 va dans le même sens.
Nous pensons que cette originale idée des dispensationalistes s’appuie sur l’hypothèse d’un double peuple de Dieu, d’une part Israël, de l’autre l’Église. Le premier retour s’effectuerait en vue de l’enlèvement de l’Église; certains prévoient même un premier retour à deux phases séparées d’un intervalle de sept ans et permettant aux fidèles d’être épargnés par la grande tribulation. À ce sujet, il serait intéressant de lire les notes que lui consacre la Nouvelle Bible Scofield.
La seconde phase de ce premier retour serait marquée par le règne millénaire. Durant la première phase, tandis que le peuple de l’Église se trouve au ciel, un certain nombre d’événements se dérouleront ici-bas : la grande tribulation, l’apparition de l’Antichrist, celle de la bête sortie de la mer, les jugements redoutables et puis l’infidélité d’une partie de l’Église, mais aussi le salut d’Israël suivi de la guerre que des rois et le faux prophète livreront au peuple de Dieu. Après cet intervalle, Christ reviendrait pour la seconde phase, cette fois-ci accompagné de l’Église. Lors de la bataille d’Armaguédon, il détruirait ses adversaires, établirait son trône à Jérusalem et inaugurerait le millénium. Mais ce calcul demeure pour nous un mystère que nous sommes incapables d’élucider. Car aucun passage biblique ne laisse entendre un « retour du Christ au ciel » aussitôt après son apparition sur terre afin de revenir à nouveau. Quel va-et-vient invraisemblable!
On ne peut davantage tirer argument de cet avènement biphasé pour annoncer que la grande tribulation serait le jugement de Dieu sur le monde. Ainsi que l’écrit très pertinemment A. Hoekema, la protection que Dieu accorde aux siens ne signifie pas que ceux-ci seront automatiquement épargnés par la colère des impies.
Avec l’ensemble du Nouveau Testament, nous pensons que le retour aura lieu après la grande tribulation. Il donnera lieu à la résurrection générale et, pour ceux qui se trouveront toujours en vie sur terre, il produira la transformation-glorification de leurs corps (1 Co 15.51-52).
6. Retard de la parousie?←⤒🔗
Le chapitre le plus embarrassant de l’eschatologie biblique, pour ne pas dire la question la plus grave qui se pose à la foi du chrétien, est ce qu’on a coutume d’appeler d’ordinaire, mais très improprement, le retard du retour du Christ. Que faut-il en penser? Existe-t-il un véritable délai de la parousie?
Il est une certitude ancrée au cœur de tout chrétien : le Seigneur ne manque jamais d’accomplir ses promesses. Par conséquent, nous pensons qu’il n’est pas légitime de parler de retard dans l’accomplissement de sa promesse relative à son retour. S’il fallait par pure commodité de langage parler encore de retard, nous donnerions à ce terme un contenu théologique et non un sens chronologique. Ce retard n’a pas de rapport avec nos calendriers humains. On a cherché à donner des solutions au problème, mais aucune ne nous paraît satisfaisante. Ainsi, on a prétendu que Jésus se serait trompé dans ses calculs. Ailleurs, on a reproché aux disciples d’avoir entretenu un enthousiasme immodéré à ce sujet et d’attendre de leur vivant le retour du Seigneur. D’autres ont interprété les discours eschatologiques de Jésus dans le sens de sa mort et de sa résurrection. Ailleurs, la Pentecôte est devenue l’équivalent de la parousie. Enfin, pour une autre catégorie d’interprètes, ce serait la proclamation de l’Évangile qui serait à la fois le signe du retour et la cause de son retard.
Toutes ces explications nous paraissent souffrir d’une faiblesse commune; elles sont des tentatives pour baser le délai de la parousie sur le calendrier humain. La chronologie remplace donc la théologie.
Examinons quelques passages relatifs à ce problème et, en passant, mentionnons quelques célèbres chefs de file d’écoles théologiques. Presque tous parlent de « l’erreur » commise par Jésus.
Dans son étude consacrée à l’historicité de la vie de Jésus, Albert Schweitzer employa le premier l’expression « retard ». Selon le célèbre théologien alsacien, Jésus s’attendait à ce que sa glorification ait lieu avant même que ses disciples n’aient terminé leur mission dans les villes où ils furent envoyés (Mt 10). Mais lorsque ces derniers retournèrent auprès de lui sans que l’événement se soit produit, Jésus se serait rendu compte de son erreur et aurait aussitôt cherché une autre solution. Au lieu d’attendre une glorification, il aurait expliqué le sens de son ministère par l’annonce de sa souffrance et de sa mort. Mais là aussi, il se serait trompé, car à la fin on l’a vu totalement désillusionné. On connaît la célèbre phrase de Schweitzer : « Dans sa tentative de renverser la roue de l’histoire, Jésus a été écrasé sous elle. » Cette école et ses nombreux représentants soutiennent que Jésus s’est trompé non seulement quant à la date de son retour, mais encore dans toute son optique eschatologique.
Une autre idée est que, si Jésus a annoncé l’arrivée du Royaume, c’est l’Église qui est apparue à sa place. On entreprend alors de « déseschatologiser » la foi chrétienne au lieu de vivre entre les deux temps. L’Église devrait se voir placée définitivement sur une ligne ininterrompue de l’histoire continue, sans interruption eschatologique. Pour cette même école, le dogme aurait remplacé le vide causé par le retard de la parousie.
Mais on veut se consoler en disant qu’il n’est pas nécessaire d’attendre celle-ci. Elle ne fait pas partie de l’essentiel du message chrétien. Oscar Cullmann, qui ne partage pas l’extrémisme eschatologique de cette école, pense pourtant que Jésus s’est trompé dans ses calculs. Mais le théologien de Bâle a eu cependant le grand mérite de souligner que la première venue du Christ a tracé la ligne de démarcation au milieu de notre histoire humaine, bien que l’attente de l’Église primitive du retour du Christ, dans les quelques années qui suivirent son ascension, fût une erreur. On peut, certes, expliquer cette erreur à la manière de celle qui consiste à fixer hâtivement la fin d’une guerre, du fait qu’une bataille décisive a été remportée. L’assurance de la victoire est acquise. Werner G. Kummel estime de son côté que Jésus annonce bien son retour imminent, mais qu’il faut penser à celui-ci sous la forme d’événements auxquels ses contemporains allaient assister.
Parler de retard ne laisse-t-il pas entendre que quelque chose qui a été promis n’a pas été honoré? Le résumé de l’étude de Rushdoony donnée plus haut répondait déjà en partie à cette question. Pour qu’elle soit complète, nous devrions recenser tous les passages qui parlent d’un certain retard. Examinons-en certains :
Les Évangiles synoptiques rapportent trois types de discours relatifs au retour du Christ et au Royaume futur. Il y a ceux qui laissent entendre son imminence, ceux qui supposent un « retard », enfin ceux qui, notamment dans les paraboles, nous laissent sur une incertitude complète.
La première catégorie est formée des textes suivants : Matthieu 16.28; Marc 9.1; Luc 9.27; Matthieu 10.23; Marc 13.30; Luc 21.32. Néanmoins, même ces textes, de nature eschatologique, ne donnent pas à l’auditeur une certitude absolue quant à la date du retour. On peut même soutenir que, dans sa nature humaine, Jésus n’est pas informé de cette heure-là. Par conséquent, il ne se trompe ni ne trompe en prévoyant un retour imminent durant la génération qui lui est contemporaine. Certains ont prétendu que Marc 9.1 se référerait à la transfiguration ou encore à la résurrection et même à l’effusion de l’Esprit.
Aux yeux de Herman Ridderbos, il y a dans la pensée de Jésus deux lignes de prédictions, dont l’une est orientée vers sa résurrection et l’autre vers son retour.
Marc 13.30 présente à cet égard un intérêt du fait de la mention de la « génération présente ». Ou bien « cette génération » désigne tous les contemporains de Jésus, ou bien d’une manière qualitative elle désigne l’ensemble du peuple juif et des incroyants depuis que Jésus a parlé de son avènement. À notre avis, cette génération ne peut être autre que celle qui témoigne des signes des temps qui annoncent le futur avènement, même si de leur vivant ils n’assisteront pas à l’avènement lui-même. Bien sûr, on pourrait songer à l’humanité tout entière de manière non historique, mais qualitative.
Mais on ne voit pas Jésus fixer une date. Il n’offre que l’assurance de son retour. Le « toutes choses », dont il ne faudra exclure aucune des composantes, renferme tous les faits eschatologiques, y compris le retour dans la gloire. Dans la Bible, « génération » possède un sens aussi bien temporel que qualitatif. De même pour génération adultère ou mauvaise, ou mauvaise et adultère, ou incrédule et perverse. Dans l’esprit de Jésus, « cette génération » désigne le peuple juif rebelle qui jadis rejeta le Christ et qui, au dernier jour, subira le jugement qu’il mérite.
Un texte isolé, Matthieu 10.23 contient d’abord les dires concernant les futures activités des disciples après l’ascension du Christ. Jésus tient à souligner l’intérêt dont il faut témoigner à l’égard d’Israël, et ce jusqu’à la parousie. Nous concluons qu’aucun de ces passages, cités et examinés quelque peu hâtivement, ne laisse entendre un retour immédiat durant la vie des auditeurs de Jésus.
La deuxième catégorie de passages est composée de Matthieu 24.24 et Marc 13.7. Un certain nombre de paraboles laissent entendre qu’il y aurait un retard.
Enfin, la troisième catégorie, que nous appellerons « incertaine », ne prévoit, et par conséquent n’annonce rien, au sujet d’une date précise. Citons Matthieu 24.36; Marc 13.32; Luc 12.35-36. Ces discours ou fragments de discours laissent apparaître une incertitude et une ignorance quant à la date du retour. Cependant, ils cherchent à nous maintenir vigilants. Il faut être prêt pour accueillir l’Époux. L’image du voleur, qui revient souvent, est l’une des plus surprenantes. Celui-ci ne donne jamais de rendez-vous précis.
Nous pensons donc que les synoptiques ne laissent nulle part entendre que Jésus se serait trompé à cet égard. Simplement, Jésus ne donne aucune indication. Jean aussi mettait en garde contre des conclusions hâtives. Après la résurrection du Seigneur, lors d’une de ses apparitions au bord du lac de Tibériade, Pierre s’enquit au sujet de Jean : « Que va-t-il lui arriver, à celui-ci? » (Jn 21.21).
Si Jésus a parlé d’un retour glorieux durant la génération contemporaine (Mt 16.28), il ne signalait par là que sa résurrection, prélude de son avènement glorieux.
La même incertitude apparaît dans les écrits de Paul. Or, nous avons vu que le souci pastoral de l’apôtre consistait surtout à maintenir l’Église dans la voie de la sanctification.
On a conclu légèrement que Paul aussi avait connu une double phase dans son eschatologie. Dans la première, il se serait attendu à un retour imminent, mais déçu, ou plutôt assagi, il se serait corrigé! A. Hoekema remarque que 1 Thessaloniciens laisse entendre que Paul pouvait s’attendre à mourir avant même que n’apparaisse le Seigneur… Quant à sa deuxième lettre aux Corinthiens, elle ne laisse pas davantage supposer un tel virage chez Paul. Toutefois, d’après 1 Thessaloniciens 4.17 et 1 Corinthiens 15.51-52, l’apôtre cultive l’espoir de se trouver parmi les vivants qui accueilleront le Seigneur. Mais qui est le chrétien qui ne souhaiterait pas être du nombre? Or, dans 1 Thessaloniciens 5.2-4, Paul parle de ce jour comme d’un voleur qui surprend ou survient à l’improviste. Incertitude donc de sa part… Aucun des autres auteurs ou textes du Nouveau Testament ne tente de fixer une date (Jc 5.8; 1 Pi 4.7; Ap 22.20).
Une chose est certaine. Lors de sa première venue, Jésus-Christ nous a annoncé son retour en gloire.
Nous goûtons déjà les pouvoirs célestes et les dons qu’il accorde. Avec lui, par la foi, nous sommes transportés dans les lieux célestes. Le Saint-Esprit est appelé les arrhes de notre rédemption.
Si 2 Pierre 3.3-4 fait état d’un retard, le fait s’explique par rapport aux moqueurs et aux incrédules. Pierre affirme que jamais Dieu ne tarde à accomplir ses promesses. Il ne fait que donner des preuves renouvelées de sa patience et de sa bonté.
La parousie est liée à l’incarnation et à la révélation. Durant la vie de Jésus, l’attente semblait atteindre son objet. Les disciples laissaient entendre que le retour pourrait être imminent. Mais la tension ainsi entretenue ne contredit nullement ce que nous appelons actuellement « le retard de la parousie ». L’explication de ce retard devra donc se trouver dans la nature purement eschatologique du fait; Dieu est patient. D’une part, Jésus nous est encore caché, d’autre part nous savons qu’il est déjà apparu lors de son ministère terrestre en tant que Sauveur. La parousie est un événement essentiellement christocentrique. À partir de l’incarnation et en passant par la passion et la résurrection, tous les événements de la vie du Christ forment un complexe eschatologique. Placée sous l’optique de l’incarnation, la parousie semblera « imminente », non au sens temporel du mot, mais simplement en tant que composante du drame de la rédemption.
Les interprétations chiliastes de la parousie à partir déjà des montanistes au 2e siècle se sont trompées en prédisant une date exacte du retour. Or, Matthieu 24 aurait dû décourager de telles entreprises et mettre fin aux spéculations des imaginations fertiles, relevant davantage d’un mysticisme obscurantiste ou de l’ésotérisme que de l’émerveillement et de la reconnaissance devant le mystère de l’apparition du Seigneur.
Le terme imminent signifie « à portée de la main ». Du point de vue chronologique, cela peut signifier plusieurs années après que la promesse ait été faite. L’imminence dont il s’agit ici concerne l’action et l’intervention de Dieu. Le retour est imminent du côté de Dieu. Il ne peut donc être fixé par nos horloges et nos calendriers. Aux yeux de Dieu, mille ans sont comme un seul jour. Le fait d’admettre depuis 19 siècles le retour du Christ nous semble compatible avec une telle imminence. Mais nous sommes avertis : nous ne sommes pas au bout de nos peines; les tribulations présentes n’annoncent que le début des douleurs. Veiller et attendre le retour du Christ ne nous force pas à garder les yeux fixés sans cesse sur nos montres.
7. Conclusion←⤒🔗
Nous avons examiné de quelle manière, au cours de l’histoire, des chrétiens ont interprété la parousie. Les uns l’ont reléguée en arrière, d’autres, dans une fièvre qui n’a rien de vraiment eschatologique, ont vécu dans une obsession maniaque du retour du Christ.
Rudolf Bultmann a opté pour une solution radicale; à ses yeux l’eschatologie mythique est insoutenable pour la simple raison que la parousie n’a pas eu lieu telle que Jésus l’avait prédite; l’histoire n’a pas pris fin et, comme tout écolier le sait déjà, elle poursuivra allègrement son cours!
Nous avons examiné des textes qui laissent envisager la triple solution que voici : Bien que Jésus et les auteurs du Nouveau Testament s’attendent à un retour imminent, ils laissent simultanément entendre qu’il y aura un retard, mais aussi qu’il existe une imprécision… précise! Jésus dénonce toute tentative de calculer le temps de Dieu. Il prend soin d’insister sur le caractère de soudaineté de l’événement. Des événements dont nous avons parlé et dont il a fait mention, nous pourrons dire qu’ils se sont produits tout au long de l’histoire. À ses yeux, il vaut mieux tâcher de comprendre la nature du conflit cosmique entre lui, le Seigneur universel, et les forces du mal. Il faut aussi s’armer pour résister à ces dernières. « Je vous ai tout prédit », dit-il; « veillez et priez », ajoute-t-il. Il nous faut nous rappeler que cette tension existait déjà dans l’Ancien Testament.
En dépit des notes techniques, parfois longues, de ce présent chapitre, nous aimerions associer notre espérance à la marche quotidienne et à la sanctification dans la foi.
Quel est le « but » du retard, si toutefois nous pouvons encore emprunter ce terme pour décrire un événement théologique de cette envergure? Rappelons-nous que notre perspective ne sera jamais chronologique, mais théologique.
L’impatience est l’attitude naturelle du cœur humain. Certes, même la Bible nous donne des exemples d’une sainte impatience. « Jusques à quand? », prient les martyrs de l’Apocalypse. Et la réponse reçue est « Attendez encore un peu. » L’auteur du dernier livre du canon biblique conduit l’Église vers un autre point. La souffrance actuelle de l’Église est comparée à celle de l’Agneau (Ap 5.12). Christ l’Agneau a remporté la victoire; ainsi en sera-t-il de son peuple.
L’auteur anonyme de la lettre aux Hébreux adopte la même pédagogie spirituelle. Ses lecteurs se trouvaient dans une situation identique à celle de l’Apocalypse. Ils ne voyaient pas la fin de l’épreuve. Leur persévérance devenait lassante. L’auteur les console de la part de Dieu. Il rappelle l’exemple de Jésus (Hé 12.2). Il souligne que, dans leur expérience actuelle, ils ont part aux puissances à venir (Hé 6.5). Leur patience n’est donc pas vaine.
Pour Paul aussi l’expérience présente de Dieu offre la clé d’une intelligence correcte de l’entre-temps où vivent les chrétiens. Les fidèles sont assurés de deux grands faits : de l’apparition du Christ et de sa passion et résurrection. Le dessein de Dieu est en train de s’accomplir autour de ces deux événements historiques. Ainsi, le retour ne sera pas un événement totalement nouveau. Ce que le Christ accordera à son Église n’est pas quelque chose dont elle manquerait totalement à présent. Ce sera plutôt la totalité des dons dont elle a déjà reçu les arrhes. Celui qui est en Christ peut se dire par la foi une nouvelle création. Il est habité par l’Esprit Saint. La prophétie de Joël 3.1 a été réalisée. L’Esprit exerce le contrôle sur la vie du croyant. Personne ne pourrait confesser que Christ est le Seigneur si ce n’est par l’Esprit (voir aussi Ép 1.14).
Cet « entre deux temps » ne sera donc pas marqué par la seule peine, la faiblesse, le découragement ou la désillusion. Il est aussi la période où on peut se dire riche, puisque nous avons tout en lui. La gloire future est une réalité déjà présente. Mais si entre le « maintenant » et le « alors » l’intervalle nous paraît long, nous savons que nous goûtons déjà des puissances de l’âge à venir.
L’Évangile selon Luc et le livre des Actes des apôtres soulignent une note qu’il serait bon de remarquer : Tous les deux sont des traités que nous appellerons « missionnaires », mais aussi une sorte de philosophie de l’histoire. Ils nous aideront à comprendre la nature et l’intention du « retard » de la parousie. Luc nous entretient de ce que Christ a fait durant son ministère terrestre, le livre des Actes de ce qu’il est en train de poursuivre à travers ses témoins. L’un et l’autre sont en réalité des écrits du Royaume. Actes commence notamment par une interrogation concernant celui-ci et conclut par une indication à son sujet (Ac 1.6 et 28.31).
Enfin, rappelons aussi que, plus qu’ailleurs, c’est le quatrième Évangile qui souligne l’importance entre le « ici et maintenant » et le « alors ». Pour l’auteur, le temps eschatologique est déjà inauguré. L’aujourd’hui recèle une profonde signification éternelle. Même le jugement de Dieu n’est pas uniquement réservé à l’au-delà. Celui qui ne croit pas au Fils est jugé déjà ici et maintenant. La vie éternelle est accordée à celui qui croit au Fils (Jn 3.36). Jean rappelle aussi la promesse de l’Esprit. Dans son discours d’adieux, Jésus promet de l’envoyer. L’Esprit viendra après sa résurrection. Nous ne voulons pas dire par là que le quatrième évangéliste n’attend pas un retour à l’avenir. Nombre de textes de l’Évangile confirment cette attente (Jn 5.25; 6.39; 11.23-27; 12.48). Mais l’auteur nous console d’une façon toute spéciale durant le temps de celle-ci.
Or, pour tous les auteurs du Nouveau Testament, la longueur de l’intervalle a moins d’importance que l’espérance que nous plaçons dans le retour du Christ. Ils inculquent une certitude sereine et inébranlable : Le Seigneur qui a promis de revenir honorera sa promesse. Le disciple peut donc prier sans se décourager et sans inutile impatience : « Viens, Seigneur Jésus. » Alors il reçoit aussi la réponse à sa prière : « Maranatha, je viens bientôt », dit le Seigneur.