Politique et justice selon la Bible
Politique et justice selon la Bible
Où que nous dirigions nos regards, nous rencontrons partout la même interrogation : la vie humaine a-t-elle encore un sens dans la société actuelle? Chaque jour voit surgir de nouveaux problèmes, plus complexes encore que ceux d’hier, problèmes angoissants et apparemment insolubles tels l’inflation, le chômage, la criminalité, la décadence dans la vie citadine et même rurale, la corruption dans les hautes sphères, la stagnation dans le fonctionnement des administrations, la déshumanisation des conditions de travail; les richesses fabuleuses d’un côté, la pauvreté intolérable de l’autre. Progrès dans la production industrielle, régression de la vie culturelle, détérioration de la nature, sous-développement, aussi bien des pays que de la personnalité humaine.
Aurons-nous perdu pour toujours la qualité de la vie avant même de l’avoir trouvée? Si cela est vrai, n’est-ce pas parce que nous nous sommes préoccupés davantage de la quantité d’objets à consommer que de la qualité de l’existence? Comment gagner cette qualité? Où se trouve la frontière du pays du gaspillage et des spoliations? Il est nécessaire d’examiner les diverses questions posées par les uns et par les autres. Mais il est urgent, avant qu’il ne soit trop tard, de trouver la réponse; quant à nous, nous sommes convaincus que celle que nous fournit l’Écriture après une lecture attentive de son message est la seule qui puisse donner une qualité véritable à notre vie et à celle de la société.
Jésus est-il un réformateur social? Cette question revient assez fréquemment sur beaucoup de lèvres ces derniers temps. Et si les chrétiens s’occupent des problèmes sociaux, culturels, politiques, ne s’engagent-ils pas dans ce monde, qui par le fait de la chute est devenu le monde de Satan? Quelle était l’attitude de Jésus? Un certain nombre de chrétiens estiment qu’ils doivent être actifs dans les domaines précités. Jésus, disent-ils, s’y était engagé. Il est apparu à certains comme un véritable réformateur social, et pour d’autres encore comme un révolutionnaire radical. Ce que nous savons de sa vie et de son action nous permet-il d’affirmer qu’il s’est assigné comme tâche de changer la société de son époque et les relations entre les hommes pour améliorer leur sort?
Un réformateur social s’adonne précisément à de telles tâches. Il oriente sa pensée et son action vers les problèmes dont nous parlions il y a un instant. Pauvreté et richesse, guerre et oppression, tensions raciales et crise du logement.
Mais Jésus ne semble pas tellement s’intéresser à de tels problèmes. Lorsqu’un jour un auditeur s’adressa à lui pour résoudre un litige entre lui et son frère, Jésus refusa catégoriquement de s’engager sur cette voie; sa tâche était tout autre : prêcher l’Évangile du Royaume. « C’est pour cela que je suis venu », avait-il dit à plusieurs reprises.
Examinons la relation qui existe entre la vie sociale et le Royaume de Dieu. Deux idées principales concernent ce Royaume : d’abord, il est le règne de Dieu par sa Parole, l’ordre qu’il a déjà établi sur toute la création. Ensuite, il est la création même, dans la mesure où celle-ci suit l’ordre instauré et respecte la Parole de Dieu en appliquant les lois du Créateur. La qualité de la vie dépend du rapport entre l’ordre que le Roi a établi et l’obéissance et le respect que les hommes lui doivent. En réalité, toute créature, et l’homme en premier, devrait être serviteur de Dieu afin de servir le Royaume comme citoyen.
Cette affirmation peut nous amener à présent aux problèmes de la société. Nos contemporains ont perdu la qualité de leur vie parce qu’ils n’ont aucune considération pour les règles qui régissent le monde ni le respect de la constitution initiale. Il faut reconnaître, hélas!, que parler aujourd’hui d’obéissance et de respect, ou même de reconnaissance d’une autorité supérieure et d’une norme fixe est un véritable défi. Démagogues de la politique, philosophes amoraux, éducateurs anarchistes et artistes sans foi ni loi nous conseillent vivement de bannir de notre vocabulaire le mot même d’obéissance. Même le service du prochain, dit-on, est le signe d’un comportement sous-humain. Il faut abolir toute autorité, celle de Dieu et celle des gouvernants, car il ne doit exister ni Dieu ni Maître. La voie vers l’anarchie est grande ouverte.
Certains, de peur d’en arriver à une anarchie totale, préconisent quand même un compromis entre individus autonomes en mesure de se mettre d’accord sur un contrat social et se laissent gouverner par des règles établies par eux-mêmes. Alors, le fondement de l’état se trouve en l’homme et dans la souveraineté du peuple. De nos jours, cette philosophie s’exprime par les idées largement répandues de démocratie ou de participation. Le gouvernement par et pour le peuple est devenu pour beaucoup une idée fixe. Pourtant, la Bible démasque toute idée et toute tentative d’autonomie de l’homme vis-à-vis de Dieu, expression même du péché qui rompt l’harmonie dans la bonne création de Dieu et la réduit en miettes. Cette autonomie est la cause de la désintégration de la vie sociale et la source de la malédiction que nous voyons autour de nous; elle a un quadruple effet dès le départ :
- elle nous aliène de Dieu et de sa Parole;
- elle détruit l’unité de la personne humaine;
- elle incite à l’égocentrisme et à l’isolement au détriment du prochain;
- est la cause de la disparition du foyer, le paradis originel, et la racine des épines qui poussent partout; la bonne relation entre l’homme et la nature est ainsi rompue et anéantie.
Mais la Bible nous parle de l’autre aspect de la réalité, celle qui concerne le Christ, celui qui est venu guérir le mal jusque dans ses racines. Lorsque Jean-Baptiste, le dernier des grands prophètes de l’Ancienne Alliance, présente le Christ, il dit à son sujet : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29). Ces paroles décrivent parfaitement le ministère et l’activité de Jésus-Christ.
Prenons garde cependant de ne pas tomber dans l’erreur de ceux qui pensent que ces paroles ne concernent qu’un Évangile social, sans dimension verticale, ou encore dans l’erreur de ceux qui n’y voient qu’un Évangile purement individuel et subjectiviste. Selon ces derniers, Christ est venu ôter le péché dans sa dimension individuelle, il ne serait mort que pour les péchés de la personne. Les premiers estiment qu’il s’agit du péché social, de la totalité des injustices commises, surtout d’ordre socio-économique. L’un regardera Jésus comme le Sauveur des âmes, l’autre comme un agent ou sauveteur social.
Jésus-Christ apparaît comme le Sauveur des hommes, cela ne soulève aucun doute; le prénom même de Jésus veut dire en hébreu : le Sauveur. Certains textes le présentent comme le Médecin, d’autres textes bibliques comme le Prince de la paix. Il vient réconcilier.
Dans ses lettres aux Éphésiens et aux Colossiens, l’apôtre Paul, expliquant la nature du ministère de Jésus, nous informe que cette réconciliation est de dimension cosmique. La crucifixion a été l’événement central et décisif de l’existence des hommes et de toute l’histoire. Bien plus, Christ est ressuscité des morts. Il est la résurrection et la vie nouvelle. Ne pensons pas que de tels propos soient le fait d’une théologie abstraite. Bien au contraire, ils nous annoncent où se trouvent non seulement la réponse à nos problèmes, mais encore le fondement véritable, le terrain solide sur lesquels peut se dérouler toute notre existence.
Sur la croix, la maladie fondamentale de notre vie et de toute la société, celle qui ronge et qui sape, qui tend à anéantir toutes choses, a été attaquée de front et jugulée. Christ est venu enlever les péchés, la disharmonie, la désintégration.
C’est bien autre chose que l’activité d’un réformateur social! Son ministère est bien plus radical qu’une activité qui ne s’occuperait que des symptômes. Parce que Dieu a tant aimé le monde, qu’il a envoyé son Fils pour combattre et vaincre le péché et que le bon Berger a donné sa vie pour les siens, ceux-ci pourront avoir la vie, et une vie de qualité. Christ est le Rédempteur de l’univers et son Esprit renouvelle nos cœurs et renouvellera un jour le cœur du monde. C’est à la lumière de cette vérité biblique que nous pourrons comprendre les trois années d’activité publique de Jésus, son insistance sur le Royaume de Dieu, l’annonce de sa mort et l’événement de sa résurrection.
Peut-on alors choisir arbitrairement entre un évangile individuel et un christianisme social? Ne se trompe-t-on pas sur la signification infiniment plus large et plus riche de l’Évangile et de la mission radicale de Jésus? Christ s’adresse à ceux qui souffrent, mais son message concerne également les auteurs des malheurs. Il prêche la repentance, car le Royaume est proche. Il demande la conversion, c’est-à-dire un changement radical d’optique, d’orientation, de mentalité et de comportement, car le salut qu’il offre est de nature radicale, il est total. Il est la seule espérance pour l’individu aussi bien que pour la société. Lorsque le Baptiste faisait interroger Jésus au sujet de sa personne et de sa mission, Jésus lui a envoyé cette réponse :
« Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez, les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et l’Évangile est annoncé aux pauvres » (Mt 11.4-5).
Ainsi, la proclamation de l’Évangile et la guérison de nos misères vont de pair. Les miracles sont la preuve qu’une vie nouvelle fait irruption là ou on l’accueille. Il est le pain des affamés, il est la réconciliation de ceux qui sont séparés, il nous mène vers la véritable justice, dès à présent et pour l’éternité.