Cet article a pour sujet l'Esprit dans les écrits de l'apôtre Paul qui nous parle de la richesse reçue par l'Esprit, du Saint-Esprit et de la Trinité, et de l'eschatologie inaugurée par l'Esprit.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 8 pages.

La présence de l'Esprit - Le Saint-Esprit dans les écrits de Paul

  1. La richesse reçue par l’Esprit
  2. Le Saint-Esprit et la Trinité
  3. L’Esprit eschatologique

1. La richesse reçue par l’Esprit🔗

C’est un aperçu plutôt général de la théologie paulinienne que nous offrirons dans cette partie de notre chapitre. Le champ ouvert devant nos yeux est vaste, il s’étend même à perte de vue! Certes, le grand mystère de la personnalité de l’Esprit n’épuise pas à lui seul l’enseignement tellement riche du grand apôtre, mais il en constitue une partie essentielle.

D’ordinaire, le nom et l’activité de Paul sont associés au grand thème de la justification par la foi, à celui de la rédemption et à tout ce qui, de près ou de loin, concerne l’œuvre médiatrice du Rédempteur. Mais on aurait tort de négliger la partie considérable qu’il réserve à l’Esprit Saint.

Depuis peu, on est généralement d’accord entre les spécialistes de sa pensée que la place et le rôle du Saint-Esprit occupent une partie considérable dans sa proclamation de l’Évangile. Ce qu’il en dit est intimement, voire organiquement, lié aux autres thèmes qu’il développe, tels par exemple sa christologie, son eschatologie, toute son ecclésiologie et, bien entendu, l’idée radicalement nouvelle de l’homme en Christ, ou la sanctification.

Les passages principaux qui traitent de manière extensive et presque systématique du Saint-Esprit sont les suivants : Romains 8, qui s’occupe pratiquement de tout l’enchaînement de la révélation par le Saint-Esprit et son nouveau rapport avec la création; 2 Corinthiens 3, dans lequel il est souligné le rapport du Saint-Esprit avec l’âge nouveau et sa relation avec le Christ; 1 Corinthiens 12 à 14, qui traite de l’œuvre de l’Esprit dans l’édification de l’Église en tant que corps du Christ (nous le verrons mieux plus loin, dans le chapitre traitant des dons spirituels); Galates 5, qui s’occupe des fruits de l’Esprit dans l’existence du chrétien individuel.

La vie dans l’Esprit a commencé pour l’apôtre lors de son expérience damascène et, à partir de cet instant, elle a pris une orientation intégralement christocentrique. Le juif pieux et pharisien fanatique a rencontré Jésus qui s’est révélé à lui et a transformé de fond en comble sa conception ancienne de la vie religieuse. Désormais, il est « un nouvel être en Christ »; cette expression va apparaître plus de 160 fois dans ses écrits. Mais comme nous l’avons déjà vu, « être en Christ » est chez lui l’équivalent « d’être en l’Esprit ». Ce sont là deux synonymes pour décrire le mode d’être et d’exister du fidèle, devenu nouvelle création. Avoir reçu l’Esprit, c’est appartenir au Christ et, inversement, appartenir au Christ revient à avoir reçu l’Esprit. Ces deux « être » ne font qu’un, sans laisser supposer un seul instant qu’il s’agirait de deux phases successives d’une même expérience spirituelle, car être chrétien et ne pas avoir l’Esprit est une contradiction absolue.

En développant cette idée initiale et fondatrice de l’ensemble de son enseignement, saint Paul développera sa théologie qui, présentée succinctement, revient à ce qui suit : à ses yeux, l’œuvre extérieure du salut et l’œuvre intérieure, qui ressortit au domaine de l’Esprit, ont fait des membres de l’Église le Temple de l’Esprit. L’amour de Dieu est abondamment répandu dans nos cœurs par son Esprit (Rm 5.5). Le chrétien est fortifié par la puissance de l’Esprit qui l’habite (Ép 3.16-17; 5.18; Ga 5.25). Il conseille de mortifier les œuvres de la chair afin de vivre par l’Esprit.

Ces déclarations rappellent une immense chaîne illuminée par mille feux répandant leur vive clarté et éclairant la foi, l’espérance et la charité. Par l’Esprit, il nous fait découvrir l’indicible bonheur d’une expérience spirituelle authentique et profonde. La paix, la joie et la force nous sont accordées par l’Esprit. La paix avec Dieu, l’affranchissement par rapport au joug de la loi et tant d’autres bénéfices répandus sur le peuple des fidèles sont des aspects révélés, non pas pour constituer des fins en soi ou bien pour devenir des buts ultimes sur le chemin de la grâce, mais en vue de mener un mode de vie entièrement renouvelé pour la consécration du corps, considéré comme le sanctuaire où l’Esprit a élu domicile pour qu’il soit conforme à l’image du Fils. Nous sommes placés sur une piste nouvelle, lancés dans une nouvelle course dont le but est de nous engager dans une marche progressive nous menant d’une nouveauté vers une autre. Avec la logique théologique qui lui est propre et la cohérence qui caractérise son discours, saint Paul nous invite à ne jamais dissocier les deux aspects formant la totalité de notre rédemption : l’œuvre externe (« pro nobis », pour nous) et l’œuvre interne (« in nobis », en nous). Ces deux aspects forment ensemble la même réalité nouvelle. Ainsi recevons-nous les promesses de l’Esprit (Ga 3.13-14).

D’après l’apôtre, le chrétien sauvé n’est pas une fin en soi, mais il évolue dans une sphère nouvelle pour servir et se consacrer davantage à son Seigneur. La régénération n’est que la condition, la raison d’être fondamentale attestant la réalité de la rédemption. Dieu nous adopte pour faire de nous un peuple nouveau lui appartenant entièrement. Il le fait afin que l’Esprit, avec sa liberté souveraine et libre des entraves qu’imposaient à son action les anciennes dispositions de la loi, puisse œuvrer dans nos existences, nous conduire et nous maintenir sur la voie de la vérité et de la vie, c’est-à-dire vers le Christ en personne.

Aussi bien notre doctrine que notre vie suivront cette ligne à la fois théologique et empirique (au sens noble d’expérience) qui se fonde sur elle, tracée avec une autorité magistrale par le grand apôtre. Nous attacher exclusivement à la justification par la foi et nous immobiliser autour de cet article certes fondamental nous conduirait à renoncer au bénéfice découlant de cette même doctrine; ce serait ne pas tenir compte des richesses promises et réalisées en l’Esprit. Or l’Esprit, lui aussi, est reçu par la foi. Heureux celui qui est fondé une fois pour toutes sur le roc de la vérité; il demeure inébranlable et immuable, il s’abreuve à la source de la vie; autant par son discours que par sa conduite, il rend un éloquent et reconnaissant témoignage à la réalité de la nouvelle vie engendrée par l’Esprit, croissant dans la Parole qu’il a lui-même inspirée.

L’apôtre présente la totalité de la grâce offerte. L’Esprit, agent et dispensateur exclusif de vie nouvelle, soutient notre foi et nous prévient contre l’égarement. Le fidèle est né de lui; il vit de la vie nouvelle engendrée par l’Esprit. Celui-ci l’unit à son Seigneur; il le maintient dans la communion vitale avec la Tête; il est celui qui, dans l’union mystique, l’associe à son Époux (1 Co 6.17). Il a été reçu afin de connaître les choses qui nous sont données (« ta christhenta ») de Dieu. Cette révélation n’a pas seulement trait à ce qui est futur, mais aussi au présent, un présent rien moins que surnaturel, signe avant-coureur de ce qui adviendra plus tard. Il dispense des richesses actuelles qui ne relèvent pas d’un domaine nébuleux, mais qui, librement offertes, peuvent être déjà touchées et goûtées (voir aussi 2 Pi 1.3). Grâce à l’Esprit, nous devenons les propriétaires des trésors divins afin de pouvoir en user avec joie et glorifier le Donateur.

Il accorde une connaissance intérieure nouvelle et surnaturelle, celle de notre adoption. Il en imprime l’assurance indéfectible (Rm 8.15-17). L’Esprit porte témoignage à nos esprits que nous sommes enfants de Dieu; et si nous le sommes, nous sommes aussi cohéritiers avec le Christ. Il le fait d’une manière qui lui est propre, peu importent les détails de la modalité avec laquelle il opère. Il ancre en nous des certitudes. Les promesses communiquées par lui sont véritables. Elles sont ce qu’elles énoncent : celui qui va au Christ ne s’adressera jamais à lui en vain (Jn 6.37). Il sera accueilli pour être en union filiale avec le Père, incorporé à la glorieuse vie nouvelle, membre de la sainte famille de Dieu le Père et frère de notre aîné, le divin Fils.

Qu’on relise la description qui en est faite dans Romains 5; tous les privilèges de l’adoption divine y sont énumérés. L’amour de Dieu est richement répandu dans nos cœurs. Il s’agit de l’amour dont nous sommes devenus les bénéficiaires. Tandis que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort en temps opportun. Cet amour n’a pas seulement son origine en Dieu; l’expression qu’il revêt est aussi de nature divine. L’Esprit nous répartit l’amour de Dieu. En habitant notre cœur, il fait en sorte que nous l’appréhendions pleinement et sans douter, et que nous saisissions la profondeur et la solidité de la miséricorde divine qui se révèle en notre acquittement. L’amour est réellement répandu (« ekchuetai »).

D’après Éphésiens 3.17, la présence du Christ est attestée dans nos cœurs par la foi. Nous constatons avec Romains 8.16 que non seulement l’Esprit rend témoignage à nos esprits, mais encore avec nos esprits. Du côté de l’Esprit, nous entendons : « Tu es l’enfant de Dieu. » De notre côté, nous dirons : « Effectivement, tu es notre Père. » La réalité en est tellement merveilleuse que l’apôtre parle de notre réception de la pensée même de l’Esprit (« to fronema »). D’après le verset 27, cette pensée consiste en la paix qui nous a été procurée. Le croyant, pécheur et mortel, a sans cesse recours à la miséricorde divine. Cependant, il a été visité de façon inattendue et il est habité par celui qui le sanctifie et le glorifie. Aussi, plus il persévère dans la prière, plus il se donne au Seigneur (Rm 6.13) et plus il est à même de porter des fruits conformes à cette pensée.

Quelles en sont les conséquences? En tout état de cause, nous ne remarquons aucune trace, même pas la moindre velléité, de sensationalisme spiritualiste, pas plus que de fanatisme dogmatique. Il s’agit simplement d’amener toute pensée captive à l’obéissance du Christ. La foi par laquelle le Christ habite nos cœurs est l’effet dans notre âme de la force accordée par l’Esprit. Celui-ci est l’Esprit de la foi. Inversement, ce n’est que par la foi que nous accueillons la promesse (Ga 3.2-4).

Nous connaissons l’antithèse que l’apôtre établit entre la chair et l’esprit. L’esprit ne désigne pas la meilleure partie de l’homme. Au contraire, il s’agit de l’Esprit de Dieu, du Paraclet, dirons-nous. Celui qui sème pour l’Esprit sème pour Dieu (Ga 6.8). Le grain de l’expérience est jeté dans des terreaux divins. Si l’Esprit nous confronte à la tentation, il produit aussi des fruits de sainteté. Il mortifie les machinations (« praxeis ») de la chair. Si cette dernière a des désirs (« epithumiai »), les convoitises mondaines, l’Esprit désire le contraire et il les combat vigoureusement.

Nous puiserons un immense encouragement de cet exposé apostolique sur le Saint-Esprit. L’Esprit nous conduit sur une voie lumineuse et nous amène au Christ pour la seule gloire du Père. Quoique la chair restera toujours présente, l’Esprit en nous luttera contre elle et nous protégera. Cette expérience nous empêchera de ruminer sur les aspects négatifs de notre expérience chrétienne. Si la chair est là avec ses faiblesses, l’Esprit est toujours présent pour nous soutenir avec sa toute-puissance. Paraphrasant une parole de l’apôtre, on pourrait presque dire, en ce qui concerne le fidèle, que là où la chair a abondé, l’Esprit a surabondé! Là où est l’Esprit là est aussi la liberté. Celui donc qui vit sous le régime de l’Esprit sera humble, reconnaissant, bienheureux. Il est soumis au règne de l’Esprit, qui est le Seigneur qui nous habite sans se confondre avec nous-mêmes.

Il révèle nos besoins spirituels et crée la soif de la sainteté. Dans nos luttes intérieures, nous serions rapidement à bout de forces, mais nous pouvons nous appuyer sur lui. Il ne nous laisse pas démunis. La vie dans la foi, ainsi que toute expérience spirituelle, ne signifie pas forcément des exploits spectaculaires, mais plus simplement et modestement la soumission à l’Esprit pour être conduits par lui. Or, il nous conduit invariablement vers le Christ, le Seigneur. Pour vivre notre vocation céleste, il nous séparera du « monde » afin que nous appartenions totalement et exclusivement à Dieu. Pour rechercher notre sanctification, une seule voie nous suffit : chercher le Christ et connaître la puissance de sa résurrection par l’intermédiaire de l’Esprit et pour la plus grande gloire de Dieu le Père.

En récapitulant et en résumant ce qui précède, nous verrons ce que l’Esprit accomplit dans la vie du chrétien, l’homme nouveau, ainsi que dans l’Église : Il nous met dans une condition nouvelle, un statut nouveau vis-à-vis de Dieu; il crée un peuple spirituel; il régénère; il adopte le pécheur en tant qu’enfant de Dieu; il accorde une nouvelle liberté; il édifie l’Église en tant que le corps du Christ; il la déclare le Temple où habite Dieu; il est Facteur et Agent de communion; il lui accorde la diversité des dons spirituels; il baptise et il appose son sceau; il engendre des fruits, car il est l’Esprit de puissance (2 Tm 1.7); il est enfin l’Esprit de prière.

2. Le Saint-Esprit et la Trinité🔗

Une appréciation juste et équilibrée de la pneumatologie paulinienne ne saurait faire l’économie de la placer dans son ensemble sous un angle trinitaire1. En effet, rien n’y est dit au sujet de l’Esprit qui ne concerne les deux autres personnes de la sainte Trinité, en termes de son unité avec elles, de son harmonie et de toute la collaboration dans l’économie du salut entre Dieu le Père, Jésus-Christ le Fils et le Saint-Esprit. Des théologiens ont fort opportunément attiré l’attention sur le fait qu’il ne fallait pas traiter de l’Esprit dans les écrits de saint Paul à la manière dont l’histoire ultérieure de l’Église l’a fait en termes de « problème » relatif à la Trinité et à la question concomitante de l’existence d’un seul Dieu en trois personnes. Pour l’apôtre, ceci ne constituait pas comme tel un problème. Avec raison, on a relevé le point qu’aussi bien dans la vie de l’Église que dans l’existence individuelle du fidèle, le Père, le Fils et le Saint-Esprit opèrent ensemble dans une harmonie totale. L’exemple le plus clair de ceci se trouve dans 1 Corinthiens 12.4-6 qui traite des dons spirituels :

« Il y a diversité de dons (“charismata”), mais le même Esprit (“pneuma”); diversité de services (“diakoniai”), mais le même Seigneur (“kurios”); diversité d’opérations (“energemata”), mais le même Dieu (“théos”). »

Cette même unité et la diversité de l’opération de la grâce de la part du Père, du Fils et du Saint-Esprit se voient de nouveau dans Romains 1.1-4, dont on ne saura sous-estimer l’importance. Dans l’introduction de sa lettre aux Romains, sans doute la plus importante, l’apôtre souligne que, pour le salut du monde, Dieu (le Père) permit à son Fils de naître de la lignée charnelle de David, puis de ressusciter des morts par le moyen du Saint-Esprit qui l’a glorifié avec puissance comme Fils de Dieu et Messie (comparer également Rm 8.3-11; 2 Co 13.13; Ép 1.3-14; Tt 3.4-7; 1 Th 1.2-5). L’Esprit est celui qui inspire non seulement la révélation écrite, mais encore l’ensemble de l’histoire du salut. Car Jésus n’a pas reçu l’Esprit avec mesure (Jn 3.34), mais, et surtout, comme celui qui inspire l’acte central et décisif de cette histoire, de l’histoire des actes rédempteurs divins, à savoir la résurrection.

3. L’Esprit eschatologique🔗

Un aspect particulier de la théologie du Saint-Esprit chez Paul mérite encore d’être souligné avant de clore l’examen de sa pensée. Il s’agit du caractère eschatologique de la présence de l’Esprit dans le fidèle. La venue du Saint-Esprit est un événement eschatologique par excellence. Elle est le signe et la preuve comme quoi un âge nouveau (un nouvel « aiôn ») a été inauguré; elle est également l’assurance et le sceau apposés sur la réalité de l’âge à venir.

Certes, l’âge nouveau a débuté avec l’incarnation et surtout avec la mort et la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. Avec la résurrection de Jésus-Christ, une dispensation entièrement nouvelle a été inaugurée, celle du Saint-Esprit! En cet événement se trouve la connexion la plus intime autant que l’interaction la plus totale entre Jésus-Christ et le Saint-Esprit. Nous l’avons vu plus haut, c’est par la puissance du Saint-Esprit que Jésus est ressuscité des morts (Rm 1.4). Né dans la chair en tant que descendant physique de David, il est ressuscité des morts en tant que Fils de Dieu. Et ce n’est précisément qu’après cette résurrection que le Christ pouvait répandre le Saint-Esprit sur son Église.

On a dit avec raison que chez lui l’expérience du Saint-Esprit est de nature eschatologique, mais qu’en sa qualité, elle est entièrement christocentrique. Cette expérience dans le « Pneuma » distingue le croyant de ceux qui vivent en dehors de la sphère de la foi.

L’espérance chrétienne de Paul se définit à la fois par l’attente de l’accomplissement futur des promesses et par le passé récent qui en a déjà vu un début d’accomplissement. La résurrection du Christ a rendu accessible dès à présent la vie à venir. Celle-ci n’est pas l’attente d’un futur lointain et indéfini, mais se manifeste déjà sur terre et dans notre propre histoire.

C’est dans ce sens-là que l’activité et toutes les opérations de l’Esprit chez le croyant peuvent se dire eschatologiques, c’est-à-dire liées à l’accomplissement final, à condition toutefois que celui-là soit intimement relié à la qualité intérieure de cet événement final. Dans cette situation toute nouvelle, radicalement autre, le facteur temps devient alors indifférent.

Deux termes grecs explicitent le rôle eschatologique présent de l’Esprit, l’un est « aparchè », les prémices, l’autre est « arrabôn », c’est-à-dire le gage. Ces deux termes soulignent le double aspect de l’assurance et de l’anticipation qui sont liées avec le don de l’Esprit durant l’âge présent.

J.C. Coetzee rappelle que le premier dérive de la législation d’Israël où il se réfère à l’offrande sacrificielle des premiers fruits d’une moisson. Les prémices de la moisson appartiennent au Seigneur Dieu, aussi lui doivent-elles être offertes. Ainsi, tout Israélite reconnaît que tous les biens qu’il cueille de la nature lui viennent directement des mains du Seigneur Dieu, Créateur et Providence. Simultanément, elles assurent que la moisson tout entière sera engrangée. Dans les prémices, c’est la moisson tout entière qui est représentée et assurée. L’analogie avec le Saint-Esprit devient évidente et une illustration de cette pensée se trouve dans Romains 11.16.

Dans Romains 8.23, l’apôtre appelle l’Esprit « aparchè », c’est-à-dire le don de Dieu comme prémices fait à ses enfants. Sa grâce leur est offerte comme Saint-Esprit. Ici, ce n’est plus l’homme qui apporte son offrande, mais les rôles sont intervertis, puisque ce sont les croyants, les enfants de Dieu, qui les reçoivent. Selon Paul, ce don-offrande est accordé dans un contexte entièrement eschatologique. Il convient de lire le passage tout entier et de voir à sa lumière la peine actuelle et le gémissement de la création comme celui des enfants de Dieu. Tandis que le monde disparaît dans la décadence, la nouvelle création est promise et les enfants de Dieu sont appelés cohéritiers avec le Christ. Il y existe une assurance selon laquelle nous recevrons avec le Christ l’héritage dans sa totalité. Ainsi, le don de l’Esprit est la source de notre certitude selon laquelle l’âge nouveau est déjà inauguré, de même que la source de notre désir de voir la consommation de toutes choses s’achever.

L’Esprit est également « arrabôn », terme qui appartient au vocabulaire du domaine économique et légal. Il désigne le premier versement d’une dette ou d’une transaction financière. C’est dans ce sens-là que nous devons voir le don de l’Esprit fait par le Christ à son Église le jour de la Pentecôte. Ici aussi, le don eschatologique est divisé en deux portions dont la première est une expérience actuelle, mais dont la totalité reste, pour l’heure, dans l’attente d’une réalisation future, au sens d’eschatologique. Les bénédictions de l’âge à venir demeurent l’objet de notre espérance. Pourtant, elles ont été, quoiqu’en partie, déjà accordées.

Selon Romains 8.29 et 1 Corinthiens 15.49, les croyants seront rendus conformes à l’image de Dieu. Suivant le contexte respectif de ces passages, la transformation totale n’aura lieu qu’à la résurrection finale. Celui qui a porté l’image d’homme de poussière portera à cause de la résurrection du Christ celle du second Adam. Cette transformation radicale, à la fois actuelle et future, s’effectuera par l’intermédiaire de l’Esprit. Dans Philippiens 3.21, l’Esprit est présenté sous l’aspect de la puissance qui s’assujettit toutes choses. Dans 1 Corinthiens 15, quoiqu’il ne soit pas littéralement dit que le « Pneuma » accomplira la transformation, cela s’entend néanmoins d’après le changement d’existence, qui se transformera de corps psychique en corps pneumatique ou spirituel. Dans 2 Cointhiens 3.18, l’apôtre se réfère de nouveau à notre conformité à l’image du Christ. Notons qu’il voit ici la transformation comme ayant actuellement eu lieu (Col 3.10; Rm 12.3).

Dans 2 Corinthiens 4, où il prend la défense de son apostolat, Paul établit une nette distinction entre les deux manières différentes de considérer son apostolat. D’une part, il parle de l’homme extérieur qui périt, de l’homme Paul, dont l’existence personnelle est marquée par toutes les fragilités de la vie présente et brisée par mille coups et dont la chair subit toutes sortes d’assauts violents; d’autre part, l’homme intérieur est quotidiennement renouvelé. Ce contraste entre l’homme intérieur et l’homme extérieur est parallèle à un autre contraste, plus fondamental encore, qui apparaît au verset 18 entre les choses visibles et celles qui sont invisibles, aperçues par la seule foi. D’après 2 Corinthiens 4.16, notre homme extérieur et notre homme intérieur ne relèvent pas d’un dualisme psychologique, mais d’un dualisme eschatologique; il y a l’homme vu maintenant et l’homme qui sera révélé au dernier jour. En d’autres mots, grâce à l’Esprit, nous devenons déjà l’homme que nous serons lors de la résurrection finale.

Bien que cette transformation ne puisse être comprise par ceux dont les perspectives sont limitées aux choses visibles et terrestres, elle est pleine de sens pour Paul, dont le regard embrasse l’au-delà de ce qui est terrestre. De même que nous porterons l’image du Christ, ainsi nous avons part maintenant et déjà à la gloire future. Le regard qui peut embrasser le but, c’est-à-dire la gloire du Christ, est également capable de saisir l’illumination dans la transformation actuelle. À la manière de tous les autres dons de Dieu, le « eikôn », c’est-à-dire l’image, est aussi une « aparchè », des arrhes. Selon le dictionnaire théologique du Nouveau Testament de Kittel, « cette eschatologie-là est déjà à l’œuvre et sa présence a une base eschatologique ».

La transformation présente est vue par Paul comme effectuée par l’Esprit (2 Co 3.18). L’Esprit est donc un « arrabôn » (2 Co 5.5). D’après 2 Corithiens 1.22 et Éphésiens 1.14, il faudrait préférer la traduction « premier versement ».

Dans 1 Corinthiens 15, l’apôtre aborde des questions similaires en traitant du même problème fondamental, mais présenté dans une situation différente. Tandis que, dans 2 Corinthiens 5.17, il souligne le « déjà » de l’existence eschatologique, qui dépasse de loin tout autre effet de son ministère actuel, dans 1 Corinthiens 15, il insiste davantage sur le fait que nous ne sommes pas encore spirituels, célestes et parfaits; ici, il établit un contraste entre le présent et le mode futur de l’existence, exprimé par l’antithèse « sôma psuchikon », corps naturel ou psychique maintenant, et « sôma pneumatikon », corps spirituel alors. Il s’agit de nouveau d’un dualisme eschatologique. Avant la résurrection, on ne peut s’attendre qu’à ce que le « psuchikon » soit faible et mortel, non parce qu’il est simplement pécheur, mais aussi parce qu’il appartient également à l’ordre présent créé. Son existence comme « sôma psuchikon » est encore élucidée au verset 47 où, comme partout ailleurs, l’image du premier Adam est présentée comme terrestre, « choikos ». L’image que nous porterons ensuite sera celle du second Adam, c’est-à-dire le corps céleste. À l’avenir, l’Esprit marquera définitivement notre existence; il nous permettra de participer pleinement à l’image du Fils de Dieu. Actuellement, nous recevons l’Esprit comme un avant-goût et, dans ce sens, lui aussi appartient au temps de la fin.

Tout ce qui dérive de cette présence eschatologique de l’Esprit en nous, notamment la dimension éthique, lui est associé. Galates 5.22 sera interprété comme une éthique de l’Esprit, lequel a déjà fait irruption dans notre existence avant le temps à venir. L’Esprit et l’éthique sont ainsi étroitement liés au Royaume. Romains 14.17, et plus directement encore Colossiens 3.1-10, associent étroitement l’éthique à ce qui est céleste, là où se trouve déjà le Christ.

Il n’existe pas seulement une tension éthique introduite par l’invasion de l’Esprit en sa qualité de principe de l’existence future. Sa réception introduit également le chrétien de manière empirique dans une tension qui est créée par l’histoire du salut. C’est là le paradoxe eschatologique du « déjà » et du « pas encore » de la vie chrétienne placée sous l’Esprit, vécue par la seule foi.

J.C. Coetzee rappelle que cette tension était déjà présente dans la vie terrestre du Christ : Jésus-Christ est venu; pourtant, il doit encore revenir. Le royaume est venu; pourtant, le disciple doit prier pour son avènement. Satan a été écrasé lors de la crucifixion du Sauveur; pourtant, durant notre vie présente, nous le voyons encore à l’œuvre et par moments nous ne voyons que lui avec sa puissance active. Le pouvoir dominateur du péché sur nous a été surmonté par le Christ; néanmoins, « chaque jour et de plusieurs manières », nous commettons des péchés. La mort a été conquise par celle du Christ et par sa résurrection; cependant, nous devons encore passer par elle. Mais l’Esprit Saint, et lui seul, lie notre présent fragile à notre avenir glorieux.

Note

1. D’après J.C. Coetzee, N.G.K.B.