Cet article a pour sujet le rôle de l'Esprit dans les Évangiles synoptiques, depuis la conception de Jésus, puis son baptême, sa tentation, et durant son ministère public, ainsi que le message de Jésus sur le Saint-Esprit.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 6 pages.

La présence de l'Esprit - Le Saint-Esprit dans les Évangiles synoptiques

  1. La naissance du Christ
  2. Le baptême de Jésus
  3. La tentation
  4. Le ministère public de Jésus et le Saint-Esprit
  5. Le message de Jésus et le Saint-Esprit

Les Évangiles synoptiques contiennent peu de références explicites à l’Esprit telles que nous les trouverons dans le quatrième Évangile. Parmi eux, c’est Luc qui offre le plus de renseignements sur notre sujet.

Tous les trois expriment la conviction selon laquelle l’Esprit fait partie de la manifestation de Dieu, qu’il est l’Esprit de la prophétie. Cependant, dans les discours de Jésus, il apparaît aussi comme le don eschatologique de Dieu. Marie est « enveloppée de la puissance du Très-Haut » (Lc 1.35). Cette expression possède son parallèle dans l’Ancien Testament, où l’Esprit recouvre le tabernacle, de telle sorte que la tente d’assignation est remplie de sa gloire divine. Offrons ici en cinq paragraphes l’essentiel de l’enseignement des trois premiers Évangiles sur la personne et l’opération du Saint-Esprit.

1. La naissance du Christ🔗

Étant donné le sujet que nous nous sommes proposé, il ne nous semble pas indispensable d’examiner les passages bibliques en rapport avec l’apparition et le ministère du précurseur de Jésus, Jean surnommé le Baptiste.

Les deux récits de la nativité de Jésus dans Matthieu 1 et dans Luc 1 n’ont pas de points communs à l’exception de leur référence à l’Esprit et à son intervention. La naissance et la conception de Jésus ne sont pas dues à l’activité sexuelle ordinaire d’un père humain. C’est l’archange Gabriel qui apparaît à Marie pour lui annoncer sa conception par l’Esprit et la naissance virginale du Sauveur, le Fils de Dieu. Le Saint-Esprit est l’Agent divin de cette conception et de cette naissance miraculeuses. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que ce que les textes nous rapportent. Le pourquoi de ce mode de naissance ne nous sera pas explicitement donné. Nous aurions cependant tort de l’assimiler à des légendes hellénistiques et à des naissances de héros semi-divins et parahumains.

Notre propos ici n’étant pas de prouver la naissance miraculeuse du Christ, que nous affirmons en commun dans la foi de l’Église universelle (« il a été conçu du Saint-Esprit, il est né de la Vierge Marie »), nous nous bornerons à citer seulement l’intervention de l’Esprit. L’œuvre de l’incarnation est ainsi placée sous son contrôle et sous sa direction. Jésus n’est pas issu d’homme, il nous vient de Dieu. Si pour la foi de l’Église primitive la réception de l’Esprit inaugurait l’âge nouveau, à plus forte raison la naissance du Christ, due à l’intervention de l’Esprit, l’annonçait déjà bien avant la Pentecôte. Le Sauveur est un être unique. L’activité de l’Esprit dans l’incarnation demeure pour nous un mystère inscrutable, mais d’une réalité qu’on ne peut nier. C’est là, par exemple, le témoignage du vieillard Siméon qui reçoit l’enfant dans ses bras de la part même de l’Esprit, car il avait reçu la promesse selon laquelle il ne mourrait pas avant de rencontrer le Messie. L’Esprit lui accorde le don de la prophétie quand Siméon annonce que cet enfant sera la lumière des Gentils (Lc 2.25-32).

2. Le baptême de Jésus🔗

Le baptême de Jésus (Mt 3; Mc 1; Lc 3) fournira une autre occasion de manifester publiquement la présence et l’opération de l’Esprit. Le Baptiste le nomme explicitement.

Le baptême de Jésus constituait pour le ministère du précurseur l’apogée de sa carrière, lui, cet « ange », l’envoyé de Dieu qu’est Jean. Jean l’avait annoncé bien avant l’événement : « Celui qui viendra après moi […] vous baptisera d’Esprit » (Mt 3.11). Il lui sera supérieur. Bien que le baptême auquel Jésus s’est soumis ne fut que celui de la repentance, parce qu’il vint s’identifier avec son propre peuple, il reçut néanmoins le sceau de l’Esprit. Les trois synoptiques rapportent que lorsque Jésus fut baptisé et qu’il sortit de l’eau, les cieux s’ouvrirent, ou se déchirèrent selon Marc, signe que Dieu allait se révéler. Selon Luc, cela se produisit lorsque Jésus pria. Le Saint-Esprit vint alors se poser sur lui sous la forme d’une colombe. C’est une confirmation de la présence réelle de l’Esprit, qui se manifeste de manière visible, voire corporelle. Cette présence n’a rien de fictif.

Selon une tradition rabbinique, le son de l’écho divin ressemblerait à la voix d’une colombe. Une autre tradition rabbinique prétend que l’Esprit se mouvait au-dessus des eaux primitives tel un oiseau survolant une étendue au-dessous de lui. Se basant sur 1 Pierre 3.20, des théologiens rapprochèrent cette forme de manifestation physique de l’Esprit de la colombe que Noé relâcha après le déluge. D’autres associent la colombe à Israël et Jésus au nouvel Israël. Nous en tenant exclusivement à ce qui a été prédit dans l’Ancien Testament, nous pensons que la prophétie d’Ésaïe 42.1 s’accomplissait en ce moment du baptême de Jésus. L’Esprit venait sur le Messie; Matthieu 12.18 nous le confirme. L’Esprit demeure sur la descendance de David (És 11.1). Mais la venue de l’Esprit sur Jésus devra être associée à la voix entendue du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mon affection » (Mt 3.17). Dans son premier discours public dans la synagogue de Nazareth, Jésus fait allusion à la promesse messianique (Lc 4.18). De son côté, en interprétant le baptême de Jésus, Pierre déclare que Dieu l’avait oint d’Esprit (Ac 10.38).

La descente de l’Esprit sur Jésus n’est pas seulement l’occasion de révéler son identité ni de simplement le doter de la puissance d’en haut; elle est aussi l’intention d’inaugurer l’âge nouveau. Pour notre sujet, il est important de noter que le baptême de Jésus, de même que sa naissance, sa passion et sa résurrection font partie intégrante de l’œuvre de la rédemption. Il serait téméraire d’en déduire que son baptême est le prototype de la deuxième bénédiction et de notre baptême en Esprit. James Dunn fait remarquer avec raison que l’expérience de Jésus au Jourdain est bien plus qu’une simple expérience personnelle, c’est un moment unique dans l’histoire, le début d’une nouvelle ère dans l’histoire du salut qu’est l’époque messianique. Selon Dunn, même si le baptême de Jésus est pour lui une seconde bénédiction, il n’est que l’événement qui commence la Nouvelle Alliance, il inaugure l’âge messianique et initie Jésus à cet âge messianique.

3. La tentation🔗

Dans les synoptiques, l’Esprit est très actif après le baptême. Il « conduit » Jésus dans le désert pour qu’il y soit tenté. Les trois récits (Mt 4.1-11; Mc 1.12-13; Lc 4.1-13) associent clairement la tentation au baptême qu’il venait de recevoir. Mais fait important, ils insistent tous les trois à signaler que c’est l’Esprit qui le conduit dans le désert afin d’y être tenté. On pourrait établir un parallèle avec la délivrance d’Israël du pays d’Égypte et son séjour au désert, où l’a conduit l’Éternel, son Libérateur. C’est donc sous la direction de l’Esprit que la vocation messianique de Jésus est mise à l’épreuve. D’après Matthieu et Luc, la tentation consiste à mettre Jésus à l’épreuve pour voir s’il va céder aux attentes messianiques populaires, ou bien s’il résistera à l’usage du pouvoir politique pour devenir le Serviteur souffrant en acceptant la croix. Or, lors de la descente de l’Esprit, Jésus s’est parfaitement rendu compte qu’il était à la fois le Messie et le Serviteur souffrant.

4. Le ministère public de Jésus et le Saint-Esprit🔗

Après la tentation, l’Esprit conduit Jésus à la synagogue de Nazareth où il va délivrer son premier discours public. C’est là qu’il déclarera que l’Esprit l’habite (Lc 4.4-21). Dès le début de son ministère, Jésus s’est présenté comme le Messie et comme le Serviteur souffrant. C’étaient là, on s’en souvient, deux figures prophétiques familières, chacun ayant son identité distincte. Pour Jésus, le rôle du Messie est de proclamer la faveur de Dieu manifestée et offerte dans le salut et lors de l’inauguration de l’âge nouveau. Son message dépasse de loin l’annonce du jugement que les Juifs avaient retenu de leur lecture de l’Ancien Testament. Jésus clarifiera ce point lorsque des envoyés du Baptiste viendront l’interroger sur son identité. Même si Jean, en sa qualité de précurseur, eut l’immense privilège d’annoncer Jésus comme « celui qui vient après moi », deux autres aspects de l’âge nouveau, le salut et le jugement, vont aussi ressortir du ministère de Jésus.

Le discours de Jésus dans la synagogue de Nazareth contenait en noyau tous les grands thèmes de son ministère public. Auparavant, l’Esprit l’avait conduit dans le désert où il devait livrer un combat gigantesque et dont il sortit vainqueur. À présent, oint de nouveau par le même Esprit, il vient libérer les captifs de Satan, qu’il a dérouté. En effet, l’ère du salut a débuté. En sa personne, on voit s’accomplir les promesses divines. Jésus accentuera l’aspect positif du salut, authentifié par la présence en lui du Saint-Esprit.

Dès lors, le ministère public de Jésus devint le théâtre des grands actes et des manifestations puissantes en faveur des déshérités, des souffrants, des égarés, des pécheurs. Il prêcha avec autorité et agit doté du pouvoir de l’Esprit. C’est grâce à lui qu’il chassa les démons. Les exorcismes qu’il opéra donnèrent sans exception la preuve de son étroite association avec l’Esprit; Matthieu 12.28 en offre une indication claire. Au lieu de mentionner ici l’Esprit, Luc parle du doigt de Dieu (Lc 11.20), mais ceci ne change rien à la réalité des choses. Qu’il chasse les mauvais esprits par l’Esprit de Dieu devient évident dans la parole qui déclare qu’il faut lier l’homme fort avant de prendre possession de sa maison (Lc 11.21-22). Chacun des exorcismes annonce triomphalement la déroute de Satan.

Aux yeux des trois premiers Évangiles, la mission de Jésus ne peut se concevoir qu’en liaison étroite avec l’opération de l’Esprit; ce que Dieu promet aux disciples, il l’aura d’abord vécu en personne et en aura fait l’expérience profonde. Le fait d’être conscient d’un don exclusif tel que celui de l’Esprit rendait Jésus capable d’agir avec puissance et de prêcher la Parole de Dieu avec autorité. En réalité, sa conscience messianique peut être résumée en un seul mot : l’Esprit de Dieu. Ne pas reconnaître la présence de l’Esprit en lui, c’est commettre le péché impardonnable. C’est le fameux blasphème contre le Saint-Esprit qui ne sera point pardonné (Mc 3.22-30; Lc 11.14-23). Ce péché n’est pas une faute ordinaire, mais le refus obstiné de le reconnaître comme le Fils unique de Dieu et la révélation suffisante et ultime. C’est l’accuser de possession démoniaque. Tout autre péché peut être pardonné aux hommes, mais pas celui-ci. S’il était équivalent pour les rabbins de parler contre le Saint-Esprit et de parler contre la Torah (la loi écrite de Dieu), Jésus, avec son inspiration et toute sa mission, est supérieur à la Torah. Voici l’essentiel de la définition que Calvin donne du péché contre le Saint-Esprit :

« Mais il nous faut amener la vraie définition, qui, étant prouvée par bons témoignages, annihilera facilement les autres. Je dis donc que pèche contre le Saint-Esprit, celui qui étant touché de la lumière de la vérité de Dieu, en sorte qu’il ne peut prétendre ignorance, néanmoins y résiste de malice délibérée, seulement pour y résister. Car le Seigneur Jésus, voulant expliquer ce qu’il avait dit, ajoute conséquemment : que celui qui aura dit parole contre lui, obtiendra pardon; mais celui qui aura blasphémé contre l’Esprit n’aura nulle grâce. Et s. Matthieu, au lieu de le nommer “blasphème contre l’Esprit”, met “esprit de blasphème” (Mt 12.31; Mc 3.29; Lc 12.10). Comment se peut-il faire, que quelqu’un fasse opprobre au Fils de Dieu, sans que cela rejaillisse sur son Saint-Esprit? C’est quand un homme par ignorance contredit à la vérité de Dieu qu’il n’a point connue, et par ignorance détracte de Christ : ayant néanmoins telle affection, qu’il ne voudrait nullement éteindre la vérité de Dieu, quand elle lui serait révélée, ou dire une seule mauvaise parole contre celui qu’il estimerait être Christ. Telle manière de gens pèchent contre le Père et contre le Fils. Ainsi aujourd’hui il y en a beaucoup qui haïssent et rejettent la doctrine de l’Évangile, laquelle, s’ils pensaient qu’elle est l’Évangile, ils l’auraient en grand honneur, et l’adoreraient de tout leur cœur.
Mais ceux qui sont convaincus en leurs consciences que la doctrine qu’ils combattent est de Dieu, et toutefois ne laissent point d’y résister et de tâcher de la détruire, ceux-ci blasphèment contre l’Esprit, d’autant qu’ils bataillent à l’encontre de la lumière qui leur était présentée par la vertu du Saint-Esprit. Il y en avait de tels entre les Juifs, qui, bien qu’ils ne pussent résister à l’Esprit parlant par la bouche de s. Étienne, néanmoins s’efforçaient d’y résister (Ac 6.10). Il n’y a point de doute que quelques-uns ne fussent mus par un zèle inconsidéré de la loi; mais il appert qu’il y en a eu d’autres, qui de malice et d’impiété certaines enrageaient contre Dieu : c’est-à-dire contre la doctrine qu’ils ne pouvaient ignorer être procédée de Dieu. Tels étaient les pharisiens que Jésus-Christ rédargue, qui, pour renverser la vertu du Saint-Esprit, la diffamaient comme si elle eût été de Béelzébul (Mt 9.34; 12.24). Voilà donc ce qu’est l’esprit de blasphème : à savoir, quand l’audace de l’homme, de propos délibéré, tâche d’anéantir la gloire de Dieu. Ce que s. Paul indique, quand il dit qu’il a obtenu miséricorde, en tant que par mégarde et ignorance il avait été incrédule (1 Tm 1.13). Si l’ignorance conjointe avec l’incrédulité a fait qu’il obtint pardon, il s’ensuit qu’il n’y a nulle merci [pardon], quand l’incrédulité vient de la science et d’une malice délibérée.1 »

5. Le message de Jésus et le Saint-Esprit🔗

L’Esprit est celui qui accordera sa direction aux disciples lors des persécutions pour motif de foi (Mt 10.19-20; Mc 13.11; Lc 12.11-12). Chez Marc, le discours eschatologique en fournit l’occasion; chez Matthieu, c’est la mission des 70, et chez Luc, c’est le cadre général qui associe la direction de l’Esprit au passage précédant contenant et rapportant le blasphème contre l’Esprit. Selon Jésus, l’Esprit est accordé comme l’exaucement de la prière. Matthieu présente une variante à ce don en parlant de « bonnes choses » au lieu de l’Esprit (Mt 7.11, voir aussi Lc 11.13).

Il est certainement légitime de déduire que le Saint-Esprit constitue la « meilleure chose » que l’on s’attend à recevoir de la part de Dieu. Dans Luc 24.49, nous rencontrons également la pensée du don de l’Esprit (ce qui établit un parallèle avec Ac 1.8). La formule baptismale de Matthieu 28.18 contient l’une des allusions les plus explicites et les plus riches que les synoptiques font à l’Esprit. Il est essentiel que les disciples envoyés comme missionnaires sachent d’où leur viendra le secours et au nom de qui ils doivent baptiser. On peut se demander pour quelle raison les synoptiques n’ont pas accordé une plus grande place au Saint-Esprit. De nombreux passages s’y rapportent, mais rares sont ceux qui considèrent l’Esprit dans un rapport d’intimité étroite avec les événements majeurs du ministère de Jésus que Jean et Paul soulignent si fortement.

Néanmoins, le rapport entre l’Esprit et les événements majeurs de la vie du Christ n’y est pas mince. Les discours de Jésus préparent son avènement. L’Esprit viendra après son départ. Ses opérations seront nombreuses dans le ministère confié aux disciples. On peut aussi rappeler que les synoptiques se fondent surtout sur les idées héritées de l’Ancien Testament. En ce sens, ils n’innovent rien. Certains expliquent la rareté des références par le fait qu’au moment de la rédaction des trois premiers Évangiles, la doctrine du Saint-Esprit était déjà établie dans l’Église, ce qui rendait superflu le fait d’en élaborer les traits en détail. On peut ajouter à cela que la rareté des textes synoptiques traitant de l’Esprit constitue une preuve supplémentaire de l’authenticité des paroles et des formules qui le concernent.

Certes, il existe relativement peu de références à l’activité future de l’Esprit dans les trois premiers Évangiles. Comme nous venons de le voir, l’accent majeur est placé d’une part sur la conception et la naissance de Jésus, d’autre part sur l’inspiration et le ministère terrestre de Jésus. On pourrait admettre comme exception à cela la prédiction de Jean relative au baptême avec puissance qui sera accordé plus tard (Mt 3.11; Mc 1.8; Lc 3.16).

Le don de l’Esprit résume et incorpore tous les autres dons célestes. Nous avons déjà signalé le passage de Marc selon lequel l’Esprit assistera les disciples qui seront traduits pour motif de foi devant des tribunaux. Cela, on le sait, s’est parfaitement réalisé après l’effusion de la Pentecôte, lorsque des disciples furent accusés et traduits devant le Sanhédrin. L’Esprit remplit Pierre et Jean de sa plénitude.

Note

1. J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, III.3.22.