La Réforme et la transcendance de Dieu
La Réforme et la transcendance de Dieu
Les Églises issues de la Réforme du 16e siècle ont conservé l’excellente habitude d’en commémorer chaque année l’événement.
Rappelons-nous que ce fut le dernier dimanche d’octobre de l’année 1517, sur la porte de l’église de Wittenberg, en Allemagne, que le moine augustin Martin Luther afficha ses célèbres thèses et déclencha — sans en soupçonner encore l’ampleur — le grand mouvement de Réforme ecclésiastique et spirituelle de tous les temps.
Je voudrais en rappeler aujourd’hui un aspect, sans doute le plus fondamental de toute la Réformation : La transcendance absolue de Dieu contre l’affirmation humaniste de la suprématie de l’homme. La Réforme, aussi bien luthérienne que calviniste, proclamait avec force la grandeur et l’absolue seigneurie de Dieu.
Examinons, si vous le voulez bien, la pensée et l’enseignement de Jean Calvin…
Le 27 mai 1564, vers huit heures du soir, Jean Calvin mourait dans son domicile de Genève. La mort devait être pour lui une délivrance après les multiples épreuves endurées au cours d’une existence pas bien longue, mais combien remplie et mouvementée! Asthme, goutte, ulcère, ennuis intestinaux, calculs biliaires et maux de tête avaient été le lot quotidien du réformateur durant les dernières années de sa vie. En dépit de tant de souffrances, ce chrétien se préparait avec une dignité et une sérénité admirables à affronter l’instant suprême.
En février de la même année, il prêchait pour la dernière fois. En avril, il prenait congé des autorités civiles, et peu après de ses collègues. Vers la fin du même mois, il faisait son testament : L’ensemble de ses biens ne devait pas dépasser la valeur de 5000 de nos francs actuels… Son détachement vis-à-vis de l’argent était légendaire. Même ses ennemis reconnaissaient que l’une des forces morales de Calvin avait toujours été son mépris de l’argent. Durant les derniers mois de sa vie, il refusait même de percevoir son salaire prétextant qu’ayant cessé de travailler, il n’y avait pas droit…
Deux jours après sa mort, son corps fut transporté, enfermé dans un simple cercueil, au cimetière populaire de Pleinpalais. Il n’y eut, lors de cette occasion, ni cérémonie ni discours. Aujourd’hui, personne ne sait plus où se trouve la tombe du grand réformateur…
Tout au long de sa carrière extraordinaire, Calvin donna toujours la première place à la Parole de Dieu et à la gloire de son Seigneur. Son épitaphe pourrait se résumer par le mot d’ordre de toute la Réformation : soli Deo gloria.
Ces mots ne sont pas un simple slogan, mais indiquent la réalité d’un programme de vie et un ministère providentiels. Avec toute la force de son être, Calvin s’était ancré en l’idée biblique de la souveraineté absolue de Dieu, celle qui exclut toute autorité rivale.
Si nous nous attachons tellement à la mémoire du grand réformateur, ce n’est pas par goût de l’hagiographie — le culte de la personnalité n’est pas compatible avec l’esprit réformé — ni même pour exalter la mémoire d’un homme faillible et pécheur comme chacun des mortels. En commémorant la mémoire de ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la foi et que nous devons considérer, à juste titre, comme nos pères spirituels, nous essayons de mieux nous rendre compte combien le mot d’ordre et le programme de vie qui furent les leurs nous attendent, nous, génération à l’aube du troisième millénaire… La transcendance de Dieu et sa souveraineté restent encore les articles premiers de notre foi, et ce, pour une triple raison.
1. Ils impliquent que la Bible est le seul livre de la révélation divine, et qu’elle la contient entièrement. La révélation de Dieu ne doit pas être diluée dans des interprétations humaines, anciennes ou modernes. « Je n’ai pas souvenir, dira Calvin, d’avoir consciemment déformé un seul passage de l’Écriture. » La Bible était placée au-dessus de tout document religieux et de toute instance humaine, fut-elle ecclésiastique. Elle était le résultat du souffle de l’Esprit de Dieu.
2. L’homme doit se placer, à son tour, sous le critère de Dieu sans chercher à se mesurer à lui d’après ses codes faillibles. Il ne peut se voir tel qu’il est qu’à la seule lumière divine. Il est incapable de se réformer, de se transformer, ni de s’améliorer sans l’intervention de Dieu. Fort de cette conviction biblique, Calvin combattit avec la dernière énergie la doctrine des mérites : Personne ne saurait accumuler un « trésor » d’œuvres qui lui servirait à s’assurer une impunité devant le tribunal de Dieu…
L’homme né pécheur est indigent au point d’être incapable de croire, à moins que l’Esprit et la Parole n’ouvrent son intelligence et la régénèrent. Cette conviction de la souveraineté de Dieu se trouve manifestée dans d’autres domaines de la foi tels que :
3. La divinité du Christ; le miracle de l’effusion de l’Esprit Saint; l’origine de l’Église; le Baptême et la sainte Cène. Dans chacun de ces domaines, Dieu est le premier et le dernier, l’Alpha et l’Oméga de la foi.
Des objections surgiront à l’encontre de ces affirmations comme celles-ci par exemple : Si Dieu est tellement souverain et l’homme si totalement corrompu, alors, toute œuvre humaine n’est que corruption! Ne faudrait-il pas apporter quelques nuances à cette affirmation? Si Dieu est souverain et l’homme entièrement dépendant, celui-ci est-il encore libre? Ne ressemble-t-il pas plutôt à un robot manipulé par les caprices d’un potentat céleste?
Je n’ai pas de réponses théoriques à donner à de telles objections. Je voudrais simplement rappeler l’exemple d’hommes qui ont proclamé la souveraineté de Dieu, mais qui n’en ont jamais tiré prétexte pour s’installer dans la paresse. Bien au contraire, aussi bien les réformateurs eux-mêmes que leurs disciples ont vécu, témoigné et agi avec le plus grand sens de leur mission. Le soli Deo gloria n’a pas été un oreiller de paresse, mais, bien au contraire, le motif dynamique de toute prodigieuse action. Dans une atmosphère de corruption morale incroyable atteignant la société tout entière, ces hommes ont donné les signes du renouveau qu’apporte l’authentique pureté évangélique.
L’honnêteté, l’altruisme et l’esprit de service des premiers réformateurs étaient remarquables et remarqués. Conscients de la grandeur de Dieu, ils s’offraient à son service dans une consécration totale.
Je voudrais rappeler que, à aucun moment, la Réforme n’a dévalué la liberté de l’homme. Bien au contraire, pour la défendre, ses adeptes de la première heure — il faut s’en souvenir même quatre siècles après — ont choisi de sacrifier leur vie. En tant que serviteur du Dieu souverain, l’homme était précisément affranchi du joug de toute tyrannie humaine, fût-elle politique ou ecclésiastique. Là où l’on craint Dieu, il n’y a aucune raison de craindre les hommes.
Partout où de telles idées pénètrent, les chrétiens réformés — aussi bien que les pays qui avaient embrassé la Réforme — savaient que leurs droits étaient inaliénables parce que donnés par Dieu lui-même. Aussi incroyable que cela puisse sonner aux oreilles de nos contemporains imbus d’eux-mêmes et de leurs propres idées au sujet des « droits de l’homme », nous devons proclamer, haut et fort, que les acquis en ce qui concerne la véritable liberté et la reconnaissance de la valeur de la personne humaine, nous les devons à l’esprit et à l’action de la Réforme protestante et non aux révolutions ayant comme devise « ni Dieu ni Maître ».
Certains objecteront encore que si Dieu est souverain et l’homme sans mérite, il ne reste rien d’autre que de choir dans la paresse contemplative, parce que la souveraineté de Dieu ne pourrait mener qu’au quiétisme… Il n’y aurait alors ni mission chrétienne ni évangélisation. Il y a eu, certes, des protestants qui ont eu la naïveté d’attribuer aux réformateurs des idées aussi aberrantes, mais les faits démentent catégoriquement de telles suppositions. Les réformés de la première heure ne cessèrent jamais de travailler non seulement dans le domaine appelé spirituel, mais aussi dans celui dit temporel. Ils furent tous extraordinairement actifs dans tous les domaines et spécialement dans le champ des activités scientifiques, où ils furent souvent des pionniers. (Mentionnons en passant Bacon, Boyle, Newton, et surtout Kepler).
Calvin lui-même fut un prodige d’activité. L’envergure et la qualité de son œuvre nous abasourdit, surtout lorsque l’on se souvient qu’il ne vécut que 54 ans. Commentaires sur presque tous les livres de la Bible — puits de science aussi bien que d’inspiration — prédication constante tout au long de son ministère, enseignement théologique, vaste correspondance avec nombre de personnalités et d’amis vivant dans les pays touchés par la Réforme, ministère pastoral jusque dans les affaires de la cité, tout cela sans compter les soucis que lui causaient la situation et la formation des Églises réformées, en France surtout…
Et que dire aussi de son endurance vis-à-vis des médisances et des calomnies — parfois même des attaques déchaînées — dont il fut la cible, aussi bien à Genève que de la part de ses ennemis de l’extérieur?
Cet homme, timide par tempérament, était exactement le contraire du tyran mesquin selon l’image forgée par des historiens de mauvaise foi…
Il ne faut pas nier, certes, ses erreurs ou ses faiblesses. Pourtant, au-delà de celles-ci, quel exemple de vie dans la foi vouée à la cause de Dieu, et dont l’expression verbale est l’une des plus admirables confessions de la foi réformée…
La devise des huguenots français persécutés et massacrés, mais fidèles à leur foi était : « Mon cœur, mon Dieu je t’offre en sacrifice. »
Une nation qui compterait aujourd’hui de tels enfants pourrait se dire, en vérité, riche et heureuse…
Ces hommes apparemment sans défense et qui pouvaient craindre, à chaque instant, le pire pour eux-mêmes, pour leur famille et pour leur Église, puisèrent leur force dans leur conviction en la souveraineté absolue de Dieu.
La souveraineté du Dieu transcendant demeure le premier article de la foi chrétienne et d’une Église qui doit se réformer sans cesse à la lumière de la Parole et par l’action de l’Esprit Saint. Elle est assaillie de partout, surtout de nos jours, par l’absurde proclamation que l’homme est devenu « majeur », donc juge et mesure de toutes choses… Humanisme, sécularisation, hostilité ouverte ou larvée contre la foi au Dieu révélé menacent l’Église… Cependant, si elle conserve la même profession de foi que la Réforme du 16e siècle, l’Église de ce début du troisième millénaire pourra affronter tous les dangers et résister; elle pourra faire face aux situations les plus explosives et en sortir victorieuse.
Prions afin que Dieu suscite des hommes et des femmes de la trempe de nos pères dans la foi. Prions afin que le soli Deo gloria retentisse d’âge en âge parmi les hommes, et en tout premier lieu dans son Église…