Théologie réformée de la loi - La pensée de Jean Calvin sur la loi de Dieu
Théologie réformée de la loi - La pensée de Jean Calvin sur la loi de Dieu
Assurément, le mérite d’avoir saisi la signification de la loi de l’Ancien Testament et de l’avoir correctement interprétée et souligné son rôle pour la vie chrétienne revient à la théologie réformée. Ici, comme ailleurs en théologie biblique ou dogmatique, Calvin a excellé. L’originalité de sa pensée n’a pas à être démontrée, même si les interprétations de celle-ci sont divergentes, parfois contradictoires.
On a dit avec raison du réformateur qu’il fut le disciple le plus intelligent et le plus fidèle de Luther. Il convient cependant de noter que lorsque le réformateur de Genève interprète la loi à la lumière de l’Évangile et qu’il établit le rapport entre les voies qu’il emprunte, il suit une direction passablement différente de celle du réformateur de Wittenberg. Pour Calvin, la loi est essentiellement présente dans le Décalogue, bien qu’elle inclut aussi le Sermon sur la Montagne. Pour lui, il n’existe qu’une seule loi morale révélée dans les Écritures, mais qui est aussi inscrite sur les consciences des gens. Le réformateur précise la nature du rapport entre la loi morale naturelle, d’une part, et le Décalogue et l’enseignement de Jésus, d’autre part; avec force et réalisme, il en constate la discontinuité.
C’est notamment son commentaire sur les quatre derniers livres de Moïse que Calvin offre une explication passablement détaillée de la loi. Toutefois, sa pensée dans son commentaire n’est pas différente de celle exprimée dans l’Institution. La loi de Moïse rend par moment tout simplement explicite la loi morale de Dieu : Ce que Dieu commande ici est dicté par la nature elle-même.
L’Évangile n’est pas une loi, mais la prédication et la proclamation de la riche et incomparable grâce divine manifestée et offerte en Christ. Tandis que la loi nous impose des restrictions, l’Évangile, lui, nous libère en vue d’un service, du culte librement rendu à Dieu. Néanmoins, il existe aussi une unité reconnaissable entre les deux. Calvin entreprend de démontrer leur unité, et malgré l’apparente antithèse entre la lettre de la loi et l’Esprit, ou l’Évangile, il constate leur unité de substance. L’Évangile ratifie et confirme ce qui avait été promis dans la loi; le Christ déclare que cette doctrine est tellement loin de varier de la loi qu’elle est en accord parfait avec la loi et les prophètes. Non seulement cela, mais encore il réalise, il achève, dit-il, leur accomplissement. Il existe donc un accord entre la loi et l’Évangile.
Contrairement aux anabaptistes, Calvin soutient que Jésus a été l’interprète parfait de l’ancienne loi et non un donateur d’une nouvelle loi. Parfois, il se réfère au Christ comme à l’âme même de la loi. Contrairement aux luthériens, Calvin ne voit pas deux alliances distinctes, celle des œuvres et celle de la grâce, mais une seule et unique alliance, l’Alliance de grâce, clairement présente dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Cela explique que le réformateur ait pu prêcher l’Évangile en exposant de nombreux passages du livre du prophète Ésaïe. Pour lui, L’Église chrétienne n’est pas née le jour de Pentecôte, mais bien avant déjà avec Abraham; Pentecôte en a simplement permis la manifestation complète, sa formation historique définitive.
La loi et l’Évangile s’appartiennent. Aussi exhorte-t-il de maintenir inviolable ce lien sacré entre les deux, ce que de nombreux chrétiens ont eu du mal à comprendre et peut-être inconsciemment ont cherché à le briser. La loi contribue grandement à l’intelligence de l’Évangile et elle confirme l’autorité de celui-ci. Selon Calvin, l’Évangile est l’accomplissement même de la loi. L’un et l’autre déclarent que Dieu est leur Auteur. L’Évangile se distingue de la loi de façon seulement quantitative et non qualitative. L’une est une doctrine littérale, l’autre une doctrine spirituelle. La première a été inscrite sur des tables de pierre, le second est inscripturé sur les cœurs.
En définitive, dans sa pensée, la loi est fondamentalement sainte et bonne. L’effet terrifiant qu’elle produisait était dû au péché et, dès lors, elle ne peut être admise que comme un effet accidentel. Nous sommes sauvés par l’Évangile, mais instruits par la loi. La loi ne produit pas de péché, mais le découvre seulement en nous, elle parvient à le mettre au grand jour. C’est pourquoi le Christ est à la fois Seigneur, Sauveur et exemple, notre modèle par excellence. Bien qu’il ait insisté sur la priorité de la justification par rapport à la régénération, néanmoins une grande partie de l’Institution de la religion chrétienne a cherché à délimiter la vie nouvelle régénérée.
Selon le réformateur, la préparation à l’Évangile ne se fait pas par la loi, mais par l’Esprit, lequel opère aussi bien par la loi que par l’Évangile. Contrairement à Luther, Calvin n’a pas placé d’accent majeur sur « la loi précédant l’Évangile », pas plus qu’à la manière de Barth sur « la loi après l’Évangile »; il a maintenu un parfait équilibre biblique en laissant la loi à côté de l’Évangile et faisant accompagner l’Évangile par la loi. La loi est incluse dans l’Évangile; l’Évangile est présent dans la loi. La loi nous amène à l’humilité, laquelle est une vraie préparation pour chercher le Christ. Tout croyant doit comprendre ce lien.
Le réformateur admet qu’il puisse exister une loi produisant à elle seule la repentance, mais une telle repentance sera incomplète, voire déficiente. La repentance véritable ne peut que suivre l’écoute de l’Évangile, qui fait sentir non seulement l’aiguillon du péché, mais fait aussi clairement apercevoir la compassion de Dieu, et ainsi nous inspire la confiance en lui. Notre misère nous attire vers le Christ. Or, nul ne s’adresserait à Dieu à moins d’avoir l’assurance de l’amour et de la bonté de Dieu. Calvin peut dire que la vraie repentance est engendrée par la crainte sincère de Dieu, mais simultanément il affirme que le commencement de la repentance se manifeste en la conscience qu’on a de la miséricorde divine.
La vie chrétienne n’est pas libre, au sens d’émancipée et indépendante par rapport à la loi, mais elle se vit dans une liberté nouvelle, pour la respecter mieux. La liberté chrétienne n’annule pas les exigences de la loi, elle nous rend capables de les assumer, d’y obéir. Celui qui a été touché par l’Évangile, qui a bénéficié de la grâce, ne fuira nullement la loi, mais au contraire l’embrassera avec une grande affection comme l’expression même de la volonté de son Dieu à la fois Libérateur et Législateur. Le chrétien est affranchi des exigences rigides et du fardeau de la loi, mais non de son intention permanente. Calvin rappelle que le Seigneur n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir. Le Christ n’a aboli que l’obscurité de la loi. Mais la loi qui demande la sanctification du sabbat enjoint de s’abstenir de travailler nos œuvres, non celles de Dieu.
Calvin estime que l’État à son tour se trouve placé sous l’obligation d’obéir à la loi divine1. Cette obligation de l’État, le respect qu’il doit au commandement de Dieu, permet à l’Église de rappeler à l’ordre le pouvoir temporel lorsque celui-ci néglige ou méconnaît cette vocation et sa fonction de ministère investi de l’autorité que Dieu confère. L’Église a donc un rôle positif à tenir à cet égard. Le réformateur a le souci du maintien de la coexistence harmonieuse de l’Église avec l’État, mais sous l’égide de la loi de Dieu, l’Église étant appelée à prêcher la loi, l’État veillant à son application dans la communauté sociale.
On a fait remarquer que cette interprétation calvinienne de la loi pourrait facilement tourner au légalisme. On accomplirait la loi pour s’assurer simplement la faveur de Dieu. Il ne nous semble pas que ce danger soit inhérent à la théologie calvinienne, et nous aimerions ici distinguer entre ce que nous appelons calvinien et ce qu’on désigne par calvinisme. Ce dernier pourrait à la rigueur s’égarer dans un certain système légaliste, mais ce sera à l’insu du réformateur. En revanche, il semble justifié de traiter l’interprétation luthérienne de la loi d’antinomisme (quoique la Formule de Concorde luthérienne de 1577 a réagi contre les erreurs de l’antinomisme en insistant sur la nécessité de l’application de la loi après la conversion).
Examinons à présent dans les grandes lignes tracées l’interprétation réformée de la loi. La loi divine est un miroir.
« Venons faire comparaison de notre vie avec ce que Dieu a commandé en sa loi : nous trouverons qu’un chacun est coupable en son endroit. Tant s’en faut que nous puissions accomplir tout ce que Dieu nous ordonne, que nous ne pourrons point venir à bout d’un seul article, voire jusqu’à penser de bien faire. Car nous ne sommes point suffisants d’avoir une seule bonne pensée, dit saint Paul (2 Co 3.5), et nous l’expérimentons qu’encore demeurons-nous stupides. Qui est-ce qui se sent navré d’une plaie mortelle, pour dire : “Hélas! il faut que je vienne devant Dieu, qu’il soit là mon Juge, que je ne puisse rien apporter, sinon une confession que je suis plus que convaincu devant lui.” Qui est celui qui y pense? Nul. Encore que les hommes n’aient point commis un acte qui puisse être condamné ou qui soit répréhensible, si est-ce qu’ils ne laissent pas d’être coupables quant à ce qui nous est dit : Tu ne convoiteras point (Ex 20.17). Dieu ne nous a point seulement défendu d’être meurtriers, et larrons, et paillards, et blasphémateurs, et rebelles contre sa parole, mais il nous a défendu de consentir au mal. Quiconque aura seulement eu quelque regard impudique, le voilà paillard devant Dieu; quiconque aura maudit son frère ou haï en cachette, le voilà meurtrier; quiconque souhaite d’avoir du bien d’autrui, encore qu’il ne s’y efforce point, le voilà déjà larron. Et Dieu encore n’a point défendu seulement la volonté de mal faire, mais il passe plus outre. Car il a défendu la concupiscence : quand nous serons chatouillés et incités à quelque appétit mauvais, déjà nous sommes transgresseurs de la loi de Dieu. Or cela est mal connu des hommes. Puisqu’ainsi est que nous sommes tant stupides de ne point regarder à nous, que la loi nous est un miroir si clair et si patent pour nous contempler : je vous prie, qui est-ce qui se pourra vanter d’être si juste qu’il puisse accomplir tout ce qui est en la loi et que Dieu nous commande?2 »
Le besoin humain de connaître la vie chrétienne est satisfait, selon Calvin, par la révélation de Dieu en Jésus, dans la loi et dans l’Écriture sainte. Ce sont ces trois-là qui sont les normes de la vie chrétienne, mais ils ne sont jamais indépendants les uns par rapport aux autres. Car Jésus-Christ est l’accomplissement de la loi et la connaissance que nous avons aussi bien de Jésus-Christ que de la loi nous est accordée sur les pages de la Bible.
Calvin reconnaît la validité de la loi naturelle, ainsi que l’indique l’explication qu’il en donne de Romains 1.20. Cette loi juge toute société humaine areligieuse, mais elle est incompétente pour guider le chrétien à cause du péché de l’homme. La norme de la vie chrétienne, outre Jésus-Christ et la Bible, est la loi. Calvin se sert du terme en un sens large qui comprend ses trois parties : d’abord comme doctrine de vie, ensuite comme menace et promesse, enfin l’Alliance de grâce qui, fondée en Christ, contient en elle-même toutes les promesses spéciales de Dieu. Ici, nous nous intéressons à l’interprétation que le réformateur donne à la loi d’une manière précise, en tant que doctrine de vie et la vraie règle de bien vivre. En ce sens, la loi a trouvé son expression dans les dix commandements, qui tiennent un rôle prépondérant dans les écrits exégétiques et confessionnels de Calvin.
Dans la loi, nous trouvons encore des détails spécifiques des exigences de Dieu pour la vie quotidienne. Mais si nous nous appesantissions sur les exigences spécifiques de la loi, nous risquerions d’obscurcir un aspect de l’interprétation qu’il en donne, aspect important même s’il ne l’a pas développé de manière systématique. La loi est l’exigence personnelle de Dieu sur toute existence personnelle humaine. Le contenu de la loi, c’est Dieu en personne. La vraie et la pure religion était tellement bien révélée dans la loi que la face même de Dieu s’y resplendissait. Il est impossible de séparer Dieu de sa justice qu’il déclare dans sa loi. Sa volonté nous est exprimée en celle-ci, et dans la mesure dont nous nous en départons ou en dévions, dans cette même mesure nous nous éloignons de la présence même du Seigneur. Le but de la loi est d’aimer Dieu. La vraie obéissance se montre lorsque nous tenons Dieu comme notre Père et nous vivons comme ses enfants. Ceci démontre que la loi exprime le contenu de la réponse personnelle de l’enfant à son Père aimant.
Cependant, la confrontation personnelle de Dieu avec les êtres humains par voie de la loi n’obscurcit nullement sa transcendance morale. La justice de la loi n’épuise pas son expression totale. La justice de Dieu est tellement au-dessus de toutes ses créatures qu’on peut dire qu’il ne trouve pas satisfaction même en ses anges. Si nous pouvions observer la loi parfaitement, nous serions tenus pour justes devant Dieu. Cependant, nous n’aurions tout de même point de mérite ou de dignité en nous-mêmes. Ce n’est que pure grâce de Dieu s’il dit que celui qui accomplit la loi vivra. Dieu se contente de sa relation avec nous par le moyen de la justice manifestée en la loi, mais il existe en lui une justice qui transcende de loin la compréhension de ses créatures.
Il existe en lui une transcendance morale qui dépasse même sa propre loi, mais pour nous, sa loi exprime son exigence et son droit perpétuel sur nos vies; sans cesse, il réclame nos vies pour lui-même. Il est clair que dans les dix commandements Dieu a donné une règle de vie qui reste éternellement valable. La loi est la règle éternelle pour une vie de piété sainte, et elle restera aussi inchangée et immuable que sa justice propre. La loi n’est pas quelque chose que Dieu aurait imposé de manière arbitraire à l’existence humaine. Au contraire, elle est structurellement présente au monde. La loi ne prescrit rien que la nature ne puisse dicter comme chose certaine et totalement juste et que l’expérience elle-même ne puisse montrer comme profitable.
Bien que la loi est éternelle en tant que l’expression perpétuelle du droit que Dieu a sur nos vies, en un autre sens elle a été abrogée par le Christ. Nous vivons sous la grâce, non sous la loi. De quelle manière faut-il accorder cette abrogation avec son droit éternel, exprimé par les termes de sa loi? Calvin y a répondu dans l’Institution chrétienne (II/7.14-15).
Il y a deux choses qu’il faut considérer en la loi : la première doit être appréhendée par la doctrine qui est la règle pour une vie bonne, parce que le Seigneur nous montre ce qui lui est agréable et ce qu’il approuve. Ainsi, la doctrine de la loi consiste à nous montrer que notre vie doit être conforme à la volonté de Dieu. Le second point est de rigueur : dans la mesure qu’elle dénonce la défaillance en un seul point, le défaillant ou transgresseur sera maudit; Dieu ne promet de salut qu’à ceux-là seuls qui auront observé parfaitement les commandements. C’est pourquoi le monde désespère si la loi avec ses implications impose sur lui son autorité. Il est impossible de satisfaire à ses exigences. Cette liberté (ou libération) nous arrache seulement de la malédiction et la rigueur de la loi. La liberté du chrétien consiste au fait qu’il n’a pas à observer tous les points de détails de la loi.
Le reproche adressé au réformateur de mener finalement vers une pratique légaliste de la loi ne se justifie donc point. Une étude sans idées préconçues de sa pensée ne découvrira nulle trace de légalisme. Calvin a signalé que l’obéissance à la loi ne sera pas purement externe, mais profondément intérieure, l’expression des sentiments et des pensées intimes du fidèle. Où est le légalisme? Aux yeux du réformateur et du pasteur qu’est Calvin, Dieu est un Législateur spirituel; il s’adresse à l’âme comme au corps. Pour obéir à la loi, il faut se consacrer en tout et pour tout à l’amour et à l’obéissance de Dieu. Dieu ne cherche pas à être servi sous contrainte et sous l’effet de la terreur, mais par un amour spontané. Une obéissance purement formelle à la loi sera insuffisante. Le chapitre de l’Institution traitant du rôle de la loi est suffisamment clair pour nous montrer que nous sommes ici loin de tout légalisme étroit. Que des successeurs et disciples du réformateur se soient égarés sur des sentiers légalistes de l’obéissance, nous n’avons pas à le nier. Il suffirait d’examiner certaines pratiques et disciplines ecclésiastiques ultérieures.
Mais pour Calvin, il n’y a point de légalisme si la loi est interprétée et appliquée selon l’intention du Législateur. Le meilleur interprète n’est-il pas le Christ en personne? Nous devons l’écouter comme le meilleur exégète pour comprendre ce qu’est la nature de la loi, ce qu’est son objet, ce qu’est sa dimension.
Une autre règle d’interprétation de la loi selon Calvin est l’examen attentif de la raison de la double division de celle-ci, à savoir la distinction entre les devoirs religieux et les devoirs de la charité. Calvin insiste pour dire que la religion est le fondement de toute justice humaine. L’observation de la loi est préservée de tout légalisme lorsqu’elle s’accomplit dans le culte d’adoration. Nulle part dans ses écrits on ne trouve trace d’un système légaliste, ni dans ses commentaires ni dans ses sermons, encore moins dans de multiples réglementations régissant la vie quotidienne du fidèle. Le cas de l’usure en est une bonne illustration. Il lui aurait été loisible d’établir là-dessus une règle fixe et rigide. Mais il insiste pour dire qu’il ne faut pas établir un taux fixe pour résoudre le problème du prêt à intérêt. Le taux doit être déterminé par les cas d’espèce. Calvin fait remarquer que l’exhortation biblique relative à l’usure ne peut nous servir si on ne s’en tient qu’aux mots, à la lettre, puisqu’il nous faut en considérer surtout la substance. De même, la somme d’amour dont nous devons témoigner envers le prochain pour leur bien ne saurait être fixée par aucune règle de loi.
La doctrine calvinienne de la justification par la foi seule s’opposera à toute systématisation légaliste à la pharisienne. En politique ecclésiastique, il a insisté pour que le consistoire prenne garde à ne pas tomber dans une aberration morale et religieuse. Il a refusé de faire de la discipline ecclésiastique le critère de la vie ecclésiastique, ainsi que le montre son traité contre les anabaptistes. L’exercice d’une discipline correcte est bien entendu nécessaire pour l’édification de l’Église, mais non pour l’être de celle-ci.
Le fait que Calvin traite de la loi au livre II de l’Institution plutôt qu’au livre III, comme faisant partie de la section traitant de la repentance et de la vie chrétienne, est significatif eu égard à son attitude vis-à-vis de la loi. En discutant de la vie chrétienne, il se réfère plutôt à l’exemple de Jésus-Christ et à l’ensemble de la doctrine chrétienne comme source et guide de vie chrétienne. Cela est une autre preuve encore de l’absence de légalisme chez lui.
Il est fort possible qu’on puisse trouver dans la manière dont il traite des sujets de la doctrine et de la loi une certaine influence du jeune étudiant en droit qu’il fut à Bourges et à Orléans. Reconnaissons qu’il n’est pas toujours aisé de séparer le juriste du docteur-exégète et du pasteur-homme d’Église. Mais même ainsi et même dans certains détails où le juriste l’a emporté sur le pasteur, il apparaît quand même qu’il ne fut jamais intentionnellement et systématiquement un légaliste. Doit-on le taxer de légaliste du fait que, sans demi-mesure, sans compromission et avec quelle vigueur, il ait placé l’accent sur les demandes que Dieu impose à nos vies? Dans ce cas, Jésus en personne serait légaliste et son apôtre qui traite de la liberté chrétienne, son émule! En théorie au moins, Calvin a compris que les règles sont nécessaires pour le contexte dans lequel Dieu pose ses exigences, pour être entendu et obéi.
Laissons encore ici la parole au réformateur :
« L’homme est incapable d’observer la loi
1 (…) Par le mot loi, je n’entends pas seulement le Décalogue qui nous donne les règles d’une vie juste et sainte, mais la forme de religion que Dieu a prescrite par la main de Moïse. Car Moïse n’a pas été donné comme législateur afin d’abolir la bénédiction promise à la descendance d’Abraham; au contraire, nous voyons qu’il ne cesse de rappeler aux juifs l’Alliance de grâce que Dieu avait établie avec leurs pères et dont ils étaient les héritiers, comme s’il avait été envoyé pour la renouveler.
C’est ce qui apparaît clairement dans les cérémonies du culte. N’y aurait-il rien en effet de plus vain ou de plus frivole que d’offrir la fumée de la graisse et des entrailles des bêtes pour se réconcilier avec Dieu ou de recourir à des aspersions d’eau ou de sang pour nettoyer les souillures de l’âme? Si l’on considère le culte de l’Ancienne Alliance en lui-même comme s’il ne contenait pas l’ombre et la figure des vérités correspondantes, il nous fera l’effet d’un jeu puéril. Ce n’est donc pas sans cause que, dans le dernier sermon d’Étienne comme dans l’épître aux Hébreux, une si grande importance est attribuée au passage de l’Écriture où Dieu ordonne à Moïse de faire le tabernacle et ses dépendances selon le modèle qui lui a été montré sur la montagne. Car si le tout n’avait pas eu son but spirituel, les juifs y auraient perdu leur peine, comme les païens la perdent dans tous leurs simulacres.
Les esprits légers et profanes, qui ne se sont jamais appliqués avec sérieux à la piété, considèrent avec ironie l’accumulation des cérémonies de la loi. Non seulement ils se demandent pourquoi Dieu a voulu autrefois accabler son peuple de tant de fardeaux, mais ils se moquent de tous ces rites, où ils ne voient que gestes vains et jeux d’enfants : c’est qu’ils ne regardent pas la réalité dernière, détachée de laquelle les formes de la loi peuvent effectivement sembler inutiles et vaines. Mais le modèle dont parle l’Écriture montre bien que Dieu n’a pas institué les sacrifices pour attacher ceux qui voulaient le servir aux choses terrestres, mais pour élever leur esprit plus haut. …
3 (…) S’il est vrai que la loi définit la justice parfaite, il s’ensuit que la parfaite observance de la loi est parfaite justice aux yeux de Dieu et doit faire reconnaître l’homme comme juste devant le trône céleste. … Mais encore faut-il savoir si nous sommes capables de l’obéissance parfaite qui pourrait nous faire espérer le salut. Car à quoi bon savoir qu’en obéissant à la loi on peut obtenir la vie éternelle si nous ne savons pas également que ce moyen de salut est à notre portée? … 4 Or, si nous ne regardons que la loi, nous ne pouvons que perdre courage, être confus et nous désespérer, puisqu’en elle nous sommes tous maudits et condamnés, et que nous sommes tous exclus de la béatitude promise à ceux qui l’observent.3 »
« Exposé de la loi morale
1 (…) La loi de Dieu met en lumière ces deux vérités : le Seigneur y affirme d’abord son autorité souveraine et nous apprend à révérer sa divinité, en précisant la nature et les formes de notre adoration; il y énonce ensuite les exigences de sa justice et nous reproche notre faiblesse et notre injustice, puisque notre nature corrompue est totalement contraire à sa justice et que notre impuissance à faire le bien est hors d’état de répondre à sa perfection.
En fait, tout l’enseignement des deux tables de la loi est résumé dans la loi intérieure qui est, comme nous l’avons dit, gravée dans le cœur de chaque homme. Car notre conscience n’est pas si endormie qu’elle ne se réveille par moments pour nous rappeler ce que nous devons à Dieu, nous montrer la différence entre le bien et le mal et nous accuser quand nous nous écartons du devoir. Mais l’homme est si enfoncé dans les ténèbres de l’ignorance que cette loi naturelle ne lui donne qu’une faible idée du service qui plairait à Dieu. En outre, il est si enflé d’orgueil et d’ambition et si aveuglé par l’égoïsme qu’il est incapable de descendre en lui-même pour apprendre à s’abaisser et à reconnaître sa misère. C’est donc notre stupidité et notre arrogance qui ont obligé le Seigneur à nous donner sa loi écrite pour nous rendre plus clair ce que la loi naturelle laissait en partie dans l’ombre, vaincre notre nonchalance et toucher plus vivement notre intelligence et notre mémoire.
2 Il nous est donc facile de voir ce que la loi nous enseigne : elle nous dit que Dieu, étant notre Créateur, occupe légitimement vis-à-vis de nous la position de Seigneur et de Père et que nous devons, à ce titre, lui rendre gloire, honneur, amour et crainte. …
3 (…) Si nous comparons notre vie avec la justice de la loi, nous voyons combien nous sommes loin de satisfaire à la volonté de Dieu.4 »
Notes
1. Voir les articles 39 et 40 de la Confession de 1559, ou de La Rochelle; nous n’avons pas voulu aborder cette question épineuse ici, notre étude Polis, consacrée à la responsabilité politique du chrétien, l’aborde en passant seulement.
2. J. Calvin, sermon 40 sur le livre de Job, 1563.
3. J. Calvin, L’Institution chrétienne, édition abrégée en français moderne, P.B.U., Lausanne, 1985, II/7 : 1,3-4, p. 71-73.
4. J. Calvin, L’Institution chrétienne, édition abrégée en français moderne, P.B.U., Lausanne, 1985, II/7 : 1,3-4, p. 74-75.