Le catholicisme et les sacrements
Le catholicisme et les sacrements
- Définitions historiques
- La conception romaine
- Des textes officiels
- Nouvelles interprétations du sacrement
-
Le nombre de sacrements
a. La confirmation
b. La pénitence
c. L’extrême-onction
d. L’ordre
e. Le mariage
f. Les sacramentaux
g. Le baptême
h. La Cène ou le sacrement de l’autel - La doctrine réformée
1. Définitions historiques⤒🔗
Le terme latin « sacramentum » désigne le serment que le soldat romain devait prêter devant le drapeau ou le marteau d’argent qu’avant le procès on déposait dans un lieu sacré et qui revenait aux dieux en cas de perte du procès. Les auteurs chrétiens qui écrivaient le latin se servirent de ce terme pour traduire le « mystèrion » des théologiens grecs. Comme ce mot « mystèrion », le terme « sacramentum » pouvait avoir un sens très large.
Le mot « mystèrion » se trouve déjà dans le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament utilise ce mot quand il veut parler du salut manifesté en Jésus-Christ, qui est l’objet de la prédication et de la foi. Il est question du mystère du Christ et de son Royaume (Mt 13.11; Mc 4.11; Lc 8.10). Selon Paul, ce mystère a été de toute éternité l’objet du dessein de Dieu (Rm 16.25; Col 1.26; Ép 3.5,9,10).
L’Église primitive oublia vite cette notion biblique du mystère. Elle appela mystère tout ce qui semble être « mystérieux » dans la religion chrétienne, c’est-à-dire tout ce que la raison ne peut pas sonder. Sous l’influence grecque, le mot ne désigne plus ce qui est « mystérieux » du point de vue de la foi, mais ce qui est mystérieux au point de vue neutre, au point de vue purement rationnel. Dans le Nouveau Testament, le mot est employé pour exprimer que l’amour de Dieu, manifesté en Christ pour des pécheurs, dépasse tout ce que l’homme peut attendre de Dieu. Parlant du mystère du Christ, le Nouveau Testament ne raisonne pas du point de vue rationnel. Il ne dit pas que la révélation divine a quelque chose de commun avec les mystères qu’acceptent aussi les incrédules. Il s’agit ici d’un mystère tout à fait unique.
2. La conception romaine←⤒🔗
Dans l’Église romaine, « catholicisme et sacrementalisme » sont indissolublement associés, pour ne pas dire interchangeables. Aussi bien dans sa théologie que dans sa pratique, Rome attribue aux sept rites, qu’elle tient pour des sacrements, une valeur incomparable, hors de toute mesure. Ainsi, elle a une tout autre opinion quant à la nature des sacrements que la Réforme. Selon l’idée catholique, le sacrement distribue la grâce par infusion « ex opere operato ». Cette pensée du sacrement dépend naturellement et entièrement de la conception catholique de la grâce. La grâce peut être perdue et doit être alors infusée à nouveau. Certaines conditions de vie exigent une certaine qualité et quantité de grâce.
Le nombre des sacrements dans l’Église catholique est en rapport avec cette idée de la grâce. Cette conception de la grâce exige un grand nombre de sacrements. D’autre part, elle reconnaît aussi que les sacrements de la Nouvelle Alliance ont été institués par le Christ. C’est pourquoi elle cherche dans la Bible des indications concernant cette institution.
Pour la théologie romaine, les sacrements sont des signes efficaces. Ils accomplissent ce qu’ils signifient (« significando causant »), en signifiant la grâce, ils la causent à se produire. Cette conception implique l’association de deux éléments divers : la convergence de deux concepts du signe et de la cause. À travers les siècles, la théologie romaine s’est efforcée à maintenir clairement l’équilibre ou à exprimer une synthèse entre ces deux éléments. D’autre part, l’idée de la signification impose un engagement subjectif de la part du récipiendaire du sacrement. Car un signe est censé être lu et agi sur ceux qui le reçoivent. En tant que sacrements de la foi, ces rites appellent la foi ou croyance, ou, au moins, l’absence de tout obstacle à la grâce dans le cœur des récipients. C’est là une condition indispensable pour une participation féconde aux sacrements et la réception de la grâce qu’ils communiquent ou qu’ils transmettent. En tant que sacrements, ils doivent également se distinguer de la réalité à laquelle ils se réfèrent. C’est ainsi que, pour Rome, la messe demeure un sacrifice non sanglant, qui dirige le regard vers le Calvaire, sans pour autant distraire du sacrifice accompli une fois pour toutes de la croix.
D’autre part, l’idée de causalité instrumentale place un fort accent sur l’efficacité objective des sacrements. Les sacrements agissent ex opere operato, phrase devenue canonique dans la sacramentologie romaine. Cela signifie que les sacrements sont efficaces par eux-mêmes, administrés matériellement ou physiquement, qu’ils agissent en vertu même de leur propre œuvre. L’effet du sacrement ne dépend pas de l’attitude des mérites, ni du prêtre, ni du récipiendaire, contrairement à la règle dans d’autres activités. C’est ainsi parce que l’acte sacramentel est essentiellement un acte du Christ lui-même, opérant à travers le serviteur, le prêtre, considéré comme un autre Christ.
Pour la théologie romaine, la grâce sanctifiante nous est communiquée par les sacrements qui, pour cette raison, constituent la charpente qui porte et coordonne la totalité de la vie du catholique. À côté des sacrements, la Parole prêchée n’a qu’une valeur secondaire; elle annonce ce que seuls les sacrements peuvent réellement donner. Tout en pouvant nous conduire et nous préparer à la réception de la grâce sanctifiante, la prédication n’est pas, au sens propre, un moyen de grâce. C’est pourquoi, dans le culte romain, la prédication n’occupe qu’une place de second ordre, comparée à celle qu’occupe la célébration des sacrements. Dans les sacrements, en effet, Dieu est réellement présent avec sa grâce, ce qui serait, dit-on, impossible dans le cas de la prédication. Après les constatations faites quant à la relation existant entre la justification et la sanctification, nous ne saurions en être étonnés (voir l’article intitulé Le catholicisme contre la sola gratia et la sola fide). La déviation par rapport à l’Écriture sainte est flagrante, car, selon cette dernière, Dieu n’est pas moins présent dans la prédication de sa Parole que dans les sacrements (voir 2 Co 5.20; 1 Th 2.13; 1 Pi 1.23,25). Voici les propres mots de Paul VI :
« Que personne ne nie que les sacrements sont des actes du Christ, qu’il administre par l’intermédiaire de l’agence humaine. Par conséquent, ils sont saints en eux-mêmes et doivent leur pouvoir efficace du Christ. Ils confèrent à l’âme la grâce alors qu’ils (ne) touchent (que) le corps.1 »
Outre leur statut causal, les sacrements sont tenus de produire un effet spécifique partout où ils sont valablement administrés, même s’ils ne sont pas reçus dans la foi ou par une volonté libre. Ceci est dû au caractère conféré par le baptême et les saints ordres de même que dans la conversion des éléments dans l’eucharistie. L’eucharistie est vue comme le Christ total, c’est-à-dire le Christ et l’Église avec lui. Comme telle elle est un sacrifice propitiatoire pour les vivants et les morts.
La doctrine romaine s’efforce de tenir à ces deux côtés des sacrements, à la fois signification et causalité. Ceci est apparent dans la résurgence répétée de l’accent scotiste sur la causalité objective des sacrements, en dépit de la position thomiste qui est plus nuancée que l’interprétation de Trente. On attribue au curé d’Ars les propos suivants : « Si je devais rencontrer un ange et un prêtre, je saluerais d’abord le prêtre avant l’ange; l’ange est un ami de Dieu, mais le prêtre tient la place de Dieu. »
3. Des textes officiels←⤒🔗
« Si quelqu’un dit que les sacrements de la Nouvelle Loi n’ont pas été institués par Jésus-Christ, notre Seigneur; ou qu’ils ne sont que plus ou moins que sept, ou que l’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement, qu’il soit anathème.2 »
« Si quelqu’un dit que les sacrements de la Nouvelle Loi ne sont pas nécessaires au salut, mais qu’ils sont superflus, et que sans eux, ou sans l’en avoir le désir, l’homme peut obtenir de Dieu par la seule foi la grâce de la justification, que tous ne sont vraiment pas nécessaires pour tout particulier, qu’il soit anathème.3 »
Sur le baptême :
« Si quelqu’un dit que le baptême est libre, qu’il n’est pas nécessaire au salut qu’il soit anathème.4 »
Sur la transsubstantiation :
« Et parce que le Christ, notre Rédempteur, a déclaré que ce qu’il offrait sous les espèces du pain d’être vraiment son corps, par conséquent a été depuis toujours une ferme croyance de l’Église de Dieu et ce saint synode le déclare de nouveau que, par la consécration du pain et du vin, une conversion est faite de la substance entière du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur, et de toute la substance du vin en la substance de son sang; conversion qui par l’Église sainte catholique est convenablement et proprement appelée transsubstantiation.5 »
Selon Rome, sans le prêtre, la passion et la mort du Seigneur ne nous sont d’aucun profit. La théologie catholique, surtout en ces derniers temps, souligne énergiquement qu’il n’y a qu’un seul sacrifice, celui du Calvaire, qui nous est présenté et appliqué à nouveau dans la messe. En elles-mêmes, ces formules ne nous sont pas inacceptables, car, dans la Cène, nous sommes rendus participants du sacrifice de Jésus-Christ. Mais alors, et conjointement, se trouve exclue l’idée que la Cène puisse être un sacrifice expiatoire offert à Dieu, par l’Église. C’est justement cette conséquence que l’Église romaine se refuse à admettre et, en dépit des formules les plus prudentes, elle affirme sans ambages que la messe, comme telle, est un sacrifice expiatoire.
« Si quelqu’un dit que dans la messe n’est pas offert un vrai et propre sacrifice à Dieu, ou que, être offert ne signifie pas autre chose que le fait pour le Christ de nous être donné en nourriture, qu’il soit anathème.6 »
« Si quelqu’un dit que le sacrifice de la messe est seulement un sacrifice de louange et d’action de grâces ou une simple commémoration du sacrifice accompli sur la croix, et non pas un sacrifice propitiatoire, […] qu’il soit anathème.7 »
De telle sorte que, dans la pratique, des messes sont célébrées dans des intentions diverses pour les vivants, et également pour les morts, en vue d’abréger les souffrances du purgatoire. Aucune formule théologique, si prudente soit-elle, ne changera rien à ces définitions et à ces pratiques ecclésiastiques. C’est pourquoi, fondés sur l’Écriture sainte, nous devons formellement rejeter cette idée de sacrifice attachée à la messe, car elle est la négation même du sacrifice offert une fois pour toutes du Calvaire. L’épître aux Hébreux aurait-elle jamais mis en avant, et avec une telle insistance, cette expression une fois pour toutes, si elle croyait que ce sacrifice devait être continuellement renouvelé comme un sacrifice expiatoire? Nulle part dans le Nouveau Testament la Cène n’est appelée sacrifice. Ce mot n’y est employé que pour désigner le sacrifice du Calvaire et le sacrifice de reconnaissance que nous offrons à Dieu par nos louanges et notre vie. La Cène n’est pas un sacrifice, mais comme une Pâques, le repas par lequel nous participons aux bienfaits du sacrifice de Jésus-Christ.
4. Nouvelles interprétations du sacrement←⤒🔗
Depuis le milieu de notre siècle, une semblable conception représentationnelle des sacrements s’est étroitement associée à l’idée du repas de mémorial, qui soi-disant refléterait une vue hébraïque. Le langage de l’histoire du salut y devient prédominant, par exemple celui du thème pascal. Des catégories personnalistes apparaissent avec une accentuation davantage populaire et l’insistance sur la foi comme le correspondant subjectif des sacrements, par exemple la foi de l’Église dans le baptême des enfants. Durant les années soixante, l’idée du symbole devint de plus en plus populaire, mais avec une modification de sa connotation plus ancienne et plus flexible. S’adressant au concept du symbole, des théologiens ont cherché à effacer les distinctions dures entre signe et réalité, entre spirituel et corporel, entre subjectif et objectif. Des développements ultérieurs incluent la radicalisation politique du moment spirituel de l’eucharistie. Le partage du pain et du vin en souvenir d’un Jésus révolutionnaire est expérimenté comme un symbole parmi les théologiens de libérations dans leur lutte militante prophétique contre les injustices sociales et l’oppression des classes. En outre, un certain malaise se fait sentir même à l’égard du baptême des enfants, spécialement parmi les adhérents du mouvement charismatique.
D’autres ont tiré l’attention sur les sciences sociales pour interpréter le symbole du sacrement, en tant qu’expression d’anthropologie rituelle, langage symbolique d’acte de l’Église, comme une performance de l’acte du langage, par lequel la communauté reçoit son identité, sa structure, son éthos.
Aucune partie de la théologie traditionnelle des sacrements n’a été modifiée par Vatican II. Ces dernières années, aussi bien Paul VI que Jean-Paul II ont fortement accentué certains des aspects traditionnels. Seuls quelques théologiens modernes se sont distancés des positions traditionnelles, les tenant pour une forme obsolète, tout en affichant leur fidélité à leur intention profonde. Pourtant, des changements spectaculaires se sont produits. Ceci s’aperçoit dans les pratiques liturgiques, comme de nouvelles manières de célébrer la messe qui extérieurement diffère peu d’une célébration réformée de la Cène. Pendant l’ère moderne, post-tridentine, un lourd accent avait été porté sur le côté objectif des sacrements, reflétant nettement l’esprit juridique de Rome et justifiant des prérogatives institutionnelles. Avec le renouveau liturgique apparu au début du siècle, cependant, un nouvel accent est mis sur la participation aux sacrements de la communauté des fidèles. On souligne ainsi l’union organique de la commémoration sacramentelle avec la totalité de la vie et du culte de l’Église. Il représente la redécouverte de ses richesses et une interprétation plus flexible des sacrements par rapport à la tradition patristique. L’idée maîtresse y devient celle du mystère, évident particulièrement dans la sacramentologie de Dom Odo Casel. La célébration de l’eucharistie est considérée comme l’événement passé de l’histoire du salut présent au fidèle d’aujourd’hui, selon le mode des rites des religions à mystères (païennes).
En dépit de ces divergences considérables avec la doctrine traditionnelle des sacrements, le dogme officiel n’a pas changé. Les sacrements sont plus que des signes. Ils sont des opérations effectives comme moyen d’accès à Dieu.
Les réformés pourraient se réjouir de certaines orientations nouvelles. La situation à l’intérieur de l’Église romaine est pleine d’ambiguïtés. Les révisions sont tellement limitées sur des points cruciaux et tellement dépourvues de sanction officielle dans ses expressions les plus audacieuses, qu’à présent aucune réponse définitive aux changements n’est plus possible.
5. Le nombre de sacrements←⤒🔗
L’Église romaine reconnaît sept sacrements. Tous ces sacrements contiennent la grâce et la donnent ex opere operato. Celui qui les administre doit au moins avoir l’intention de faire ce que fait l’Église. La confirmation et l’ordination doivent être administrées par un évêque, le baptême peut même être administré en cas d’urgence par un laïc.
Si, selon la Réforme, il existe une grande faille dans la conception romaine des moyens de grâce, c’est aussi le nombre injustifié de ceux-ci qui surprend. En effet, outre le sacrement du baptême et de la Cène, Rome en compte cinq autres ajoutés par la tradition que sont la confession ou pénitence, la confirmation, l’ordre, le mariage et l’extrême-onction. Les sacrements embrassent la totalité de la vie du fidèle, l’accompagnent du berceau à la tombe. Or, deux d’entre eux seulement, le baptême et la Cène, celle-ci présente dans la messe, ont été institués par le Seigneur. Les cinq autres n’ont été institués comme sacrements que plus tard, au cours de l’histoire pour des raisons diverses. On a essayé après coup de les justifier avec l’appui de textes bibliques, mais ces textes ne les prouvent nullement. Or, selon Rome, nous nous trouverions en présence d’une institution remontant au Christ, dans l’intention de servir de sacrement, normalement associé à la médiation du sacerdoce. Ce fut au cours du Moyen Âge que le nombre des sacrements fut amené à sept, chiffre sacré, et officiellement fixé au deuxième Concile de Lyon (1274). Pierre Lombard a contribué à cela par sa théologie.
Avant d’examiner les deux principaux sacrements, baptême et Cène, arrêtons-nous aux cinq autres, ainsi qu’aux sacramentaux.
a. La confirmation←↰⤒🔗
À propos de la confirmation, « nous n’avons pas de témoignage formel de l’institution par le Christ », écrit un théologien romain (Brachman). Mais selon lui, il est impossible que les disciples aient administré ce sacrement sans avoir reçu le commandement du Christ. Actes 8.15, Actes 19.5 et Hébreux 6.1 prouveraient que les apôtres ont administré ce sacrement. Il fait appel à des passages qui parlent de dons spéciaux du Saint-Esprit donnés après le jour de Pentecôte. La matière extérieure de ce sacrement serait l’imposition des mains et l’onction. Par la confirmation, le baptisé recevrait le Saint-Esprit et ses sept dons, pour l’affermir dans la foi et dans le combat pour le bien. La confirmation conférerait l’Esprit de sainteté et de force. Outre ce qu’il a de commun avec les autres sacrements, le sacrement de la confirmation accorderait donc un don spécial : il compléterait la grâce reçue par le baptême. Il fortifierait « contre toutes les attaques de la chair, du monde et du démon » et il affermirait entièrement l’esprit dans la foi pour confesser et glorifier le nom du Christ. Il donnerait aussi un caractère indélébile ou ineffaçable.
b. La pénitence←↰⤒🔗
La pénitence, ou sacrement du pardon, est le sacrement dans lequel le prêtre pardonne le péché au nom de Dieu. La condition pour l’infusion de la grâce est une vraie contrition et une confession sincère. Pour l’institution par le Christ, on fait appel à Jean 20.22. Il n’y a pas de matière extérieure proprement dite. L’absolution opère le pardon; elle n’est pas déclarative en ce sens qu’elle prononcerait simplement que Dieu a pardonné le péché. La peine de péché est également remise, tout au moins la peine éternelle. Le pardon du péché a toujours lieu, d’après la conception catholique, par l’infusion de la grâce sanctifiante. Par conséquent, l’absolution produirait aussi la grâce.
c. L’extrême-onction←↰⤒🔗
L’extrême-onction, ou sacrement des malades, est le sacrement dans lequel le malade, au moyen d’une onction avec de l’huile consacrée et d’une prière, reçoit la grâce correspondante à son état particulier, pour le soulagement et le réconfort de son âme, pour la rémission complète de tous ses péchés, et même parfois, selon les desseins particuliers de Dieu, pour la santé de son corps. On fait appel à Jacques 5.14. Cependant, ce passage traite de la guérison des malades. L’effet est : (a) l’accroissement et, selon les cas, la collation de la grâce sanctifiante, pour le soulagement et le réconfort de l’âme; (b) la rémission des péchés et leurs restes; (c) la santé du corps de temps en temps, c’est-à-dire quand cela est utile pour le salut de l’âme.
Le premier effet est le principal. L’extrême-onction donnerait immédiatement la grâce sanctifiante qui est accordée par tous les sacrements. Par contre, la grâce particulière actuelle à laquelle le sacrement donne un droit spécial ne se produirait que plus tard, au moment où elle est nécessaire. À ceux qui sont gravement malades et en danger de mort, cette grâce donnerait un triple réconfort : (a) elle exciterait la confiance dans la miséricorde de Dieu; (b) elle donnerait la force de supporter patiemment les douleurs et l’horreur de la mort; (c) elle permettrait de résister efficacement et victorieusement aux attaques du diable.
d. L’ordre←↰⤒🔗
Pour le sacrement de l’ordre, on fait appel à Actes 6.6, Actes 13.3, 2 Timothée 1.6, 1 Timothée 4.14 et 1 Timothée 5.22. D’après les théologiens romains, les quatre ordres mineurs ne sont pas des ordres sacramentels, parce qu’ils n’ont pas été institués par Dieu (portiers, lecteurs, exorcistes, acolytes). En général, on ne considère pas non plus le sous-diaconat comme un ordre sacramentel. Les ordres sacramentels sont : le diaconat, le presbytérat et l’épiscopat. Il y a une différence d’opinions concernant l’épiscopat. La scolastique le considérait en général comme un sacramentel. Les théologiens d’aujourd’hui pensent en majorité que l’ordination d’un évêque est un véritable sacrement. On a plus de certitude au sujet du caractère sacramentel du presbytérat; le caractère sacramentel de cette ordination est considéré comme une vérité « de foi ».
La matière extérieure du sacrement de l’ordre est l’imposition des mains. La grâce spéciale communiquée par le sacrement est le pouvoir de consacrer, d’immoler et de distribuer le corps et le sang du Christ ainsi que le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés. La grâce sanctifiante communiquée par ce sacrement doit être conçue comme la sanctification sacerdotale, qui est un accroissement de la grâce sanctifiante reçue au baptême. Il ne peut s’agir que d’une augmentation de la grâce sanctifiante, puisque l’ordination est un sacrement dit de « vivants », c’est-à-dire qui suppose l’état de grâce. Le sacrement imprime le caractère sacerdotal.
e. Le mariage←↰⤒🔗
Le mariage est aussi considéré comme un sacrement. Les ministres de ce sacrement sont les deux époux qui concluent mutuellement le contrat matrimonial. La bénédiction du prêtre n’est qu’un sacramentel, la réception valable de ce sacrement suppose le mariage et aussi l’intention de recevoir le mariage en tant que sacrement. Il n’y a pas de matière extérieure proprement dite. Les effets du sacrement du mariage consistent dans la formation du lien matrimonial, dans l’augmentation de la grâce sanctifiante et dans le droit à toutes les grâces actuelles qui sont nécessaires pour mener une vie conjugale chrétienne. On cite Éphésiens 5.32 sans d’ailleurs pouvoir baser toute la doctrine romaine sur ce passage. Dans ce verset, Paul se réfère au livre de la Genèse, d’après lequel le mariage a été institué par Dieu. C’est frappant que, d’après l’Église romaine, qui fait appel à ce passage, seul le mariage chrétien soit un sacrement, tandis que sous l’Ancienne Alliance le mariage n’aurait pas encore été sacramentel.
f. Les sacramentaux←↰⤒🔗
Outre les sacrements, l’Église romaine connaît encore des sacramentaux. Les sacramentaux sont certaines actions cultuelles, avec lesquelles l’Église accompagne l’administration des sacrements et le service religieux, afin de les rendre plus solennels et plus impressionnants, ou bien qu’elle accomplit indépendamment et d’elle-même pour préparer les fidèles à la réception des sacrements, les rendre plus accessibles à la grâce, les fortifier contre les tentations et donner à toute leur vie un éclat et une consécration surnaturels. On divise d’ordinaire les sacramentaux en bénédictions et en conjurations ou exorcismes. Les bénédictions à leur tour sont de deux sortes : dans le premier cas, leur but est de mettre, d’une manière permanente, sous la protection de Dieu l’objet à bénir (personnes ou choses); dans le second cas, leur but est de demander pour une certaine circonstance des bienfaits corporels ou spirituels, naturels ou surnaturels.
Les sacramentaux sont essentiellement un signe extérieur. En cela, ils ressemblent aux sacrements. Mais ils s’en distinguent par les deux autres éléments essentiels : ils sont ordonnés par l’Église et non par le Christ; ensuite, ils produisent leurs effets en vertu des prières de l’Église et du pieux usage (ex opere operantis) et non en vertu de l’ordonnance divine (ex opere operato). On ne peut guère préciser le nombre des sacramentaux; ils pénètrent toute la vie chrétienne et n’ont pas toujours été les mêmes. Leur nombre s’est beaucoup augmenté au Moyen Âge. Ce besoin romain de sacramentaux manifeste de nouveau l’idée catholique de la relation entre la nature et la grâce. La nature telle quelle n’est pas apte au service de Dieu, mais elle doit être rendue capable par une consécration spéciale qui élève au-dessus du niveau de la création.
g. Le baptême←↰⤒🔗
La conception catholique du baptême porte la marque de l’idée catholique de la grâce. D’après cette idée, la grâce n’est pas en premier lieu la faveur efficace de Dieu, se manifestant par la rémission des péchés. La grâce est tout d’abord une qualité infuse ajoutée à la nature humaine. Cette qualité surnaturelle ajoutée à la nature de l’homme est appelée grâce créée. Dieu lui-même est la grâce non créée. Donnant la grâce créée, Dieu se donne lui-même. Celui qui reçoit la grâce incréée participe donc à la nature divine. Le « consortium divinae naturae » ne consiste pas dans une égalité substantielle de nature avec Dieu, mais dans une ressemblance aussi grande que possible8.
Selon le concile de Trente, la grâce est infusée dans le baptême à tous ceux qui n’y mettent pas d’obstacle. Le baptême opère donc ex opere operato. Par ce fait, le baptême et les autres sacrements de la Nouvelle Alliance se distinguent de ceux de l’Ancienne Alliance, y compris le baptême de Jean. Les sacrements de l’Ancienne Alliance donnent seulement une image de la grâce et opèrent ex opere operantis, c’est-à-dire en vigueur de l’œuvre dispositive de celui qui reçoit la grâce, surtout donc en vigueur de la foi, conçue comme une disposition causative. Les sacrements de la Nouvelle Alliance contiennent la grâce et la donnent à cause de l’œuvre accomplie, c’est-à-dire grâce à la causalité du sacrement lui-même. La grâce n’est pas infusée à cause de l’œuvre de celui qui la reçoit, mais uniquement à cause de l’accomplissement du sacrement.
Tous les sept sacrements reconnus par l’Église catholique communiquent la grâce sanctifiante. Cela n’implique pas qu’il n’y ait pas de différence entre ces sacrements. Le Concile de Trente rejette expressément une telle pensée sans dire en quoi consistent ces différences. Les théologiens enseignent généralement que les sacrements, chacun selon sa fin spéciale, produisent, outre la grâce sanctifiante commune à tous, des grâces particulières qu’on appelle des « grâces sacramentelles », parce qu’elles sont propres à chaque sacrement9.
Le baptême donne donc la grâce sanctifiante à ceux qui n’y mettent pas d’obstacle. La disposition subjective nécessaire pour la réception de la grâce est ailleurs définie d’une manière positive. On requiert donc des adultes tout d’abord la foi, qui est appelée commencement et fondement du salut de l’homme et de la justification. Cette foi avec laquelle commence la préparation à la réception de la grâce justifiante n’est cependant pas la confiance de l’homme en la promesse par laquelle Dieu l’assure de son salut. Il est question de ce qu’on appelle la foi théologale. Cette foi est l’acte par lequel on accepte tout ce que Dieu a révélé et promis comme vrai à cause de l’autorité divine. Cette foi suppose la grâce actuelle. Elle a son origine dans l’inspiration divine, dans le fait que l’on entend la Parole de Dieu. Cette foi ne peut pas justifier seule. Elle n’unit pas entièrement avec le Christ si elle n’est pas accompagnée de l’espérance et de l’amour. Elle est une foi morte. La foi est certes l’élément principal de la disposition requise. Toutefois, la préparation nécessaire pour recevoir la grâce du baptême demande davantage.
La grâce habituelle (ou sanctifiante ou justifiante) est infusée dans le baptême. Elle fait participer à la nature divine et rend capable de bonnes œuvres surnaturelles, grâce auxquelles on obtient des mérites « ex condigno », c’est-à-dire des mérites qui donnent droit à la récompense. Ensemble avec cette grâce, l’homme reçoit les dons surnaturels et les vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Les actes de ces trois vertus théologiques étaient déjà exercés avant la justification comme des actes dispositifs. En tout cas, l’habitude de l’amour est donnée au même moment que la grâce habituelle.
L’Église catholique n’a pas pris une décision officielle quant à la question de savoir comment les sacrements infusent la grâce. Les thomistes conçoivent un rapport physique entre l’acte sacramentel et l’infusion de la grâce. Scot ne voyait qu’un rapport moral ou occasionnel. Il dit que Dieu s’est mis en obligation de faire suivre la grâce quand l’acte sacramentel est accompli, mais qu’il ne le conduit pas au travers du signe comme au travers d’un canal. Le baptême emprunte son efficacité à la parole de consécration. Cependant, on ne parle pas d’une transsubstantiation de l’eau. Le ministre ordinaire du baptême est le prêtre qui a mission de l’évêque; le ministre extraordinaire en cas de nécessité est toute personne humaine. On considère le baptême comme absolument nécessaire au salut. C’est pourquoi on a décidé qu’en cas de nécessité toute personne humaine, même un païen ou un hérétique, peut baptiser à condition qu’il observe la forme de l’Église et ait l’intention de faire ce que fait l’Église.
On distingue encore entre la réception valable et la réception digne d’un sacrement. Un certain nombre de dispositions morales sont nécessaires pour une réception digne. Nous avons mentionné les dispositions dignes exigées pour la réception digne du baptême. On peut donc recevoir le sacrement valablement sans le recevoir dignement. Dans ce cas, le sacrement existe objectivement, mais il ne produit pas de grâce. Quand un sacrement est reçu valablement, mais indignement, il peut quelquefois encore produire la grâce après la suppression de l’obstacle. En tout cas, les sacrements qui donnent un caractère indélébile peuvent ainsi encore produire la grâce après la suppression de l’obstacle (entre autres donc le baptême).
Certains pensent que cela s’applique également au mariage et à l’extrême-onction. Cependant, en pensant ainsi, Rome néglige la différence essentielle entre la conception de disposition subjective et la conception réformée de la foi. La Réforme ne considère pas la foi comme une disposition subjective qui serait une cause de la réception de la grâce. D’après elle, le sacrement n’est pas efficace à cause de la foi ex opere operantis. Elle ne considère pas la foi comme une œuvre de l’homme par laquelle il contribue à son salut. D’après la Réforme, la foi est la confiance en la promesse certaine de Dieu. La certitude de cette promesse ne repose nullement sur la foi, mais seulement sur la bienveillance fidèle de Dieu. La Réforme aussi parle de l’objectivité du salut, mais elle la conçoit autrement puisqu’elle a une autre conception de la grâce et de la foi. Du point de vue réformé, outre l’aspect objectiviste de la doctrine catholique des sacrements, il y a aussi dans celle-ci un aspect subjectiviste, puisque selon elle la réception de la grâce dépend de la disposition subjective de l’homme. Parce que l’on veut combiner ces deux aspects, on arrive à l’idée curieuse d’un sacrement valable, mais reçu indignement, d’un sacrement qui existe objectivement sans produire la grâce.
h. La Cène ou le sacrement de l’autel←↰⤒🔗
L’intérêt plus particulier avec lequel nous considérerons le sacrement de l’autel s’explique, entre autres, par la doctrine romaine de la transsubstantiation, contre laquelle la Réforme s’est violemment opposée. Le Catéchisme de Heidelberg, à la question 80, n’hésite pas de qualifier la messe de « maudite idolâtrie ».
Le véritable centre de la piété catholique romaine est le sacrement de l’autel. L’autel domine tout le sanctuaire et la célébration de la messe est le point culminant du culte. La participation à ce sacrement, obligatoire au moins une fois par an, à Pâques, permet de reconnaître ceux qui, malgré tout, seront considérés comme des pratiquants. Examinons-le à la lumière des données bibliques, pour voir comment la messe n’est nullement l’authentique continuation de la Cène instituée par le Christ.
Conformément à l’institution du Christ au dernier repas, l’Église romaine célèbre le sacrement de l’autel à l’aide des deux éléments, à savoir le pain et le vin. Mais déjà sur ce point éclate une différence considérable par rapport à l’institution originale. Les fidèles, en effet, n’ont droit qu’au seul pain, le vin leur étant refusé. Cette innovation, au mépris de l’ordre formel du Christ (Mt 26.27), a été inventée et imposée par la crainte qu’au cours de la distribution du vin, quelque gouttelette ne soit perdue. La pratique en est soutenue par l’idée selon laquelle le Christ serait totalement présent, d’une manière non spatiale, dans la plus petite parcelle de pain, et par la conviction que l’Église est entièrement libre, lors de l’administration des sacrements, d’agir comme bon lui semble. Ceci nous conduit tout naturellement à la doctrine de la transsubstantiation.
D’après Rome, l’eucharistie se distingue des autres sacrements par deux choses : d’abord parce qu’elle contient non seulement la grâce, mais aussi l’auteur de la grâce, et ensuite parce qu’elle n’est pas seulement un sacrement, mais aussi un sacrifice. L’eucharistie reçue dignement opère l’augmentation de la grâce sanctifiante et une union particulièrement intime avec le Christ. À cet effet positif s’ajoute un effet négatif : par la communion, on est libéré des péchés véniels et aidé dans la lutte contre les péchés mortels. Selon les théologiens romains, la communion possède la vertu de remettre la peine du péché. Les péchés mortels ne sont pas effacés par la Cène. L’état de péché mortel empêche de recevoir dignement le sacrement. Le précepte divin concernant l’eucharistie est accompli quand on ne communie que sous une seule espèce.
Pour le Concile de Trente, la messe est un véritable sacrifice, non seulement une offrande de louange et de reconnaissance, mais aussi une offrande propitiatoire. D’après son essence, le sacrifice eucharistique est identique au sacrifice du Christ à la croix. Il en diffère par la manière dont il est offert. Le sacrifice eucharistique est une « oblation non sanglante », puisque la mort n’a plus de pouvoir sur le Christ. Dans la messe, le Christ s’offre par le ministère des prêtres. Le prêtre validement ordonné et célébrant dans les conditions de licéité est à la fois le représentant de Jésus-Christ et le représentant de l’Église. Il est tellement lié au Christ et à son corps mystique que même sans la présence de fidèles, le sacrifice qu’il offre est le sacrifice de l’Église entière. Le Christ s’offre dans la messe en tant que Chef de son corps mystique. L’Église participe donc à l’offrande. Mais l’Église n’y participe pas seulement en tant que sujet de l’offrande. Elle y est offerte également comme victime en communion avec son Chef. D’une manière plus spéciale, ce sont encore les prêtres et les fidèles qui participent au sacrifice (parce qu’ils assistent, servent, ont fourni l’honoraire, etc.).
Selon Trente, la messe est un sacrifice par lequel le sacrifice de la croix est représenté, et sa mémoire reste jusqu’à la fin du monde, et sa vertu salutaire pour remettre les péchés quotidiens est appliquée. Malgré le fait que l’on puisse parler d’une identité entre le sacrifice de la croix et le sacrifice de la messe, il est question de sacrifices distincts. On peut même parler de deux sacrifices, dont le deuxième dépend du premier. La messe reçoit et communique les effets de la croix qu’elle représente et dont elle est le mémorial. Le sacrifice de la messe n’est pas seulement un sacrifice de louange et d’action de grâces, mais encore un sacrifice propitiatoire, dont l’effet est que
« quand, avec un cœur sincère et une foi droite, avec respect et dévotion, contrits et pénitents, nous nous approchons de Dieu, nous obtenons miséricorde et trouvons la grâce selon nos besoins. Apaisé en effet par ce sacrifice, le Seigneur nous confère la grâce et le don de la pénitence et nous remet nos crimes et nos péchés, même les plus grands. »
C’est pourquoi le sacrifice est offert non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles vivants, mais encore pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore entièrement purifiés10.
La messe peut être offerte en l’honneur des saints, c’est-à-dire pour rendre grâce à Dieu au sujet de leurs victoires. Quel est l’effet de la messe en tant que sacrifice propitiatoire? La messe posséderait la valeur de prière. Cependant, parlant de la messe en tant que sacrifice impétratoire, on pense d’habitude aux autres bienfaits spirituels et temporels qui peuvent être donnés par la messe, aux autres nécessités dont parla le Concile de Trente. En tant que sacrifice propitiatoire, la messe a comme effet l’apaisement qu’elle donne à Dieu en vue d’obtenir la rémission de la coulpe et de la peine des péchés.
En ce qui concerne le caractère propitiatoire de la messe, on peut encore distinguer entre la valeur propitiatoire proprement dite, c’est-à-dire sa vertu d’apaiser Dieu quant au péché lui-même, et sa valeur satisfactoire, c’est-à-dire sa vertu de remettre les peines temporelles dues aux péchés déjà pardonnés.
Puisque le sacrifice de la messe est identique avec celui de la croix, il a en soi une valeur propitiatoire infinie.
C’est surtout au sujet de ce dernier groupe que les théologiens se sont posé la question de savoir d’où vient la limitation du bénéfice de la messe. On s’est demandé si elle est peut-être partiellement causée par des raisons objectives ne résidant pas dans celui qui reçoit ce bénéfice, mais dans le sacrifice lui-même ou dans le célébrant du sacrifice. Pour répondre à cette question, on distingue l’efficacité extensive, se plaçant au point de vue du nombre des sujets en qui les mêmes effets peuvent être produits. Certains disent que le nombre de ceux à l’intention de qui la messe est offerte limite l’efficacité de la messe pour chacun d’eux. Ils font appel, par exemple, au fait que l’Église a défendu d’accepter des honoraires pour plusieurs messes et de n’en célébrer qu’une seule. On explique cette limitation extensive par le fait que plus est grand le nombre de personnes à l’intention de qui est offerte une messe, moins elle est appliquée spécialement à chacun d’eux par le prêtre célébrant. Plus intéressant est pour nous ce que l’on pense de l’efficacité intensive, c’est-à-dire par rapport aux fruits que percevra tel sujet déterminé en faveur de qui est offert le sacrifice. D’après le théologien Michel, dans le Dictionnaire de théologie catholique :
« Il n’y a pas de doute que, sous cet aspect, le fruit de la messe ait une intensité limitée. L’Église ne permet-elle pas qu’on renouvelle, même fréquemment, l’offrande du saint sacrifice à la même intention? L’Église ne le permettrait pas si le sacrifice offert une seule fois devait nécessairement nous obtenir les biens implorés ou écarter de nous les maux redoutés. »
À la question de savoir d’où vient cette limitation du fruit de la messe, considérée quant à son intensité, il répond :
« La plupart des auteurs estiment que cette limitation provient d’une volonté expresse de Jésus-Christ. Le sacrifice eucharistique ne peut nous procurer les bienfaits de la rédemption que dans la mesure établie par Dieu. Dans la distribution de ses faveurs, Dieu exige, en règle générale, notre coopération. L’étendue des fruits de la messe est donc fixée par Dieu pour chacun de ceux qui en profitent, eu égard à ses dispositions. Avant tout, il faut donc faire entrer en ligne de compte la part du bon plaisir de Dieu et de la volonté miséricordieuse de Jésus-Christ. Il faut aussi, en second lieu, considérer la disposition de celui à qui est appliqué le fruit du sacrifice. Cette opinion pense s’appuyer sur Trente, qui parle de l’application par la messe de la vertu de la croix. Or, qui dit application dit détermination et dès lors restriction. »
Mais, ajoute-t-il, un certain nombre de théologiens estiment qu’il est impossible de concevoir une taxation divine préalable aux dispositions du bénéficiaire de la messe. D’après eux, la limitation du fruit de la messe provient uniquement de la capacité du sujet, en raison de ces dispositions. Il semble que l’on trouve cette dernière opinion spécialement parmi les thomistes. Quand la messe est offerte, c’est donc le sacrifice du Christ lui-même qui est présenté à Dieu. En soi, le sacrifice de la messe a donc une valeur infinie pour obtenir de Dieu ce qu’on lui demande. Toutefois, Dieu ne donne pas tout ce qui lui est demandé. Ce qu’il donne en fait dépend de toute façon des dispositions subjectives de ceux pour qui le sacrifice est offert.
La messe, que peut-elle donner?
On doit distinguer entre ce qu’elle donne aux vivants et ce qui est son effet pour les morts. En ce qui concerne les vivants, Michel mentionne d’abord les biens, objet de l’impétration proprement dite qu’il ramène à cinq catégories :
« grâces de conversion; victoires sur les tentations; occasions opportunes de bonnes œuvres et par là moyens de progrès spirituel; protection spéciale de la providence dans les besoins spirituels et temporels; biens temporels de tous genres pouvant servir, selon les desseins de Dieu, à notre salut. »
Ensuite, il mentionne les biens, objets de la propitiation. La messe remet les péchés. Car elle incite indirectement et directement Dieu à donner au pécheur son secours par lequel le pécheur est amené à la pénitence. La messe effectue cela indirectement et directement, en vertu de la propitiation qui apaise la colère divine et ôte ainsi l’indignation de Dieu à cause des péchés commis. À cause de cette indignation, Dieu a refusé au pécheur les secours plus abondants qui l’amèneraient à résipiscence. Mais pour l’offrande de la messe, Dieu est également amené directement à accorder ces secours. Car cette offrande est également un sacrifice d’impétration. Notons encore que le sacrifice de la messe remet les péchés, non immédiatement, médiatement, en tant qu’il obtient au pécheur des grâces qui provoquent en son âme la paix, la disposition pour obtenir la rémission des fautes commises. Et cela n’est pas seulement valable pour les péchés mortels, mais pour les fautes vénielles. Ainsi faut-il donc comprendre la décision de Trente d’après laquelle la messe remet nos crimes et nos péchés, même les plus grands.
La messe elle-même ne donne jamais la possibilité pour le pécheur en état de péché mortel de rentrer en état de grâce. Elle peut seulement aider à obtenir la pénitence nécessaire pour retrouver par le sacrement de la pénitence l’état de grâce.
Troisièmement, Michel mentionne les biens, objets de la satisfaction. En tant qu’il est satisfactoire, le sacrifice de la messe efface la peine temporelle qui reste encore après le péché pardonné, et en général, remet les autres peines volontairement acceptées que le juste pourrait offrir pour racheter dès ici-bas les peines des pécheurs. Mais il est évident que ce fruit ne saurait être acquis que par les âmes en état de grâce. De plus, il semble exact d’affirmer que cette rémission peut n’être que partielle, proportionnée aux dispositions du sujet et dans la mesure qui plaît à la libéralité divine. La messe peut aussi accorder des biens aux âmes dans le purgatoire. Michel écrit :
« Les âmes du purgatoire étant toujours dans une disposition parfaite pour recevoir les fruits de la messe, il est indubitable que la messe produit toujours et d’une façon infaillible en elles ses effets d’impétration et de propitiation. »
Alors, il reste à expliquer comment l’Église romaine autorise et même recommande l’offrande multipliée pour un même défunt. Il semble que cette question donne beaucoup de difficultés aux théologiens catholiques. De toute façon, la pratique de l’Église implique généralement un grand nombre de messes utiles pour effacer les peines des âmes du purgatoire.
Pour qui sont les fruits de la messe?
1. Le prêtre célébrant reçoit un fruit tout à fait spécial. Il est également question d’un fruit spécial pour les fidèles qui assistent à la messe et qui y participent donc d’une manière spéciale.
2. On doit distinguer ce fruit spécial destiné aux seuls fidèles assistant à la messe du fruit que reçoivent tous les fidèles de l’Église. En un sens plus large, toute l’Église, à cause de la communion des saints, participe à chaque messe. Il y a donc également un fruit de chaque messe pour tous les fidèles.
3. Enfin, il y a ce qu’on appelle souvent le fruit « ministériel ». C’est le fruit dont le prêtre, en tant que « ministre du Christ », peut disposer librement, si bien qu’il peut l’appliquer à celui-ci ou à celui-là, à la personne qu’il nomme devant Dieu dans une « intention de messe ». Le prêtre a droit de participer à tous les fruits de la messe célébrée par lui. Quant au fruit reçu par l’Église tout entière, on considère que les membres du corps mystique qui contribuent le plus au bien général de l’Église reçoivent une plus grande partie de ce fruit. Toutefois, on ne saurait dire si ce fruit très général s’étend effectivement à tous les membres de l’Église en particulier. Il y a aussi, entre théologiens, diversité d’opinion touchant la nature des bienfaits renfermés dans ce fruit très général. Tous concèdent qu’il s’agit au moins des bienfaits objets de l’impétration. S’agit-il aussi des bienfaits objets de la propitiation et surtout de la satisfaction? La plupart des auteurs modernes ou contemporains considèrent qu’il est certain que le fruit très général comporte un effet impétratoire; qu’il est plus probable qu’il s’y trouve un certain effet propitiatoire; mais que l’effet satisfactoire déjà épuisé dans le fruit spécial doit en être éliminé. Mais cette dernière assertion ne se justifie par rien.
Notons aussi la vue problématique à laquelle mène la doctrine de la messe quant à la relation entre l’effet de la messe et la disposition de l’homme.
Pour défendre la doctrine de la messe, Rome fait aussi appel à quelques passages bibliques (Gn 14.18; Ps 110, Hé 7 : correspondance entre Melchisédek et le Christ). On croit que Malachie 1.11 oppose les offrandes pures de l’avenir aux offrandes lévitiques, qu’il sera question d’offrandes extérieures dans l’avenir. Ainsi, le passage ne pourrait parler que du sacrifice de la messe. On cite également 1 Corinthiens 10.12, un passage dans lequel Paul oppose la table du Seigneur à celle des démons. La table des démons est l’autel des idoles. Cependant, on ne peut pas en conclure que la table du Seigneur est aussi un autel.
La transsubstantiation
Le terme de transsubstantiation fut employé déjà par le quatrième concile de Latran de 1215. Matériellement, la transsubstantiation fut déjà enseignée dans les formules de 1079 et 1095 contre Berenger. Ce terme désigne la doctrine selon laquelle, au moment où les paroles de l’institution « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » sont prononcées par le prêtre, et comme conséquence de ces paroles, les substances du pain et du vin sont changées en la substance du corps et du sang du Christ. Un double miracle se produit donc en cet instant : d’une part, ce miracle que le pain et le vin sont changés en corps et en sang du Christ, puis l’autre encore, bien qu’il soit néanmoins impossible de constater ce changement, puisque les propriétés du pain et du vin, leur forme, leur couleur, leur goût, etc. demeurent inchangés.
En dépit du fait que saint Augustin avait une conception très différente de la Cène, cette interprétation s’imposa dès la basse Antiquité et au cours du Moyen Âge dans l’Église occidentale. Elle fut expressément professée par le Concile de Latran (1215) et, à nouveau, contre les réformateurs, par le Concile de Trente (1545-1563). Pour défendre cette doctrine, l’Église romaine se réfère, entre autres, aux paroles du Christ « Ceci est mon corps » (Mt 26.26), dont la clarté, à ses yeux, ne laisse rien à désirer et auxquelles seule ferait entièrement droit sa doctrine de la transsubstantiation. En vertu des paroles de la consécration, il n’y a de présent sous l’espèce du pain, d’après les doctrines catholiques, que le corps, et sous l’espèce du vin, que le sang du Christ. Mais en raison de l’union naturelle et surnaturelle de toutes les parties essentielles, le Christ tout entier est présent sous chaque espèce. Le Christ reste présent aussi longtemps que les espèces demeurent inchangées. Le Christ présent dans l’eucharistie doit être honoré d’un culte divin.
« Puisque le même Christ, qui s’est immolé lui-même une fois pour toutes sur l’autel de la croix d’une façon sanglante, est contenu et immolé d’une façon non sanglante dans le divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, le saint Concile enseigne que ce sacrifice est vraiment propitiatoire et que, par lui, nous obtenons miséricorde et nous trouvons la grâce qui nous aide au moment opportun à condition de nous approcher de Dieu, contrits et pénitents avec un cœur sincère et une foi droite, avec crainte et respect : Dieu, en effet, apaisé par cette oblation, accorde la grâce et le don de la pénitence et remet ainsi les crimes et les péchés, même les plus graves.11 »
Mais alors surgit immédiatement la question : Comment ce sacrifice peut-il s’accorder avec le fait qu’au témoignage formel de l’Écriture, le sacrifice du Calvaire a eu lieu une fois pour toutes (voir Hé 9.12,26,28; 10.12,14). Certes, on évite de parler avec soin de « répétition ».
« Ce sacrifice (selon l’institution du Christ) représenterait le sacrifice sanglant qui ne devait s’accomplir qu’une seule fois sur la croix, conserverait jusqu’à la fin des siècles la mémoire de ce premier sacrifice et appliquerait enfin, pour la rémission des péchés que nous commettons journellement, la vertu si salutaire de ce même sacrifice.12 »
« Car c’est une seule et même hostie, et celui qui est offert maintenant par le ministère du prêtre est le même qui s’est offert lui-même jadis sur la croix; seule la manière d’offrir est différente.13 »
D’après le Concile de Trente, le Christ est vraiment, réellement et substantiellement présent dans l’eucharistie avec sa chair et son sang, avec son corps et son âme, avec son humanité et sa divinité. Le Christ est présent par la conversion de la substance du pain et du vin en son corps et en son sang. Les apparences du pain et du vin restent.
6. La doctrine réformée←⤒🔗
La controverse entre l’Église romaine et la Réforme ne concerne pas seulement en premier lieu le nombre des sacrements, mais la nature de ceux-ci, ainsi que nous l’avons vu. La Réforme croit que le baptême et la Cène n’infusent pas seulement une certaine qualité, ajoutée à la nature, une qualité qui risque toujours d’être perdue à nouveau. D’après la Réforme, les sacrements sont le gage de la faveur de Dieu dont on peut être certain pour toute sa vie. Par les sacrements, comme par la prédication, on reçoit le Christ avec tous ses dons. Se basant sur le sacrement, le chrétien peut se croire libéré de toute culpabilité pour toujours. Par le sacrement, Dieu l’absout pour toujours de toute peine méritée par son péché et il lui promet que le Saint-Esprit lui donnera, durant toute sa vie et dans toute situation, tout ce dont il aura besoin pour vivre selon la volonté de Dieu. Le baptême assure déjà de tout cela et la Cène confirme toujours cette promesse. Pour la doctrine réformée, on n’a donc pas besoin de l’infusion d’une grâce spéciale quand on grandit (confirmation) pour surmonter les difficultés au moment de la mort (extrême-onction) ou d’une nouvelle infusion de grâce après certains péchés graves. La Réforme reconnaît qu’il y a tout le temps de nouvelles situations dans la vie du chrétien et que l’on a besoin d’une aide de Dieu correspondant à sa situation.
La Réforme reconnaît aussi le caractère sérieux du péché. Elle pense même que tout péché, tel quel, mérite d’être puni par l’abandon de Dieu. Cependant, le baptême et la Cène assurent de l’aide de Dieu, qui permet dans chaque nouvelle situation de la vie de vivre comme son enfant. Le pécheur qui se repent a reçu le droit de se consoler même après les plus graves péchés, par la promesse que Dieu a déjà scellée dans son baptême et qui l’assure qu’il voudra toujours pardonner tout son péché. Le pécheur qui se repent peut être certain de rencontrer dans la Cène le Père qui pardonne. Le baptême et la Cène nous assurent que rien ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas les difficultés de la mort. Par le baptême et la Cène, Dieu nous promet son secours dans notre mariage et dans le ministère s’il nous l’accorde. Le mariage n’a pas besoin d’être élevé à un niveau supérieur par une infusion de la grâce. Il a été institué par Dieu en tant qu’une structure de la vie créée par lui, une structure qui, telle quelle, est sainte. Pour pouvoir exercer un ministère, il n’est pas nécessaire d’entrer dans un ordre nouveau basé sur une grâce spéciale.
D’après notre critique réformée, le sacramentalisme romain représente une conception opposée aux données bibliques. Rome se considère comme l’extension, la prolongation de l’incarnation, en divinisant de la sorte des êtres humains dans leur coopération avec la grâce divine dispensée. Contre cette interprétation, la conviction réformée souligne le don libre de la justice imputée seulement par la grâce de Dieu, reçue par une vraie foi, laquelle répond à la Parole de Dieu, pleinement fondée sur le une fois pour toutes de l’expiation effectuée par le Substitut et le Sauveur qu’est Jésus-Christ. Tel est l’Évangile à annoncer. Pour Rome, les sacrements sont les moyens efficaces par eux-mêmes pour fournir la grâce. Lorsque la messe, le baptême, la confirmation, le mariage, la confession, l’ordination d’un prêtre ou l’extrême-onction sont correctement administrés, Dieu agit toujours, il sanctifie la nature humaine blessée par le péché en unissant plus étroitement le croyant à Dieu. Cette efficacité en quelque sorte inéluctable du sacrement a été rejetée par la Réforme, qui par ailleurs a réduit le nombre des sacrements au sens strict de ce terme de sept à deux (Baptême et sainte Cène).
À quel point il nous faut prendre au sérieux cette déformation du sens originel de la Cène, nous apparaît à l’évidence dans l’idée de sacrifice que l’Église romaine associe directement à la doctrine de la transsubstantiation. En effet, cette idée de sacrifice altère profondément le sens de la Cène biblique. D’une participation au sacrifice de Dieu, elle devient un sacrifice présenté à Dieu, puisqu’aux paroles du prêtre le Christ ne descend pas seulement à nouveau et ne prolonge pas seulement l’incarnation d’une manière sacramentelle, mais s’offre à nouveau en sacrifice au Père pour la rémission des péchés. Dans la messe, c’est le sacrifice du Calvaire qui se prolonge d’une manière sacramentelle.
Notre intention n’étant pas ici d’exposer et de développer la doctrine biblique et réformée de la Cène, nous rappellerons simplement les passages du Nouveau Testament relatifs à l’institution de ce sacrement, et l’interprétation qu’en ont donnée nos textes symboliques, la Confession de foi de La Rochelle et le Catéchisme de Heidelberg. De nombreux passages peuvent être invoqués à l’appui de la théologie réformée (Gn 17.7,10; Rm 2.28-29; 4.11; 1 Co 11.25-26; Tt 3.5; 1 Tm 2.5; Hé 4.15; 5.4-5; 7; 22,25; 8.34; 12.24; 1 Pi 3.21).
Ces textes nous convaincront que la doctrine de la transsubstantiation est l’une des plus graves erreurs, voire une hérésie, qui se soient infiltrées dans l’Église. Nous aurions pu ne pas attacher une telle importance à cette doctrine, et nous borner tout simplement à la considérer comme une erreur rationaliste ou comme une simple exagération entachée de merveilleux, si elle n’était justement le fondement à partir duquel l’Église romaine pense pouvoir disposer de la présence du Seigneur dans la Cène et la susciter, puisque, selon sa conception, les paroles de l’institution prononcées par le prêtre possèdent une puissance irrésistible pour rendre le Christ présent. L’acte du prêtre suffit à opérer cette présence. Le prêtre assigne le Christ et dispose de sa présence. L’hostie, ou pain consacré, n’est rien moins que le Christ lui-même; il est exposé et adoré et, dans les processions, publiquement transporté à travers les rues.
La limite est dépassée. C’est ce sentiment qui incita nos pères à parler du « dieu-pain-prisonnier » et d’une « idolâtrie maudite ». Ici, nous constatons qu’on ne prend plus au sérieux le fait que Jésus-Christ est présent parmi nous comme le Seigneur de grâce, le Tout-Puissant qui est libre. Quelles que soient les formes de sa présence, il n’est effectivement présent que s’il reste ce qu’il est : le Seigneur, celui qui a des ordres à nous donner (alors que nous n’en avons aucun à lui donner), celui qui dispose librement de nous (alors que nous ne disposons jamais de lui). Même dans la Cène et selon sa promesse, sa présence n’intervient que par le Saint-Esprit et doit être attendue dans la foi. Dans la messe, il n’y a plus de place pour une telle attente, que nous voyons supplantée par la puissance opérante du prêtre, qui met le Christ à notre disposition. Ce faisant, on s’empare par violence de ce qui ne peut être donné que comme une grâce. C’est la raison pour laquelle l’antique épiclèse chrétienne (c’est-à-dire l’invocation du Saint-Esprit) est réduite à sa plus simple expression dans la liturgie de la messe. La présence du Christ devient celle d’une chose!
En nous exprimant ainsi, nous faisons abstraction de ce que le catholique pieux éprouve en présence du sacrement de l’autel. En outre, nous savons bien que même la conception la plus erronée, quant à la nature de sa présence, n’empêche nullement le Christ, quand il le veut, d’y être véritablement présent. Et pourtant, nous sommes obligés d’affirmer que nous devons radicalement rejeter la doctrine de la transsubstantiation, parce qu’elle est une entrave considérable à une rencontre spirituelle authentique avec le Seigneur du sacrement, elle fait du Christ une chose et le livre à la discrétion des hommes. La pratique de la piété catholique illustre surabondamment notre jugement.
Au 16e siècle, les réformés se sont définitivement séparés de cette tradition sacramentaire. Ils se sont opposés non seulement au nombre des sept sacrements, mais encore à l’importance, à la fonction et à toute la signification que Rome leur accordait, et ceci au nom du principe de la sola Scriptura, en obéissance à l’Évangile. Depuis, la Réforme n’a pas amoindri la force de sa réfutation de tous les arguments sacramentalistes romains (mis à part Max Thurian, développant une présence réelle, guère différente de celle professée par Rome). Il serait possible à ce point, et peut-être même à propos et utile, de s’engager dans une critique théorique de la doctrine romaine traditionnelle des sacrements, spécialement sur l’efficacité causale, attribuée aux rites. Nos observations porteront notamment sur les données bibliques suivantes :
L’aspect causal de la doctrine romaine sur les sacrements est en profond désaccord avec les Écritures, dans la contradiction la plus évidente lorsqu’on compare le dogme traditionnel du sacrifice eucharistique avec les déclarations claires de la lettre aux Hébreux concernant la finalité du sacrifice sur la croix. Au sujet de la fonction des sacrements, l’Église romaine peut revendiquer une exégèse de certains passages pauliniens et johanniques qui est mal orientée. Elle ne tient nullement compte de l’enseignement anti-ritualiste des passages du Nouveau Testament (Mt 15; Rm 14.17; 1 Co 1.17; 7.19; Col 2.16; Hé 9.10-13, 1 Pi 3.21). Elle renverse radicalement la relation équilibrée que le Nouveau Testament établit entre la parole prêchée, la foi, le baptême et le repas du Seigneur.
L’efficacité objective que Rome attribue aux sacrements même si cela s’appelle instrumental et applicatoire, implique une intolérable adjonction à l’œuvre achevée du Christ. Or, le Sauveur a parfaitement accompli la totalité du côté objectif de notre salut. Aucun autre sacrifice n’est plus nécessaire. Les sacrements, en tant qu’œuvres méritoires humaines devant être canalisées par l’Église, représentent un déni de la justification par la foi seule et une violation de la liberté souveraine de Dieu. Selon les termes de Calvin :
« Lorsque je baptise, est-ce parce que j’ai le Saint-Esprit sur ma manche pour le produire chaque fois? Ou le sang et le corps du Christ pour l’offrir à qui je veux? Ce serait pure présomption d’attribuer à des créatures mortelles ce qui n’appartient qu’à Jésus.14, 15 »
Notes
1. Mysterium fidei, 38.
2. Concile de Trente, 7e session, canon 1.
3. Concile de Trente, 7e session, canon 4.
4. Concile de Trente, 7e session, canon 5.
5. Concile de Trente, 13e session, chapitre 4.
6. Concile de Trente, 22e session, canon 1.
7. Concile de Trente, 22e session, canon 3.
8. Bartmann, II, 119.
9. Bartmann, II, 241.
10. Trente, d’après Denziger 940.
11. Concile de Trente, 22e session, chapitre 2.
12. Concile de Trente, 22e session, chapitre 1.
13. Concile de Trente, 22e session, chapitre 2.
14. Sermon sur Actes 1.4-5.
15. Lettre Pastorale, p. 46-55.