Jude 1 - L'incrédulité d'Israël
Jude 1 - L'incrédulité d'Israël
« À vous qui connaissez tout cela une fois pour toutes, je veux vous rappeler que le Seigneur, après avoir sauvé le peuple d’Israël du pays d’Égypte, a fait ensuite périr les incrédules. »
Jude 1.5
On peut dire que Jude a parfaitement appris sa leçon d’histoire sainte. Sa connaissance du passé lui permet d’avertir opportunément et avec autorité les croyants de l’imminence du châtiment qui attend les coupables. Il ne se contente pas de dénoncer l’imposture de manière générale; il montre également du doigt les mœurs dissolues de ces libertins qui s’acharnent à vouloir boucher les oreilles des saints à ses redoutables avertissements, et qui poursuivent, en toute quiétude, leurs agissements pervers. Ils vont jusqu’à traiter avec insolence les autorités ecclésiastiques.
Au regard de Jude, le premier grand exemple négatif du passé est celui d’Israël dans le désert. Qu’apprenons-nous du récit de la révolte dans le désert? Que Dieu, qui avait affranchi les Hébreux, ce peuple de nomades, de la servitude égyptienne, les livra néanmoins à la destruction. L’objectif de Jude est de traiter l’histoire par rapport à l’apostasie. Cette référence comporte trois points : la délivrance d’Égypte, l’incrédulité du peuple et sa destruction. L’accent majeur est placé sur ce dernier élément.
C’est dans le livre des Nombres (Nb 14.1-38) qu’on lira l’essentiel de cet épisode navrant de l’histoire d’Israël dans le désert. Celui-ci réserve un accueil tout à fait négatif au rapport des espions envoyés à Canaan, affichant ainsi non seulement son mépris envers Moïse, mais faisant encore preuve d’incrédulité envers Dieu. Aussi le Seigneur décide-t-il que ces hommes erreront pendant quarante ans dans le désert sans pouvoir pénétrer dans la terre promise. Au verset 22, Dieu rappelle que l’assemblée n’a pas fait confiance en sa Parole, lui qui avait démontré sa puissance en sa faveur. Notons que ce passage ne se rapporte pas à la délivrance comme telle, mais à la manifestation de la puissance divine. C’est pourquoi l’incrédulité y est fortement reprochée.
D’après le livre des Nombres, le jugement de Dieu s’exprime davantage en termes de dépossession de l’héritage que de destruction (Nb 14.12), même si le jugement pèsera lourd et causera la mort du peuple (Nb 14.35, voir aussi Nb 26.65). Notre auteur rappelle que tous les Israélites au-dessus de vingt ans moururent dans le désert (Nb 14.22-23). D’après Nombres 1.45-46, leur nombre devait se situer autour de 603 000 hommes. Si on y ajoute un nombre égal de femmes, le total s’élève à environ 1 200 000 Israélites tombés dans le désert. Ce fut le prix exorbitant que cette nation, privilégiée entre toutes, dut payer pour sa rébellion. En rejetant la promesse de Dieu et en oubliant sa puissance tant de fois manifestée en sa faveur dans le passé, il fit l’expérience du courroux divin, du fait qu’on ne peut pas prendre Dieu à la légère.
C’est dans la version grecque des Septante qu’apparaît l’idée de la destruction, introduite par le verbe « appolumi », « détruire ». Quoique le livre des Nombres contienne des éléments auxquels Jude fait allusion, il n’explique pas la raison pour laquelle il mentionne ces trois éléments comme un exemple de jugement porté sur les incrédules. L’étude des traditions juives extrabibliques peut jeter une lumière sur ce passage.
L’incident relaté dans Nombres 14 nous frappe d’autant plus qu’il s’agit du jugement survenant sur le peuple élu. Jude cherche à démontrer que le peuple de Dieu ne peut demeurer insouciant comme si, même en cas de désobéissance, les croyants avaient une sorte d’assurance tout risque contre le courroux divin… Cela devrait suffire à réveiller les lecteurs et même à les faire sursauter.
Des commentateurs ont souligné le soin avec lequel Jude explique l’histoire sainte. Il ne se contente pas de dénoncer des fautes passées, mais se livre encore à une exégèse soigneuse, très courante dans la tradition juive de son époque. Sa lecture de la Bible, de l’Ancien Testament, lui prouve que les prophéties anciennes ont été accomplies et le seront encore. Ce passage est un « hypomnemma », un rappel du passé pour instruire le présent.
L’apostasie d’Israël au désert était un exemple bien connu (Ps 95.8-11). Paul aussi s’y réfère pour avertir l’Église de Corinthe (1 Co 10.1-13), tout en insistant sur le baptême du Christ, ce dernier élément étant absent des préoccupations de Jude. Paul se sert de l’illustration d’Israël en ajoutant que ces choses-là ont été écrites pour servir d’instruction aux Corinthiens. L’histoire d’Israël a été transmise, en effet, pour servir d’avertissement aux générations futures. L’incident est également évoqué dans Hébreux 3.7 à 4.13 et sert à établir un contraste; il reste un repos pour le peuple de Dieu. Ce dernier passage souligne l’urgence, pour le croyant, de persévérer dans la foi si l’on tient à éviter le jugement et à participer au repos éternel promis par Dieu.
Ces deux passages du Nouveau Testament nous rappellent le message de Jude. Ils établissent une relation typologique entre les événements qui eurent lieu dans le désert et la communauté chrétienne actuelle. Ils sont tous marqués par une tonalité eschatologique.
Le « j’ai voulu vous rappeler » est une formule de politesse qui ne manque pas de tact, même si le ton reste celui de l’urgence et de l’à-propos. Comme d’autres passages du Nouveau Testament (Rm 15.14-15; 1 Th 4.9; 1 Jn 2.21,27), elle est d’une considérable portée théologique et rappelle un souvenir essentiel : l’acte même de Dieu, achevé au cours de l’histoire des actes rédempteurs, notamment d’après Deutéronome et les commandements (Nb 15.39; Ml 3.22). Les premiers chrétiens se souviendront de cette tradition (Rm 15.15; 1 Co 11.2; 2 Th 2.5; 2 Tm 2.8,14; 2 Pi 1.12; 3.1-2; Ap 3.3).
Le rappel de Jude est tout le contraire d’un rabâchage stérile et ennuyeux du passé. Ce n’est pas un souvenir aride ou un rappel ennuyeux; car ce n’est qu’en rappelant vigoureusement l’Évangile que l’on peut persévérer dans la foi. En règle générale, le péché et l’apostasie, sous toutes leurs formes, encourent le châtiment. Ceux qui n’ont pas cru, Dieu les a détruits (à propos d’incrédulité, consulter Dt 1.32-33 et Ps 106.24). Puisque toute la génération adulte du désert fut coupable d’incrédulité, Jude cherche à opérer un contraste entre le « laos », le peuple que Dieu a sauvé, et les incrédules qu’il a détruits. Son argument est renforcé par l’emploi du participe qui précise : ce peuple qui avait été sauvé fut aussi détruit.
Pour aider ses lecteurs à résister aux faux docteurs, Jude rappelle l’instruction qu’ils avaient reçue de la part des apôtres lors de leur conversion et de leur baptême; celle-ci comportait une « leçon » consacrée au jugement de Dieu sur toute désobéissance et sur toute incrédulité.
Aux yeux de Jude, ce ne sont pas là simplement des exemples tirés du passé, mais des « types » qui restent perpétuellement en vigueur. Les grands actes rédempteurs de Dieu accomplis au cours de l’histoire passée serviront de type eschatologique.
Notons, en concluant, que ces exemples ne parlent pas exclusivement du jugement qui surviendra sur les païens et les impies du dehors, mais ils indiquent surtout la menace qu’encourent les apostats « chrétiens » s’ils se comportent en complices des premiers.
Soyons assurés de notre conservation (Jn 4.14 et 10.28). Nous n’éprouverons pas de soif et ne périrons pas. Pourtant, nous sommes constamment exhortés à craindre Dieu (Hé 4.1). L’avertissement de Jude 1.5 n’est pas un « hapax », un cas unique et exceptionnel, car la Bible tout entière nous invite à nous souvenir du passé et à prendre au sérieux les promesses solennelles du Seigneur Dieu.
D’après 1 Corinthiens 10, voici cinq expériences majeures pour les Israélites :
- ils étaient tous sous la nuée;
- ils avaient tous traversé la mer;
- ils furent tous baptisés par Moïse;
- ils avaient tous mangé de la manne;
- ils furent tous abreuvés au même breuvage spirituel.
Cinq points qui nous permettent, à nous qui sommes parvenus à la fin des temps, de lutter contre les mauvais désirs, notamment contre la fornication, de ne pas tenter le Christ et de résister aux plaintes et aux murmures faciles. Saint Paul, lui aussi, avertit avec urgence et gravité : « Que celui qui se croit debout prenne garde de ne pas tomber » (1 Co 10.12). Il faut « pisteuein » (croire) et non pas « apostatein » (tomber dans l’apostasie).
Enfin, terminons sur une note d’assurance. Dans Éphésiens 5.25-27, nous lisons au sujet du pouvoir purificateur du Christ, l’Époux de l’Église, qu’il l’a aimée et rendue pure. « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice » (1 Jn 1.9).