Apologétique (4) - L'épistémologie - La théorie du savoir
Apologétique (4) - L'épistémologie - La théorie du savoir
- L’outil du savoir
- Le « pou sto » transcendant
- Les effets noétiques du péché
- L’idéal scientifique
- La neutralité scientifique
- Les effets noétiques de la régénération
Toute argumentation au sujet d’une notion est conclue par un point logique qui ne devra soulever aucune objection. Ces présuppositions sont considérées comme allant de soi, c’est-à-dire autodémonstratives. Elles constituent l’autorité ultime du point de vue de celui par laquelle aucune autre autorité plus grande ne pourrait s’imposer. En l’admettant, l’apologétique présuppositionnelle met à la place des affirmations et de la défense de la foi les principes épistémologiques premiers, à savoir que le Dieu unique et vivant s’est révélé dans l’Écriture sainte comme Père, Fils et Saint-Esprit. Il prendra cet argument au sérieux et ne s’en départira pas dans ses recherches. Non seulement l’apologète en tant que chrétien est, par la grâce divine, engagé par une méthodologie, se plaçant à l’intérieur du cercle de la foi en Dieu, mais encore, il est persuadé que ce principe premier lui procure le « pou sto » (le grec « où je me tiens »), le terrain philosophique unique sur lequel il peut se tenir, pour avancer et saisir le sens de la vie, et pouvoir établir des normes bibliques éthiques. Toute autre perspective épistémologique détruirait le sens, relativiserait les normes éthiques, rendrait la possibilité même de justifier le savoir hors d’atteinte (voir 1 Co 1.20). Pour le démontrer, nous devons commencer par examiner la théorie de la connaissance (épistémologie).
De quelle manière parvenons-nous au savoir? Certes, un grand mystère entoure ce processus-là. Cependant, certaines choses sont claires. Afin que le sujet humain puisse connaître et savoir ce qu’il connaît, deux conditions au préalable sont indispensables : (a) l’appareil qui apprend (expérience sensorielle et rationalité sous la direction de Dieu); (b) le « pou sto » suffisant et adéquat pour servir comme fondement sur lequel se développent des conceptions universelles, qui à leur tour sont nécessaires pour accorder le sens au particulier. C’est ce que nous apprenons par l’Écriture.
1. L’outil du savoir⤒🔗
Selon la foi chrétienne et biblique, l’homme est une créature supérieure. Ses sens ont été fixés par une origine qui est issue de l’œuvre divine (Ps 94.9; Pr 20.12; Ex 4.11). Dans l’Écriture, ils sont représentés comme tenant un rôle régulier et vital pour acquérir le savoir (Mt 5.16; 6.26; 9.36; 15.10; Lc 1.2; 24.36-43; Jn 20.27; Rm 10.14-17; 2 Pi 1.16-18; 1 Jn 1.1-3; 4.14). Nous ne voulons pas dire que ce sont les organes physiques sensoriels, tels que l’œil ou l’oreille, qui nous font entendre ou voir. C’est le cerveau qui voit et entend! Mais de quelle manière et pour quelle raison le cerveau humain traduit-il ces impressions en propositions de savoir? De quelle manière et pour quelle raison tous les hommes traduisent-ils ces impressions de manière similaire? Si en un moment donné du temps il n’y avait que des impressions totalement isolées et sans relations les unes avec les autres, présentes sur le cerveau pour être suivis par des staccatos ou par des impressions successives, le savoir serait-il encore possible? Un cerveau table rase ne peut absolument pas apprendre. Un certain apriorisme est par conséquent nécessaire, qui laisse entendre qu’il existe une connaissance innée.
L’Écriture présente-t-elle une position aprioristique? Les hommes possèdent-ils par nature des vérités innées allant de soi, en dehors du processus du savoir empirique? Les Écritures indiquent simplement qu’en vertu du fait qu’il a été créé par Dieu à son image, l’homme est constitué de manière qu’il possède un sens inné de la divinité ou du sacré. C’est précisément ce qui fait de l’homme un être religieux, en dépit de la chute, en mesure de saisir la révélation générale, tant dans la nature qu’en lui-même (Rm 1.18-32). En outre, l’œuvre de la loi divine est indélébilement imprimée dans son esprit. Elle lui sert, quel que soit par ailleurs le degré de corruption due au péché, de mesure de bien et de mal (Rm 2.15). Ce passage de la lettre aux Romains affirme fortement la capacité de l’homme et de son esprit à distinguer le bien et le mal, ce qui revient à dire que la raison dans son esprit est un préalable pour la morale.
Notons bien qu’il s’agit de la moralité et non d’exigences instinctives de rationalité. Que les lois de la raison soient innées est évident non seulement par le fait que les apprendre exigerait la présence antérieure et l’opération de la raison, mais nous le savons par l’Écriture. Le Fils de Dieu, le « Logos » divin, est la vraie lumière qui éclaire (rend rationnellement capable) tout homme venant au monde (Jn 1.9). Avant que nous disions autre chose au sujet de ce verset, il faut noter que « la vraie lumière venant au monde éclaire tout homme ». Le point principal de l’affirmation n’est en rien affecté si l’on opte pour cette traduction. Le Fils de Dieu illumine tout homme venant au monde. Ici, il s’agit de la lumière de la rédemption et non de la raison. Car l’évangéliste Jean n’est pas un universaliste ésotérique. Quelle que soit la traduction optée du « Logos » johannique (Parole, rationalité, raison, formule, débat, discours, délibération, discussion, oracle, sentence), toute traduction qui affaiblirait l’accent portant sur l’esprit ou la raison serait mauvaise.
Toutefois, si on objecte que l’idée de la rationalité obscurcit la personnalité de la deuxième personne de la Trinité, alors on doit changer son concept même de personnalité. À notre avis, selon Jean, le « Logos » est la raison personnelle éternelle de Dieu, lumière de tout homme venant au monde. Le processus illuminant auquel il fait ici référence est celui du raisonnement ou bien de la rationalité. En d’autres mots, comme le domaine de l’être, toutes choses subsistent et elles tiennent ensemble par le pouvoir de la deuxième personne de la sainte Trinité (Col 1.17; Hé 1.3). De même que la sphère de la connaissance, le « Logos » divin comme personne absolument rationnelle est la source de toute rationalité que possède tout homme. Cette vérité explique pourquoi tous les hommes sont capables de raisonner et peuvent essentiellement percevoir de la même manière. Car c’est le « Logos » divin qui les éclaire.
Parce que le « Logos » divin illumine tout homme, le processus du raisonnement est aussi harmonieux avec le monde réel, plutôt que se plaçant entre celui qui connaît et le monde tel que la chose se passe dans l’épistémologie kantienne. La Bible révèle que le Fils de Dieu rend les hommes capables d’opérer de manière rationnelle, mais aussi que le Christ est la Sagesse de Dieu qui permet le savoir possible en révélant Dieu aux hommes. À cause de cela, Dieu est la cause ultime et le régisseur de toute pensée philosophique, religieuse et morale. Comment l’homme peut-il apprendre? Le « Logos » divin est le créateur des sens et celui qui rend l’homme capable de rationalité. De même, Dieu comme seule cause ultime de tout est la cause ultime et le contrôleur de toute pensée humaine, autant de ses mauvaises que de ses bonnes pensées, et fait ainsi aboutir et achever ses desseins.
2. Le « pou sto » transcendant←⤒🔗
Un corollaire au fait que Dieu est la cause de tout et qu’il contrôle le moindre événement et les pensées les plus intimes est sa connaissance en tant que le « pou sto » suffisant comme terrain pour s’y tenir. De quoi l’homme a-t-il besoin pour justifier son droit au savoir? L’univers est composé d’un nombre impressionnant de particuliers. Si tout particulier que l’homme rencontre reste pour lui unique et non classifié, comme cela serait le cas si l’homme n’avait pas de raisonnement de connaissance et de communication, plus rien ne posséderait de sens. C’est ainsi parce que c’est le domaine des universaux qui peut exclusivement accorder un sens aux particuliers.
Les penseurs grecs ont énormément réfléchi au problème du savoir. Platon est celui qui s’y était le plus totalement engagé. Dans le domaine du savoir comme celui de la morale, il avait compris qu’il existait plus de particuliers qu’il n’en devait pour revêtir un sens. Dans le domaine du savoir, on a des particuliers par lesquels on entend des choses individuelles dans le monde. À un moment donné, je me trouve face à des milliers ou des millions de particuliers, aperçus par un simple coup d’œil. Mais quels sont les universaux qui leur accorderont le sens? Ici, nous nous trouvons au cœur même du problème de l’épistémologie et du savoir. Cela n’est pas une simple question de linguistique, mais de manière dont nous parvenons au savoir des choses. Nous ne discutons pas ici d’une théorie abstraite ou bien une sorte de scolastique, mais du fait de connaître réellement et de savoir que nous connaissons sûrement. Les Grecs, et plus spécialement Platon parmi eux, cherchèrent les universaux qui, selon eux, devaient pouvoir accorder aux particuliers leur sens. Pour Platon, il existerait quelque part un idéal capable de couvrir tous les particuliers. Les Grecs ont pensé de deux manières pour pouvoir parvenir à cette conclusion.
La première, au moyen de la Cité (« polis »), ce qui signifiait que le territoire géographique englobait, ou engloberait, la totalité de la structure de la société. Pour d’aucuns, la Cité pourrait servir d’universaux. Pourtant, suffisamment prudents, ils ont aussi compris qu’elle ne pouvait expliquer la totalité de la réalité structurée. Si ç’avait été le cas, seulement 51 % des citoyens auraient eu raison, contre une certaine élite. On finirait alors avec le roi-philosophe de Platon. Cette solution était limitée, voire boiteuse.
Le pas suivant fut d’aller vers les dieux. Seuls les dieux pouvaient accorder un sens à la « Polis ». Mais le problème était que les dieux grecs, même ceux de Platon, étaient inadéquats. Ils sont « personnels », contrairement aux dieux orientaux, lesquels comprennent le tout, et, quoiqu’impersonnels, ils sont suffisamment grands. À leur tour, les dieux grecs, n’ont pu, ne pouvaient pas servir comme principe universel et résoudre ce problème. En outre, les Grecs étaient informés (!) que leurs dieux se querellaient entre eux, souvent pour des vétilles. Ce qui explique que, dans le concept du hasard dans leur littérature, on ne sait jamais pour de bon si c’est le destin qui est dirigé par les dieux ou bien au contraire si c’est le destin qui s’impose aux dieux! Le destin est-il simplement un véhicule de l’action des dieux ou bien est-il un universel derrière les dieux et les manipulant?
Il reste donc une confusion constante entre le destin et les dieux considérés comme les ultimes déterminants des hommes et des réalités contingentes. Ce qui prouve l’intelligence profonde grecque de l’insuffisance de leurs dieux. Ils n’étaient pas suffisamment grands eu égard au destin, ni eu égard au savoir. Platon et certains autres Grecs ont compris la nécessité de trouver des universaux ailleurs; à moins d’un universel, rien ne sera bon. Cependant, ils furent incapables de le trouver ni dans la Cité ni dans leurs dieux. Nulle part mieux que dans le dialogue de Euthyphro de Platon n’apparaît plus clairement l’échec grec à parvenir à cette découverte. Les Grecs n’ont jamais trouvé de référence unifiée et infinie d’où ils pussent lancer leur effort et justifier le savoir, enfin découvrir le sens.
C’est le théisme chrétien qui offre la solution suffisante du problème. La découverte n’est en fait qu’une révélation, celle de la grâce. C’est le Dieu infini qui possède l’inépuisable connaissance qui l’accorde. Il a créé l’univers à l’intérieur duquel il intègre les faits selon son dessein gracieux. Son plan seul constitue l’universel qui accorde du sens au particulier. Par et dans cette structure se trouve une authentique signification et la compatibilité entre l’esprit qui connaît et les faits qui doivent être et seront connus. On peut alors « travailler » raisonnablement et correctement selon cette méthode présuppositionnelle. Le chrétien théiste prendra son orientation à partir du « pou sto » transcendant de l’esprit divin, tel qu’il se révèle dans l’Écriture. Avec lui, il affirmera la légitimité de l’expérience sensorielle et de la raison dans le processus d’acquisition du savoir. Le divin Esprit sera le « pou sto » des universaux. La parole du Christ qui s’authentifie à travers les Écritures sera la base épistémologique pour tout raisonnement, même du raisonnement au sujet de la raison, ou au sujet de la relation de celle-ci avec Dieu.
3. Les effets noétiques du péché←⤒🔗
De quelle manière le péché a-t-il affecté la capacité de l’homme à comprendre et à acquérir un savoir correct? Adam nous servira d’illustration. Adam est l’observateur de l’Alliance. Il reconnaît la souveraineté de Dieu et son propre statut de créature. Pour lui, Dieu devait être le « pou sto » de son savoir. Référence ultime, c’est lui qui détermine le bien et le mal. Au début, Adam pense selon les pensées de Dieu. Épistémologiquement parlant, à cette période ou à cette étape, Adam est réceptivement reconstructeur. Il est conscient que son savoir n’est pas total. Pourtant, sa finitude de créature n’était pas un handicap pour lui. Son savoir partiel au moins était pour lui une réalité. Il était disposé à mettre sa raison au service de Dieu et d’observer le mandat culturel. Il étudiait la nature pour la seule gloire de Dieu, exemple parfait de la science poursuivie sous la direction de Dieu et en vue de la découverte de la vérité. Jamais, à aucun moment avant la tentation, il n’aurait pensé à un « pou sto » personnel, autonome, ou comme à un pur accident de la nature. En un mot, Adam pouvait se glorifier en la distinction qu’il reconnaissait entre Créateur et créature.
La chute a déplacé l’autorité épistémologique ultime vers l’univers matériel. L’homme n’a pas cessé d’être homme, cependant, il réclame désormais pour lui-même le droit de devenir créativement constructeur. Il continue à se servir de sa raison, mais à présent il est devenu son propre « pou sto » autonome. On peut dire qu’il entre dans une nouvelle nature qui supprime la révélation aussi bien générale que spéciale. Ses motifs et ses idéaux deviennent les principaux moyens ou ses outils pour effectuer cette suppression. Il n’a cessé d’être religieux et scientifique. Cependant, le péché a produit des effets considérables sur son intelligence. En tant qu’homme religieux, il a choisi son « pou sto » religieux ailleurs, en la créature (Rm 1.23). Il a changé la vérité de Dieu contre le mensonge (Rm 1.25). En tant qu’homme scientifique, il continue à classifier et à rechercher un sens dans l’univers sensible seulement. Cependant, à cause du nouveau « pou sto » autonome, le sens dérive de lui-même et non plus de Dieu. Opérant de manière épistémologique par son esprit ou cerveau corrompu (Rm 1.28) et son intelligence obscurcie (Ép 4.18), il déclare être sa propre mesure et celle de la réalité qui l’environne. Il est déterminé à chercher et à trouver en lui-même le bien suprême dans son éthique, le sens de l’univers dans sa science, le beau dans son art, en un mot, l’histoire de l’art et des sciences. Pour y parvenir, il a rejeté l’interprétation initiale et originelle de Dieu d’assumer qu’il vit dans un univers où le hasard reste ultime. Jusqu’à ce qu’il rationalise une portion, ce n’est que la pure contingence qui prévaudra. Pour illustrer, on doit considérer deux principes philosophiques qui régissent la science moderne.
4. L’idéal scientifique←⤒🔗
Le but suprême de la science est l’unification du savoir à l’intérieur d’un système qui englobe la totalité, et l’interprétation uniforme de la réalité au moyen d’un simple principe totalement suffisant pour interpréter. Un système rationnel complet qui n’a rien en dehors de lui ni d’alternatifs possibles est présupposé et au-delà de l’atteinte actuelle d’aucun moment. Ou encore, l’objectif de la science : rien de moins que la complète interprétation de l’univers. Mais quand la science moderne reconnaît qu’elle cherche un principe simple et tout suffisant d’interprétation par lequel elle établira le sens de toute la réalité, c’est au prix de la négation du Dieu vivant des Écritures. Son rôle qui consiste à accorder le sens est l’évidence de la nature apostate de l’épistémologie qui contrôle la science moderne.
5. La neutralité scientifique←⤒🔗
En outre, dans sa recherche de la vérité, la science moderne qui insiste pour affirmer la question de la vérité devra rester ouverte. L’esprit scientifique ne doit, prétend-on, entretenir aucun préjudice ou présupposition au départ de son expérience, la simple vérité de la matière bien entendu. Le savant doit présupposer la réalité de son univers, la réalité et la rationalité de son esprit, la compatibilité entre l’univers physique et l’esprit abstrait dont il procède. Autrement, il ne dérive aucun sens véritable de l’univers et cesse de trouver un sens cohérent en d’autres esprits ou une uniformité dans la nature. Deux hypothèses sont ici en lice : La science moderne exclut de son expérimentation le fait de la création, une détermination dans l’univers de quelque chose ou d’une entité qui lui soit extérieur. Pourtant, ce sont là des faits bruts (non interprétés), des bouts d’irrationalité, civière du hasard, jusqu’au moment où ils reçoivent une interprétation par l’homme scientifique. Les faits de l’univers lui apparaissent comme irrationnels, non déterminés par une absolue contingence qui prévaudrait partout, au-delà du domaine propre de l’homme scientifique qui s’imagine dominer le champ de sa réussite. Postuler la foi d’un « pou sto » immanent, de le tenir pour être ultime d’un hasard métaphysique, place l’homme irrégénéré dans un terrible corset épistémologique. Cela veut dire qu’il ne connaît rien convenablement. Il rejette le seul terrain suffisant qui pût justifier toute connaissance, tout droit à la connaissance. Il n’admet ni le fait qu’il est une créature ni le caractère prédéterminé des faits, ce qui est pour tout fait dans l’univers. L’homme scientifique, quoique dans une autonomie apostate, se croit créativement constructeur, mais donne l’ample preuve d’être rien, et nonobstant capable d’accomplir quelque chose.
Comment faut-il en rendre compte? C’est ainsi, et Dieu lui-même reconnaît le génie (Gn 11.6). Cela veut dire que la capacité de raisonner de l’homme demeure fonctionnellement opérante et intacte (voir Jn 1.5,9). En s’adonnant à son œuvre scientifique, il peut commettre des erreurs et il en commet; il se trompe, il tire de fausses conclusions qui sont dues à l’absence de faits pertinents. Toutefois, malgré la chute, il reste encore créature pensante, capable de raisonnement. La bonne raison peut détecter et corriger les erreurs. C’est dire que les lois de la logique d’Aristote, dans son quatrième livre de métaphysique, sont encore valables pour l’homme, non parce qu’Aristote les a énoncées, mais parce qu’elles dérivent de la logique même du « Logos ». Car toute loi logique dérive de Dieu, toute pensée humaine prend son origine en la pensée de Dieu.
Lorsque Dieu déclare que sa Parole est vraie (Jn 17.17), qu’il ne ment pas (Nb 23.19; Tt 1.2), il montre qu’il reste la source originelle de toute rationalité et qu’ainsi lui seul détermine le vrai et le faux. À cause de cela même, l’homme déchu peut devenir un grand technicien. Cela veut simplement dire que, quoi l’homme déclare son indépendance par rapport au théisme chrétien en poursuivant une tâche scientifique, il parvient à des résultats corrects. En réalité, il ne travaille qu’avec des outils volés ou empruntés au théisme chrétien! Parce que la foi chrétienne est vraie, l’homme peut découvrir la vérité et le sens dans n’importe quelle sphère de sa pensée ou de ses activités. Mais il s’en suit qu’en évitant la conclusion chrétienne théiste, l’homme autonome devient de plus en plus un technicien qui ignore le problème épistémologique, tout en poursuivant son labeur scientifique, mais en isolant la question ultime relative au pourquoi des choses. Le péché l’a précisément affecté noétiquement. Certes, le péché n’est pas la cause de l’ignorance. Même l’ignorance aurait inspiré à l’homme sa science. L’homme est incapable de prouver sur la base de son expérience empirique l’existence ou la véracité du Dieu du théisme chrétien.
De quelle manière le péché a-t-il affecté l’homme? Selon Abraham Kuyper, il le fit par ses effets débilitants, physique ou mental, et ouvrit l’homme à la possibilité constante de commettre des erreurs, certes non intentionnelles, et à des illusions. Ces effets peuvent se minimiser en comparant les résultats. Même s’il pouvait échapper à ces effets, le péché a travaillé un tel mal dans sa nature, en le rendant aveugle au fait qu’il est une créature, qu’il continue à œuvrer sérieusement pour supprimer Dieu et sa révélation en répudiant le seul « pou sto » valable pour toute pensée et activité humaine. Selon Kuyper, le mal principal est la ruine faite par le péché dans ces données qui étaient à nos commandes pour obtenir la connaissance de Dieu et former la conception de l’ensemble. Il est vrai que l’homme ne peut complètement oblitérer la révélation; selon Romains 1.32, même le plus profane connaît les ordonnances divines, et selon Romains 2.14-15, la loi est pratiquée par les païens. Avec Calvin, nous affirmerons que l’homme possède même faiblement un sens inéradicable de la divinité. Mais la nature du péché supprime cette connaissance. Dans la haine contre l’autorité divine, il supprime la voix de Dieu qui se fait entendre dans la Bible. Car faire autrement l’engagerait à reconnaître sa nature de créature déchue. Or, être conscient de sa création c’est être conscient qu’il est tenu par une Alliance, ce qui l’oblige aussi à reconnaître qu’il est pécheur. Il supprime la vérité de Dieu pour la remplacer par la reproduction scientifique. Le péché a obscurci et a aveuglé son point de référence d’Archimède, celui de connaître par la seule référence à Dieu.
6. Les effets noétiques de la régénération←⤒🔗
Selon l’apôtre Paul, l’homme naturel ne reçoit pas les choses de Dieu (1 Co 2.24). Il est incapable de gagner un « pou sto » transcendant. Il a besoin d’un secours extérieur puissant accordé après sa régénération. Rien de moins que la puissance de Dieu dans l’œuvre régénératrice du Christ et de son Esprit peut sauver l’homme, même épistémologiquement. Le salut de l’homme est non seulement pour le ciel, mais pour lui-même et pour sa science. Dans la régénération, l’homme est noétiquement restauré à sa position d’observateur de l’Alliance. En principe, il redevient réceptivement reconstructeur. Le principe spécial de la grâce s’introduit à présent dans certains individus et fait ainsi apparaître deux sortes de personnes et deux sortes de sciences : ceux qui observent l’Alliance et ceux qui la transgressent. Ces derniers ont un engagement du cœur différent, même si en principe au niveau métaphysique ils ont une épistémologie différente. Il existe deux manières de voir les données de l’univers. Si le chrétien et le non-chrétien sont, épistémologiquement parlant, conscients de soi, faisant de la science avec une totale consistance à partir de leur « pou sto », le chrétien fait la science pour la gloire de Dieu, le non-chrétien par la destruction du sens transcendant, dans lequel prévaut le hasard qu’il tient pour l’être ultime.
Bien entendu, ce dernier sera quand même épargné des conséquences de totale absurdité du fait de la grâce prévenante conservatrice de Dieu. Mais à cause du péché dans le monde, le chrétien lui aussi ne cherche pas toujours la gloire divine. Extérieurement et seulement extérieurement, les résultats de l’œuvre des deux catégories se ressemblent. Le chrétien ne devrait pas parler de l’homme en général, mais seulement selon la description et la définition anthropologique effectuées par les Écritures, en indiquant son véritable et originel « pou sto » transcendant. Il évitera de laisser entendre même légèrement que l’homme peut exister en lui-même, tout en transgressant l’Alliance, et qu’il peut seul trouver le sens et l’accorder à son univers. Il déterminera de manière théiste le bien et le mal. Il s’adressera à l’homme créé à l’image de Dieu et connu par lui, quoique celui-ci cherche à supprime cette connaissance et par là déforme son image. Il lui demandera d’abandonner sa prétention à l’autonomie. Il annoncera que porter l’image de Dieu est la seule Bonne Nouvelle. Il priera aussi pour que l’Esprit ouvre ses yeux. Les faits du monde spatio-temporel sont ceux d’un monde créé et régi par Dieu. Ce que Dieu dit est vrai, parce que Dieu le dit. Ce qu’il fait est juste. Cette vérité s’oppose au mensonge. C’est la présupposition : « ou bien… ou bien… » Tandis que les méthodes d’apologétique traditionnelles sont à la fois : « et… ou… » et « et… et… ». Nous avons à commencer par le haut. La méthode classique commence par le bas.
D’après les positions catholiques romaines et arminiennes, l’homme ressemblerait à un cavalier courant dans deux sens opposés. D’une part, par sa raison il doit monter vers le haut, jusqu’à ce qu’il se voit absorbé dans l’aveugle identité de Parménide. Mais, parvenu à ce point, craignant d’être absorbé et anéanti dans l’être abstrait, il court vers le bas pour être alors absorbé dans la plus pure contingence. Lorsqu’il tente de faire les deux, il est à la fois déterminé et non déterminé. Comment cela peut-il se produire? Comment le réformé, lecteur de Romains 8.5-7, pourrait-il penser de la sorte? Ceux qui sont d’après la chair se comportent selon la chair. Il n’est pas possible de rester d’esprit charnel et se croire capable de saisir la pensée et la loi de Dieu. On ne peut pas dire au non-croyant : Voyez-vous, vous avez une demi-orange, nous avons une orange entière. Il faudrait au contraire lui faire comprendre que son orange est totalement abîmée. Nous n’avons pas à commencer avec l’homme qui serait capable de connaître, mais avec Dieu, qui non seulement a créé les oreilles, mais qui permet encore d’entendre sa voix et sa vérité. Nous n’aurons pas à défendre la foi ou la révélation sur le fondement de la raison ou bien à dire que la foi chrétienne répond aux questions de l’homme. Comme si ce qui était important était la question de l’homme! Nous connaissons des apologètes qui ont recours à la méthode inductive par l’examen de l’histoire, de la géologie, ou la méthode déductive, c’est-à-dire partant de la cause à l’effet. L’apologétique classique fonctionne en démontrant à l’homme non irrégénéré qu’il peut saisir la vérité par sa raison naturelle. Elle tente de lui faire croire que la foi chrétienne serait soit probable, soit même la plus probable des vérités!
L’apologétique réformée est présuppositionnelle. Contrairement au fidéisme, elle soulignera le fait que la foi est logique et rationnelle. Chez le réformé, logique et rationnel revêtent un sens autre que chez le fidéiste. Pour le non-réformé, logique et rationnel signifient être en accord avec la pensée de l’homme naturel. Pour le réformé, il n’existe pas de raison neutre ou de langage neutre, susceptible de comprendre et de croire. En réalité, il existe deux types d’hommes : tous les deux possèdent des présuppositions. L’irrégénéré est apostat, il regarde la réalité à travers ses verres déformants, parce qu’en dernière analyse il n’aime pas Dieu. Il refuse d’admettre qu’il est une créature. La logique implique comme s’il y avait une raison abstraite supérieure et indépendante de Dieu. Le deuxième type d’homme lui aussi regarde la réalité, le monde, la vie et les personnes avec ses présuppositions particulières. Mais il reconnaît que la raison est créée par Dieu et il se soumet à l’Écriture. Il n’accorde pas à la raison la place qui revient à Dieu. Dieu seul est l’unique source de toute connaissance. Lui seul assigne une fonction à toute chose. Le réformé ne voit pas de terrain commun entre la foi et celui qui se considère être neutre.
Quelle est la portée pratique d’une telle apologétique? Servira-t-elle à l’évangélisation du monde moderne? Le terme d’évangélisation ne devrait pas revêtir le sens étroit qu’il reçoit d’ordinaire. La défense de la foi ne suppose pas nécessairement la conversion de toutes les âmes. Il convient de garder à l’esprit le triste fait que nous vivons en une époque qui se veut pragmatiste, adonnée à l’expérimentation immédiate, qui cherche à voir et à prouver si une chose est pratique, utile, efficace; c’est l’ère du fonctionnel, pour ne pas dire du fonctionnalisme. La théorie est en déshonneur. Les notions théologiques ne sont pas crues, voire crédibles. Ce serait faire preuve d’intellectualisme. Nous pensons que sans la théorie il ne peut exister de pratique. Sans la théorie, son apprentissage et son usage, il ne peut exister de pratique de la foi. Distinguons alors à la suite de Van Til d’une part l’apologétique romaine d’autre part celle des arminiens, qu’elle soit libérale ou évangélique.
La première s’exprimait dans le système thomiste. Le fondement n’en est nullement chrétien, mais carrément emprunté au païen Aristote. Chez ce dernier, l’être est conçu de manière analogique. Avant Aristote cependant, Parménide et Héraclite avaient adopté la même méthode d’interprétation. L’épistémologie théiste offre une image d’un christianisme logique avec lui-même défiant non seulement les positions anti-théistes modernes, mais démontrant également leur échec et leurs vaines tentatives de chercher des fruits chrétiens sur un arbre anti-chrétien.