Cet article a pour sujet la souffrance du chrétien qui doit être comprise à partir d'une vision biblique de l'eschatologie et qui est le moyen par lequel Dieu manifeste sa grâce et sa puissance.

3 pages. Traduit par Paulin Bédard

La souffrance et l’eschatologie

Avec la montée de « l’évangile de la santé et de la prospérité » dans le monde évangélique nord-américain, et avec la mentalité du « Nommez-le! Réclamez-le! Prenez-le!1 » qui se répand, il semble que le véritable enseignement biblique sur la place de la souffrance et des épreuves dans la vie chrétienne ait été perdu. Cela ne devrait cependant pas nous paraître étrange, car depuis les tout premiers jours du christianisme, ce type d’évangile triomphaliste a menacé d’obscurcir l’appel à la véritable vie de disciple du Christ, l’appel à s’identifier à l’humiliation de la croix afin de montrer la gloire de Dieu et de participer à la résurrection du Christ.

Dans cet article, je chercherai à montrer que la souffrance chrétienne ne peut être correctement comprise et assumée qu’à partir d’une vision biblique de l’eschatologie2. Nous concentrerons notre discussion sur 2 Corinthiens 4, en tenant compte du contexte dans lequel Paul se trouvait lorsqu’il a écrit cette lettre.

On a beaucoup débattu de la question de savoir à qui Paul répondait dans sa lettre aux Corinthiens3. À cet égard, Hafemann semble avoir jeté une certaine lumière sur ce débat dans une étude exégétique détaillée des passages clés. Il soutient que les adversaires de Paul dans 2 Corinthiens semblent avoir enseigné que la souffrance dans la vie chrétienne est la preuve d’un manque de présence de l’Esprit, et que par conséquent l’apostolat de Paul était remis en question, puisqu’il souffrait manifestement partout où il allait4! Je pense que nous pouvons voir des parallèles précis entre la situation corinthienne et « l’enthousiasme spirituel » actuel. En Amérique latine, où je travaille (et je crois que c’est le cas également en Amérique du Nord), les tendances « charismatiques » présentent souvent trois éléments caractéristiques :

  1. Une sorte « d’eschatologie réalisée », un triomphalisme, mais qui se situe généralement uniquement dans la sphère personnelle. L’accent est mis sur la guérison complète en toutes circonstances (la souffrance est donc due à un manque de foi). La pauvreté est vue sous le même angle.
  2. Il existe paradoxalement une tendance au légalisme. Les « initiés », bénis par le don supplémentaire de l’Esprit, semblent chercher des règles supplémentaires à respecter afin de démontrer leur spiritualité. La loi a peut-être été utilisée de cette manière chez les adversaires de Paul à Corinthe, d’où la discussion détaillée de Paul dans 2 Corinthiens 3.
  3. Sous la puissance de l’Esprit, on voit surgir de nombreux « apôtres » autoproclamés qui revendiquent l’onction du Saint-Esprit, prétendent avoir des révélations directes et font généralement preuve d’un don très visible et sensationnel (guérison, prophétie, langues, etc.).

Ce que j’ai observé de première main semble très proche de la situation qui prévalait à Corinthe. À toute époque, l’enthousiasme spirituel peut manifester les mêmes tendances. Les « super-apôtres » que Paul mentionne dans 2 Corinthiens 12 et dans sa discussion sur la « vantardise » dans les chapitres 10 à 12 semblent supposer qu’il y avait à Corinthe un groupe qui jugeait le comportement de Paul, principalement son manque apparent de « puissance », qui aurait été l’indication qu’il n’avait pas vraiment le Saint-Esprit.

Si nous nous penchons sur la réponse de Paul, nous constatons qu’il équilibre soigneusement ce que l’on a appelé le « déjà » et le « pas encore » dans sa réponse à la conception erronée qu’on avait de la souffrance. Dans 2 Corinthiens 3.17-18, Paul affirme le « déjà » de l’Évangile, en ce sens que le chrétien est transformé de gloire en gloire par l’Esprit du Christ. Cette transformation est merveilleuse et se traduit par une formidable puissance spirituelle qui se manifeste dans la vie du chrétien. Comme Paul le dit un peu plus loin : « Nous sommes pressés de toute manière, mais non écrasés; désemparés, mais non désespérés; persécutés, mais non abandonnés; abattus, mais non perdus » (2 Co 4.8).

Néanmoins, le « déjà » de la vie chrétienne doit être strictement équilibré par le « pas encore », et Paul explique cet aspect dans 2 Corinthiens 4.7-18. Le glorieux Évangile est communiqué dans des « vases de terre », et l’existence de Paul est un paradoxe marqué à la fois par la croix et par la résurrection. En fait, Paul va jusqu’à dire qu’il y a un lien logique entre sa souffrance et la diffusion de l’Évangile. Aux versets 10 et 11, Paul affirme que la mort du Christ est manifestée dans son corps afin que la vie du Christ soit également manifestée5. Puis, au verset 17, Paul déclare avec audace que ses souffrances produisent pour lui un poids éternel de gloire. Ces déclarations mériteraient un traitement beaucoup plus détaillé que celui que nous pouvons accorder ici, mais elles servent à montrer que, pour Paul, les réalités eschatologiques — « déjà/pas encore » — ont une relation intime entre elles, et une relation particulière avec sa souffrance. La rédemption inaugurée par le Christ est accomplie par un processus historique que Paul définit comme étant une « crucifixion ». Le Christ est passé par le Golgotha avant de parvenir à gloire, et il emmène toute l’Église avec lui sur cette route. La souffrance du chrétien, donc, est loin d’être une preuve de l’absence de la puissance de l’Esprit. Bien au contraire, dit Paul. La souffrance du chrétien est la preuve de son union avec le Christ. Sa « résurrection-transformation » s’opère en devenant faible aux yeux du monde, « afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu, et non pas à nous » (2 Co 4.7). Ce n’est que lorsque nous comprenons la véritable nature des réalités eschatologiques inaugurées par le Christ que nous pouvons comprendre l’utilité de la souffrance de l’Église du Christ. La faiblesse même du chrétien est le canal par lequel Dieu manifeste sa grâce et sa puissance, et c’est pourquoi Paul dit qu’il se glorifiera dans sa faiblesse : « en effet quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12.10).

Une grande partie du monde évangélique latino-américain a été déformée par une importation aveugle d’un évangile triomphaliste nord-américain. Je crois cependant que nous assistons déjà à l’épuisement d’une grande partie de cette religion enthousiaste. Leurs solutions rapides et superficielles sont de moins en moins crédibles. Je crois aussi que nous assistons à la propagation d’une sensibilité biblique à l’appel de l’Église, qui consiste à témoigner fermement du Christ ressuscité et de son royaume, même si cela exige de porter sa croix. J’ai personnellement parlé avec des frères chrétiens qui ont été emmenés en captivité et torturés en raison de leur participation à des actions empreintes d’amour envers les pauvres, qualifiées par leurs gouvernements de subversives et même de communistes. Ces frères savent très bien de quoi Paul parlait.

L’Église d’aujourd’hui doit retrouver une perspective biblique sur la souffrance, si nous voulons être des témoins efficaces. Non seulement les tendances enthousiastes que j’ai mentionnées, mais également plusieurs de nos propres conceptions, sont essentiellement le reflet d’une capitulation à une vision mondaine de la souffrance, qui est trop souvent perçue comme étant inexplicable et indésirable. Retrouvons une perspective biblique de la souffrance en comprenant qu’elle est ce processus nécessaire par lequel l’Église doit passer sur le chemin qui mène à la gloire. Soyons vaillants, soutenons-nous mieux les uns les autres dans notre souffrance, et soyons surtout fidèles à notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

Notes

1. NDT : Titre d’un livre à succès écrit par un évangéliste guérisseur africain dans lequel, d’après le plat verso du livre, « l’auteur montre au croyant la clé principale qui lui permettra de recevoir une percée spirituelle, physique, financière et matérielle! »

2. Je renvoie le lecteur à mon mémoire de maîtrise intitulé Suffering and Eschatolog: A Critical Study of 2 Corinthians 4 with Particular Emphasis on the Relationship of Suffering and Eschatology in Paul [Souffrance et eschatologie : Une étude critique de 2 Corinthiens 4 avec un accent particulier sur la relation entre la souffrance et l’eschatologie chez Paul] que j’ai présenté au Calvin Seminary en mai 1989. Dans cette étude, je suis en mesure d’explorer de manière beaucoup plus détaillée les nuances que Paul apporte à ce sujet d’actualité.

3. Dieter Georgi, The Opponents of Paul in Second Corinthians [Les adversaires de Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens] (Philadelphie : Fortress Press, 1984).

4. Voir l’excellent travail de Scott Hafemann dans sa thèse de doctorat, Suffering and the Spirit [La souffrance et l’Esprit] (Tubingen : J. D. B. Mohr, 1986).

5. La plupart des commentateurs ont tendance à édulcorer les versets 8 et 9, considérant que Paul estime que, même s’il est abattu, Dieu le gardera toujours en sécurité (voir par exemple R. P. Martin, 2 Corinthians [Waco : Word Books, 1986], p. 86). Toutefois, ceci est loin d’être l’idée de Paul. Une étude attentive des mots utilisés montre que Paul veut dire que même si physiquement il est écrasé, voire tué, Dieu ne l’abandonnera jamais, et son ministère portera le fruit que Dieu désire.