1 Jean 2 - L'Avocat
1 Jean 2 - L'Avocat
« Mes petits enfants, je vous écris ceci, afin que vous ne péchiez pas. Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste. Il est lui-même victime expiatoire pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. »
1 Jean 2.1-2
La célèbre prière de confession des péchés attribuée à Calvin (ou bien est-ce de Martin Bucer, réformateur de Strasbourg?) déclare : « Nous sommes enclins au mal, incapables par nous-mêmes de faire le bien, et tous les jours et de plusieurs manières nous péchons, attirant sur nous ton juste jugement. »
Une puissance aliénante, d’une force inégalée, nous asservit; elle s’appelle péché. Est-il possible de lui résister? Nous avons tenté l’impossible. L’alcool nous dégrade, le dérèglement sexuel nous avilit, l’idolâtrie de l’argent nous rend tels des requins pour le prochain, la soif démoniaque du pouvoir politique, celle du savoir ou de l’hégémonie ecclésiastique et la tyrannie moderne de la technique nous déshumanisent. Sans oublier l’orgueil démesuré, la haine tenace, le ressentiment empoisonnant, la jalousie maladive, et j’en passe. Ennemi fort, le péché est tellement subtil! Notre résistance a été vaine; nous voilà résignés, nous avouant vaincus et ayant définitivement renoncé au combat. Nous ne nous en sortirons pas même avec des efforts redoublés et les intentions les plus louables. Le péché nous colle à la peau, suce notre vitalité, ronge nos os, tue notre âme.
La foi chrétienne prêche une religion morale. Saint Jean le souligne fortement. Il est certain que l’homme, même chrétien, est un échec moral. Confronté aux exigences de Dieu, lorsqu’il les reconnaît, il est incapable de les observer. Alors s’élève cette barrière infranchissable entre lui et Dieu. Comment l’homme pécheur s’approchera-t-il de lui, se tiendra-t-il en sa sainte présence, lui plaira-t-il?
Le problème est résolu en Jésus-Christ. Saint Jean, dans ces quelques lignes, nous exhorte à barrer la route au péché. Voilà encore, direz-vous, cet utopisme perfectionniste des chrétiens. L’apôtre du Christ, lui, insiste : « Je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez pas », et aussitôt il ajoute cette parole étonnante (s’agirait-il d’un lapsus, ou bien ne se rend-il pas de la contradiction de ses propos?) : « Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat » (1 Jn 2.1). « Ne péchez pas », commençait-il; j’appellerais cet ordre plutôt une exhortation. La phrase qui suit est une consolation, c’est-à-dire l’assurance selon laquelle le péché a été vaincu. Nous avons un Avocat, un Défenseur qui se tient auprès de nous et nous protège.
Un terme grec du Nouveau Testament qui m’a fasciné depuis les années de Faculté et qui m’a puissamment soutenu, aussi bien dans l’exercice de mon ministère que dans ma vie personnelle, est le mot grec « parainésis ». J’en ai donné la traduction; son sens est chargé d’un puissant message que les deux mots français « exhortation » et « consolation » nous communiquent. Ordre, certes, mais aussi annonce de repos; convocation à la bataille, mais également certitude de victoire. L’impératif résonne fort : ne pas pécher; l’indicatif nous rassure : nous avons un Avocat. Si nous péchons, il y a une issue; nous sommes promis à la joie et au réconfort. Dieu soit loué! Glorifions-le à cause de l’Avocat qui s’appelle Jésus-Christ, qui intercède pour nous auprès du Père. Ni le défaitisme ni la passive résignation, pas plus que la déception, n’ont donc droit de cité dans le vocabulaire chrétien. Une promesse nous est faite et immanquablement elle engendre en nous l’espérance. Notre péché qui nous tourmente, et même torture, tant il est oppressif, a été écrasé.
Pourtant nous péchons. Tous les jours et de plusieurs manières! Incapables d’en arrêter la marche, l’avance, les pattes de ce fauve nous agrippent et ne nous lâchent pas de sitôt. La promesse serait-elle un leurre? La vie sans péché n’est pas possible, même lorsque nous jubilons pour le triomphe et que l’allégresse de la consolation nous étreint. Il est certain que le péché ne sera jamais éradiqué totalement de nos vies. Devant cette constatation, quand l’espoir à peine né s’évanouit, la vie dans la foi risque de devenir morne et triste. Saint Jean a prévu ces hauts et ces bas intérieurs, les déceptions et les défaites; les tentations qui ne sont pas toujours des épreuves positives pour épurer la foi, mais des séductions diaboliques auxquelles nous succombons.
Abordons cette apparente contradiction. L’auteur veut que le fidèle ne pèche pas; mais aussitôt il lui tend une main secourable. S’il pèche, il a son Défenseur. La contradiction n’en est vraiment pas une; il ne s’agit pas de résoudre un problème par nous-mêmes, mais d’avoir recours à celui à qui se rapporte le tout : « Nous avons Jésus-Christ. » L’inconciliable a été concilié en lui, par lui. Il est notre Paraclet, déclare Jean.
Paraclet! Encore un de ces mots grecs que le laïc n’apprécie pas trop et que, bien souvent, je crains, il n’est même pas disposé à comprendre. Ah!, si la Bible avait été rédigée en notre dialecte à nous; on éviterait des casse-tête linguistiques comme celui-là, et il y en a tant d’autres! Mais, voyez-vous, c’est l’étymologie du terme et le poids de son contenu qui, seuls, fixent notre sort chrétien. Jésus-Paraclet est celui qui se tient à nos côtés, nous assiste en se tenant auprès de nous. Tel est le sens de ce mot biblique; Jésus-Paraclet est tout autre chose que le Jésus d’une banale « histoire sainte », genre conte enfantin, figure religieuse mythologique à laquelle on l’assimile si souvent, le révolutionnaire palestinien qui, ayant échoué, aurait quand même laissé l’exemple de son héroïsme…
Nous avons un Défenseur; nous l’avons comme l’expiation pour nos péchés. L’expiation est une compensation. Vous vous rappelez sans doute, si vous lisez l’Ancien Testament, que Dieu propose des sacrifices. Le sang est la vie même de l’animal offert. Dieu consent à la prendre à la place de la vie des hommes qui ont mal agi. Parce qu’ils n’ont pas vécu à la gloire de Dieu, ils ont perdu le droit de vivre. Mais dans sa bonté, Dieu propose un échange et se déclare prêt à accepter en réparation des vies humaines celles des victimes expiatoires offertes en sacrifice. Troc singulier, mais salutaire, qui prépare et qui préfigure la substitution définitive; car ce sera sur la croix que sera offerte la seule vie parfaite que le monde ait connue, celle de Jésus-Christ, le juste. Jésus-Christ fait table rase de notre passé; il supprime nos défaites, il liquide nos échecs, il efface nos chutes. Il nous rend Dieu propice.
Nous nous demandons peut-être si cette propitiation ne s’applique pas à une période bien définie de notre vie; si l’amnistie proclamée ne touche pas à un certain moment seulement des fautes commises dans le passé. Nous n’avons pas pris garde, disons-nous, et une fois libérés nous sommes tombés de nouveau. Est-ce que la grâce faite en Jésus-Christ ne concerne que nos péchés jusqu’au jour où nous avons compris ce qu’elle signifiait? Maintenant que le poids en a été enlevé de nos épaules, il faut à tout prix éviter de se charger; malheur à nous si nous venions à rechuter, disons-nous. L’expiation dans le passé suffit-elle pour le présent, pour couvrir mes forfaits, évidents ou dissimulés?
Saint Jean répond sans périphrase : « Il est lui-même victime expiatoire pour nos péchés » (1 Jn 2.2). Il est, maintenant, aujourd’hui, dans mon présent de misère, dans mes moments de faiblesse, à l’heure de mes luttes, au moment même où je succombe, quand le séducteur m’enchaîne, s’imaginant me détenir définitivement pour ma perte. Mais il ne le pourra pas! Jésus est maintenant auprès du Père en tant que victime expiatoire; en cet instant, l’Agneau présente le sacrifice de sa vie. La croix a certes été dressée sur un lieu géographique, sur le Calvaire; elle a été un fait que les annales historiques ont inscrit; mais elle a été dressée également au cœur de Dieu. C’est là la Bonne Nouvelle. C’est maintenant que nous avons l’Avocat-Paraclet-Défenseur auprès du Père.
Le Christ avait déjà été le Paraclet pour ses disciples durant son ministère terrestre. L’Évangile selon Jean l’affirme clairement. Après son départ, c’est le Saint-Esprit de Dieu qui, dans la vie de l’Église, assumera cette mission divine de défense. Toutefois, le Christ ne cesse pas pour autant d’être, lui aussi, notre Paraclet au ciel. Auprès de Dieu, il plaide en notre faveur. Il déloge de sa place notre accusateur. Il prend personnellement notre défense. Élevé au ciel, les siens pourront prier en son nom, invoquer son intercession auprès du Père. En vertu de son sacrifice, il peut, lui, le seul juste mort pour les péchés, intercéder sans réserve.
Jésus nous a défendus par le sacrifice qu’il a déjà fait, et il nous défend maintenant en prenant ce sacrifice devant Dieu dans une offrande qui se prolonge et se perpétue! Il est le Grand-Prêtre dont nous parle la lettre aux Hébreux. Comme le Grand-Prêtre de l’Ancienne Alliance pénétrait dans le lieu très saint, derrière le voile du Temple, pour y présenter l’offrande permettant aux fidèles de survivre, ainsi Jésus est entré dans l’intimité de Dieu. Une fois pour toutes, il a, sur la terre, offert sa vie. Chargé de ce sacrifice, il a pénétré derrière le voile céleste qui sépare les hommes de Dieu. La présence en cet endroit du Grand-Prêtre permanent nous assure une rédemption éternelle. Si l’homme Jésus, ressuscité et glorifié, intercède pour nous, c’est en rappelant à Dieu qu’il n’est pas seulement le Prêtre, mais aussi la victime parfaite dont le sang a vraiment le pouvoir de purifier les hommes de leurs œuvres mortes.
L’apôtre Jean, auteur de cette lettre, nous inspire ainsi une infinie confiance. Il affermit notre courage et il trempe notre volonté. La lettre aux Hébreux, dans le Nouveau Testament, souligne de son côté que Jésus-Christ au ciel fait intercession pour nous. En outre, le Défenseur a aussi accompli l’expiation pour les péchés du monde. Il serait tentant de conclure hâtivement de cette partie de la péricope au salut universel. Il est vrai que Jésus est « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », comme le disait déjà Jean-Baptiste (Jn 1.29). Mais l’apôtre Jean n’ouvre pas ici la porte à un hypothétique salut universel. Fidèle à mes convictions et me fondant sur le célèbre document du 17e siècle appelé Les Canons de Dordrecht, je dois avouer, en toute intégrité intellectuelle, que je ne crois pas que le Christ et son sacrifice furent offerts en faveur de tous, mais uniquement en faveur « des siens ». C’est un point de doctrine auquel je ne puis en bonne conscience renoncer.
Mon propos ici n’est pas tant de faire de la théologie, aussi indispensable une telle activité soit-elle, mais de tirer des conclusions pratiques du ministère actuel du Christ pour notre vie de fidèles, de citoyens aussi au cours de l’histoire. Car la défense assurée au ciel a ses profondes répercussions sur la terre. Pas uniquement ecclésiastiques, mais encore sociales, politiques et idéologiques. Jésus-Christ, notre Défenseur-Paraclet-Avocat, est sujet d’une confiance absolue.
Religion morale, la foi chrétienne ne peut s’expliquer qu’en termes bibliques; la Bible écrit clairement que telle est l’essence de la révélation. Péché, chute, aliénation de Dieu et jugement, mais aussi expiation, propitiation, rédemption, défense et intercession. Nous ne changerons pas ces termes et ces mots bibliques pour nous rendre intelligibles à l’auditeur contemporain. Nous prierons pour que l’Esprit de Dieu change l’esprit des hommes, pour qu’ils puissent saisir le sens des termes essentiels et être en mesure de comprendre la foi chrétienne. Les prédicateurs de l’Évangile ne doivent pas altérer leur contenu. Les sacrifices de l’Ancien Testament préfiguraient tous l’offrande ultime et définitive du Christ. Nous ne comprendrions rien à l’Ancien Testament ni à la Bible dans son ensemble si nous ne pouvions pas comprendre son langage, ses pratiques, ses rites et ses prophéties. En Christ, la propitiation pour notre culpabilité a été effectuée.