1 Jean 5 - La victoire sur le monde
1 Jean 5 - La victoire sur le monde
« Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu, et quiconque aime celui qui l’a engendré aime aussi celui qui est né de lui. À ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu : quand nous aimons Dieu et que nous pratiquons ses commandements. Car l’amour de Dieu consiste à garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde, et voici la victoire qui triomphe du monde : notre foi. Qui est celui qui triomphe du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu? C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu avec de l’eau et du sang, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang; et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage [dans le ciel : le Père, la Parole et l’Esprit Saint. Et ces trois sont un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre] l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois sont d’accord. Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand; car voici le témoignage de Dieu : c’est qu’il rend témoignage à son Fils. Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui-même; celui qui ne croit pas Dieu, le fait menteur, puisqu’il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils. Et voici ce témoignage : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est en son Fils. Celui qui a le Fils a la vie; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie. Cela, je vous l’ai écrit, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu. »
1 Jean 5.1-13
Bien audacieux celui qui prétendrait expliquer en long et en large ce passage fort dense et que nous souhaiterions peut-être plus clair de la première lettre de Jean. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations divergentes. De fidèles interprètes en ont pourtant dégagé la vérité essentielle, à part entière, relative au salut présenté dans la Bible. Je n’entrerai pas dans la richesse de détail que contient notre passage; une méditation brève comme la nôtre ne favorise pas une analyse approfondie des textes bibliques retenus pour la méditation. Je me contenterai donc d’en souligner un ou deux points saillants et d’en indiquer l’actualité pour nous.
En rédigeant sa lettre, saint Jean avait deux choses à l’esprit : D’une part, le grand fait, l’événement fondateur à la base même de sa pensée, l’amour de Dieu; d’autre part, l’amour envers les frères. Ce sont là les deux parties inséparables de la même expérience nouvelle. Le chrétien, disciple du Christ, a fait l’expérience de la régénération; il est né de nouveau, a été complètement transformé. Désormais, il connaît et reconnaît Dieu comme son Père. Né de nouveau dans la famille de ceux qui, comme lui, sont nés de l’Esprit, il est tenu de l’aimer pour tout ce qu’il a accompli en sa faveur en l’affranchissant des jougs dégradants du mal, du péché et de l’adversaire; en même temps, il est tenu d’aimer aussi les frères et les sœurs de sa nouvelle famille spirituelle.
On a dit que l’homme est né non seulement pour aimer, mais pour être aimé. Jean a de cela une solide expérience, et c’est avec une particulière insistance qu’il rappelle, chaque fois qu’il le faut, que l’amour dont il discourt se manifeste dans l’obéissance. « N’aimons pas en paroles ni avec la langue, mais en action et en vérité », écrit-il (1 Jn 3.18). Observer les commandements de Dieu est la preuve de notre amour envers lui et envers les frères.
Mais soudainement, il fait une affirmation surprenante. « Ses commandements ne sont pas pénibles », écrit-il (1 Jn 5.3). Oh!, ne croyez pas qu’il nous berce d’illusions, comme si aimer était une chose aisée et les commandements de Dieu faciles à observer. L’amour véritable n’est pas chose banale, ni le pratiquer chose facile. Votre expérience comme la mienne attestent que lorsque nous avons été blessés, soit par des mots, soit par des gestes, il nous devient difficile d’aimer. Ne nous est-il pas arrivé de dire : « Non, je ne lui pardonnerai jamais ce qu’il m’a fait! »
Cependant, il existe un contraste déjà établi ailleurs : Jésus-Christ, parlant des scribes et des pharisiens juifs, ses contemporains, disait que les fardeaux qu’ils imposaient sur le petit peuple étaient lourds à porter. Et d’ajouter : « Mon joug est aisé et mon fardeau léger » (Mt 11.30). Car si les commandements de Dieu sont difficiles, ils ne sont nullement lourds. Une expression de notre langue peut nous aider à le comprendre : Dieu donne ce qu’il ordonne. Notre réponse à son amour s’exprimera donc dans l’obéissance. Si l’amour devient un fardeau pesant, c’est qu’il a cessé d’être amour; il deviendra même le plus insupportable des fardeaux. Mais j’insisterai encore sur le fait que si les commandements de Dieu sont difficiles, ils ne sont pas lourds.
Tout au long de son exposé, l’auteur a essayé d’arracher ses lecteurs à un subjectivisme à la fois facile et nuisible : comme le Fils est venu en chair — « et nous l’avons vu et entendu » (1 Jn 1.3) — ainsi notre foi doit être enracinée dans des paroles et des gestes qui, seuls, sont capables d’en prouver le sérieux. Il est trop facile de dire que nous aimons Dieu sans jamais le prouver; nous pouvons nous bercer d’illusions ou jeter encore de la poudre aux yeux d’autrui. Foin des sentiments trompeurs et des mots fallacieux! Car pour ce qui concerne l’amour envers Dieu, il y a aussi un critère extérieur, absolu, infaillible. « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4.20). L’amour pour Dieu s’exprime dans l’amour fraternel, qui devient ainsi le signe que nous prenons Dieu au sérieux.
Jean adresse sa lettre à des hommes et à des femmes qui vivent au sein de la communauté chrétienne. Ils sont menacés par la propagande insidieuse d’anciens chrétiens qui ont abandonné la foi de leurs débuts. Malgré le danger qui plane sur les membres de l’Église, l’auteur délivre aux destinataires de son écrit un excellent certificat : « Vous savez toutes choses… Vous connaissez la vérité… Vous n’avez pas besoin qu’on vous enseigne » (1 Jn 2.20-21,27). L’amour authentique exige beaucoup de volonté et de clairvoyance. Dans l’amour le plus sincère peuvent s’infiltrer des éléments provenant d’une autre source et d’une qualité différente, le défigurant sans que nous nous en doutions. Rien n’est plus équivoque que l’amour, aussi bien dans ses tendresses que dans ses générosités.
Seule la foi en Jésus le Christ, seul l’abandon de tout notre être à la volonté divine, font de notre amour pour les frères une attitude bonne et juste. Tout amour venant d’ailleurs n’est qu’une contrefaçon, une mauvaise copie, voulue ou involontaire, qui ne doit pas nous tromper sur la valeur unique de l’original! Peu de passages bibliques sont aussi décisifs sur le caractère original, surnaturel de l’amour du prochain dans l’Église de Jésus-Christ; l’amour agapè existe seulement dans l’âme consacrée à Dieu et qui lui appartient. C’est l’apanage de la famille de Dieu. Comme celui qui n’a pas le Fils n’a pas la vie, de même « celui qui n’a pas le Fils » ne peut pas aimer. Hors du Christ, il n’y a ni vie ni amour.
Saint Jean définira alors, par petites touches, aussi bien la nature que l’objet de la foi, la foi en Jésus, Fils incarné de Dieu. La foi chrétienne est la foi en l’incarnation de Dieu. Le chrétien croit qu’en la personne de Jésus le Christ, Dieu entra dans notre monde, qu’il prit notre nature humaine, qu’il assuma notre humanité. Il ne se contenta pas de prodiguer des bienfaits ou de s’occuper du monde à travers sa divine providence, mais s’engagea personnellement en éprouvant nos misères, en subissant nos tentations, en faisant l’expérience de nos peines, en souffrant comme nous souffrons dans notre fragilité et nos indescriptibles misères humaines. C’est pourquoi la foi peut résister aux infections du monde, aux pressions et oppressions que celui-ci inflige aux chrétiens; le rejet et le mépris dont il les accable ne sont pas décisifs. La foi a misé du côté de Dieu. Ainsi devient-elle « la victoire qui triomphe du monde » (1 Jn 5.4).
Mais la foi risque de se détacher du Christ incarné et l’amour tente de choisir ses propres voies. Alentour, comme au centre de notre propre être, des forces sont aux aguets, prêtes à nous arracher à Dieu d’un geste brusque ou à nous détacher de lui imperceptiblement. Nous connaissons le nom que Jean donne à cette puissance de séparation : il l’appelle « le monde », contre lequel il nous est commandé de lutter par la foi et par l’amour. Notre foi dépend du Christ, notre foi c’est le Christ lui-même. Aucun mérite ne revient donc à notre foi, elle n’est que le raccord qui assure le contact avec Jésus-Christ. Sa fonction se limite à rapprocher et à relier deux êtres. Humble service, mais tâche essentielle, puisque c’est grâce à ce joint que le Christ nous transmet son élan.
C’est donc Jésus-Christ, lui seul, et non ma foi, qui est ma victoire. « Prenez courage, moi, j’ai vaincu le monde », déclarait-il à ses disciples angoissés (Jn 16.33). Détachés des amarres, nous allons à la dérive. Mais le Christ nous ramène au port, nous attache à la terre ferme et solide qu’est l’amour de Dieu. Par sa croix, il l’amarre au Maître de l’histoire et il nous relie au Seigneur de nos vies.
Bonne nouvelle donc. Dieu qui a agi ainsi dans le passé est toujours à l’œuvre aujourd’hui d’une manière visible et tangible. Les grands événements de la vie du Christ font partie de l’histoire, mais aussi de l’histoire qui se répète dans la vie de l’Église. La prédication de la Parole de Dieu, comme les sacrements, est un témoignage actuel, présent, efficace, un témoignage rendu à la vie éternelle. C’est là que nous devons chercher la réponse à toutes nos questions. C’est dans la vie éternelle que le grand périple est achevé.
« Je vous l’ai écrit, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu » (1 Jn 5.13).