Apocalypse 20 - Le millénium
Apocalypse 20 - Le millénium
- Historique
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Le prémillénarisme
a. Le prémillénarisme dispensationaliste
b. Nos remarques au sujet du prémillénarisme
c. Millénium? - Le postmillénarisme
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L’amillénarisme
a. Pour une interprétation biblique du millénium
b. Les mille ans
Trois écoles d’interprétation millénariste se disputent âprement l’un des thèmes bibliques les plus controversés, celui du millénium. La première école, prémillénariste, est en rapport étroit avec l’école dispensationaliste, bien que tous les millénaristes ne partagent pas les positions extrêmes de cette école dont nous avons exposé les thèses dans un article précédent1. La seconde est dite post-millénariste et enfin, la troisième est la position improprement appelée amillénariste, car elle aussi a son point de vue là-dessus. Nous nous rattachons à cette dernière école.
Le terme de millénium apparaît pour la première et unique fois dans Apocalypse 20. Entre les versets 1 et 7, il revient cinq fois. Selon les prémillénaristes, le retour du Christ aurait lieu avant le millénium (à partir de maintenant, nous l’abrégerons en prémil); selon la seconde école (postmil), le millénium aurait lieu avant le retour. Parmi les adeptes de cette dernière se trouvent un certain nombre de théologiens renommés. Si parmi les Pères de l’Église on peut trouver des millénaristes, on ne peut pas les classer tous dans les rangs des « chiliastes » (du grec chilioi, mille) au sens moderne du terme. Actuellement, la majorité des Églises réformées et luthériennes, le catholicisme romain, et les Églises orthodoxes orientales souscrivent à la position amillénariste.
1. Historique⤒🔗
La position prémil apparaît déjà avec Papias, Justin Martyr, Irénée, Tertullien, Montanus, Hippolyte et Lactance, tous théologiens des premiers siècles de l’Église. Le gnostique Cérinthe représente une tendance de règne millénaire équivalent à la période des plaisirs sensuels, tels que le boire, le manger, les fêtes de mariage, etc. Si le Moyen Âge n’a pas retenu l’idée prémil, celle-ci réapparaîtra et sera ravivée par les anabaptistes du 16e siècle. L’Allemand Alstedt, délégué au Synode de Dordrecht (1618), proposa une idée assez proche de celle-ci. À partir de là, ses idées gagnèrent du terrain en Angleterre, notamment parmi les puritains de la Cinquième Monarchie, pour tomber en suite en désuétude.
Au 19e siècle, elles furent reprises par Edward Irving et John Nelson Darby ainsi que les Frères de Plymouth. Désormais, cette école sera étroitement liée aux positions dispensationalistes tout en prenant une certaine distance vis-à-vis d’elles (Ruben Torry, Dwight Moody). Parmi les théologiens américains, les représentants les plus sérieux de cette position sont George Eldon Ladd et G. R. Beasley-Murray. Le dispensationalisme américain est représenté par des noms tels que John Walwoord, Lewis Sperry Chafer, Arno Gaebelein, et le plus connu et assurément le moins recommandable de tous est Hal Lindsey. Mentionnons encore le Suisse René Pache.
Qu’il nous soit permis à cet endroit de faire remarquer, s’il en était besoin, que ce n’est nullement aux hommes comme tels que nous nous opposons, mais à des idées qui, à notre avis, ne se justifient pas bibliquement. En outre, nous aimerions ici rendre hommage à l’un d’entre eux, que nous avons connu de près, René Pache, dont le zèle missionnaire et l’attachement à la foi évangélique ne sauraient être un seul instant mis en doute. Aussi bien sa piété personnelle que son engagement en faveur de l’Évangile restent à nos yeux d’une rare et bienfaisante authenticité chrétienne.
En exposant ces positions, notre propos sera principalement de mieux saisir le grand mystère objet de notre étude : espérer afin de mieux comprendre.
Les idées chiliastes ont été combattues en Orient par des hommes tels qu’Origène pour qui le millénium n’était qu’une allégorie, et en Occident par Augustin. Hélas!, l’erreur d’Augustin fut de confondre le Royaume avec l’Église, confusion qui à ce jour persiste dans la pensée romaine. Pour Augustin, Satan est déjà lié depuis la résurrection du Christ, quoique de manière relative, puisque les pouvoirs démoniaques sont toujours en activité.
Barnabas, Gaius de Rome, Tichonius, adoptèrent également une position amil. Parmi les réformés modernes, G. C. Berkouwer et Anthony Hoekema sont des amil de même qu’Émile Brunner, Léon Morris et Thomas Torrance. Certains, tel Donald Bloesch, optent pour une position entre le postmil et l’amil.
2. Le prémillénarisme←⤒🔗
a. Le prémillénarisme dispensationaliste←↰⤒🔗
Dans le chapitre consacré au dispensationalisme, nous développions déjà certaines des grandes idées communes à cette interprétation. Le prémil est une philosophie de l’histoire du salut d’après laquelle Israël tiendrait au cours de cette histoire un rôle prépondérant, tandis que l’Église chrétienne n’y ferait figure que de parenthèse. La Bible se divise alors en deux parties dont la première traite du Royaume et l’autre de l’Église. L’ensemble du système renferme des alliances de dispensations, d’époques à tel point que le lecteur s’égare désespérément dans un labyrinthe théologique d’une extrême, et hélas!, inutile complexité duquel aucun fil d’Ariane ne lui permet de sortir.
Louis Berkhof distinguait dans ce dédale au moins trois modes d’approche, si ce n’est quatre : les deux résurrections, les deux parousies, les trois jugements derniers, les deux peuples de Dieu, éternellement séparés, dont le premier, Israël doit hériter la terre, et dont le second, l’Église, est destiné à séjourner au ciel!
Rappelons encore brièvement dans leurs grandes lignes les thèses dispensationalistes : Dieu s’occupe du monde et de l’humanité, sur la base de nombreuses alliances et selon les principes de sept dispensations différentes. Chacune de celles-ci est distincte et chacune offre une épreuve différente à l’homme naturel. Du fait que ce dernier ne réussit pas à passer son examen, chaque dispensation à laquelle il est soumis aboutit au premier jugement. La théocratie inaugurée au mont Sinaï aurait occupé une place privilégiée dans l’économie divine. Elle était la forme initiale du Royaume de Dieu, ou du Messie, et elle eut son âge d’or lors des règnes glorieux de David et de Salomon. Si elle avait été fidèle, elle aurait encore accru sa gloire et son pouvoir. Hélas!, l’infidélité religieuse d’Israël aboutit à son rejet. Les prophètes prédirent cette fin bien qu’ils ne cessèrent, simultanément, d’entretenir une espérance au sujet du retour d’Israël en terre ancestrale et du salut du reste fidèle lors de l’apparition du Messie.
Le retour d’Israël en terre ancestrale devait avoir lieu à la suite de la repentance afin que le trône de David puisse se rétablir dans une gloire jamais surpassée. Même les païens y auraient leur part. Cependant, lorsque le Messie apparut, les juifs ne l’accueillirent pas, ainsi que c’était leur devoir. Leur obstination empêcha le Messie d’établir son règne. Mais avant de quitter la terre, le Messie fonda son Église (ce qui ne constitue en fait qu’une simple parenthèse). Les dispensationalistes prémil ne voient donc aucun lien entre l’Église et le Royaume, car les prophètes n’auraient jamais parlé d’elle.
L’ancienne dispensation de la loi céda cependant la place à la grâce. Pendant cette nouvelle dispensation, l’Église composée de juifs et de gentils peut former un seul corps du Christ, prendre part à ses souffrances. Pourtant, en tant qu’Épouse de l’Agneau, elle participe aussi à la gloire à venir. Le Christ n’est pas le Roi de cette Église. Il en est seulement la Tête. Il appartient à l’Église de le prêcher, sans toutefois annoncer l’Évangile du Royaume. Elle devra proclamer la grâce, afin de rassembler les élus et servir de témoin parmi les nations. Cependant, cette méthode, pas plus que la précédente, n’a remporté de succès. Il n’y a pas eu de conversion à grande échelle. Ce n’est qu’à la fin de cette dispensation-là que le Christ reviendra, soudain, et produira des conversions massives aux dimensions universelles.
Tel est l’essentiel de l’eschatologie prémil. Le retour du Christ est imminent. Il peut revenir à n’importe quel moment. Il n’existe pas de signe précurseur de son avènement. Cependant, le retour du Seigneur s’effectuera en deux étapes, en deux événements successifs qui seront séparés par un intervalle de sept ans. Le premier est appelé la parousie : Christ apparaîtra pour rencontrer les siens dans les airs. Alors ressusciteront les justes trépassés tandis que les croyants vivants seront transportés dans les airs (l’enlèvement) et transformés pour revêtir un nouveau corps glorifié.
Ensuite, tous seront réunis pour célébrer les noces de l’Agneau et pour vivre éternellement avec leur Seigneur. Pendant l’absence du Christ et de son Église, et tandis que le Saint-Esprit sera retiré du monde, un certain nombre d’événements, d’une durée totale de sept ans, se dérouleront sur la terre. L’Évangile du Royaume sera prêché par les membres du reste fidèle d’Israël et de nombreuses conversions se produiront. Le Seigneur traitera encore avec Israël et la conversion de celui-ci aura vraisemblablement lieu durant cette même époque. Dans la deuxième partie de celle-ci, une tribulation sans précédent affligera le peuple fidèle. La durée de celle-ci est source de bien de malentendus et de controverses. On pense que l’Antichrist fera alors son apparition et que la colère de Dieu frappera l’humanité.
Mais à la fin des sept années, une révélation sera accordée, à savoir le nouveau retour du Christ sur terre, venu plutôt non pas pour « enlever » les fidèles, mais en leur compagnie. Même les nations restées sur terre seront séparées comme les brebis des boucs. Les fidèles décédés durant la grande tribulation seront ressuscités, l’Antichrist sera détruit et Satan lié pour une période de mille ans. Ainsi sera inauguré le règne de mille ans, un règne réel, terrestre, royaume des juifs, ce qui sous-entend la restauration de l’ancienne théocratie et le rétablissement de la royauté davidique. Les « saints » régneront avec le Christ et les juifs seront les citoyens naturels de ce Royaume; nombre de gentils y seront admis. Le trône du Christ sera établi à Jérusalem, lieu du culte centralisé. Le Temple sera rebâti sur le mont Sinaï, l’autel fonctionnera à nouveau avec des offrandes, et des sacrifices y seront même offerts en vue de l’expiation des péchés.
Bien que le péché et la mort réclameront toujours leur dû de victimes, cette période sera celle de la fécondité spirituelle et de la prospérité matérielle, car le désert fleurira et la durée de la vie des hommes sera prolongée au-delà des limites ordinaires. Des gens se convertiront facilement par la prédication de l’Évangile, ou, comme le pensent d’autres, grâce à l’apparition personnelle du Christ, ou encore à cause des jugements exercés dont ils seront les témoins.
Après les mille ans, Satan sera relâché pour une brève période et les hordes de Gog et Magog s’assembleront contre la ville sainte. Mais à la fin, ils seront consumés par le feu céleste. Satan sera jeté dans le grand abîme où la bête et le faux prophète l’avaient déjà précédé. Après ce bref intermède, les morts non repentis ressusciteront pour se présenter devant le tribunal du Christ. Apparaîtront également les nouveaux cieux et la nouvelle terre. Ce sera enfin l’apocatastase, le rétablissement final de toutes choses.
Selon Louis Berkhof il existe un certain nombre de variantes eschatologiques prémil. Les divergences concernent des détails. L’imprécision, voire l’incertitude, entoure nombre de points essentiels aussi. Le schéma est passablement confus. Nous ne nous occuperons pas ici des détails. Nous nous proposons de faire des remarques d’ordre général. Certaines de celles-ci formulées à propos des thèses dispensationalistes s’appliqueront à celles des postmil.
b. Nos remarques au sujet du prémillénarisme←↰⤒🔗
L’idée d’une séparation prophétique entre Israël et l’avenir du Royaume ne nous semble pas pouvoir se défendre. Selon les prémil, les prédictions prophétiques devraient s’interpréter de manière littérale. Mais, ainsi que nous le faisons remarquer, les livres prophétiques ne contiennent les indications que d’un accomplissement spirituel.
L’argument selon lequel les noms de Sion et de Jérusalem ne seraient mentionnés que pour revêtir un sens exclusivement littéral, le premier désignant une montagne et le second une ville, s’oppose aux faits bruts (voir nombre de passages de l’Ancien Testament : És 51.3; 52.1-2). Cet emploi est repris directement par le Nouveau Testament (Ga 4.26; Hé 12.22; Ap 3.12; 21.2).
Si ce dernier contient un abondant matériel relatif à l’accomplissement spirituel des prophéties, il ne mentionne nulle part la restauration de la théocratie d’Israël (Mt 21.43; Ac 2.29-36; 15.14-18; Rm 9.5-6; Hé 8.8-13; 1 Pi 2.9; Ap 1.6; 5.10).
Le Nouveau Testament ne connaît ni n’admet une lecture littéraliste telle que la pratiquent les prémil. Un tel littéralisme aboutit forcément à nombre d’inconsistances pour ne pas dire d’aberrations, parmi lesquelles il suffit de mentionner l’hypothèse des conditions de vie de l’Israël autrefois, celle des puissances politiques et militaires contemporaines telles que l’Égypte, l’Assyrie, Babylone, ou des peuplades à jamais disparues comme les Cananéens, les Moabites, les Ammonites, les Édomites, les Philistins, etc. On ne voit pas davantage comment envisager le renouvellement et la répétition d’offrandes et de sacrifices sanglants en vue de l’expiation des transgressions, ou encore la ruée des nations goyim vers Jérusalem, année après année, voire semaine après semaine, pour le culte de l’Éternel selon Ésaïe 65.23.
En ce qui concerne la théorie du retard de l’établissement du Royaume — élément clé du schéma prémil —, il nous semble également qu’elle ne s’appuie pas sur un fondement biblique suffisamment solide. Selon un tel schéma, Jean-Baptiste et Jésus auraient proclamé l’imminence du Royaume théocratique. À cet effet, Scofield cite Matthieu 11.20 et d’autres dispensationalistes rappellent Matthieu 20. Avant ce tournant décisif, Jésus ne se serait pas occupé des païens. Il aurait simplement proclamé le Royaume de Dieu à Israël. Après ce moment, il ne le prêchera plus, mais en prédira l’avènement futur et offrira son repos. On ne peut soutenir pourtant que Jésus ait prêché un double Évangile. Pour commencer, l’Évangile du Royaume, pour finir, celui de la grâce… Nulle part, Jésus ne donne signe qu’il cherche le rétablissement de la théocratie ancienne.
Il n’a pas davantage remis à plus tard l’œuvre pour laquelle il était apparu. Il établit effectivement le Royaume et s’y réfère à maintes reprises en tant qu’une réalité déjà présente. Selon L. Berkhof, c’est faire de la fiction que de faire une telle assertion, car elle brise l’unité même des Écritures et celle du peuple unique que Dieu s’est acquis. Or, selon nous, le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament est celui du type et de son original, celui de la prophétie et de son accomplissement. La théorie prémil soutient qu’initialement le Nouveau Testament devait être l’accomplissement de l’Ancien, mais qu’il finit par devenir toute autre chose! Le Royaume, c’est-à-dire la théocratie, aurait été annoncé, mais non établi, et l’Église, qui n’avait pas été prévue, a été réellement organisée! Une telle méthode d’interprétation sépare l’Ancien du Nouveau Testament pour faire du premier un livre exclusif du Royaume et du second — excepté les Évangiles — celui de l’Église.
La théorie ne rend pas davantage justice à toute la représentation biblique des grands faits à venir, tels que la résurrection, le jugement dernier et la fin du monde présent. Or, aux yeux de la Bible, ces faits sont « synchronisés ». Ils auront lieu simultanément. Nous n’avons aucune indication textuelle nous permettant de soutenir l’intervalle d’une période de mille ans, sauf le texte controversé d’Apocalypse 20. Nous y reviendrons plus loin.
La séparation des brebis d’avec les boucs et l’iniquité de la fin des temps auront lieu lors de l’avènement du Seigneur. Lorsque les prémil font appel à 2 Pierre 3:8 pour déclarer qu’aux yeux de Dieu mille ans sont comme un seul jour, on peut retourner l’argument et soutenir avec une logique biblique aussi rigoureuse qu’un seul jour peut bien être comme mille ans. Nous nous interrogeons également au sujet d’une triple, voire d’une quadruple résurrection des morts de même qu’au sujet d’un jugement dernier devant durer mille ans! Il nous paraît trop forcer Apocalypse 20:5 que de lui faire dire qu’il annonce une résurrection physique. Le contexte ne favorise nullement une telle interprétation. Ce qui à la rigueur pourrait faire penser à une double résurrection, fait remarquer avec raison Louis Berkhof, est le fait que les apôtres parlent principalement de la résurrection des croyants, sans mentionner celle des infidèles. Mais ceci est imputable au fait qu’ils s’adressaient à des Églises, cherchant à souligner l’aspect sotériologique de leur résurrection (1 Co 15; 1 Th 4.13-18). D’autres passages parlent de la résurrection des uns et des autres dans un seul souffle (Jn 5.28-29; Ac 2.24-25). La résurrection sera discutée dans un prochain chapitre2.
Il nous apparaît que la position prémil conduit à de nombreux imbroglios incapables de nous ouvrir à l’espérance dont témoigne l’Écriture. Comment envisager qu’une partie ancienne de la terre et de l’humanité asservie au péché subsiste alors que le Seigneur déclare qu’il fait toutes choses nouvelles, sur une terre transformée et dans une humanité glorifiée? Le Christ glorifié établira-t-il son règne sur une terre qui ne serait pas encore totalement renouvelée? Selon Apocalypse 21, après le renouvellement de l’univers, Dieu et ses élus feront de la terre leur lieu de séjour. Pourquoi le Christ devrait-il attendre mille ans avant de s’y installer? On ne peut concevoir, écrit encore L. Berkhof, une terre sur laquelle certains devraient encore mourir tandis que d’autres seraient déjà passés à l’état de glorification spirituelle… Quel état monstrueux ce serait là! Quel mélange abominable de choses totalement incompatibles entre elles! Le fondement d’une telle interprétation d’Apocalypse 20 n’est possible qu’à condition que l’on y mette comme contenu l’Ancien Testament seul, conclut Berkhof.
La position en question fait encore appel à 1 Corinthiens 15.20 et 23 pour appuyer sa thèse. Dans ce passage, il est question du Christ apparaissant et remettant le Royaume entre les mains de Dieu le Père, après avoir détruit les règnes et anéanti les autorités et les pouvoirs s’opposant à lui. Il régnera jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses adversaires sous ses pieds. Ce règne est interprété comme étant sa domination messianique intérimaire suivie de son retour, mais ceci avant la fin réelle du monde. On ajoute que de nombreux passages de l’Ancien Testament laissent entendre une restauration de la gloire d’Israël, quand Jérusalem deviendra le centre et le pivot du monde nouveau et baignera dans la paix et la prospérité. Nous avons déjà rejeté une telle lecture des prophéties qui ne concernent que l’actuelle Église, nouveau peuple de Dieu. L’idée d’un Royaume intermédiaire est présente dans une certaine littérature apocalyptique, mais Ésaïe 24 à 27 et Daniel, de même que d’autres livres canoniques et extracanoniques, tels que l’Assomption de Moïse et l’Apocalypse d’Abraham, ne le mentionnent pas.
Il est important de noter que ni les credo œcuméniques ni le Catéchisme de Heidelberg, pas plus que les théologies ou les confessions de foi réformées, n’accordent cette importance au millénium et qu’ils ne prennent même pas la peine de le mentionner.
Certes, la théologie réformée confesse, dans la communion de l’Église universelle, sa foi et son espérance dans le retour physique visible et glorieux du Sauveur. Nous partageons la conviction chrétienne universelle de l’enchaînement définitif de Satan et de l’établissement du règne éternel du Christ. Parfois, on s’imagine que la foi réformée néglige tout ce qui concerne l’espérance bienheureuse, mais tel n’est pas le cas. Ceci dit, avec le Nouveau Testament, nous attendons un seul retour du Christ, le renouvellement total et définitif de l’univers sans intervalle ni parenthèse. En outre, même les passages bibliques invoqués par les prémil font état d’un seul et unique règne glorieux du Christ inauguré lors de son retour.
Notre lecture du livre de l’Apocalypse sera correcte à condition que nous en rappelions le caractère foncièrement… apocalyptique.
Or, ce fut lors d’une vision que Jean vit l’ange descendu du ciel tenant la clé de l’abîme sans fond et une grande chaîne entre ses mains. Il mit la main sur le dragon, le vieux serpent qui n’est autre que le diable, Satan, et le lia pendant mille ans. Il le jeta dans l’abîme sans fond, l’enferma et mit le sceau sur lui afin de l’empêcher de tromper les nations, jusqu’à ce que les mille ans s’accomplissent. Après quoi, il sera de nouveau relâché.
On ne peut lire ce texte et le comprendre de manière littérale, car il contredirait les propres thèses des millénaristes. Il faudrait alors conclure que le millénium a commencé au temps où l’apôtre a eu cette vision. Car il voit — noter l’indicatif du présent — l’ange descendre du ciel. En réalité, nous ne trouvons rien que la description d’une vision hautement apocalyptique.
On ne lit pas une vision biblique, en lui accordant le respect qui lui est dû et en reconnaissant surtout son autorité de texte inspiré, comme on lit une histoire événementielle ou bien le récit d’un fait divers relaté par un journal quotidien. Dans l’Apocalypse, nous sommes en présence d’une vérité apocalyptique présentée sous une forme symbolique. L’ange qui descend du ciel, la clé et la grande chaîne entre les mains, l’abîme sans fond, Satan enfermé et le sceau placé sur lui sont, les uns et les autres, des symboles et des actes symboliques. Il serait impensable de se représenter Satan jeté physiquement dans l’abîme, car dans ce cas Satan, esprit, devrait posséder un corps…
Pourtant, à travers ce symbolisme biblique, il nous est communiqué un message de la plus haute importance. Celui-ci nous annonce que Satan ne pourra plus agir librement pour parvenir à la réalisation de ses funestes projets.
Faut-il conclure que celui-ci est totalement lié au point d’être réduit dès à présent à une totale inactivité? Ne faudrait-il pas plutôt penser que cette restriction frappe un seul aspect de ses objectifs? C’est ce qu’il nous semble, car d’après le verset 3, il lui est interdit de se livrer, à l’échelle de jadis, à l’activité de séduire, de tromper et d’égarer les nations, et ceci à cause de l’œuvre du Christ et de la prédication de son Évangile. Au verset 8, nous apprenons qu’il sera relâché pour un peu de temps afin d’aller encore tromper et égarer les nations situées aux quatre coins de la terre. Gog et Magog se réuniront pour livrer bataille et le nombre de ces nations en guerre sera aussi immense que les sables de la mer.
L’idée générale de cette restriction ressort d’une triple façon : quant à l’influence qu’il exerce, non sur des âmes individuelles, mais sur des nations, et non sur toutes, mais sur certaines désignées sous le nom générique de Gog et Magog, qui vivent « aux autres coins de la terre » et qui sont extrêmement nombreuses.
Ensuite, elle l’empêche de tromper les nations aussi totalement que cela lui était possible avant son enchaînement à cause de la prédication de l’Évangile, comme nous l’avons déjà mentionné. Enfin, cette activité particulière de séduction dont il sera privé consistera en leur rassemblement pour faire la guerre contre le camp des saints et contre la ville bien-aimée.
Quelles sont ces nations? Il s’agit des millions ou des milliards qui vivent en dehors du camp du christianisme officiellement connu, ou purement nominal, écrit Herman Hoeksema (The Triple Knowledge). Nous signalons cette interprétation intéressante du théologien réformé sans toutefois prendre position en sa faveur.
H. Hoeksema rappelle que c’est dans Ézéchiel 38 et 39 qu’apparaît pour la première fois le terme de Gog et Magog. Il désigne un peuple donné qui s’attaque à Israël pour le détruire, mais qui est empêché dans son projet grâce à des phénomènes naturels qui le mettent en déroute. Dans Apocalypse 20, les nations sont simplement appelées Gog et Magog et elles vivent aux quatre coins de la terre; l’Israël restauré, dont a parlé Ézéchiel, est le camp des saints dont il est fait état dans Apocalypse 20. Or, dans le Nouveau Testament, Israël désigne l’Église, composée de juifs et de païens convertis. Hoeksema pense que, dans le cas qui nous occupe, la désignation se réfère à la chrétienté au sens large du terme, et qui se distingue du paganisme. Celle-ci est placée au centre, tandis que Gog et Magog se trouvent à la périphérie.
Si nous hésitons à souscrire à cette désignation de « chrétienté », la raison en est qu’à notre avis il peut parfaitement s’agir de l’Église militante, en proie aux attaques de forces adverses multiples, qu’il s’agisse de forces païennes, musulmanes, sécularisées, voire du « christianisme athée ». De même que dans l’Ancien Testament Israël était constamment attaqué par Moab, les Philistins, l’Égypte, la Syrie, et Babylone, qui le menaçaient constamment de destruction, de même l’Église confessante est actuellement attaquée par les forces mentionnées et par d’autres encore qui sont invisibles! Mais Satan ne peut plus agir aussi librement dans la nouvelle dispensation qu’il le pouvait dans l’ancienne, à l’époque d’Israël. Dieu l’empêche de faire déferler ses hordes comme jadis. Toutefois, et en dépit de cette restriction, Satan s’adonne à d’autres activités, tant parmi les nations que dans l’Église. Il rôde toujours, tel un lion rugissant cherchant qui dévorer. Mais s’il peut engager les forces anti-chrétiennes contre le peuple fidèle, il ne pourra pas le vaincre.
L’une des principales objections à la thèse millénariste est bien entendu de nature « numérique ». Nous voulons parler du terme même de millénium.
c. Millénium?←↰⤒🔗
L’Écriture sainte a une manière qui lui est propre d’employer des nombres en leur donnant un sens spécial. Ainsi, les nombres de 3, 4, 6, 7, 10, 12 et leurs multiples prennent un sens autre que purement arithmétique. Ils représentent des réalités du Royaume. Par exemple, notre semaine ordinaire est formée par l’addition du 6 et du 1, c’est-à-dire par celle du travail et du repos, de la peine et du labeur quotidiens suivis du sabbat qui préfigure le repos éternel. Le chiffre 7, notamment dans l’Apocalypse, est la somme de 3 et de 4, c’est-à-dire du nombre représentant le Dieu trinitaire et celui du monde imparfait (la perfection de l’alliance de Dieu et de son amitié). Le 12 est le produit de 3 et de 4 et représente le nombre total des élus. Ainsi, il y a 12 tribus, 12 apôtres, 2 fois 12 anciens, 12 fois 12 serviteurs de Dieu, et dans les dimensions mesurées de Jérusalem ce nombre prédomine toujours. Le chiffre 7 apparaît fréquemment. C’est d’ailleurs sur ce chiffre 7 qu’est basé l’essentiel du message du dernier livre de la Bible. On y compte 7 sceaux, 7 trompettes, 7 coupes de colère de Dieu; Christ marche au milieu des 7 chandeliers et adresse 7 messages aux 7 Églises de l’Asie Mineure. Les jours de la tribulation de l’Église de Smyrne seront d’une durée de 10 jours, le nombre des ministres scellés de Dieu est de 144 (multipliés 10 fois 10 fois 10)! La bête de l’Antichrist porte 10 cornes et c’est pendant 1000 ans que Satan est lié.
Tout ceci montre assez clairement, dans le dernier livre du canon, que le chiffre 10 et ses produits ou multiples possèdent une signification purement symbolique. On ne saurait dès lors faire une exception pour le chapitre 20. Ici, le chiffre indique un nombre arrondi qui est la mesure de la plénitude. Le chiffre 10 dans la Bible constitue la mesure de la plénitude. C’est ainsi qu’il y a 10 commandements, 10 plaies qui frappent l’Égypte, et lorsque le chiffre apparaît à la puissance il indique ce qui est incommensurable. Le nombre des saints élus est complet, mais aussi très grand et infini. Ils sont 144 000. Ainsi, le fait que Satan soit lié pendant mille ans ne désigne pas un millénium littéral, mais simplement le fait que, pendant une période indéfinie dont la longueur est fixée et connue de Dieu seul, il sera lié sans pouvoir séduire les nations. Notons aussi que le règne du Christ avec ses saints (Ap 20.4) ne se réfère pas à celui qu’il exerce sur terre dans son corps ressuscité, depuis Jérusalem la capitale terrestre, mais à celui qu’il exerce depuis le ciel, avant la résurrection, parallèlement à l’enchaînement de Satan.
Il nous semble que nous créerions un nouveau conflit en lisant de manière littérale le mot de millénium. Il serait quasiment impossible d’ajuster le règne du Christ et celui de ses saints avec un état où le péché domine encore et toujours le monde. Quelle que soit la conception qu’on puisse avoir du règne millénaire, il est certain que le péché prévaut encore dans le monde présent! Les hommes meurent encore dans leurs péchés. Même l’enchaînement de Satan ne semble pas limiter l’exercice du pouvoir du mal. La mort n’est pas encore détruite. Comment envisager dans ce cas une ère de bonheur et une paix infinie sur terre alors que les nations se lèvent contre l’Église, que le péché règne et que la mort poursuit son œuvre de destruction?
Une autre inconsistance se trouve dans le contraste qu’on établit entre ce qui est naturel ou psychique et ce qui est spirituel, entre le terrestre et le céleste.
Les saints qui règnent durant le millénium sont les croyants ressuscités. C’est dans leurs corps spirituels que les saints régneront dans la Jérusalem terrestre! Ce qui aux yeux de l’Écriture ne saurait se faire. Notre corps actuel appartient à ce qui est terrestre et corruptible; tandis que le Royaume à venir, même appelé millénaire, est spirituel et céleste. La chair et le sang n’hériteront pas le Royaume (1 Co 15.50). Inversement, ce qui est spirituel ne peut cohabiter avec ce qui est terrestre. Ceci se voit clairement dans le cas du Seigneur ressuscité et lors de ses apparitions après la résurrection. Une telle inconsistance ne milite pas en faveur d’une hypothèse de millénium.
L’idée que les nations puissent se lever contre le Christ ressuscité et ses saints pour leur déclarer la guerre admettrait une vulnérabilité du Christ, celui qui pourtant a été déclaré Seigneur universel. Christ n’est plus « l’homme de douleur », l’humilié, celui que des hommes iniques ont pu livrer à la mort.
Nous concluons que le millénium d’Apocalypse 20 ne s’applique qu’à notre ère, à la période de l’histoire qui débute avec la résurrection du Christ et s’étend jusqu’à son retour. Il viendra alors pour établir son règne non pas pour mille ans, mais pour l’éternité, sur la terre et dans les cieux qu’il aura entièrement renouvelés et où la paix, la justice et la sainteté seront la règle. Notre espérance n’aura pas été trompée. La gloire qui appartient à Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit éclatera dans cet univers entièrement restauré.
3. Le postmillénarisme←⤒🔗
Moins connu du grand public chrétien que l’école précédente, le postmillénarisme peut surprendre le lecteur. Cette école est aux antipodes du prémil. Pour elle, le retour du Christ aura lieu après une ère de prospérité exceptionnelle pour l’Église et pour la foi en général. Cette ère clôturera la période actuelle de la grâce. Ce n’est qu’après la période actuelle que le Christ établira définitivement son Royaume universel. La moisson de l’histoire verra la conversion des juifs, ou en tous les cas la restauration d’une partie de ce peuple.
L’Antichrist apparaîtra à la fin de l’histoire du millénium, mais il n’aura pas beaucoup de temps à sa disposition. Bien que les postmil et les amil regardent la période actuelle de l’histoire avec un pessimisme aigu et tiennent l’Église pour la citadelle de la lumière dans un monde qui chaque jour sombre davantage dans les ténèbres spirituelles et morales, ils restent quand même très optimistes quant à un certain nombre de promesses de Dieu qui, d’après eux, devraient se réaliser au cours de notre histoire. Ils invoquent Ézéchiel 36.27 où il est question de la promesse de la transformation de l’ordre extérieur de la société effectuée grâce au renouveau intérieur.
Le postmillénarisme apparaît déjà avec le mouvement montaniste du 2e siècle. Plus tard, Eusèbe de Césarée en sera l’un des représentants les plus éminents. Mais c’est au cours du Moyen Âge que le postmillénarisme a connu son apogée, notamment avec les écrits de Joachim de Flore. Cet auteur divisait l’histoire en trois périodes : celle du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit. Cette dernière aurait été inaugurée avec saint Benoît, en l’an 1260! Joachim, quant à lui, n’aurait appartenu encore qu’à la période du Fils…
Au 16e siècle, les anabaptistes furent des partisans farouches du postmillénarisme. Melchior Hofmann croyait être l’un des témoins annoncés de l’Apocalypse. Le postmillénarisme s’introduisit dans les milieux réformés du 17e siècle, et plus particulièrement chez les piétistes et les puritains anglais ainsi que chez certains Néerlandais. Ces derniers s’opposaient aux deux grands points des prémil, à savoir au retour physique du Christ et à son règne de mille ans sur terre. Leur conviction était que, vers la fin de la présente dispensation, l’Évangile serait progressivement plus efficace. Ce serait l’âge d’or de l’Église, durant lequel les juifs bénéficieraient également des bénédictions de l’Évangile. L’Église militante prendrait fin et, sous l’influence du Saint-Esprit, l’esprit des martyrs réapparaîtrait, la foi se purifierait et deviendrait plus authentique et les fidèles seraient spirituellement éveillés et davantage consacrés, afin de pouvoir surmonter le mal.
On envisageait quand même une brève période de rébellion, voire un conflit redoutable opposant le mal au bien; après la victoire du bien apparaîtrait le Christ, aurait lieu la résurrection générale et s’exercerait le jugement final.
Parmi les tenants de cette position mentionnons les noms de Benjamin Warfield, de Charles Hodge, de James Orr, de Loraine Boettner, et actuellement, de manière plus forte Rousas John Rushdoony3.
Cette école connaît deux tendances, dont la plus radicale est actuellement représentée par les théologies du génitif, théologies de violence, de révolution, de libération (Harvey Cox, Jürgen Moltmann, Ruben Alves, le très vénéré Martin Luther King et quelques-uns de moindre envergure issus du protestantisme français libéral moderne). Parmi les moins radicaux du passé, citons les shakers, les mormons, les christadelphes, l’Église mondiale de Dieu, etc. L’Église adventiste du 7e jour envisage un règne du Christ non pas sur terre, mais seulement au ciel en compagnie de ses saints. Pendant ce règne de mille ans, la terre serait complètement dépeuplée.
Quels sont les aspects positifs de cette école?
Elle a certes en sa faveur nombre d’affirmations bibliques. Pour elle comme à nos yeux, l’enchaînement actuel de Satan ouvre une large perspective missionnaire. L’adversaire est incapable d’empêcher la proclamation de l’Évangile. Il ne peut plus tromper les nations et les individus comme autrefois. De même, l’effusion de l’Esprit est la preuve de la gloire actuelle du Royaume, même si la première effusion eut lieu le jour de Pentecôte seulement. L’Église est déjà investie d’une puissance surnaturelle et le chrétien peut aisément obéir au mandat culturel. L’assurance selon laquelle les portes mêmes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle devra être prise au sérieux. L’Église peut et devrait surmonter les principautés du vieil éon. Le postmil adopte donc une vue plutôt optimiste de la mission chrétienne. II se fonde sur la réalité de la seigneurie universelle et actuelle du Christ. Toutefois, nous aurons plusieurs questions à poser.
Bien que convaincus de l’autorité suprême actuelle du Christ, nous ne devrions point sous-estimer la tension, par moments insoutenable, qui existe entre l’Église confessante et le monde. Le conflit entre les forces démoniaques, encore actives bien que vaincues, et l’Église chrétienne se poursuit. Le Nouveau Testament ne nous berce pas d’illusions à ce sujet. Les nations ne se transformeront pas graduellement… Les postmil appuient leur thèse sur la parabole du levain qui fait lever la pâte tout entière. Pourtant, ni cette parabole ni le reste du Nouveau Testament n’affirment que la transformation aura lieu au cours de notre histoire. Il est indubitable que le postmil oublie, ainsi que le fait à sa manière le prémiI, le caractère apocalyptique de certains discours de Jésus lorsque celui-ci envisage l’invasion surnaturelle de son Royaume. Il est à craindre que cette position, bien qu’elle s’en défende, ne se rapproche dangereusement à son insu d’une position biblique strictement réservée à l’Ancien Testament. C’est le cas, en particulier, de l’école moderne dite de la théonomie dont R.J. Rushdoony est un vigoureux et très influent représentant.
Or, le Nouveau Testament souligne combien les derniers temps seront difficiles et la tribulation plus intense à mesure qu’approchera l’heure de la fin. La foi du plus grand nombre se refroidira et nombre de fidèles seront soumis à des souffrances indescriptibles à cause de leur fidélité. Certains scelleront leur foi par la perte de leur vie.
Les postmil n’ignorent pas l’apostasie devant marquer la fin. Toutefois, il semble qu’ils en amoindrissent la portée. En principe, leur attente d’une ère de gloire pour l’Église militante se fonde sur des passages qui n’offrent que des descriptions symboliques de la fin. Même si nous pensons que la fin de la terre et des cieux n’aura pas lieu à la suite d’un cataclysme emportant l’édifice universel, puisque nous attendons une réalité positive, à savoir le renouvellement universel, cette fin sera quand même amenée par l’intervention divine en dépit du cataclysme. Ce seront cette terre-ci et les cieux connus qui seront renouvelés.
Toutefois, la crise sera réelle. Elle prendra des proportions jamais encore atteintes. Même les disciples auront à subir un changement douloureux. Ils ne s’attendent pas à être transplantés directement au ciel. La souffrance ne les épargnera pas, l’univers connaîtra les douleurs de l’enfantement. Anthony Hoekema fait remarquer que le postmillénarisme applique les textes de l’Ancien Testament à un âge d’or chiliaste qui représente l’état définitif de la communauté rachetée. Matthieu 24 et 2 Thessaloniciens 2.2 ne justifient pas une telle attente. Le discours du mont des Oliviers traitait à la fois d’événements devant se produire incessamment — la destruction de Jérusalem — et de la fin des temps. Apocalypse 6.1-6 n’autorise pas plus une thèse d’un règne chiliaste postmillénariste. Ce passage ne décrit que le règne exercé par les âmes des croyants se trouvant auprès du Christ.
Enfin, l’attente d’un âge d’or sur terre avant le retour du Christ ne tient pas compte de la tension permanente qui, au cours de l’histoire, oppose le Royaume de Dieu aux forces du mal.
L’examen du chapitre 20 de l’Apocalypse ne nous autorise pas à avoir une idée millénariste de cette nature, pas plus que 1 Corinthiens 15.23-24, qui ne donne aucune indication d’un futur règne terrestre du Christ. Un retour du Christ glorifié et de ses fidèles sur une terre où le péché règne et la mort fauche des vies viole la finalité même de la glorification ultime. Le postmil ne tient pas suffisamment compte des données essentielles de l’eschatologie biblique.
4. L’amillénarisme←⤒🔗
L’amillénarisme affirme sa conviction en la présence actuelle du Royaume. Cette présence est le fruit de la victoire du Christ. Par son Esprit et sa Parole, il gouverne son Église. Toutefois, le regard de l’amil est tourné vers l’avenir. Le Royaume est aussi à venir. Tandis que la terre court vers sa fin, que les forces du mal semblent décupler et qu’une période de persécution et de tribulation s’abat sur l’Église avant la parousie, l’espérance amil demeure intacte. D’après Karl Barth, s’il est vrai qu’actuellement l’Évangile se répand grandement, sa proclamation signifie aussi l’approfondissement et l’intensification des ténèbres, ainsi que la violence de l’antithèse.
a. Pour une interprétation biblique du millénium←↰⤒🔗
Toute interprétation biblique du chapitre 20 du livre de l’Apocalypse ne manquera pas de situer celui-ci non seulement dans son contexte immédiat, mais encore dans l’ensemble du dernier livre du canon du Nouveau Testament. Vérité évidente, nous fera-t-on remarquer. Est-elle pourtant si évidente aux yeux par exemple d’adeptes prémillénaristes?
Une vérité évidente, la toute première, serait de regarder à l’endroit même où s’arrête le chapitre 19. C’est précisément ici que commence le chapitre 20! Rappelons que l’original grec ne connaît pas de divisions en chapitres. C’est l’évêque Hugo de Saint-Victor qui, au 12e siècle, introduisit ces divisions dans notre Nouveau Testament.
Comme un certain nombre d’autres passages de ce livre, Apocalypse 20.1-10 forme une transition.
Ceci nous conduit vers une deuxième vérité, peut-être moins évidente, non seulement au regard des prémillénaristes, mais encore de celui de nombreux amil. Nous voulons parler de la structure littéraire de ce livre. Dans son commentaire More than Conquerors (traduit en français : Plus que vainqueurs), le regretté William Hendriksen, à la suite d’autres exégètes réformés, a remarquablement exposé et expliqué le contenu du chapitre 20 en essayant de tenir compte de la structure littéraire de l’ensemble du livre.
L’Apocalypse consiste en sept sections qui s’étendent parallèlement les unes à côté des autres. Hendriksen appelle ce procédé « parallélisme progressif ».
Chaque section dépeint l’Église et le monde à partir du premier avènement du Christ jusqu’à son prochain retour. Chaque section recommence au même point de départ historique pour développer le même progrès et pour aboutir au même point final. Ainsi, chaque section reste parallèle à la section qui la précède et à celle qui la suit. Cependant, elle ne lui est pas pour autant identique.
1. La première section est constituée des trois premiers chapitres du livre. L’auteur aperçoit le Christ ressuscité et glorifié. Jean se met aussitôt à rédiger une lettre à chacune des Églises de l’Asie Mineure. Celles-ci forment une unité d’ensemble. Elles représentent l’Église universelle. Deux points impressionnent le lecteur de ces lettres-messages. D’abord, la référence à des événements, à des gens, à des lieux et à des temps contemporains de l’auteur. Ensuite, des principes, des commentaires, des avertissements d’une valeur permanente pour l’Église universelle. Ce sont là des observations qui donnent la clé du livre. Puisque l’Apocalypse a été adressée à l’Église du premier siècle, il allait de soi que son message concernât des événements se déroulant durant ce siècle-là et comportant des significations qui pourraient intéresser les premiers lecteurs du livre. D’autre part, du fait que ce livre est destiné à l’Église universelle, son message ne peut que revêtir une grande actualité, valable pour tous les temps.
2. La deuxième section consiste en la vision des sept sceaux des chapitres 4 à 7. Jean est transporté au ciel où il aperçoit Dieu assis sur le trône de sa majesté. Ensuite, il voit l’Agneau immolé, lequel prend le rouleau avec les sept sceaux de la main de celui qui est assis sur le trône. Ce geste témoigne que le Christ a remporté une victoire décisive sur les forces du mal et que, par conséquent, il est digne d’ouvrir les sceaux. À présent, les sceaux sont brisés et divers jugements sont portés sur le monde. Dans cette vision, nous voyons l’Église souffrir l’épreuve de la persécution, avec toutefois à l’arrière-plan la victoire du Christ. Chacune de ces sept sections parallèles se termine par l’indication que la fin des temps est proche. Il s’agira alors d’annoncer soit le jugement soit les bénédictions, ou encore les deux à la fois. Ceci est manifeste à la fin de la section que nous avons sous nos yeux (Ap 6.15-17), tout comme l’annonce de la bénédiction d’après Apocalypse 7.15-17.
3. La troisième section va des chapitres 8 à 11. Elle décrit les trompettes du jugement. À cet endroit, l’Église est « vengée », protégée et même victorieuse. Nous trouverons ici une référence quasi explicite au jugement dernier (Ap 11.18).
4. La quatrième section est composée des chapitres 12 à 14. Elle débute par la vision de la femme qui donne naissance à l’enfant, tandis que le dragon cherche à la détruire aussitôt après l’enfantement, qui rappelle la naissance du Christ. Le reste de la section décrit l’opposition continuelle que la bête, le dragon, représentant Satan, mène contre l’Église. Ces deux bêtes que représentent la mer et la terre sont les lieutenants et les assistants de Satan. Cette section se termine par la description imagée du jugement à venir qu’exercera le Christ (Ap 14.14-15).
5. La cinquième section est composée des chapitres 15 à 16. Elle décrit les sept coupes de la colère, ce qui d’une manière imagée annonce de nouveau la colère de Dieu sur ceux qui ne se repentent pas. Cette section aussi se termine par l’annonce du jugement final (Ap 16.19-20).
6. La sixième section est comprise entre les chapitres 17 et 19. Elle décrit la chute de Babylone ainsi que celle des deux bêtes. Babylone représente la cité mondaine, les forces de la sécularisation et de l’impiété qui se dressent contre le Royaume de Dieu. La fin du chapitre 19 dépeint la chute des assistants du dragon. La bête sortie de la mer et le faux prophète dépeignent la même réalité que la bête issue de la terre (Ap 16.13). Une fois de plus, le jugement est annoncé (Ap 19.11) et le retour du Christ prédit. Plus loin, il sera question du châtiment final infligé aux deux assistants du dragon (Ap 19.19-20).
7. La septième et dernière section, entre les chapitres 20 et 22, traite de la condamnation du dragon, Satan, et déclare la déroute ultime des adversaires. Le jugement et le châtiment sont rapportés à la fin du chapitre 20 (20.11-12, 14-15). En outre, ce chapitre décrit aussi le triomphe final du Christ et de son Église et le renouvellement de l’univers donnant naissance à la nouvelle terre et aux nouveaux cieux.
Ainsi, bien que des sections courent parallèlement et révèlent un progrès eschatologique, nous n’avions pas encore dans Apocalypse 16.12-17 la description complète du jugement. Les détails en seront donnés dans Apocalypse 20.11-15. De même, si la joie des fidèles est évidente dès Apocalypse 17.15-17, ce n’est qu’au chapitre 21 que nous trouverons une description élaborée de la béatitude qui attend le fidèle sur la nouvelle terre. Le progrès eschatologique marque non seulement les sections individuelles, mais encore l’ensemble du livre.
En accord avec un tel schéma, on peut soutenir que, si l’Apocalypse relate le combat livré par le Christ et ses disciples contre leurs adversaires, nous nous rendons aussi compte que la moitié du livre (chapitres 1 à 11) décrit le combat qui se déroule sur la terre, y compris la persécution de l’Église. La seconde moitié (chapitres 12 à 22) offre un arrière-plan plus profond de cette bataille. La persécution contre l’Église est présentée comme étant l’œuvre du dragon, en réalité de Satan. Aussi, la dernière section rapporte-t-elle le jugement qui le frappe et sa condamnation sans appel. Une telle lecture transmettra mieux que tout autre le message passionnant du dernier livre de la Bible. Elle permet également de renvoyer dos à dos les différents spécialistes qui obscurcissent son message vital. L’Apocalypse est bien ce qu’annonce son titre : une révélation.
b. Les mille ans←↰⤒🔗
À présent, nous pourrons entreprendre l’explication de l’un des points les plus âprement controversés non seulement du dernier livre de la Bible, mais encore de l’Écriture tout entière. Qu’est-ce que le millénium?
Ce sont les 6 premiers versets du chapitre 20 de l’Apocalypse qui parlent pour la première et dernière fois du règne de mille ans. Les versets 1 à 3 annoncent que Satan est lié; les versets suivants décrivent le règne de mille ans. D’après les prémil, ces versets annonceraient le règne sur terre pendant mille ans après le retour du Christ. Certes, le retour avait été prédit dans les versets précédents. Si on se contentait d’une simple lecture chronologique du chapitre 19, on pourrait logiquement parvenir à la conclusion que, d’après le chapitre 20, le Christ établira son règne après son retour sur terre. Mais l’explication que nous venons de donner de la structure littéraire du livre nous empêche de souscrire à cette conjecture.
Les chapitres 20 et 22 ne décrivent pas ce qui suivra le retour sans annoncer aussi ce qui se déroule déjà ici et maintenant. Apocalypse 20 nous ramène en arrière vers le début, au moment de l’incarnation. Le chapitre consacré à « la fin de Satan » développera le thème de la victoire du Christ. À sa manière, Apocalypse 12.7-9 l’affirme. Le règne millénaire des versets 4 à 6 a lieu avant le retour. Le jugement dernier des versets 11-15 a lieu après. Partout ailleurs dans le Nouveau Testament, « retour du Christ » et « jugement dernier » ont lieu simultanément (Mt 16.27; 25.31-32; Jude 1.14-15; 2 Th 1.7-10). À la suite de toute l’Écriture, ce passage nous annonce le règne que le Christ exerce actuellement aussi bien sur nos vies individuelles que sur l’Église et l’univers (Mt 28.18-20).
Les trois premiers versets annoncent l’enchaînement de Satan et du dragon pendant mille ans. Ensuite, Satan est jeté dans le grand abîme. Il ne pourra plus jamais séduire et tromper les nations. Son pouvoir est abrogé. Nous avons déjà expliqué le sens du nombre mille. Nous n’y reviendrons pas ici.
Même en tenant compte des versets 7 à 15, d’après lesquels Satan jouit d’une certaine liberté, car il est relâché, nous pourrons encore tenir aux mille ans considérés comme la période s’étendant depuis la première venue du Christ à son futur retour. Le lac de feu annonce le lieu du jugement, par conséquent l’abîme sans fond des versets 1 à 3 ne peut être ce lieu de jugement. Nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré à Satan4.
Que celui-ci soit lié ne veut pas dire qu’il reste inactif, mais plus simplement qu’il n’a plus de pouvoir total comme dans le passé. Il ne peut empêcher la proclamation de l’Évangile. Durant l’âge où l’Évangile est prêché, l’influence de Satan n’est plus décisive, même si elle se fait par moments sentir bien lourdement.
La deuxième partie de ce paragraphe annonce une période de mille ans. Anthony Hoekema admet qu’on pourrait à la rigueur ne pas assimiler les mille ans des versets 4 à 6 à ceux des versets 1 à 3. Mais il n’existe pas de raison majeure pour le faire, ajoute-t-il. Car ta chilia étè vient aux versets 3 à 5. À nos yeux, les « mille ans » qui sont mentionnés deux fois forment une seule et même période.
Que sont et où se trouvent les trônes du verset 4? Pour nombre d’exégètes, ce terme dans ce livre signifie sans exception le ciel (sauf dans 3 cas sur 47). En tenant compte des âmes qu’il aperçoit, on peut conclure qu’il s’agit d’une vision céleste et non pas terrestre. L’apôtre Jean s’intéresse à la justice et plus spécialement à celle qui concerne les chrétiens persécutés, écrit encore Hoekema. Il est donc de la plus haute importance que la vision du jugement (l’autorité de juger) soit accordée à ceux qui sont assis sur le trône, ce qui, selon Jean, atteste le pouvoir qu’ils ont reçu de régner avec Christ ainsi que leur droit de juger avec lui (Mt 19.28).
Une autre question est relative à ceux qui occupent ces trônes. Qui sont-ils? D’après le verset 4, il s’agit de ceux qui « revinrent à la vie » (ézésan en grec), accomplissement de la prédiction de 3.21. Au cours de sa vision, Jean aperçoit les martyrs pour la foi. Il y a un parallèle qui se trouve dans 6.9. Dans 13.15, nous avons la confirmation qu’il s’agit bien de ceux qui sacrifièrent leur vie pour la cause du Christ. C’est dans une nouvelle vision que Jean les voit. Le verset 4 est très controversé. Selon les prémil, il s’agirait d’une première résurrection physique. De là, on tire une preuve en faveur de la thèse d’un règne millénaire. Certes, l’original ézésan peut comporter le sens d’une résurrection littérale, physique. Mais est-il exact qu’il le fait à cet endroit? Cela n’est pas certain.
Or, le verset 5 laisse entendre une sorte de résurrection, la première, qui n’est pas physique, étant donné que la résurrection physique est réservée à plus tard (Ap 20.11-13). En outre, elle semble nettement distincte de la première. Selon les prémil, il s’agirait de la résurrection des incroyants ayant lieu après le millénium, puisque celle des croyants aurait lieu avant. Mais ceci ne concorde pas avec le discours de Jésus dans Jean 5.28-29. Comment prouver aussi qu’il s’agit de la résurrection des impies? Faut-il s’appuyer sur le verset 15 pour l’affirmer? Mais les mots n’énoncent rien au sujet d’une résurrection à partir de laquelle ceux dont les noms ne sont pas inscrits dans le livre de la vie sont jetés dans le lac de feu…
Ainsi, le « revinrent » du verset 4 concerne ceux qui sont morts en Christ et qui sont actuellement assis sur le trône après avoir scellé leur foi par leur martyre. Bien qu’ils soient morts, Jean les voit comme des personnes vivantes. Ils se trouvent dans la béatitude, bien qu’encore dans l’état intermédiaire en attendant le retour du Christ. Le millénium c’est l’âge durant lequel l’Évangile est proclamé. Il est donc notre âge, celui de l’Église confessante.
Sans entrer dans d’autres détails techniques, au demeurant fort intéressants pour le chercheur, nous conclurons le présent chapitre en soulignant l’extraordinaire message que contient ce livre. Son caractère parénétique (exhortation-consolation) ne devrait jamais être perdu de vue. C’est ce caractère qui devrait nous occuper davantage que des explications fournies par curiosité ou par pure fantaisie qui obscurcissent complètement le message lumineux du livre de la révélation et qui amoindrissent la portée de la foi et de l’espérance.
Le chapitre 20, lui aussi, a été rédigé pendant que l’Église subissait une persécution des plus violentes; ses membres étaient décimés, l’oppression devenait intolérable. Quel merveilleux message alors que celui du voyant de Patmos! Les martyrs, cruellement exécutés, règnent avec le Christ. Ils triomphent durant l’âge présent, en réalité l’âge du millénium. La première résurrection nous laisse entrevoir la transition de la mort vers la vie au ciel. Elle suppose une seconde résurrection, qui sera physique, celle-là devant se produire lors du retour du Seigneur. Heureux ceux qui prennent part à cette première résurrection! Sur eux, la seconde mort, c’est-à-dire le châtiment éternel, n’aura pas de pouvoir. Ce qui confirme notre thèse selon laquelle la première résurrection d’Apocalypse 20 n’est pas physique. Si cela avait été le cas, les fidèles devraient déjà jouir de toute la félicité éternelle et même revêtir déjà leur corps céleste. Contrairement à cela, les fidèles se trouvent au ciel, adorant Dieu et le Christ en leur qualité de sacrificateurs et ils règnent tels des rois.
Nous sommes ainsi au cœur du millénium. Celui-ci s’étend depuis l’incarnation et l’abaissement du Christ jusqu’à son glorieux retour. C’est en même temps l’âge de la tribulation et de la victoire. Le pouvoir de Satan est limité. Le millénium présent annonce l’âge par excellence de la proclamation de l’Évangile.
Que nous ayons opté pour la position amillénariste ne veut pas dire qu’elle nous satisfasse sur tous les points. En effet, elle soulève certains problèmes. Aussi nous refuserons une attitude dogmatique rigide. Nous reconnaîtrons les limites de la lueur qui éclaire notre espérance.
Toutefois, c’est dans le respect absolu des textes étudiés que nous avons adopté la position que nous défendons. Si le lecteur y discerne des zones d’ombre, qu’il incrimine l’imperfection de notre explication et non l’Écriture. Ceci admis, nous estimons que notre faiblesse serait davantage de nature théologique que biblique. Nous risquons, à notre tour, de tomber sur l’écueil d’un triomphalisme qui n’a pas épargné même le grand Augustin et qui consiste à identifier Église et Royaume.
D’autres nous reprocheront peut-être un pessimisme qui ne rendrait pas justice à l’Écriture. R.J. Rushdoony n’a pas manqué de diriger ses critiques, plutôt acerbes, sur ce point-là. Il y aurait dans ces positions une absence de vision de la seigneurie réelle et souveraine du Christ… Elle ne verrait dans l’Église « qu’un petit reste ».
Nous ne croiserons pas le fer avec tous ceux qui proposent des duels pour un oui et pour un non! Affirmons encore notre conviction profonde. Le Royaume du Christ possède de solides assises sur terre. Si son Esprit nous rend sa présence sensible, nous pensons que son gouvernement s’exerce quand même de manière réelle, sinon tangible.
Nous admettrons plus volontiers la grande lacune qui caractérise les positions amillénaristes : celle de ne pas avoir conservé l’ardeur de l’attente de la parousie. Nous devrions réapprendre la leçon de vigilance donnée par l’Église apostolique.
Nous conserverons les positions amillénaristes tout en bénéficiant de la vision dynamique de l’espérance que possèdent les postmillénaristes. Nous devrions pouvoir déclarer avec ces frères que la bannière du Christ se déploie ici-bas. II l’emporte sur ses adversaires.
Toutefois, l’Église n’est pas à l’abri de la tribulation. Le monde n’est pas encore totalement soumis à Christ, pas apparemment. Calvin eut raison de s’accrocher à cette position intermédiaire. Il déclara l’avancement du Royaume, et bien que le règne, dit-il, fût inauguré par le Christ, le grand réformateur ajouta qu’il nous faut sans cesse prier pour que le pouvoir de celui-ci s’accroisse jusqu’à parvenir enfin à son sommet.
Ce sommet apparaîtra à nos yeux au dernier jour seulement, lorsque Dieu aura ramené toutes choses vers l’ordre initial. Il sera de nouveau exalté, lui seul. Il sera tout en tous. La lumière de son Évangile luira devant la face du monde entier. L’appel est dressé à toutes les nations; la grâce est offerte afin que l’impiété soit aussi mise à jour. Nous le savons sans l’ombre d’un doute : la parousie sera l’heure de la glorification de l’Église et non de sa déconfiture. Le chrétien peut déjà goûter à titre individuel au bonheur du millénium. Il a reçu les arrhes de l’Esprit.
Au cours de l’histoire, l’Église sera toujours un mélange entre purs et impurs. Et même les purs ne sont pas tout à fait exempts de traces d’impureté. Le mal ne les épargne pas toujours.
Ce chapitre veut être à sa manière l’annonce d’un triomphe qui fonde notre espérance vivante. Il veut également nous rappeler l’existence de la tension entre le pas encore et le déjà. Ainsi nous saurons éviter d’une part le triomphalisme clérical des chrétiens modernes et les théologies du génitif! Autrement l’Église, elle, sera placée sous le jugement si elle évite la croix et la tribulation.
Entre le pessimisme névrotique et l’obsession triomphaliste, il y a de la place pour une attente sereine du retour du Christ et pour une endurance durant cette période de millénium. Le Royaume messianique est incontestablement une réalité. C’est lui qui donne la vigueur à l’Église, qui lui permet de persévérer et de s’acquitter de sa mission. Il n’est pourtant pas totalement présent.
Puisse l’étude du millénium raffermir notre foi et raviver notre espérance. Notre attente du futur sera plus joyeuse et notre marche quotidienne plus ferme.
Notes
1. Voir mon article intitulé Le dispensationalisme.
2. Voir mon article intitulé La résurrection des morts.
3. Voir son étude God’s Plan for Victory. The Meaning of Post-millenialism.
4. Voir mon article intitulé La fin de Satan.