Les débats christologiques anciens (7) - L'adoptianisme et ses deux variantes
Les débats christologiques anciens (7) - L'adoptianisme et ses deux variantes
- L’adoption du Christ lors de son baptême
- L’adoption du Christ lors de sa résurrection
- La conception virginale du Christ
- La mariologie catholique
- Le monarchianisme
1. L’adoption du Christ lors de son baptême⤒🔗
Le Christ aurait été adopté comme le Fils de Dieu au moment de son baptême. Cette première forme de l’adoptianisme considère la variante du texte de Luc 3.22 : « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui », comme un argument fort en faveur de cette option. Nous remarquons que cette variante, leçon du texte grec, n’est vraisemblablement pas authentique. Si la variante est authentique, il s’agit d’une citation du Psaume 2. C’est pourquoi il ne faut pas considérer les mots, même s’ils étaient authentiques, comme s’ils étaient formés spécialement pour cette occasion. Il faut se demander pourquoi ce verset a été cité. Pour étayer la thèse que le Christ devient Fils de Dieu seulement au moment de son baptême? Rien dans le texte ne favorise cette opinion.
Cette idée est opposée au fait que Luc enseigne clairement que le Christ est bien le Fils de Dieu depuis sa conception et sa naissance (Lc 1.35; 2.49). Si Marc avait voulu que l’on comprenne ce passage du baptême dans le sens de l’adoptianisme, il n’aurait pas omis la dernière partie de la référence « aujourd’hui, je t’ai engendré ». Marc 9.7 nous donne la même affirmation : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » S’agirait-il alors ici d’une adoption renouvelée? Le passage veut simplement dire que l’œuvre messianique a son début en cet instant, l’Esprit que le Christ a déjà reçu lui est donné maintenant en vue du ministère qu’il inaugure. Dieu déclare que ne sera personne d’autre que son Fils qui commencera cette œuvre. Jésus obtient l’Esprit, mais il était déjà le Fils.
2. L’adoption du Christ lors de sa résurrection←⤒🔗
La deuxième forme de l’adoptianisme fait appel à Actes 2.36 et Romains 1.3-4, pour défendre l’idée que Jésus serait devenu le Fils de Dieu au jour de sa résurrection. Cette thèse s’appuierait sur une vieille tradition, dont on trouverait, dit-on, les traces encore dans ces passages. Nous avons déjà rejeté cette interprétation des passages cités.
Représentants de l’adoptianisme espagnol, Élipande de Tolède et Félix d’Urgel distinguaient entre le Fils naturel de Dieu et le Fils de Marie qui n’est le Fils de Dieu que par adoption. Selon Félix, l’homme Jésus avait deux pères : le père naturel (David) et le père adoptif (Dieu). Ce groupe fut condamné par les Synodes de Ratisbonne (792), de Frankfort (794) et d’Aix-la-Chapelle (799). Cette conception était le résultat d’une tentative de maintenir la vérité de l’humanité de Christ et de résister au monophysisme.
3. La conception virginale du Christ←⤒🔗
Les anabaptistes affirmaient que Jésus a emporté son corps du ciel, Marie n’étant que le « canal » par lequel il est venu au monde (docétisme; dualisme).
On lie souvent l’impeccabilité et la naissance virginale de Christ d’une manière qui montre une conception du mariage influencée par le dualisme grec. La vie conjugale comme telle serait une chose qui manque de sainteté. On voit une relation étroite entre la sexualité et le péché héréditaire. On trouve de telles conceptions en premier lieu parmi les Grecs orthodoxes (Berdiaef-Boulgakov), mais aussi dans la théologie romaine. L’inclination à l’idée selon laquelle Marie est toujours restée vierge s’explique par le même fond. On fait appel pour cette opinion à Ézéchiel 44.2 selon la Vulgate : « Haech porta clausa erit ». Les articles de Smalkalde parlent aussi de « Maria sempervirgo » (pars. I,IV), lorsqu’aussi beaucoup de réformés montraient une fausse idée d’ascèse par leurs pensées concernant la virginité de Marie.
Emil Brunner, avec beaucoup d’autres, rejette la doctrine de la naissance de Christ de la vierge. Il fait appel au fait que seulement quelques textes du Nouveau Testament en parlent. Les apôtres n’auraient pas connu cette doctrine ou l’auraient considérée comme étant sans importance. Elle serait contredite par l’attitude de Marie et des parents de Jésus (Lc 2.48-50; Mc 3.21, etc.), car pourquoi se seraient-ils étonnés des actions de Jésus s’ils avaient été témoins de sa naissance miraculeuse et de ce qui s’était passé à l’occasion de cette naissance? Il est vrai que la Bible ne parle pas très souvent explicitement de la naissance virginale de Christ, mais les événements de la vie de Jésus ne sont pas tous autant adaptés que, par exemple, la crucifixion et la résurrection, pour y revenir si souvent. La doctrine de la naissance virginale contredirait aussi la pensée centrale du Nouveau Testament défendue par Brunner, l’idée de la préexistence de Christ. Car la pensée de la naissance virginale aurait été formée pour donner une explication biologique du miracle de la venue de Christ. La venue de Christ ne serait pas interprétée ici comme l’incarnation du Fils de Dieu, mais selon l’analogie de la naissance des héros mythologiques. On pourrait même dire que cette doctrine de la naissance de la vierge aurait un caractère arien : Christ a été créé dans le temps d’une manière miraculeuse. L’interprétation ecclésiastique de cette doctrine ne serait pas historique. Elle serait un essai de réconcilier cette idée avec celle de la préexistence de Christ.
Karl Barth défend avec beaucoup d’énergie la naissance virginale de Christ. Il n’est cependant pas correct qu’il n’attribue à la naissance de la vierge qu’une signification noétique. Cette naissance ne serait qu’un signe de l’action souveraine et nouvelle de Dieu en Christ, un signe de l’incarnation. Le mystère serait désigné d’une manière frappante par le signe de la naissance virginale, parce que l’homme, en tout cas, selon notre idée, est en général la figure créative et active dans l’histoire, dans la science et dans l’art, tandis que la femme est le symbole d’une attitude réceptive. C’est pourquoi Dieu aurait fait naître Christ de la vierge, sans l’intervention d’un homme, pour exprimer que c’est lui qui commence de nouveau dans l’incarnation, que la grâce est souveraine et qu’ici l’homme ne peut avoir qu’un rôle réceptif.
Cette dernière pensée est naturellement correcte en elle-même. Il faut cependant se demander si Dieu a fait naître Christ de la vierge dans le but d’exprimer cette vérité d’une manière symbolique. Nous trouvons certes en Matthieu 1 la pensée que Christ est devenu le Fils de David, sans l’intervention de David ou de sa postérité. Christ est donné à la maison de David. Mais il n’est pas permis de conclure que Dieu a fait naître Christ de cette manière miraculeuse spécialement parce qu’il voulait donner un signe de sa condamnation de chaque activité qui vient du côté de l’homme et qui serait représentée par l’homme Joseph, un signe aussi de la souveraineté de la grâce à laquelle doit répondre une attitude purement réceptive du côté de l’homme. Est-ce là une pensée biblique et est-ce vrai que, selon notre idée, c’est spécialement l’homme qui est actif et créatif? La pensée de Barth repose pour une grande partie sur un fondement spéculatif. Sa conception selon laquelle la naissance virginale de Christ n’aurait pas une signification ontologique ne s’accorde pas avec la Bible et elle conduit facilement à la conclusion que la doctrine de la naissance virginale de Christ est d’une importance secondaire. C’est vrai, Barth rejette lui-même cette conclusion en disant que, sans le signe (la naissance de la vierge), la chose (l’incarnation) ne peut pas être comprise et que donc celui qui rejette le signe perd aussi la chose signifiée. Mais alors le signe a une importance essentielle selon lui.
4. La mariologie catholique←⤒🔗
Selon la mariologie catholique, Marie a certes reçu une position très élevée, un honneur qu’aucune autre femme n’a obtenu. Il nous est donc permis de la dire bienheureuse, comme Marie l’a attendu elle-même (Lc 1.48). Nous devons même la dire bienheureuse. Mais l’Église catholique déduit mal sa mariologie du mot « kecharitomene » de l’ange (Vg. « gratia plena »). Ce mot condamne justement cette doctrine de Marie.
Marie a le droit de « huperdouleia » (grande vénération) selon la conception catholique, comme la nature humaine de Christ. Dieu a le droit de « latreia » (adoration) et les saints celui de « douleia » (vénération). On distingue donc entre le culte de Dieu et celui de Marie. Pourquoi Marie a-t-elle le droit à cette vénération religieuse? Elle ne mérite pas cet honneur du fait qu’elle soit seulement physiquement la mère de Christ, mais elle le mérite par son « fiat » (Lc 1.38). Par ce fiat, elle a mérité de devenir la mère de Christ et obtenu la position de médiatrice du salut. Cette position de Marie supposerait la doctrine catholique qui est devenue un dogme formel en 1854, selon laquelle Marie est née sans péché héréditaire, « immaculata conceptio ». Autrefois, on posait le problème suivant, difficile pour les théologiens : Si Marie n’a jamais eu de péchés, peut-on dire qu’elle a été sauvée par Christ? Mais ce problème a trouvé une solution généralement reconnue : le péché héréditaire a menacé aussi Marie, et Christ l’a libérée de cette menace. Il est donc aussi le Sauveur de Marie. Étant sans péché, Marie répondra aux conditions d’un médiateur : se trouver en dehors des partis qui ont besoin de la médiation, Dieu et l’humanité pécheresse.
On est d’accord dans les milieux catholiques pour dire que Marie a mérité pour l’humanité l’application de l’œuvre rédemptrice objective de Christ par son fiat. L’œuvre de Christ devient possible par le fiat de Marie. Elle a encore maintenant une place centrale pour l’application du salut par son intercession. Ainsi coopère-t-elle avec Christ. En parlant de sa coopération « servante », on veut souvent souligner qu’elle n’est quand même pas au même niveau que Christ. On aime appeler Marie la nouvelle Ève. Genèse 3.15 parlerait d’une manière indirecte de Marie, la « Mater gratiae ».
Les théologiens catholiques ne s’entendent pas tous à savoir si l’on peut appeler Marie « co-rédemptrice », en ce sens que l’on attribue à Marie la coopération en l’œuvre rédemptrice objective. Est-ce que l’on peut dire qu’elle a mérité avec Christ le salut objectif? Il y en a parmi les catholiques qui pensent qu’une réponse positive serait difficile à concilier avec la doctrine de l’Église selon laquelle Marie a aussi été sauvée par Christ. Il est probable que cette difficulté sera résolue plus tard, de la même manière que le problème dont on a beaucoup parlé avant 1854, à savoir si l’idée de la « immaculata conceptio » est compatible avec la doctrine de la rédemption de Marie par Christ. Même des affirmations papales suggèrent que Marie a obtenu le salut objectif pour nous ensemble avec son Fils. Benoît XV, par exemple, a écrit en 1918 qu’il semble que Marie était absente pendant la vie terrestre de Christ, mais qu’elle revient encore au premier plan à l’occasion de la souffrance et de la mort de Christ selon le conseil divin, afin de pouvoir souffrir et mourir avec lui et de pouvoir ainsi satisfaire à la justice de Dieu en sacrifiant son Fils. C’est pourquoi on peut dire avec raison, selon ce pape, que Marie a sauvé l’humanité avec Christ. Pie XI a dit que ces mots de Benoît XV sont les mots les plus adaptés pour désigner la fonction de Marie dans l’œuvre de la rédemption.
Du côté de la Réforme, on a souvent parlé de déification de Marie à propos de la mariologie catholique. Les catholiques remarquent cependant que Marie est selon eux purement une créature. Est-ce que la qualification de beaucoup de protestants est correcte?
Pensons d’abord au fait qu’il est tout à fait conforme au système catholique de vouloir donner à Marie, justement comme étant purement une créature, une fonction dans l’œuvre de la rédemption. On dit que Marie donna son fiat humain après les paroles de l’ange. Ainsi prouva-t-elle sa disposition à la possession de la grâce de la maternité de Christ et méritait-elle cette grâce. Il s’agit donc ici d’une analogie pure de ce qui arrive quand chaque homme reçoit la grâce : grâce prévenante, fiat, grâce habituelle. Marie reçoit ainsi, comme chaque homme la reçoit en ce qui concerne sa propre grâce, une fonction indépendante dans le processus du salut. De là l’analogie que l’on remarque entre Marie et l’Église, à qui on attribue aussi une telle fonction indépendante : Marie produit le Christ physique; l’Église produit le Christ eucharistique et elle coopère donc aussi bien que Marie à l’œuvre rédemptrice de Christ. Marie est donc selon Rome « pura creatura ».
Mais cela n’empêche pas que la Réforme peut parler de la déification de Marie à cause de la vénération dont Marie fait l’objet. On lui attribue un honneur qui n’appartient qu’à Dieu. On distingue certes « huperdouleia » et « latreia », mais on ne nie cependant pas le caractère religieux de cette « huperdouleia », comme on ne nie d’ailleurs pas le caractère religieux des saints. On défend cela en disant que Marie et les saints participent d’une manière particulière à la grâce à cause de leur mérite et qu’ils ont donc été relevés d’une manière spéciale comme créatures, au-dessus des limites créatrices, en l’état surnaturel. L’objection de la Réforme à la fonction que l’Église catholique attribue au « fiat » de Marie est que les catholiques considèrent la réponse humaine à l’assurance divine comme une prestation, aussi bien dans le cas spécial de Marie comme dans la relation générale entre l’homme et la grâce divine.
En réalité, Marie n’a pas donné une approbation à une proposition divine, mais elle a entendu, pleine de surprise et de timidité, cette tâche spéciale pour laquelle Dieu l’avait choisie dans sa grâce et dans sa souveraineté. Elle demande, avant d’exprimer sa soumission à la parole de Dieu, comment cette parole se réalisera selon la disposition divine. Sa réponse suppose déjà la réalisation future de ce que Dieu fait annoncer. Sa soumission est la réponse de sa foi à la disposition unilatérale de Dieu. C’est pourquoi elle ne chante dans son cantique que les grandes choses que Dieu a faites pour elle. La conception catholique de la réponse de Marie n’est donc que la conséquence de l’idée catholique de la relation entre l’homme et la grâce en général. Mais il n’est pas permis, selon nous, ni dans le cas général ni dans le cas spécial de Marie de considérer la relation entre la foi et la grâce comme une action réciproque. L’acte de foi renonce justement à chaque réciprocité, à chaque prestation indépendante du côté de l’homme.
On peut ainsi remarquer contre la mariologie catholique que le Nouveau Testament parle très peu de Marie et qu’il ne donne aucune base pour cette mariologie. Comparez l’attitude de Jésus envers sa mère (Mt 12.48-50). Le contre-argument catholique selon lequel le Nouveau Testament parle si peu de Marie, parce qu’elle était encore en vie et parce que la pleine lumière pendant cette première période devait tomber sur son Fils, est très pauvre. Les catholiques admettent que la mariologie et le culte de Marie restèrent à l’arrière-plan pendant les quatre premiers siècles. On peut se demander d’où vient ce culte. Selon certains, il a une origine païenne; cela semble être probable. Mais il vaut mieux se restreindre à des arguments scripturaires dans la polémique avec Rome, car il y en a aussi qui disent que tout le christianisme n’est qu’une forme d’une religiosité générale.
Les arguments tirés de l’Écriture peuvent être les suivants : La mariologie catholique n’est pas enseignée dans la Bible. Cette mariologie contredit tout l’Évangile, parce qu’elle a pour fondement essentiel l’idée qui pénètre tout le système catholique et selon laquelle l’homme coopère « ministerialiter » dans la rédemption sur la base de la grâce prévenante. Nous ne voulons naturellement pas diminuer l’honneur de Marie, mais sa grandeur est son humilité (Lc 1.38,48), le fait qu’elle a trouvé grâce devant Dieu. Cette grandeur exclut entièrement chaque mérite. Ce que la femme dit selon Luc 11.27 est juste en soi-même et correspond à ce que Marie a exprimé par son cantique. Cette femme n’a pas loué Marie à cause de ses qualités personnelles comme l’Église catholique le fait. On peut se demander si l’affirmation de cette femme était une réponse de sa foi au message de Christ. Ce que Christ dit pourrait suggérer le contraire (v. 28). Mais Christ ne nie pas la vérité de ce que la femme dit comme telle. Il met cependant tout l’accent sur ce qui est demandé à chaque personne sur le salut que tous peuvent recevoir par la foi.
5. Le monarchianisme←⤒🔗
Paul de Samosate était aussi un adoptianiste. D’après lui, ce qui était unique en Christ, il ne l’a pas cherché en sa nature, mais seulement dans la direction de sa volonté. À cause de la conformité totale de la volonté du Christ à celle de Dieu, il pourrait être considéré comme étant un avec Dieu. Cette unité de sa volonté avec celle de Dieu, qui ne le distinguait d’ailleurs que graduellement des prophètes, aurait été récompensée par Dieu, qui lui a donné le nom au-dessus de tout nom. Paul de Samosate a été condamné par un synode en 268.