Cet article a pour sujet les principes de la révolution qui affirment la souveraineté du peuple et la sécularisation de l'État (abolition de la religion). Mais une démocratie ne peut bien fonctionner qu'en lien avec une norme extérieure.

2 pages.

Dictature ou démocratie

Quelques-uns se souviennent d’une fameuse conférence donnée par le professeur de philosophie Jean Brun à la faculté des lettres d’Aix-en-Provence à la fin des années 1970, intitulée : Dictature ou pourriture?

Auguste Nicolas, magistrat et apologète bordelais du 19siècle, analyse les mobiles de la ferveur révolutionnaire1.

« Quel est proprement le principe de la Révolution? Ces prétendus principes rentrent tous en un, lequel seulement a deux chefs s’expliquant et se confirmant tellement l’un l’autre qu’on peut dire qu’ils ne font qu’un seul corps bicéphale : la souveraineté du peuple et la sécularisation de l’État.
La souveraineté du peuple, c’est le peuple possédant de soi, virtuellement et absolument, la souveraineté. Elle est en lui dans sa source. C’est lui qui la donne et par conséquent qui la possède au degré le plus éminent. Ce qui caractérise la souveraineté, c’est régir, faire la loi. Mais faire la loi d’après quoi? Communément, on avait toujours entendu : d’après la raison, le droit, la justice. Oui, mais la raison, le droit, la justice, cette règle intellectuelle juridique et morale qui doit gouverner le monde et être comme la matrice de nos diverses lois, où réside-t-elle? La Révolution pose en principe : dans le peuple. Mais au moins, ce sera d’après la raison du peuple? Pas même, mais uniquement d’après la volonté du peuple : la loi, a dit le premier jour de la Révolution, est l’expression de la volonté du peuple. Si bien que le peuple est dispensé d’avoir raison : celle-ci est remplacée par le nombre. Telle est la souveraineté du peuple, premier chef du principe de la Révolution.
La sécularisation de l’État. En anglais, on dit : désacralisation. Cela ne vise pas seulement le catholicisme, le christianisme, mais toute religion positive quelconque avec la reconnaissance d’un Être suprême de qui procèdent la justice et le droit, et d’où il ressort que toute société est d’origine sacrée. Notons-le bien : souveraineté du peuple et sécularisation de l’État se répondent et sont la mesure l’une de l’autre. Mais d’où sont donc sortis tous les crimes et toutes les aberrations de notre malheureuse race? Le voici : “L’homme naît bon et c’est la société qui le déprave”. Tout le 18siècle a vécu de cette découverte. Si par malheur elle était fausse, elle devrait avoir, à l’épreuve, une portée effroyable… De là les droits de l’homme, de là le devoir d’insurrection… Mais enfin, insurrection contre qui? Contre quoi? Qu’on ne dise plus, de grâce, l’ancien régime et ses abus, sous peine de passer pour dupes ou complices… C’est que la Révolution se proposait un tout autre objet. Et lequel donc? Il faut encore le lui laisser dire elle-même : “Abolir la religion et le pouvoir, voilà qui était la Révolution même”. »

Grande actualité de ce questionnement avec ce qui se passe en ce moment dans certains pays arabes et communistes. Pourquoi, alors que les révolutions arabes attendaient la démocratie, les peuples mettent-ils en place des coalitions religieuses? N’est-ce pas à cause du sentiment peut-être bien salutaire selon lequel une démocratie ne peut fonctionner qu’en lien avec une norme extérieure à elle-même?

Note

1. Œuvres complètes d’Auguste Nicolas, tome VI. Paris, 1890. Études sociales sur la Révolution, pp 16-22.