La doctrine de l'Écriture (1) - Introduction générale
La doctrine de l'Écriture (1) - Introduction générale
« C’est bien un gros problème que celui de l’autorité et de l’inspiration des Écritures. C’est sans doute l’un des plus sérieux qui se soit posé, se pose et se posera toujours, non seulement au théologien, mais à toute âme croyante. Problème sérieux, problème initial, fondamental, de la solution duquel dépend pour nous notre position devant la Bible, et aussi, ce qui est plus grave, la qualité de notre foi et la vertu de notre témoignage. Soyons honnêtes, si nous n’admettons pas la Bible comme Parole de Dieu, depuis a jusqu’à z, ayons le courage de le dire. Si nous avons subi une évolution quelconque, ayons le courage de l’avouer. Il n’est pas interdit d’évoluer à un croyant qui “pense sa foi”. Mais la vérité divine n’est pas une valeur relative, elle est une valeur absolue.
À la base de la division des Églises, il y a, plus sérieuse et plus grave sans doute que les questions ecclésiologiques, la question biblique. Les divergences ecclésiologiques portent sur des problèmes importants, certes, mais non fondamentaux. L’expérience prouve que des croyants aux opinions ecclésiologiques diverses peuvent, à travers leurs conventicules visibles, réaliser ensemble l’Église, corps du Christ. Oui, cela est possible, entre des chrétiens, à quelque communauté qu’ils appartiennent, pour lesquels, au-dessus de tous autres principes, domine le principe de l’autorité des Écritures, de leur totale inspiration, le principe de la Bible Parole de Dieu.
La seule base qui puisse permettre l’unité de l’Église sur le plan, non des unifications ecclésiastiques, mais de l’authentique pensée chrétienne, le seul critère qui puisse donner à la Parole de Dieu une valeur normative peuvent se formuler ainsi : La Bible est la Parole de Dieu. Si la Bible est vraiment Parole de Dieu, tout ce qu’affirment les livres saints, qu’il s’agisse d’histoire ou de surnaturel, tout, dans la Bible, est l’objet de foi. La Bible, disons-nous, est la Parole de Dieu. Mais qu’est-ce que cela signifie? Pourquoi affirmons-nous cela? Et pour quelles raisons ne l’affirmerions-nous pas?1 »
Le principe réformé d’autorité, depuis le 16e siècle, a suscité de très nombreux débats. Quelle est la position authentique réformée, voire protestante, sur la question? Où réside l’autorité en matière religieuse et théologique? La position réformée orthodoxe sur la norme de la doctrine s’exprime parfaitement par la célèbre formule ne laissant aucune ambiguïté, ne tolérant aucun compromis : « La Bible, toute la Bible, rien que la Bible est la religion de la Réforme. » La position protestante libérale est une sérieuse, profonde et dangereuse déviation par rapport à celle-ci. Pour le libéralisme, le principe scripturaire se définit comme le droit que l’on possède au jugement privé, droit que serait le fruit de l’émancipation du joug de toute autorité humaine. Aux yeux du libéralisme, la Réforme aurait achevé la rupture totale et définitive d’avec toute forme d’autorité humaine, qu’elle soit ecclésiastique ou religieuse. L’on y verra l’adoption des positions de l’humanisme qu’a engendré la Renaissance, avec son criant anthropocentrisme. Le libéralisme estime que la Réforme a définitivement ramené la religion vers ses éléments les plus simples; cette réduction, ainsi comprise et définie, devra donc se poursuivre afin d’aboutir à ce qui est ultime, original, supra-historique, déterminé par la seule raison humaine autonome, laquelle ne connaît et ne reconnaît qu’elle-même comme source de toute pensée et de toute expérience religieuse. Avec raison, on a fait remarquer que la première de ces affirmations se trompe par excès, et la seconde pèche par défaut.
La Réforme, proclamant l’Écriture sainte comme norme suprême de la foi, a reconnu comme autorité ultime non pas celle de la Bible en tant que telle, mais l’autorité de la Bible dans son ensemble interprétée à partir de son centre. Aussi la tentative d’identifier le principe du protestantisme historique avec la libre pensée n’est qu’une abstraction illégitime.
Afin de rendre justice à la réalité concrète du mouvement, nous noterons non seulement la liberté de jugement exercée contre les abus de l’Église romaine dans ce domaine, mais également contre toute utilisation abusive de la liberté récemment recouvrée et du type général de doctrine religieuse à laquelle on était parvenu, grâce à la nouvelle méthode d’interprétation biblique. Contrairement au libéralisme, la nouvelle liberté a répudié toute conception d’autorité en matière de religion, et elle l’a transférée, de l’adhésion de la foi à une autorité ecclésiastique usurpatrice, à l’Écriture en tant qu’unique fondement pour la foi et la vie, pour le dogme et la doctrine. Cette position a permis que la véritable autorité puisse se trouver en l’Évangile de la justification par grâce, au moyen de la foi en Jésus-Christ, ce qui est, si l’on peut dire, au cœur même de la révélation biblique. Contrairement au libéralisme, la nouvelle liberté a répudié toute conception d’autorité en matière de religion, et elle l’a transférée, de l’adhésion de la foi à une autorité ecclésiastique usurpatrice, à l’Écriture en tant qu’unique fondement pour la foi et la vie, pour le dogme et la doctrine. Cette position a permis que la véritable autorité puisse se trouver en l’Évangile de la justification par grâce, au moyen de la foi en Jésus-Christ, ce qui est, si l’on peut dire, au cœur même de la révélation biblique.
La théologie réformée part de la présupposition générale, qui d’ailleurs est partagée par l’Église universelle, selon laquelle la révélation générale que Dieu accorde aux hommes dans ses œuvres de la nature est complétée par sa révélation spéciale en Christ; que l’œuvre du Christ constitue le fondement de notre rédemption, et qu’elle a été amplement suffisante pour cela. Elle est aussi bien nécessaire que suffisante pour préserver et pour assurer la connaissance des vérités divines salvatrices contenues dans l’Évangile. La Réforme se caractérise par conséquent par l’assurance entière qu’elle a que la transmission de la révélation s’opère au moyen de la Parole écrite de Dieu, instrument parfait ne nécessitant nul complément à son contenu, venant s’ajouter par les soins d’une prétendue tradition ecclésiastique. Elle n’a nul besoin d’une norme normative externe pour son interprétation et qui lui serait indépendante, qu’il s’agisse d’une norme doctrinale traditionnelle ou des déclarations prétendument infaillibles d’une Église.
La Réforme reconnaît et confesse les perfections suivantes de l’Écriture : son autorité, sa suffisance, sa clarté, son efficacité. Chacune d’elles porte un ton forcément polémique, car elles furent élaborées en une période de conflits aigus et de contestations violentes, qui aboutirent à la rupture avec l’Église romaine. Pour la Réforme, l’autorité de l’Écriture prouve son caractère souverain, contrairement à ce qu’en pensait et lui concédait Rome. Contre Rome, pour laquelle la révélation des Écritures serait insuffisante, la Réforme a affirmé la pleine suffisance de celle-ci. Certes, cette suffisance n’impliquait pas qu’elle contenait verbatim tous les discours du Christ et des apôtres, ni même que toutes les vérités théologiques y soient explicitement déclarées, ou qu’elle offre des directives quant à la façon dont on doit célébrer le culte ou exercer la discipline. La Réforme admet qu’il doit se faire un travail nécessaire et légitime, raisonnant par inférence, à partir des données de la révélation, et en appliquant ses principes en détail dans la sphère religio-morale, de sorte qu’elle nous fait suffisamment savoir tout ce qui concerne notre salut en Christ.
Selon la Confession helvétique postérieure, l’Écriture possède l’exposé total de tout ce qui appartient aussi bien à la foi qu’à la manière correcte de mener une vie qui soit agréable à Dieu. S’opposant encore à l’idée selon laquelle l’Écriture serait un document obscur et nécessiterait un commentaire de la tradition ecclésiastique, considéré comme interprète infaillible, la Réforme a maintenu qu’elle est entièrement marquée par sa clarté. Son contenu salvifique n’en est caché qu’à l’homme irrégénéré; mais même pour l’homme régénéré certains passages de l’Écriture brillent avec moins de clarté que d’autres. Nonobstant, elle a maintenu qu’elle était suffisamment claire comme le soleil, dans l’ensemble de son enseignement relatif à notre salut, et que les passages plus difficiles peuvent se comprendre à l’aide de ceux plus clairs et plus simples. C’est en vertu de cela que l’Écriture est considérée comme son propre interprète.
Certes, la Reforme a affirmé que l’Église avait le droit et le devoir de définir la doctrine et de juger des controverses relatives à la foi, par conséquent elle pouvait exiger de ses membres le respect de ses décisions doctrinales. Mais elle a rendu également clair le fait que l’Église ne peut en aucune manière se réclamer d’une infaillibilité ou d’une inerrance pour les credo ou confessions, sur la base d’une infaillibilité qui lui serait inhérente. Le critère définitif de la vérité des déterminations doctrinales doit se trouver dans leur conformité ou non-conformité avec la Parole de Dieu.
S’opposant encore à la position romaine, pour qui l’Écriture ne devait pas être laissée entre les mains de simples fidèles (laïcs), la Réforme affirme son efficacité, en ce sens que la lecture de la Bible est le principal moyen de grâce, et qu’en conséquence elle fit traduire et circuler la Bible en langue vernaculaire. Ainsi, pour la Réforme, l’Écriture reste l’unique et exclusive autorité, source authentique de connaissance de la révélation de Dieu en Christ. Avec raison et force, la Réforme a refusé une autorité qui lui serait coordonnée, voire supérieure, celle d’une tradition ecclésiastique. Simultanément, elle offrit des qualifications et attacha des explications à ses quatre marques de perfections, rendant de la sorte bien clair que l’objet des affirmations n’était pas simplement le recueil de l’Écriture, mais l’Écriture avec son « système interne » d’ensemble de vérité qui sauve. Parlant du volume de l’Écriture, nous ferons accompagner chaque proposition par une certaine réserve : Autorité certes, mais dans la mesure où elle est intérieurement supposée de la posséder et de l’exercer; suffisance pour la lumière qu’elle projette sur le salut; clarté en dépit des passages qui en demeurent encore obscurs; efficacité, pourtant avec des endroits qui ne sont pas illuminés et même pas forcément édifiants, au sens courant du terme, concernant la piété; pourtant, même ainsi, par un lien interne, invisible, non spécifié, elle tient un rôle certain dans l’histoire de la rédemption.
Concernant son message qui culmine en l’Évangile de Jésus-Christ, les marques de perfection n’ont nul besoin d’explication ou de qualification. En ce sens, elles sont des marques absolues. Elles sont suffisantes lorsqu’elles traitent adéquatement et effectivement du problème de la vie et de la destinée de l’homme, du péché et du salut. Sa clarté se vérifie aussi dans l’expérience d’illumination intérieure que fait le croyant. Enfin, elle est efficace, car le message évangélique déclaré et exposé dans la prédication et la vie est un moyen puissant de grâce opérant en vue du salut de quiconque croit. Pour la Réforme, le fondement de l’autorité des Écritures réside en l’autorité même de Dieu, dont elle dérive son origine.
Pour l’Église romaine, le fondement n’en serait que l’Église et son enseignement, bien qu’elle admet que l’autorité des Écritures se fonde sur celle de Dieu; toutefois, avec la réserve de la compléter par celle de son magistère, qui ferait connaître et admettre cette autorité scripturaire. Pour la Réforme, et ce unanimement, les Écritures canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament sont les véritables paroles de Dieu.
Cette doctrine inclut deux positions vitales, à savoir qu’en un sens unique l’Écriture dérive de Dieu qui en est l’auteur, et que le résultat de l’intervention divine crée un instrument suffisamment digne de foi pour la fonction à laquelle elle est destinée. Ce qui laisse entendre que d’après ces principes il faut discerner des degrés d’autorité en l’Écriture. D’ordinaire, cela implique une responsabilité directe pour toute idée et parole; mais l’authenticité peut également s’affirmer de celui qui confie à un autre la tâche de mettre par écrit ses pensées et ses desseins, et cela peut même s’étendre au travail de supervision éditoriale. Pareillement, il y a place pour des débats et des discussions pour savoir combien précisément cette part est incluse dans la rédaction d’un livre. Ces possibilités de variation sont reflétées dans les diverses théories de l’inspiration qui s’occupent principalement de trois thèmes : le mode d’opération de l’Esprit Saint sur le sujet humain, la nature et l’étendue de l’illumination reçue et le degré et les limites entre lesquels l’inspiration est censée de faire des Écritures l’instrument absolument digne de confiance.
Révélation et Écriture sainte
Le terme de révélation spéciale peut s’entendre en des sens divers. Il peut désigner la communication directe que Dieu fait de sa personne au moyen de messages verbalement transmis, lors d’événements extraordinaires qui furent considérés comme miraculeux. Les prophètes comme les apôtres ont reçu des messages de la part de Dieu, avant même qu’ils ne les aient consignés par écrit. Ces écrits ont été dès lors recueillis dans l’Écriture sainte chrétienne, la Bible, quoique toute la Bible ne soit pas composée exclusivement par leurs messages. Nombre de passages et de faits historiques n’ont pas été reçus de manière surnaturelle, mais furent le résultat d’une étude et d’une méditation sur des paroles et sur des faits communiqués de manière surnaturelle. Cependant, le terme désignera toute la Bible, c’est-à-dire l’ensemble des vérités et événements à caractère rédempteur, ainsi que le cadre historique dans lequel ils se sont déroulés; ils possèdent alors la marque de la vérité divine et de l’inspiration du Saint-Esprit. De ce fait, on peut dire que toute la Bible et seulement la Bible est pour notre foi la révélation de Dieu, une révélation spéciale. C’est dans la Bible, révélation spéciale, que la vie, la lumière et la sainteté de Dieu nous sont communiquées.
Note
1. Études Évangéliques, no 1, 1950.