La doctrine de l'Écriture (8) - Le canon de la Bible
La doctrine de l'Écriture (8) - Le canon de la Bible
« Le mot canon dérive de l’hébreu d’où il est passé dans le grec, de même que dans d’autres langues modernes. À l’origine, il désignait un roseau ou une canne, qui servait à fabriquer une règle droite. Ensuite, il désignera une autorité reconnue, et comme telle la règle de la foi. Cette seconde acception rend parfaitement évident que le témoignage du Saint-Esprit ne fait pas connaître quelle est cette liste ni quel est le nombre, le titre, l’authenticité et l’étendue des ouvrages qui la composent. Et c’est dans ce sens que H. Bavinck reconnaît que le Saint-Esprit ne témoigne pas de la canonicité de tel ou tel écrit. […] Pour savoir quels livres une Église reconnaît comme canoniques, ce n’est pas le Saint-Esprit, mais cette Église qu’il faut d’abord interroger. […] On peut avoir la foi qui sauve et ne pas connaître distinctement ou ne pas accepter intégralement le nombre des livres canoniques. […] Quand donc il s’agit de déterminer la canonicité dans ce sens scientifique, il n’y a pas d’autre voie que l’information expérimentale et la critique interne et externe, au sens littéraire. C’est le procédé que Calvin emploie dans ses commentaires sur les antilégomènes (les livres controversés) du Nouveau Testament. […] Mais Calvin et les Églises réformées ont accepté le canon du Nouveau Testament tel que les conciles de Hippo Regius et de Carthage, vers la fin du quatrième siècle, l’avaient reçu… » (Auguste Lecerf).
Le canon biblique (protestant) est composé des 66 livres que nous avons mentionnés précédemment et qui constituent la règle de notre foi et de notre conduite (Ga 5.6). À l’origine, tout n’était pas confiné par écrit. Par une mémorisation d’une fidélité et d’une étonnante exactitude, les récits se transmettaient oralement. Les premiers essais d’écriture avaient été des signes et des symboles. La découverte de l’alphabet fut quelque chose de prodigieux. Les livres bibliques furent écrits au moment même où l’usage de l’alphabet commençait à se répandre. Certains livres de l’Ancien Testament ne portent pas la mention de leurs auteurs. Cela est dû au fait que la personnalité humaine était moins importante que le contenu du livre. Si l’Église chrétienne a accepté la liste authentique et définitive des 39 livres de l’Ancien Testament, la raison en est qu’au temps de Jésus ceux-ci constituaient les seuls livres sacrés et étaient connus sous le nom de « la Loi, les Prophètes et les Psaumes ».
Le canon tire son autorité de son propre fond. Tous les livres qui le composent se sont imposés d’eux-mêmes à la connaissance et à la foi de l’Église. Il n’y a pas eu d’intervention humaine décisive. Aucune décision ne l’imposa à la conscience de l’Église. Il a fallu tout simplement se rendre à l’évidence et accepter le fait. On savait que les auteurs avaient été des apôtres et des témoins oculaires des événements qu’ils relataient, bien plus, qu’ils avaient été autorisés à transmettre un témoignage véridique en leur qualité de porte-parole plénipotentiaires.
Nos connaissances actuelles nous permettent de savoir aussi bien la date de la composition que les auteurs de ces livres humains. Il est important de souligner la chose. Tous les documents que nous possédons donnent des sources authentiques et très sûres pour notre foi. À moins d’être de mauvaise foi, nous pouvons nous fier totalement à leur exactitude. Le chrétien, à la suite de l’Église universelle, doit admettre et reconnaître les 66 livres composant notre Bible canonique.
« C’est l’accord unanime de l’Église qui nous fait connaître le fait qu’il y a un canon scripturaire auquel elle se soumet et c’est le Saint-Esprit qui scelle cette affirmation de l’Église dans le cœur des fidèles par son témoignage créateur de la foi » (A. Lecerf).
C’est le principe qui discerne notre religion, la foi réformée, de toutes les autres; à savoir que nous savons que Dieu nous a parlé et que nous sommes certainement assurés que les prophètes n’ont pas parlé de leur propre sens, mais comme organes et instruments du Saint-Esprit; qu’ils ont seulement annoncé ce qu’ils avaient reçu d’en haut.
« Quiconque donc voudra profiter des saintes Écritures, qu’il arrête premièrement en soi-même que la Loi et les Prophètes ne sont point une doctrine qui ait été donnée à l’appétit ou volonté des hommes, mais dictée par le Saint-Esprit. Si on objecte, d’où c’est qu’on pourra savoir cela, je réponds que Dieu déclare et manifeste qu’il est auteur d’icelle tant aux disciples qu’aux docteurs, par la révélation de ce même Esprit.1 »
L’histoire du canon est cependant une histoire qui témoigne des faiblesses humaines. L’Église n’était pas toujours sûre de la canonicité de tel ou tel livre. Les motifs cités pour prouver la canonicité de tel ou tel livre étaient quelquefois un peu étranges. De nos jours, certains (Rome) prétendent que c’est le décret et la décision de l’Église qui auraient fixé le canon du Nouveau Testament. Ainsi, ils mettent l’autorité de l’Église au-dessus de la Parole de Dieu. Tout en reconnaissant une valeur inhérente à la Bible, les défenseurs de cette position affirmeront qu’en définitive notre foi dépend de l’Église-institution, même pour reconnaître l’autorité biblique. Il va sans dire que nous nous trouverions ici en présence de deux sources d’autorité et de deux sources mêmes de révélation; d’une part l’Écriture, d’autre part la Tradition ecclésiastique. D’autres prétendent que l’Esprit Saint qui avait inspiré les auteurs a également inspiré l’Église de manière tout aussi miraculeuse lors de son choix des livres bibliques. Cette explication ne nous semble pas convaincante. Nous risquons d’étendre trop largement et d’une manière non justifiée la portée de l’inspiration. Nous en ferions bénéficier tous les premiers chrétiens. D’autres encore verront dans la fixation du canon une mesure providentielle, semi-miraculeuse.
La Réforme protestante du 16e siècle, avec raison, rejeta les écrits apocryphes. Ces livres étaient inclus dans la version grecque de l’Ancien Testament (connue sous le nom de Septante ou LXX) et furent conservés par la traduction latine de Jérôme, la Vulgate. Les Églises issues de la Réforme restées fidèles à ses principes ne conservèrent que les 66 livres. La Réforme a souscrit aux trois principes directeurs qui avaient guidé l’Église des premiers siècles dans sa recherche des livres canoniques :
1. Prouver l’apostolicité de chaque livre, les apôtres ayant été reconnus comme les transmetteurs autorisés de l’Évangile du Christ.
2. Montrer l’universalité de ces livres. Parmi les innombrables écrits circulant alors, la plupart n’ont connu qu’une existence éphémère et une audience limitée. Pour qu’un livre fût admis comme canonique, il fallait qu’il jouisse d’une audience et d’un crédit universel et que toutes les Églises l’aient admis comme tel.
3. L’inspiration du livre constituait une preuve suffisante pour sa canonicité. Chaque livre examiné devait porter les marques de la révélation et donner des preuves de sa cohésion et de son accord avec le reste. Son contenu devait témoigner d’une doctrine et d’une morale saine et orthodoxe.
Martin Luther avait exprimé quelques doutes à propos du livre d’Esther dans l’Ancien Testament, le texte ne faisant nulle allusion à Dieu. De même, il avait jeté le discrédit sur la lettre de Jacques, la traitant de paille, sous prétexte que la théologie de Jacques contredisait celle de Paul, notamment en ce qui concerne la théologie de la justification par la foi seule.
On a prétendu un peu hâtivement que de son côté Jean Calvin aurait fait preuve d’hésitation à inclure l’Apocalypse de Jean, ne lui ayant pas consacré un commentaire. L’absence d’un commentaire signé par le réformateur ne laisse nullement supposer que celui-ci ait expressément rejeté le dernier livre du Nouveau Testament.
Il nous semble que l’Écriture se justifie d’elle-même. Elle se présente et elle s’impose à notre foi en tant que règle unique et suprême. Sur ses pages, nous lisons la Parole inspirée et autorisée de Dieu qui s’adresse à nous de manière infaillible et toute personnelle. Les réformateurs et les premiers protestants étaient certes des chrétiens et des chrétiens vivant sous l’obédience romaine plus ou moins bien définie. C’est proprement de leurs Églises nationales respectives, et plus rigoureusement des Églises locales où ils ont grandi, qu’ils ont reçu les principes et les éléments du christianisme, y compris l’enseignement sur l’existence d’une Écriture sainte et d’un canon biblique. Quand ils enseignaient au milieu d’erreurs désolantes quelque point de vérité divine, ils pouvaient donc enfanter des âmes à la vie de la foi. Leur enseignement, dans la mesure où il se soumettait à la Parole de Dieu, où il montrait le Christ et sa Parole, où il se conformait à cette Parole, pouvait être scellé et était définitivement scellé dans l’âme des vrais fidèles par le témoignage du Saint-Esprit.
« Ce que les critiques prennent pour la notion chrétienne du canon me paraît être la notion catholique romaine », écrit A. Lecerf. Il y a là une nuance dogmatique qui me paraît avoir échappé aux modernes qui ne sont plus habitués à poser des questions sous leur aspect théologique. Or, la notion de canon est essentiellement une notion théologique dogmatique. Elle a par conséquent besoin d’être maniée avec une précision à laquelle des études purement littéraires et philologiques ne préparent pas nécessairement.
Il n’y a pas une seule notion chrétienne du canon. Il y en a au moins deux, ou plutôt nous n’en retiendrons que deux, parce qu’elles touchent à la matière de cette étude. Ces deux notions sont la notion de Calvin et la notion de ses adversaires romains. Toute la discussion portait précisément sur ce point : Est-ce l’Église qui est fondée sur les Écritures canoniques, comme le voulait Calvin, ou au contraire est-ce le canon des Écritures qui est garanti par une décision de l’Église, comme le voulaient et le veulent encore les romains? Pour nous convaincre que c’est bien ainsi que la Réforme calviniste a engagé le débat avec Rome, il suffit de relire l’Institution, I.7.1-2.
« Si le fondement de l’Église, selon Éphésiens 2.20, est la doctrine que les prophètes et apôtres nous ont laissée, il faut bien que cette doctrine ait toute certitude avant que l’Église commence à venir en être. C’est donc une rêverie trop vaine, d’attribuer à l’Église puissance de juger l’Écriture, de telle sorte qu’on se tienne à ce que les hommes auront ordonné pour savoir ce qui est Parole de Dieu ou non » (Calvin).
Ainsi donc est refusé à l’Église le jugement de souveraineté sur l’Écriture. Tout ce que Calvin lui reconnaît se réduit au jugement de discernement et de soumission. La conception chrétienne du canon, telle qu’elle est comprise par Calvin, n’implique pas l’intervention d’une autorité suprême fixant le canon et lui conférant son autorité. Ce sont, au contraire, les écrits canoniques qui se justifient par eux-mêmes et s’imposent à la foi de la communauté, soit d’emblée, soit après avoir vaincu des résistances qu’ils rencontrent. C’est l’Église, si l’on veut, qui fait le canon, dans ce sens qu’elle déclare quels sont les livres qui s’imposent à l’acceptation générale, mais elle ne fait pas le canon, dans ce sens que ce n’est pas de son accord ni des décisions de ses prélats que dépend la valeur normative des livres saints. Cette valeur normative dépend d’un ordre d’appréciation qui permet de critiquer les jugements des Églises et des particuliers. Si donc une décision de ce qu’on appelle la grande synagogue était intervenue pour autoriser les livres canoniques, une telle décision devrait être considérée comme une usurpation. Nous n’avons besoin d’autre chose que de ce que l’histoire nous donne : le fait que les livres canoniques se sont imposés à l’assentiment général d’Israël comme étant des « ordres de Dieu », pour parler avec Flavius Josèphe.
Quant à la seconde instance, le canon, la liste des livres n’était pas pour les Juifs, comme elle l’est pour les chrétiens, une liste « ne varietur », excluant toute addition. Tant que l’Écriture est en voie de formation, il est clair que la liste des livres qui la constitue doit pouvoir s’allonger. Si une autorité religieuse quelconque avait pu légitimement déclarer le canon fermé, il eût été impossible d’y ajouter les livres du Nouveau Testament.
La conception chrétienne du canon suppose nécessairement qu’Israël devait avoir conscience plus ou moins clairement de son caractère de religion préparatoire. Les documents de la révélation qu’elle porte appellent en quelque sorte un complément. Il ne faut pas que le canon soit fermé, et quand le Synode juif de Jamnia l’a déclaré clos, il a officiellement rompu avec l’Esprit des prophètes qui parlait dans le Christ et dans ces hommes plus grands que les plus grands des prophètes de l’Ancienne Alliance, les apôtres.
Mais il importe de rendre à l’Église ce qui appartient à l’Église et au Saint-Esprit ce qui appartient au Saint-Esprit. Ce qui appartient à l’Église, c’est de faire connaître. Ce qui appartient au Saint-Esprit c’est de faire savoir d’une certitude de foi divine à ceux qui entendaient l’enseignement de leur Église particulière que celle-ci demeurait malgré tout un fait surnaturel et que certains de ces enseignements (le contenu de symbole, l’inspiration de l’Écriture, le canon du Nouveau Testament) étaient l’affirmation des faits et d’enseignements divins. Ces réalités spirituelles, étant transcendantes à la raison et aux sens, elles ne peuvent être sues que par le moyen d’un organe surnaturel qui est la foi et la foi qui croit sur l’autorité de Dieu, et le témoignage du Saint-Esprit dont elle porte la marque d’origine. Ce qui donnait et donne aux yeux des réformés orthodoxes une importance de premier ordre au témoignage unanime de l’Église en faveur du canon du Nouveau Testament, c’est le fait que Dieu produit dans leur conscience religieuse la certitude que l’existence de l’Église est un fait divin. Et cette certitude, il la produit par la prédication même de cette vérité qui est déjà scellée dans l’âme des fidèles avant qu’ils aient lu l’Écriture. Cette Écriture du Nouveau Testament leur est présentée par leur Église particulière comme s’appuyant sur le consensus de l’antiquité chrétienne.
Mais ils ne pouvaient pas légitimement, même avant leur séparation d’avec Rome, asseoir une certitude de foi divine relativement au canon du Nouveau Testament, tirée de la tradition de l’Église universelle, au sens où les docteurs tridentins veulent qu’elle soit reçue avec un respect égal à la Parole de Dieu, parce que cette tradition ne répondait pas aux critères exigés : « quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum » (tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous). Ils ne pouvaient légitimement asseoir cette foi sur la décision d’un concile œcuménique infaillible pour cette excellente raison qu’à leur connaissance du moins aucun concile œcuménique n’avait sanctionné le détail du canon. Ils ne pouvaient enfin appuyer leur foi sur la décision d’un pape parlant ex cathedra, à supposer qu’il en existât une.
N’oublions pas cet autre facteur qui a joué un rôle dans l’histoire du canon : la direction du Christ qui voulait établir le fondement sur lequel l’Église serait bâtie. Il s’est soucié de la rédaction de livres qui contenaient la tradition apostolique, mais aussi de la reconnaissance de ces livres et de leur collection. Il semble qu’il faut voir en rapport avec cette direction du Christ le fait frappant que l’Église a reconnu la canonicité des livres dont elle ne vivait que très partiellement (comme les épîtres de Paul); tandis qu’elle n’a pas reconnu la canonicité d’autres livres qui correspondaient beaucoup plus à sa vie terrestre. Le Seigneur glorifié n’a pas seulement mené l’Église à la reconnaissance du canon. Il maintient son Église sur le fondement apostolique parce qu’il ne veut pas que les portes du séjour des morts prévalent contre elle. Il empêche les tentatives faites pour priver partiellement ou totalement l’Église du fondement apostolique. Certes, l’Église n’a pas toujours vécu entièrement sur le fondement. Cependant, le Christ prend soin de garder la possibilité d’un retour total, car le fondement est permanent. Certains ont conclu de ce fait que le Christ a veillé à ce que le fondement apostolique ne se perde pas, qu’on peut identifier directement du canon ecclésiastique au canon voulu et donné par lui. C’est dans ce sens qu’ils parlent de la providence spéciale de Dieu par laquelle il aurait fait connaître, outre l’Ancien Testament, les 27 livres du Nouveau Testament comme canon.
Cependant, cette position ne tient pas assez compte de l’autre facteur dans l’histoire du canon : l’influence d’une Église pécheresse, faillible. On ne peut pas identifier a priori le canon de telle ou telle Église et le canon du Christ. Certes, le canon du Christ ne peut pas être totalement différent de celui de l’Église. C’est la conviction de l’Église qui a trouvé le Christ par le moyen de la Bible. On ne peut pas prouver en dehors de la foi que la Bible est le canon. L’Église de la Réforme, qui a reconnu la voix de son Seigneur dans la Bible, ne peut accepter qu’il y ait des livres canoniques en dehors de la Bible. Car les livres de la première période qui prétendent contenir aussi les traditions apostoliques diffèrent tellement du Nouveau Testament que l’on ne peut pas reconnaître à la fois tel ou tel de ces livres et le Nouveau Testament.
On peut être aussi certain que tous les livres sur lesquels le Christ voulait bâtir son Église de tous les siècles existent encore, qu’ils peuvent encore être lus. Car, certainement, le Christ qui a voulu bâtir son Église sur le fondement apostolique a veillé à ce qu’aucun des ouvrages contenant la tradition apostolique et nécessaire pour l’Église de tous les siècles ne se soit perdu.
Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a pas de livres canoniques en dehors de la Bible. Il ne peut être question d’une tradition apostolique sur laquelle le Christ a voulu fonder son Église de tous les siècles en dehors de la tradition écrite. Le canon doit toujours être une instance au-dessus de l’Église, en dehors d’elle. C’est pourquoi il doit avoir la forme des écrits.
Une question plus difficile est celle de savoir si tous les livres de la Bible sont des livres canoniques. En ce qui concerne le Nouveau Testament, le critère de la canonicité de tel ou tel livre ne peut pas être le fait que nous pensons pouvoir prouver qu’il a été écrit par un apôtre. D’abord, notre foi ne peut jamais reposer sur une telle preuve. Ensuite, nous savons que d’autres que les apôtres ont écrit les livres canoniques (Luc, Marc). Nous devons donc aussi faire attention de ne pas faire de notre goût religieux le critère de la canonicité.
Pour répondre à la question posée, on doit d’abord tenir compte du fait que, d’après la volonté de Dieu, les livres canoniques forment un tout. Si tel ou tel livre ne s’encadre pas dans un tout, l’Église doit faire un choix. Car il est impossible d’admettre la canonicité d’un livre qui contredit le contenu des autres livres.
Une des raisons pour lesquelles la Réforme a rejeté le caractère canonique des livres dits apocryphes de l’Ancien Testament a été leur incompatibilité avec les autres livres bibliques. Naturellement, le fait que ces livres n’ont pas appartenu au canon de l’Ancien Testament reconnu par le Christ fut aussi pour la Réforme une indication de leur non-canonicité. Cependant, elle a insisté sur le fait de la cohérence nécessaire entre tous les livres canoniques. Si l’incompatibilité est certaine, il faut faire un choix. Parce que la Réforme était convaincue que ce n’était pas par les apocryphes, mais par les autres livres que les croyants de tous les siècles avaient reçu le salut, elle avait le droit de nier le caractère canonique des livres dits apocryphes.
Ce que nous venons de dire de la cohérence des livres bibliques, de l’unité des livres canoniques ne veut pas dire que telle ou telle doctrine fondée sur un certain nombre de livres bibliques pourrait être un critère de canonicité en ce sens que les livres qui ne présentent pas ainsi cette doctrine ne peuvent être reconnus comme canoniques. En effet, il est bien possible que Dieu veuille montrer dans tel ou tel livre biblique un aspect de l’œuvre du Christ qui ne soit pas en contradiction avec le reste. Mais cela ne veut pas dire que tous les livres disent de même. Le fait que les livres de la Bible ne se contredisent pas, qu’ils forment un tout, ne prouve pas leur canonicité, leur caractère fondamental pour l’Église. Comment savons-nous qu’il n’est pas question seulement d’un livre qui est fidèle au fondement apostolique, mais vraiment d’un livre qui appartient à ce fondement? Pour répondre à cette question, nous ne négligerons pas le fait que le Christ a voulu bâtir son Église sur un fondement évident, sur un canon dont elle peut être certaine. Ce fait nous donne le droit de reconnaître l’œuvre du Christ dans la reconnaissance par l’Église, en tant que canoniques, des livres pour lesquels nous n’avons aucune indication qu’ils n’appartiennent pas au canon. C’est donc la conviction que nous devons tenir compte du facteur divin dans l’histoire du canon qui nous mène à cette conclusion.
Nous croyons ainsi avoir montré comment l’Église et, en communion avec elle, tout croyant, sur la base de l’Écriture, peut arriver à la certitude que l’Écriture sainte, en sa forme concrète d’un certain nombre de livres, est le canon, la norme absolue de la doctrine et de la vie chrétienne. Ayant ainsi trouvé la vérité concernant le canon, l’Église peut en faire confession, comme elle le fait de la sainte Trinité. À notre avis, on ne peut pas objecter aux confessions réformées de ne pas s’être limitées à confesser en général la reconnaissance de la Bible comme la Parole de Dieu, mais d’y ajouter que la Bible consiste en 66 livres. Il faut reconnaître que théoriquement ou pratiquement beaucoup de chrétiens ne partagent pas cette confession concernant le nombre des livres canoniques. L’histoire du canon témoigne des objections théoriques faites à certains livres et des tentations de leur ajouter d’autres écrits.
L’expérience et l’histoire prouvent également que de longs passages bibliques et même des livres tout entiers restèrent pratiquement fermés pour beaucoup de chrétiens durant bien des périodes de l’histoire ecclésiastique. En fait, tout chrétien ne vit que d’une partie de la Bible. Il semble qu’on peut dire que personne n’a assimilé toute la vérité révélée. Cela est dû à la faiblesse humaine, au péché. Le Saint-Esprit doit toujours davantage faire reconnaître, théoriquement et pratiquement, que la reconnaissance de la seigneurie du Christ doit impliquer la reconnaissance du canon concret donné par lui. Cependant, l’Église qui est convaincue que Dieu nous donne, par la Bible, un enseignement sur le nombre concret des livres canoniques a le droit d’appeler tous les chrétiens, même tous les hommes, à accepter sa confession concernant le canon, comme elle les exhorte à confesser la sainte Trinité.
La conviction d’après laquelle un nombre précis de livres forment ensemble la sainte Écriture ne résout naturellement pas toutes les questions quant au texte exact des livres inspirés. Nous les considérons comme une manifestation des soins divins à l’égard du canon. Les incertitudes quant au texte ne concernent que des passages de moindre importance et ne mettent en aucun sens en danger la possibilité d’avoir une connaissance certaine et suffisante de Dieu. L’Église peut arriver à la certitude concernant l’autorité et l’étendue du canon. Sur ce point, il y a donc aussi une correspondance avec par exemple la confession de la Trinité. Les croyants individuellement y parviennent dans la communion avec tous les saints.
Nous avons constaté qu’habituellement on vient à l’Écriture sainte par le moyen de l’Église, par le moyen de ceux qui ont cru auparavant. On peut même dire que personne ne vient à l’Écriture sans l’Église. Car, même dans de rares cas de ceux qui commencent à lire la Bible sans y être incités par des croyants, il est encore supposé que l’Église a reconnu le canon, qu’elle a réuni les livres canoniques, qu’elle les a conservés, traduits et divulgués. Le Saint-Esprit se sert de l’Église pour mener les hommes à la reconnaissance des 66 livres canoniques. Il est donc question d’un témoignage extérieur du Saint-Esprit dans la Bible, d’un témoignage intérieur dans nos cœurs et troisièmement d’un témoignage extérieur du Saint-Esprit dans l’Église; d’abord dans la confession directe de la canonicité de l’Écriture sainte, par l’Église tout entière et par chacun de ses membres; ensuite par l’effet de cette soumission à la Bible que l’on peut expérimenter dans l’Église.
« L’existence du Nouveau Testament, voilà donc le premier fait. Ce sentiment immédiat de la présence d’une révélation divine, d’un message qui éveille dans le cœur du fidèle la confiance, est certes une manifestation du témoignage du Saint-Esprit. “Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent.” Mais ceux chez qui il se réduit à cela, comme c’est d’ailleurs souvent le cas, ou bien restent encore en dehors de la foi protestante ou bien ne font que remonter à la protohistoire de la dogmatique protestante, au premier siècle de Luther et de Zwingli. Calvin connaissait, lui aussi, ce sentiment, lui qui disait qu’on reconnaissait la divinité de l’Écriture comme on reconnaît le doux de l’amer, le blanc du noir (Institution, I.7.2). Sous la forme du sentiment immédiat de la divinité du message chrétien dans son sens général, le témoignage du Saint-Esprit ne suffit pas à nous garantir contre les égarements du subjectivisme individualiste en nous donnant une norme divine extérieure. La faiblesse de notre intelligence ne permet pas de tout saisir exactement et ce qui subsiste de la corruption du cœur rend certaines parties du message antipathique, scandaleux, ou tout au moins inefficace, alors que d’autres en goûtent la saveur divine » (A. Lecerf).
Le chrétien court le risque de chercher des remèdes à ces défauts soit dans l’illuminisme, et le mal ne fera qu’empirer, soit dans la soumission aveugle à une autorité ecclésiastique prétendue infaillible, et il aliène la liberté que le Christ lui a acquise au prix de son sang… Ceux à qui Dieu fait la grâce de donner une claire vision de ces deux écueils et qui savent, par l’expérience immédiate que nous avons dite, que Dieu leur parle dans le Nouveau Testament de l’Église, ceux-là sont alors les objets d’une grâce nouvelle. Il se vérifie en eux la promesse du Christ : « À celui qui a, il sera donné davantage » (Mt 25.29). Par l’enseignement de l’Église d’abord, par contact personnel ensuite, ils ont appris que Dieu parle dans le Nouveau Testament. Ils savent par la foi que là est une Parole de Dieu.
Au contact du Nouveau Testament, Dieu crée en ceux qu’il a ainsi disposés la foi en l’autorité formelle de ce corps d’écrits que l’Esprit Saint a donné à l’Église. Une telle foi est la démonstration de ce que l’œil de la chair ne voit pas. Elle est le fondement de l’expérience infinie; elle est le sceau et les arrhes du Saint-Esprit dans le domaine noétique. Celui qui la possède, pendant qu’il la possède, ne peut rigoureusement pas douter. Devant l’Écriture, le fidèle doit s’incliner comme s’il contemplait de ses propres yeux Dieu dans sa majesté et comme s’il l’entendait parler. C’est donc la puissance de l’action de celui qui agit en causant la foi en l’Écriture qui constitue le témoignage du Saint-Esprit relativement au canon. C’est sur ce témoignage qu’est fondé le Nouveau Testament, qui d’ailleurs abonde partout en « notes de divinité ».
Cette méthode purement religieuse d’établir l’autorité de l’Écriture permet de dépasser celle de l’historicisme représenté par des romains de l’époque de Calvin. La foi n’est donc jamais aveugle, car elle est précédée d’une adhésion fort raisonnable à une expérience sensible de la majesté de la Parole de Dieu. Le sens commun suffit à faire comprendre que la tradition orale relative à la personne et à l’enseignement du Christ ne pouvait, sans un miracle constant, se conserver dans une pureté suffisante qu’à condition d’être mise par écrit. L’instinct chrétien présuppose axiomatiquement qu’aussi vrai que le Christ est la révélation de Dieu à l’Église, aussi vrai Dieu nous a dû pourvoir à ce que la tradition orale devenue écrite nous conserve, dans la mesure où la chose est nécessaire, une documentation nous transmettant purement les traits essentiels de cette révélation.
« C’est ainsi qu’un Nouveau Testament apparaît comme nécessaire. L’Église gardienne des Écritures a pour fonction de nous montrer où est ce Nouveau Testament, de nous en faire connaître la substance et de nous en faire voir les marques de divinité. Le Saint-Esprit seul peut élever à la hauteur d’une certitude de foi divine ces données du sens commun et du témoignage de l’Église » (A. Lecerf).
Note
1. Calvin, Commentaire sur 2 Timothée 3.16.