La doctrine de l'Écriture (9) - Le canon de l'Ancien Testament
La doctrine de l'Écriture (9) - Le canon de l'Ancien Testament
« Toutes les Églises chrétiennes orthodoxes reconnaissent que l’Ancien Testament apporte une révélation divine préparatoire à l’avènement du Christ. Toutes aussi reconnaissent que, bien que destiné plus particulièrement au peuple d’Israël, à l’Église en gestation, il contient un message divin pour l’Église baptisée du Saint-Esprit au jour de Pentecôte. Mais l’Ancien Testament est né dans une civilisation très différente de la nôtre, qui a subi l’influence chrétienne » (Auguste Lecerf).
Calvin a dit de l’ensemble de l’Écriture qu’elle :
« a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur et les choses douces et amères de montrer leur saveur. Si nous y apportons des yeux purs et nets et des sens entiers, incontinent la majesté de Dieu viendra devant… »
Quelle était l’étendue de la collection des livres sacrés d’Israël reconnus comme canoniques par Jésus et par l’Église apostolique? Quel était le canon de ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament?
Un auteur juif vers 138 avant notre ère mentionne dans son prologue les trois parties du canon hébreu actuel : « o nomos, oi prophétai, kai ta alla patria biblia » (la loi, les prophètes et les autres livres du peuple).
Josèphe, qui écrivit vers la fin du premier siècle de notre ère, reproduit une tradition bien antérieure à nous. Il est le premier auteur qui indique le nombre des livres sacrés qu’il range en trois classes : il en compte vingt-deux (on obtient ce nombre en réunissant Ruth aux Juges et les Lamentations de Jérémie à ses prophéties). De plus, Josèphe compte treize livres des prophètes, c’est sans douter qu’il range, comme nos Bibles protestantes, les Chroniques à la suite des Rois, et Daniel parmi les grands prophètes. On sait que les douze petits Prophètes étaient considérés comme ne formant qu’un livre. Dans son ouvrage Contre Apion (7), Josèphe, qui n’avait que 30 ans à la mort de Paul, écrit au sujet des écrits de l’Ancien Testament :
« Ils ne sauraient être sujets à aucune discordance, car on n’approuve parmi nous que ce que les prophètes écrivirent il y a beaucoup de siècles, enseignés qu’ils étaient par l’inspiration même de Dieu. […] Nous n’en avons que vingt-deux, qui comprennent tout ce qui s’est passé parmi nous, et auxquels on a toute raison d’ajouter foi. Or il paraît assez par les faits à quel point nous avons donné notre foi à nos propres écritures; car, quoique déjà tant de siècles se soient écoulés, jamais personne n’osa ni en ôter, ni y ajouter, ni y transposer quoi que ce soit. Et c’est pour tous les Juifs comme une pensée née avec eux dès la première génération de les appeler l’enseignement de Dieu (“théou dogmata”), d’y demeurer et, s’il le faut, de mourir avec joie pour les maintenir. »
On voit donc par ce témoignage, qui n’est pas suspect de parti pris, qu’au temps de Josèphe, la Bible entière se composait des mêmes livres de la Torah que pour les Juifs modernes; que ces livres étaient considérés comme les dogmes de Dieu.
Auguste Lecerf note avec raison que ce n’est pas satisfaire à cette condition que de vouloir appliquer à une révélation préparatoire et adaptée aux nécessités des temps où elle paraît et se développe, les normes spirituelles de la révélation parfaite apportée par le Christ. Pour Calvin,
« quand la première promesse fut au commencement donnée à Adam lors il y eut seulement comme de petites étincelles allumées. Depuis, petit à petit, la lumière est crue et augmentée de jour en jour, jusques à ce que le Seigneur Jésus-Christ, qui est le soleil de justice, faisant évanouir toutes nuées, a pleinement illuminé le monde. »
Les Israélites depuis Moïse, et en dépit de leurs égarements, ont toujours été unanimes à reconnaître sans aucune variation le recueil sacré des Écritures à mesure qu’il se formait, et le recueil tout entier de l’Ancien Testament depuis qu’il est achevé. C’est un fait qu’attestent surabondamment les Juifs contemporains des apôtres; Philon en Égypte, Josèphe en Égypte et à Rome. On sait par ailleurs que, bien longtemps avant le siècle apostolique, l’Ancien Testament, en hébreu et en grec, existait avec ses 22 livres (soit 39 dans la version grecque), tel que nous le possédons aujourd’hui.
De son côté, Philon d’Alexandrie affirmait que « toutes les choses écrites dans les saints livres sont des oracles1 ». Le 4e livre d’Esdras (97 apr. J.-C.), est le premier qui nous donne le chiffre actuel de 24 livres, que nous trouvons dans le Talmud et dans la Midrash.
Il semblerait donc qu’il devrait être admis sans contestation possible que le canon juif du début de l’ère chrétienne était précisément notre canon protestant. Sans doute, les Juifs alexandrins ne désignaient pas la liste des livres sacrés sous le nom de canon. Mais les Juifs tant alexandrins que palestiniens connaissaient la chose et avaient un terme très adéquat pour l’exprimer, et ce terme est précisément le mot « torah » en hébreu et « nomos » ou « graphè » en grec (« graphè » signifie déjà chez Platon « texte de loi »). C’est pourquoi « gégraptai », « il est écrit », est réservé chez les auteurs traitant de choses religieuses aux seuls écrits considérés comme faisant loi, parce que divinement inspirés.
Or, c’est un fait que les Juifs avaient l’idée de livres faisant loi; cela est reconnu de tous; que ces livres liaient la conscience parce que divins; qu’ils appliquaient cette notion et ce terme de « torah », « nomos », « graphè », aux trois parties de notre canon actuel.
Les Juifs avaient une loi. « Nous avons une loi », dirent les prêtres à Pilate (Jn 19.7). Ces livres étaient canoniques c’est-à-dire qu’ils liaient la conscience parce que reconnus comme d’origine divine. Ces livres sont techniquement distingués de ceux que nous appelons apocryphes ou deutérocanoniques pour les catholiques romains. La preuve que le canon était déjà pratiquement délimité avant l’ère chrétienne, c’est que vers l’an 32 de notre ère quelques scribes proposent d’éliminer de ce canon, pour des motifs dogmatiques ou religieux, Ézéchiel, l’Ecclésiaste, le Cantique, les Proverbes, Esther, et que la tradition talmudique rapporte que Anania résolut victorieusement à ce moment les difficultés soulevées.
Les Juifs avaient véritablement un canon biblique au sens chrétien et plus spécialement calviniste du terme. Ce qui est spécifique dans l’idée du canon, ce n’est pas la notion de liste de livres, mais la notion qu’un ou plusieurs livres sont en possession de la qualité d’être « normal », c’est-à-dire d’exprimer purement la révélation donnée par Dieu au moment où le livre paraît, et la qualité d’être normatif, c’est-à-dire d’avoir l’autorité de lier la conscience parce que divin. Dans ce sens, l’ancien Israël, Jésus, l’Église apostolique avaient, dans la triple collection du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes, un canon.
Est-on justifié de dire que l’on devrait tout au plus restreindre le canon juif au Pentateuque et que les Juifs n’avaient pas de terme pour exprimer l’idée du canon? Si canonique signifie normal et normatif, alors il est bien certain que les termes « nomos » (loi), « graphè » (texte écrit de loi) correspondent à l’hébreu torah et expriment la même idée que le terme ecclésiastique et chrétien de canon. Mais s’il est certain que le Pentateuque est par excellence la torah parce qu’il contient effectivement un corps de lois rituelles, civiles, politiques et morales, il est hors de doute également qu’au-delà de la composition des livres du Nouveau Testament, ce terme de torah s’étend aux deux autres sections des « sepherim » de la Bible. Le Christ introduit la formule « il est écrit dans votre loi », citant le Psaume 82.6, dans Jean 15.25, entendant ainsi et montrant que les Juifs étendaient la notion de canonicité à la troisième partie et dernière section de la Bible (voir également 1 Co 14.21, citant És 28.11, et Rm 3.10-18, paroles tirées des Psaumes, de l’Ecclésiaste, des Proverbes, d’Ésaïe et concluant au verset 19 : « … tout ce que dit la loi… »). Rien ne permet de supposer que Jésus ou Paul n’aient pas accepté le canon tel qu’il était communément reçu et qu’ils se soient associés aux objections de certains scribes isolés réfutés par Anania.
On voudrait que le canon ait été sanctionné et promulgué par je ne sais quel Sanhédrin pour qu’il méritât le nom de canon. Mais pour nous, la pensée du Maître est canonique, une autorité extérieure plus haute que les autorités rabbiniques et ecclésiastiques les plus vulnérables. Ce n’est pas une autorité officielle. C’est l’autorité d’un excommunié, d’un hérétique et d’un maudit : l’autorité de Jésus. Or, s’il n’avait reçu aucune investiture officielle, il avait pourtant en Israël de droit la dignité la plus haute, il était le Messie. Le témoignage de Jésus dans l’histoire témoigne en faveur du canon hébreu et le témoignage du Saint-Esprit dans le cœur des chrétiens témoigne en faveur des affirmations de Jésus. Quels qu’aient été les critères appliqués par l’ancien Israël à la formation du canon, nous savons que par l’approbation du Christ le résultat du travail des générations exécuté avant lui est digne de notre religieuse acceptation.
En invoquant l’autorité de Jésus, nous en appelons à un fait mystique, mais un fait mystique de premier ordre pour ceux qui ont fait l’expérience de la puissance avec laquelle sa parole s’impose à notre foi. Jésus a dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit…, mais moi je vous dis… » Cette autorité de Jésus, qui s’étend sur le canon entier des Écritures de l’Ancien Testament, est la forme que prend, dans la conscience chrétienne, le témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit pour nous en garantir l’autorité formelle et l’inspiration divine qui est le principe de cette autorité2. Pour la foi chrétienne réformée et orthodoxe, Dieu parle dans l’Ancien Testament et les fidèles qui en font l’étude avec l’esprit d’objectivité font l’expérience que, là aussi, sa Parole porte en elle-même ses titres de créance et qu’elle est génératrice de foi.
« Le témoignage divin qui nous atteste le canon de l’Ancien Testament à nous chrétiens, nés hors de l’influence de l’ancienne synagogue, est un témoignage extérieur. Il nous vient immédiatement du dehors et ce n’est qu’après s’être fait entendre qu’il devient une persuasion intérieure du Saint-Esprit. […] Par le Nouveau Testament, nous savons qu’Israël avait une Écriture, une Écriture dont il nous est dit qu’elle ne peut être anéantie, et c’est le Nouveau Testament qui nous apprend que, pour Jésus et pour l’Église apostolique, cette Écriture était le canon hébreu que la synagogue reçoit encore aujourd’hui. Torah signifie enseignement divinement normatif, loi. C’est cela que l’ancienne dogmatique protestante entend par canonique. […] Comme les faits sont des faits, on est bien obligé de reconnaître qu’il existait un canon, au sens où nous l’entendons, du temps de Flavius Josèphe. »
A. Lecerf cite le Néerlandais H.E. Gravenmeijer :
« Le saint recueil des Écritures divines a grandi peu à peu et le canon de l’Ancien Testament n’a pas été fait, mais il est devenu tel. Sous la direction de Dieu, il s’est formé graduellement, par l’adjonction d’écrits qui se sont fait connaître comme divins par leur propre contenu. »
A. Lecerf écrit encore :
« Nous démontrerons qu’il n’y a littéralement aucune preuve de l’existence chez les Juifs du premier siècle ou après, d’un (fameux) canon alexandrin. […] Ce qui a été la Bible de l’Église apostolique extrapalestinienne, comme de Philon, comme de Flavius Josèphe, cela a été la traduction des Septante. Soit. Mais le canon! Jamais les apocryphes ne sont cités dans ces auteurs. On n’a aucune raison de croire qu’ils fussent partie de la Bible des Juifs hellénistes. Alors?… Le canon alexandrin était si peu la Bible de toute l’Église que S. Cyrille de Jérusalem non seulement défend dans sa quatrième catéchèse de lire les apocryphes, mais il déclare expressément qu’il suit en cela la tradition des apôtres et des anciens évêques. »
Au temps de Jésus et des apôtres, il existe un canon de l’Ancien Testament. C’était le canon palestinien et il fut reconnu par le Nouveau Testament comme tel. Calvin suivra les principes qui acceptent le canon palestinien, qui était d’ailleurs celui de saint Jérôme. A. Lecerf cite en outre certains Pères ecclésiastiques hébraïsants, dont Origène, Jérôme et Méliton de Sardes, étant tous de cet avis.
Il s’agit de savoir, écrit encore le dogmaticien réformé, si Jésus et les auteurs du Nouveau Testament ont considéré ces écrits comme canoniques, c’est-à-dire comme faisant autorité en matière de foi. Or, aucune des citations ou allusions alléguées des apocryphes ou deutérocanoniques n’est précédée de la formule « il est écrit ». On ne peut donc pas conclure de leur présence à leur canonicité. Il y a des citations de poètes païens et du livre d’Hénoc dans le recueil des livres du Nouveau Testament. Cela ne signifie pas nécessairement que les ouvrages d’où elles sont tirées sont considérés comme inspirés.
« Nous savons positivement qu’au moment où les Évangiles furent écrits, la Bible juive comportait, outre Moïse et les prophètes proprement dits, d’autres Écritures. D’après saint Luc, en effet, le Ressuscité commence sa démonstration par Moïse et les prophètes, montrant ensuite dans toutes les Écritures que sa passion avait été prédite. Ces dernières “Écritures”, distinctes des deux premières sections, ne peuvent être que les hagiographes (les écrits ou Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste et Cantiques, entre autres). Cela nous autorise à comprendre Moïse, […] les prophètes, […] les Psaumes, du verset 44 du chapitre 24 comme désignant les trois parties du canon juif actuel. La troisième partie serait désignée par les Psaumes parce que ce recueil était alors comme aujourd’hui en tête de cette section. Il semble bien que c’était une coutume courante de désigner une section par le livre qui le commençait. »
Lecerf conclut ce chapitre :
« C’est du Nouveau Testament même qu’ils tiennent le canon de l’Ancien Testament; c’est du Christ qu’ils ont appris à en reconnaître l’origine divine. […] Et c’est le Nouveau Testament lui-même qui nous apprend que c’est aux Juifs qu’ont été confiés les oracles de Dieu. Ils sont donc compétents pour nous les montrer, comme l’Église chrétienne est compétente pour nous indiquer ses propres écrits saints. Ici encore, le sens commun parle. L’Écriture du Nouveau Testament l’approuve et l’Esprit Saint met dans notre esprit le sceau à cette probation. »
Notes
1. De vita Mos, II, 188.
2. Voir Auguste Lecerf, La Revue Reformée, no 34, tome IX, pages 1-7.