Dogmatique (12) - La dogmatique calviniste
Dogmatique (12) - La dogmatique calviniste
Sous le titre De la nécessité d’une restauration de la dogmatique calviniste, Auguste Lecerf, l’un des grands représentants de la pensée réformée en France au début du 20e siècle (avec son disciple et continuateur, Pierre-Charles Marcel, et parmi les plus éminents le doyen Jean Cadier), écrivait dans un article, ce que nous nous proposons ici de résumer, avant d’aborder le corps de notre introduction à la théologie réformée :
« Proposer une restauration de la dogmatique calviniste n’équivaut pas exactement à proposer une restauration de la doctrine calviniste. […] J’entends par dogme, une formule intellectuelle présentée par une Église, comme étant une expression légitime d’une réalité religieuse révélée. J’entends par doctrine l’ensemble des dogmes d’une Église, et j’entends par dogmatique l’exposé synthétique d’une doctrine, présentée par le dogmaticien, sous sa responsabilité personnelle, à une Église, avec les corrections, les additions, les suppressions et, en général, toutes les modifications qui lui paraissent désirables. Lorsqu’une dogmatique reste fidèle aux principes générateurs de la doctrine d’une Église ou d’une école théologique, et qu’elle fait revivre l’esprit, elle peut légitimement se réclamer du nom de cette Église ou de cette école, dans la mesure où elle remplit ses conditions. Je dis qu’il faut une dogmatique à nos Églises, et que cette dogmatique doit être calviniste, au moins au sens large qui vient d’être défini. […]
Il est nécessaire de rappeler en quelques mots les traits caractéristiques de la doctrine calviniste. Cette doctrine est plus que la théologie strictement personnelle de Calvin. C’est l’expression de sa pensée, telle qu’elle vit et se développe dans l’âme de ses fils spirituels et qu’elle se formule dans les documents symboliques des Églises, héritières légitimes et gardiennes fidèles du trésor que le génie du réformateur a rendu à la chrétienté. […] Ils proclameront donc que seul le Saint-Esprit peut être le Juge suprême des controverses et, comme cette lutte est en même temps un débat historique, comme il s’agit de savoir qui innove et qui est fidèle à l’enseignement apostolique, ce sera le Saint-Esprit parlant dans l’Écriture. […] D’après Calvin, et avec lui tout le calvinisme, c’est le service de Dieu, l’honneur de Dieu, considéré comme la fin principale de la vie religieuse, c’est l’élément divin placé en première ligne. L’élément humain, le salut, est une fin légitime, essentielle, mais subordonnée. La pierre de touche dont usera l’esprit de discrétion (c’est-à-dire de discernement) des fidèles sera donc la tendance et l’aptitude des écrits et des doctrines à assurer le respect des droits de Dieu et à mettre sa gloire en lumière. […]
Mais ce qui peut le mieux servir à distinguer la doctrine calviniste, c’est la connaissance de ce qu’on appelle les cinq points de la controverse arminienne : corruption totale, prédestination hors de toute prévision de titres humains quelconques, grâce irrésistible, rédemption particulière et certitude de la persévérance finale et de la grâce inamissible. […]
Il y a deux manières de comprendre les rapports entre Dieu qui est infini et l’homme qui est libre : il y a la conception déiste, dont la forme dernière est le dualisme et il y a la conception théiste, religieuse, dont l’expression la plus logique, disons le mot : la plus courageuse, est le calvinisme. […] Le calvinisme substitue à l’idée spéculative une idée religieuse de l’infini. Dieu est infini, non dans le sens qu’il inclut localement et physiquement tout être et toute spontanéité intelligente, mais dans ce sens que ni son être ni sa souveraineté toute puissante, ni aucune de ses perfections ne peuvent être bornés par rien de sensible ou de créé, par rien de cet ordre, donc ni par le temps, ni par l’espace, ni par la liberté de l’ange ou de l’homme. Il est infini dans ce sens qu’aucune autre limite ne peut se dresser entre ses divins attributs que celles résultant du caractère infini même de sa perfection. Ce qui est fini, c’est la liberté créée. Mais la liberté de la toute-puissance de Dieu ne détruit pas la liberté créée, qu’elle pose comme réelle en la limitant. […]
Mais Dieu dispose souverainement. Il dispose souverainement, à l’occasion de cette prévision (je dis à l’occasion et non à cause de, etc.) par un décret absolu, non arbitraire, mais libre, sans prévision de la présence dans la créature de rien qui pourrait l’y porter. Il décide d’abord, dans l’éternité, de donner la vie éternelle à ceux qu’il a choisis, et, en second lieu, de casser et d’annuler les résolutions perverses de ceux qu’il lui plaît, quand il réalise, dans le temps, cette décision, en brisant les résistances de leurs volontés, par l’action irrésistible de sa grâce efficace; en les rachetant effectivement par l’application particulière et personnelle d’une expiation du Christ, proposée d’ailleurs à tous; en les préservant de toute chute dans l’impénitence finale et en leur donnant, s’il le juge à propos, où et quand il lui plaît, la certitude de son décret de victoire sur leur liberté. C’est l’élection. […] Dans cette doctrine-là, c’est l’homme qui propose et qui librement choisit la mort, mais c’est Dieu qui dispose et qui impose la vie à ceux qu’il a choisis à la louange de la gloire de sa grâce. […]
Réinstaller Dieu à sa place, qui ne peut être que la première; reconnaître qu’il est l’arbitre suprême des destinées de ses créatures, et que nous ne sommes pas juges compétents de ses décisions, c’est purement et proprement réinstaller le principe calviniste au cœur de la dogmatique. […] Mais qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas, dans notre pensée, de substituer à l’exploitation de cette valeur qu’on appelle Dieu, des spéculations vertigineuses sur Dieu, l’infini, l’absolu. […] Il est donc supérieur à toute définition adéquate, ineffable dans son essence. […] Il n’y a pas de connaissance de Dieu en dehors de la piété, dira encore notre grand Calvin. […] Elle reconnaît sa présence, quand elle a l’intuition de l’infini et de sa propre dépendance; elle fonde sa propre valeur objective sur l’autorité de Dieu, et ne se reconnaît d’autre attitude légitime devant lui que celle d’une adoration et d’une foi infinies. […]
Je dis qu’une restauration de la dogmatique calviniste est nécessaire : premièrement parce que les dogmatiques non calvinistes, dans le protestantisme, sont entrées en un conflit sans issue avec la réalité, telle qu’elle apparaît à l’esprit moderne, considérée sous le triple aspect de l’observation de la nature, de l’intuition religieuse normale et du devoir de l’action sociale; secondement, parce que le principe calviniste est en pleine harmonie avec ce triple aspect de la réalité […] la science nous montre un univers trop grand et un espace trop vide, s’il n’est pas rempli de la présence du Dieu infini; parce qu’il y a la souffrance et son mystère, les exigences du sens religieux et son intuition de la souveraineté divine; parce qu’il faut la certitude de la fidélité de l’amour éternel, pour soulever avec courage sa part du fardeau des misères du temps, sans perdre la vision du ciel. J’y crois, parce qu’il faut que, partout et toujours, dans l’Église et dans la société, toute gloire soit rendue à celui de qui, par qui et pour qui sont toutes choses. »