Ecclésiaste 1 - Le sujet abordé - Tout est vanité
Ecclésiaste 1 - Le sujet abordé - Tout est vanité
« Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi à Jérusalem. Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Que reste-t-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil? Une génération s’en va, une génération vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche; il aspire à retourner vers le lieu d’où il se lèvera. Allant vers le sud, tournant vers le nord, tournant, tournant, ainsi va le vent, le vent qui reprend ses circuits. Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie; vers le lieu où ils coulent, les fleuves continuent à couler. Toutes choses se fatiguent au-delà de ce qu’on peut dire, l’œil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre. Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Y a-t-il une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau! elle a déjà eu lieu dans les siècles qui nous ont précédés. On n’a point souvenir du passé, et ce qui arrivera dans l’avenir ne laissera pas de souvenir chez ceux qui viendront dans la suite. »
Ecclésiaste 1.1-11
Quête du bien suprême, le « summum bonum » des anciens, tel est le thème dominant du sermon prononcé par l’Ecclésiaste. Thème exposé, problème insoluble, énigme non élucidée; telle est également la constatation qu’il partage avec nous dans les toutes premières lignes du livre. Nous avons vu que le genre littéraire de l’Ecclésiaste était un sermon; à vrai dire un sermon qui se développe comme une autobiographie poétique ou un poème autobiographique; presque comme le « journal de Qohéleth » décrivant ses états d’âme, laissant des aperçus sur sa vie intérieure et les mettant au grand jour de manière parfois poignante. Homme de sagesse mûrie et avec son immense expérience à l’appui, il nous livre des confidences. Il décachette le sceau du volume secret et invite à sa lecture en empruntant ses lunettes à lui. Ce qu’il fut, ce qu’il pensa, tout ce qu’il prononça, tout ce qu’il ressentit au cours de sa longue carrière riche en événements réels, tous vérifiables, ce qu’il en souffrit, sera désormais exposé sans ombre à notre regard. Il nous demande de l’écouter, de prêter attention au jugement qu’il a délibérément formé dans cette révision déchirante de l’ensemble.
En parfait accord avec les règles de l’art dont il va se servir, le poète dramatique qu’il est se place sur scène et y déclame son poème par un discours propre à l’homme qui, las de multiples efforts futiles, rassemble ses dernières forces pour récapituler le tout et nous communiquer la conclusion à laquelle il est parvenu. C’est presque abruptement qu’il se plonge dans son thème : « Paroles du Qohéleth », de l’Ecclésiaste. Il est simultanément le héros de son drame et son auteur dramatique. Qui est-il? Quand a-t-il vécu? Où a-t-il passé son existence? Nous ne saurons presque rien de précis qui satisfasse notre curiosité, à part qu’il était « fils de David, roi à Jérusalem ». En revanche, il est la voix de celui qui crie dans le désert de l’antiquité orientale lorsqu’il déclame : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Pour quelle intention sa voix a-t-elle perturbé et brisé le long silence confortable des âmes paresseuses et des cœurs endormis? Quelle est l’humeur morale qui exprimera cette note pathétique? Quel motif se trouve caché derrière ce cri poignant?
C’est le contraste, voyez-vous, le vieux contraste entre l’ordre fixe de la nature et le désordre et la brièveté de l’existence humaine. Il contemple l’univers autour et au-dessus de lui; la vieille planète terre est ferme et fortement assise sur ses fondations, le soleil parcourt son tracé avec joie et, à la fin de sa course journalière, plonge dans son lit d’océan; le lendemain, il se lèvera, avec la régularité d’une montre suisse, tel un géant rafraîchi par une boisson rajeunissante, reprendre le même parcours. Le vent variable et inconstant qui souffle où il veut se précipite à partir des mêmes quartiers comme il le faisait depuis des temps immémoriaux. Les fleuves, dont les flots impétueux coulent par moments avec une impulsion frénétique dans leur descente vers les mers, coulent dans leurs lits depuis des temps anciens, sans cesse alimentés par leurs vieilles sources.
Quant à l’homme, il est sans cesse bousculé par des changements aussi imprévisibles qu’inconfortables. Comparée à la sereine uniformité de la nature, sa vie présente l’image d’une fantaisie désordonnée. Il n’est pas protégé contre les bassesses ni à l’abri du sordide qui le guette à chaque tournant. Ainsi, tout est vanité, aucune récompense ne réjouira les labeurs endurés. Son bilan n’enregistrera pas d’avoir excédentaire; il ne peut donc pas faire preuve d’un optimisme béat. Moins heureux, car moins stable que la terre sur laquelle il habite, il s’en vient, il s’en va, tandis que la terre, elle, perdure!
Ce contraste pénible entre la stabilité ordonnée de la nature et le désordre changeant et inutile de l’existence humaine est souligné encore par la référence détaillée à des éléments naturels, lesquels, immuables, gouvernent le monde même lorsqu’ils semblent en perpétuel changement.
L’idée veut que les éléments de la nature se renouvellent avec le rythme fixe et stable des lois universelles, mais que l’homme fragile ne connaisse point de renouvellement; car seules le marquent l’instabilité et la transition. Avis aux amateurs qui s’imaginent qu’il y aura un éternel retour de l’homme sur terre, sous telle ou telle forme, comme la réincarnation par exemple!
Dans l’univers physique, ce qui a été sera, ce qui fut sera toujours. Si l’on s’imagine découvrir un phénomène, la raison en est que l’on a dû simplement ignorer le passé. Non seulement l’homme ne retourne pas, mais encore on ne se souvient même plus de lui. Apparemment, le fardeau de ce monde inintelligible pèse lourd sur l’esprit de l’Ecclésiaste. Face à l’uniformité perpétuelle, immuable des choses, il montre sa lassitude. Les misères et confusions qui sont le sort de l’homme abattent son âme et oppressent constamment son esprit sensible et attentif. La permanence massive et imposante de la nature d’une part, la fragilité et la brièveté de l’existence de l’homme de l’autre, alimentent son humeur découragée.
C’est en tant que chrétiens que nous lisons et méditons actuellement ces pages du Qohéleth. Ne voyons donc pas sur ces pages qu’un noir pessimisme, alors que l’auteur, lui, médite sur un tel contraste avec une remarquable lucidité d’esprit afin de pouvoir en tirer des leçons salutaires. Nous-mêmes nous regarderons à cette uniformité de la nature avec des yeux pleins d’espérance et de joie. Cette joie et l’espérance qu’elle remplit nous rassurent, puisque nous sommes délivrés de la pesanteur, si je puis m’exprimer ainsi, du joug de toute vanité, et nous sommes passés de la corruption universelle à la plénitude de la grâce. Avec confiance et respect, nous lèverons notre regard vers celui qui, étant Dieu, est devenu note Père; sa glorieuse immortalité nous enveloppe, et nous nous attendons à nous retrouver un jour en sa bienheureuse et béatifique compagnie (Hé 1.12).
Si nous ne connaissions pas le Prince de l’univers comme Dieu et Père, si nos pensées n’avaient pas enjambé le pont reliant la vallée présente à la vie à venir, si, enfin, la vraie vie et l’espérance qui la soutient nous étaient inconnues, qu’avec tristesse et angoisse nous devions tâtonner sans espoir de découvrir quoi que ce soit, que serions-nous d’autre, si ce n’est que des êtres incurablement désabusés, à notre tour victimes d’une vanité universelle? Voilà comment les propos de l’Ecclésiaste nous ouvrent les yeux. Nous ressentirions la ferme uniformité de la nature comme un affront jeté à la face de notre vanité et brisant définitivement en morceaux la malheureuse fragilité de nos personnes. Au lieu de nous désaltérer à la source des eaux vives, nous verrions posé sur nous un œil de cyclope géant, ironisant sur notre sort, se moquant de cet univers brisé. Nous nous demanderions pourquoi mourir et être aussitôt oubliés… Pourquoi être plus inconstants que le vent variable, plus évanescents que le courant d’eau qui fluctue entre monts et vallées. Nous lancerions le même cri passionné, ou enragé, de protestation qu’ont lancé avant nous des générations d’hommes sans foi ni espérance par leurs poèmes tragiques, à travers leur littérature et au moyen de leurs religions mythiques.
Pourquoi devrait-il en être ainsi? Voici l’homme, noble avec sa raison, pourvu de merveilleuses facultés, se prenant pour un dieu, aspirant avec ardeur à la paix de son âme et cherchant un heureux emploi pour ses riches talents. Pourtant son existence est consumée, voire gaspillée, en pénibles labeurs, en tumultes incessants, en d’interminables perplexités, en luttes épuisantes. Il descend à la tombe avec des désirs insatisfaits, ses talents n’ayant point donné le rendement complet, sa carrière n’ayant pas connu l’harmonie, n’espérant le repos que lorsqu’il sera couché dans l’étroite et froide couche d’où il ne se lèvera plus jamais. La terre n’aura été à ses yeux embués qu’un promontoire stérile s’élançant vers l’infinie obscurité du vide. Quoi d’étonnant, dès lors, que la beauté de la nature puisse lui paraître hideuse et son ordre une satire sur le désordre de l’existence humaine. L’Ecclésiaste avoue avoir goûté à tous les plaisirs, poursuivi toutes les voies, bu à toutes les sources sans en trouver une qui le désaltère, connu une volupté sans paix, le tout alimentant un désespoir bien compréhensible…
Telle est l’humeur dans laquelle l’Ecclésiaste a trempé sa plume à notre intention. Parce que son cœur est lourd, avec la mémoire des faillites et des fautes propres à toute personne humaine à qui l’espérance chrétienne n’a pas encore été révélée, ce fils de David partage avec nous des réflexions amères, mais combien réalistes! Cependant, il est en quête du bien suprême, il poursuit la paix de toute son âme. Il nous engage à le faire à notre tour, après nous avoir montré l’avenue spacieuse qui mène à la perdition, ainsi que le déclarait le Christ. De leur quête du bien suprême, peu de gens s’en rendent compte; Qohéleth, lui, sait ce qu’il cherche. Nous aussi, nous le savons, nous qui l’avons trouvé dans le Dieu de la révélation chrétienne, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, à qui nous rendons en toutes choses toute la gloire.