Jude 1 - Les anges déchus
Jude 1 - Les anges déchus
« Les anges qui n’ont pas gardé la dignité de leur rang, mais qui ont quitté leur propre demeure, il les a gardés dans des chaînes perpétuelles au fond des ténèbres en attendant le grand jour du jugement. »
Jude 1.6
On remarquera le parallélisme dans la phrase de Jude : « Ils n’ont pas gardé… mais ils ont abandonné leur demeure. » Jude souligne fortement la phrase négative « ils n’ont pas gardé », par l’emploi du verbe « ont abandonné ». Ils résidaient dans la splendeur céleste, mais à présent ils sont consignés dans les ténèbres de l’extérieur. À cause de leur révolte, ils ne peuvent plus conserver leur autorité; Jude ne précise pas l’endroit où les anges déchus sont actuellement enchaînés. L’essentiel de son message est que les anges déchus ne peuvent pas échapper à leur emprisonnement actuel. Ils sont maintenus dans une position inférieure, celle de leur condamnation.
Certains ont proposé que la référence biblique pour cette évocation de la chute des anges pourrait être Genèse 6.1-4. Voici le texte canonique :
« Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier à la surface de la terre et que des filles leur furent nées, les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ce fut parmi elles qu’ils choisirent leurs femmes. Alors l’Éternel dit : Mon Esprit ne restera pas toujours dans l’homme, car celui-ci n’est que chair et ses jours seront de cent vingt ans. C’était l’époque où il y avait des géants sur la terre, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes et qu’elles leur eurent donné des enfants : ce sont là les héros des temps anciens. »
Selon certains exégètes chrétiens du passé, ce texte de la Genèse ferait allusion à la chute de Satan et des anges avant l’apparition d’Adam sur la terre. Mais du fait que la faute incriminée dans ce passage soit, ou semble être de nature charnelle, on ne voit pas comment elle aurait pu être commise avant l’apparition de la race humaine… Nous avons dans ce texte une allusion à des femmes ne laissant subsister aucune équivoque, ce qui prouve que l’incident en question dut avoir lieu après la création de l’homme et de la femme.
Dans le texte de la Genèse, il est difficile de comprendre comment les « fils de Dieu » pourraient être l’équivalent des anges. Le châtiment subi par les êtres ayant eu « des rapports charnels » avec des femmes n’est pas non plus mentionné. La tradition ultérieure juive accepta l’idée que l’expression « les fils de Dieu » pouvait bien désigner la postérité de Seth, la lignée des pieux, opposée à la lignée de Caïn l’impie.
La tradition judaïque, pour sa part, souligne deux éléments distincts dans la chute des anges. D’une part leurs rapports avec des femmes, d’autre part l’abandon de leur demeure élevée. Jude, quant à lui, ne retient de cette histoire que le second élément, bien que sa source principale, le livre apocryphe d’Hénoch, fasse mention des deux. Cet abandon des demeures célestes par les anges rebelles n’est pas cité explicitement ni dans la Genèse ni dans aucun autre passage de l’Ancien Testament canonique.
Nous ne chercherons pas à élucider ici une énigme qui, depuis deux mille ans, cause de l’embarras aux interprètes de la Bible. Avant de tirer de ce passage et de cette nouvelle illustration la leçon morale qui s’impose, suivons l’avis de Calvin qui, dans l’Institution de la religion chrétienne, au chapitre consacré à l’angélologie, a établi une fois pour toutes le principe réformé que tous les protestants orthodoxes ont suivi depuis. Selon le grand réformateur français, dans les passages obscurs de la Bible, il ne faut pas parler, ni même penser ou vouloir connaître, plus que n’en révèle la Parole. En lisant l’Écriture, nous devons constamment orienter notre recherche vers ce qui édifie la foi, sans nous permettre une curiosité oisive ni nous acharner à tout prix à vouloir saisir ce qui ne présente pas d’utilité pratique.
Dans son ensemble, l’Église apostolique a davantage souligné le péché originel de l’homme Adam que la rébellion des êtres célestes. D’après Romains 5.12-14, saint Paul déclare que la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse. On ne trouve, dans le Nouveau Testament, que de rares allusions à cet incident cosmique. Les seuls passages bibliques qui pourraient avoir un lien avec le nôtre seraient 1 Pierre 3.19-20 (peu probable), 2 Pierre 2.4 et, éventuellement, 1 Corinthiens 11.10.
Si l’origine de la chute des anges reste obscure, un point cependant reste très clair. Dans leur recherche pour s’émanciper de l’autorité divine, ils firent une expérience tragique. Actuellement, ils vagabondent dans des lieux inférieurs, et on peut dire à leur sujet qu’ils sont littéralement exorbités. Leur orgueil rebelle les a précipités dans une chute irréversible.
En revenant au texte de Jude, nous voyons que l’auteur se réfère à trois aspects du châtiment ayant frappé les anges déchus : les chaînes éternelles; les ténèbres extérieures; le jugement du dernier jour. Remarquons que les deux termes grecs « desmoi », chaînes, et « zofos », ténèbres, sont propres aussi bien au vocabulaire de Jude qu’à celui du mythe grec des Titans. Mais la similarité de vocabulaire ne prouve pas, comme telle, une identité de vues et encore moins une origine mythique à la croyance de Jude.
Cette dernière phrase a un parallèle dans Apocalypse 6.17 : « Car le grand jour de leur colère est venu, et qui pourrait subsister? » De même dans Apocalypse 16.14 : « Ce sont des esprits de démons, qui opèrent des signes et qui s’en vont vers les rois de toute la terre, afin de les rassembler pour le combat du grand jour de Dieu, le Tout-Puissant. »
La chute des anges offre à Jude l’occasion de sonner une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Aucune position, aussi élevée soit-elle, n’assure automatiquement la pérennité de la grâce. Des anges ont succombé avant les hommes mortels, bien qu’habitués à des réalités plus élevées et évoluant dans les sphères spirituelles. Actuellement, ils sont enchaînés par la loi irrévocable du jugement. Ils se sont égarés dans les sombres régions qu’ils ont choisies comme lieu de demeure. Leur orgueil et leur sensualité ont abouti à cette fin tragique et il en sera ainsi jusqu’au jour du jugement. Leurs chaînes sont « aidios », mot synonyme de « aiônios », éternel. Ils seront conservés ainsi (« tèréô »), pour le jugement.
Origène, et après lui de nombreux commentateurs et théologiens, ont pensé qu’à la fin il y aura une « apokatastase », c’est-à-dire une restauration finale dans la grâce de tous les êtres, hommes ou démons, y compris Satan. Notre lettre, de même que de nombreux passages du Nouveau Testament, ne nous permet pas d’envisager une « fin heureuse » de cette nature…
Remarquons encore qu’il existe une correspondance entre l’action éthique négative et rebelle des anges et l’action théologique négative de Dieu qui maintient les rebelles sous son jugement.
Telle est aussi l’attitude des faux prophètes et des imposteurs que Jude dénonce avec autant de lucidité que de véhémence. Ceux qui collaborent avec eux abandonnent leur position élevée et s’engagent dans une fornication spirituelle; ils sont dominés par une propension aux pratiques païennes. Parmi eux, il y a même des conducteurs d’assemblée, dont la fonction peut être comparée à celle des anges d’Apocalypse 1.20. Ils ont abandonné la communion évangélique et ils se sont conformés au mode de vie païen. Dès lors, le sort des êtres célestes déchus sera aussi le leur. L’obscurité redoutable dont il est question dans l’Apocalypse est de durée permanente. Qu’ils se souviennent, dans leur arrogance impie, de la manière dont Dieu a traité ses anges, les créatures célestes. Si l’on vient à transgresser l’ordre établi par Dieu, une position hautement privilégiée n’est jamais une panacée contre le mal et le châtiment.
On ne se moque pas de lui. Qu’on veuille aussi ne pas se moquer des avertissements solennels adressés par les prophètes et les apôtres envoyés de Dieu afin d’arracher les uns à la perdition éternelle et d’assurer les autres de sa grâce, laquelle maintiendra les élus de Dieu irréprochables pour le dernier jour.