Jude 1 - Métaphores - Images des méchants
Jude 1 - Métaphores - Images des méchants
« Ce sont les écueils de vos agapes, où sans crainte ils festoient et se repaissent, nuées sans eau emportées par les vents, arbres d’automne sans fruits, deux fois morts, déracinés, vagues sauvages de la mer rejetant l’écume de leurs turpitudes, astres errants auxquels l’obscurité des ténèbres est réservée pour l’éternité! »
Jude 1.12-13
La nouvelle description des hérétiques, s’étendant des versets 12 à 19, comprend trois parties. Chacune d’elles commence de la même façon : « outoi eisin », « ce sont ceux » (v. 12,16,19; pour « outoi », voir aussi v. 8,10). La première partie introduit l’avertissement prophétique donné par Hénoch (v. 14-15), tandis que les deux suivantes seront équilibrées par un autre membre de phrase apparaissant à l’autre extrême : « umeis de », « mais vous », introduisant l’exhortation pastorale adressée aux bien-aimés (v. 17,20). Notons qu’il existe une différence avec le parallèle de 2 Pierre 2.13.
Jude entreprend de dénoncer les hérétiques d’une manière générale. Leur comportement dans les assemblées ecclésiastiques, notamment lors de la célébration de la Cène, présente un grave danger.
Il faut se rappeler qu’au moment où Jude rédige sa lettre, la sainte Cène et l’agape, repas fraternel, étaient étroitement associées. Dans 1 Corinthiens 11, saint Paul le laisse aussi entendre. De même, d’après Actes 20.7-11, on peut tenir pour certaine leur célébration conjuguée.
Ignace d’Antioche, un Père apostolique, dans une lettre adressée vers 112 à l’Église de Smyrne, affirme de son côté qu’à cette époque les deux célébrations sont conjointes, mais Justin Martyr, écrivant plus tard, vers l’an 140, nous apprend qu’à ce moment-là elles avaient déjà été dissociées.
L’agape est un repas fraternel pris ensemble entre membres de la même communauté et symbolisant concrètement l’esprit fraternel. En principe, tous les fidèles s’y rencontrent et sont considérés comme égaux. Les plus aisés fournissent l’essentiel du repas afin que les moins privilégiés ne manquent pas du nécessaire. C’est précisément lors de ces occasions que les libertins s’infiltraient et agissaient comme des rapaces, s’organisant en factions opposées et cherchant à former des cliques autour d’eux. Ils gagnaient par subterfuge la confiance des fidèles. S’ils ne créaient pas des divisions à la manière des schismatiques, ils s’occupaient exclusivement et de manière éhontée de leur propre personne, faisant bonne chère sans se préoccuper d’autrui et devenant ainsi les bergers de leurs propres personnes (« eautous poimainontes », v. 12), paissant sans vergogne leur moi hypertrophié. Le prophète Ézéchiel donnait déjà une image de ces bergers d’eux-mêmes (Éz 34.8-10) et Jacques semble reprendre le même thème.
Ce genre de faux croyants particulièrement iniques recherchent toujours la compagnie des gens de position élevée afin d’en tirer des avantages d’ordre matériel. Paradoxalement, ils prétendent être les seuls membres éclairés de la communauté, les plus spirituels, mais Jude les traite de « psychiques » ou « charnels » (v. 19). Par leur comportement dénué de toute charité, ils renversent l’ordre divin. Ils abusent de la liberté chrétienne. Même s’ils ne fondent pas des sectes et restent au sein des communautés existantes, ils accomplissent quand même une œuvre de division et de destruction.
Le type de gens mentionnés dans Romains 16.17-18, ou même, bien que la comparaison ne puisse s’appliquer rigoureusement, dans Philippiens 3.18-19, se trouve décrit ici. L’original grec en Jude 12 nous invite de nouveau à une comparaison avec le texte parallèle de 2 Pierre. Il donne « en tais agapais umôn spilades » (« les écueils de vos agapes »), tandis que dans 2 Pierre 2.13 nous avons « spiloi… en tais apatais », ce dernier mot pouvant signifier tromperie. Il est intéressant de noter la similarité des sons de ces deux vocables grecs, « agapais » (les agapes) et « apatais » (déception, tromperie), mais il n’existe pas de similarité de sens. Cependant, une variante dans certains manuscrits donne « agapais ». La différence pourrait s’expliquer par « spilades » et le « spiloi », le premier signifiant invariablement récif, écueil. Le second se trouve chez Pierre, aussi bien que dans Ésaïe 5.27, et signifie invariablement tache, quelques fois seulement récif. Les récifs sont des écueils extrêmement dangereux qu’il faut éviter avec la plus grande prudence. Il en est ainsi avec les impies, et les lecteurs de Jude devront les fuir.
Ces antinomistes refusent de se conformer à l’exemple de l’humilité manifestée à la croix. La liberté sans bornes qu’ils s’accordent est la preuve la plus éclatante de leur dégradation. Tout en se coupant du royaume de Dieu et de la véritable communion des saints, ils évoluent dans le giron de l’Église. Ils ont complètement détourné l’agape de son intention initiale.
Suivent ensuite les quatre métaphores (v. 12-13), toutes tirées d’une région particulière de la nature : air, terre, eau, ciel. Chacune de ces régions, ou chacun de ces éléments, fournit un exemple d’une nature ne suivant plus l’ordre établi et, dans cette anomie naturelle, Jude trouve l’équivalent de l’anomie du comportement concret des hommes rebelles. Les imposteurs sont des gens qui font de l’ostentation et qui estiment que leur admission dans l’Église leur sera profitable, mais ils se trompent lourdement :
1. Car comme des nuages sans pluie qui, notamment en Orient, sont le signe de grand désastre, ils ne profitent à personne, bien au contraire (Pr 25.14).
2. Ce sont des arbres sans fruit (« dendra phthinopôrina ») c’est-à-dire secs au moment où l’on s’attend à cueillir des fruits (Lc 13.6-9). Ce sont des enseignants stériles (Mt 7.20; 2 Pi 1.8; 3.18), deux fois morts (Ép 2.1) et à présent coupés de leur tronc qu’est Jésus-Christ (Col 2.7). Un arbre déraciné fournit dans l’Ancien Testament une excellente illustration ou parabole du jugement divin (Ps 52.7; Pr 2.22).
3. Comme la mer turbulente se jetant sur les rivages, l’effet qu’ils produisent est nul. Ils nuisent simplement à ceux qui sont tombés sous leur égide. À propos de l’image de la mer furieuse, on se rappellera un passage d’Ésaïe (És 57.2) et de Jacques (Jc 1.6). La métaphore de la mer furieuse se jetant sur les rochers est significative. Sans doute Jude se souvient-il des débris que la mer Morte jetait sur les plages et qui s’y étalaient, entièrement imprégnés de sel, blancs comme des ossements desséchés. Le comportement et toutes les actions des iniques sont ainsi : mortes et inutiles comme des squelettes.
4. Les étoiles vagabondes offrent une autre illustration du même comportement. Il ne s’agit pas, bien entendu, des planètes ou des comètes qui ne vagabondent pas, car elles sont placées sur orbite et avec une remarquable régularité suivent leur évolution, à tel point qu’on peut prévoir leur cours avec une grande précision. Jude pense sans doute aux étoiles filantes, quittant leur place pour aller s’écraser dans les ténèbres. Ainsi comprise, l’illustration forme une transition naturelle vers la prophétie d’Hénoch qui viendra plus loin. Une fois de plus, la pensée de Jude a dû se tourner vers les anges déchus dont il est question dans le livre apocryphe. Les anges et les étoiles devraient conserver leurs voies; autrement les uns et les autres encourent un lourd châtiment.
Quel est le but de ces illustrations tirées d’éléments de la nature? Rappelons-nous que pour Jude, aussi bien que pour d’autres auteurs du Nouveau Testament, la nature est considérée comme inférieure à l’homme, créé à l’image de Dieu. Comparer l’homme à des éléments de la nature inanimée est chose particulièrement dégradante, notamment s’il s’agit de ceux qui prétendent appartenir à la communauté de la foi. En outre, l’auteur souligne que ces phénomènes naturels tels qu’il les décrit sont inutiles et même malfaisants, comme les nuages stériles, les arbres dépourvus de fruit, les étoiles se promenant sans but fixe ou les vagues déchaînées venant se briser sur des rochers… Cette dernière image convient parfaitement aux hérétiques, dont la bouche est pleine d’écume et de calomnie contre tout ordre social et contre l’Église (comparer 1 Pi 4.4 et le vomissement des chiens dans 2 Pi 2.22).
La dépendance des séducteurs sous des maîtres étrangers est suggérée par l’image des nuages poussés par les vents (2 Pi 2.17) et en partie aussi par les vagues de la mer. La course erratique des étoiles indique la même direction. Ces trompeurs n’ont, par conséquent, aucune place légitime dans la communion chrétienne. Ils sont doublement morts. Dès le début, ils ont appartenu au domaine du péché et à celui de la mort; à présent, ils sont arrachés de leurs racines et coupés de la véritable communion des saints, à savoir celle du Christ et de son Église.
La dernière de ces quatre métaphores révèle la destinée ultime du faux prophète, qui prétend être une lumière qui éclaire et qui conduit, mais qui, au contraire, ressemble à l’étoile vagabonde. Dieu a placé les iniques, ainsi que les anges déchus, dans le règne des ténèbres. La mort éternelle sera leur récompense finale. Ils sont morts en ce sens qu’ils se sont séparés de Dieu et ont été privés de sa gloire. Le Tout-Puissant, qui est aussi le Sauveur, leur aura définitivement tourné le dos.
Ces diverses illustrations tirées de la nature, bien que complexes en quelque sorte, font parfaitement bien ressortir le thème de cette section de la lettre, c’est-à-dire qu’elles soulignent le comportement des séducteurs en révélant leur caractère sordide. Si, parmi les lecteurs de Jude, il y en a qui sont favorablement impressionnés par les hérétiques, qu’ils sachent à qui ils ont affaire!