Matthieu 5 - Soyez parfaits
Matthieu 5 - Soyez parfaits
« Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »
Matthieu 5.48
Lorsque Jésus nous demande d’être parfaits comme Dieu est parfait, nous pensons qu’il nous en demande trop. D’après nous, le prophète de l’Ancien Testament était plus raisonnable que Jésus lorsqu’il déclarait de la part même de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos voies ne sont pas mes voies » (És 55.8). Et puis, nous savons que personne n’est parfait, n’est-ce pas? Chaque jour et de plusieurs manières, nous constatons que nous sommes faillibles, égarés et baignés dans une imperfection désespérante…
Alors, il nous semble que non seulement Jésus nous demande l’impossible, mais qu’il nous met encore face à l’interdiction même de Dieu. Car nous nous souvenons que le premier Adam avait précisément voulu devenir comme Dieu et avait succombé à la tentation diabolique de supplanter son Créateur. Alors, pourquoi Jésus demande-t-il l’impossible? N’y a-t-il pas là une erreur? Notre expérience a toujours prouvé que la perfection n’est ni en nous ni de notre monde. Personne ne peut ressembler à Dieu.
Oui, nous savons que nous ne sommes pas parfaits, quoique je soupçonne que nous nous flattons souvent à l’intérieur de nous-mêmes, sans oser nous l’avouer, d’être un peu plus parfaits que le voisin et, de temps à autre, nous nous accordons une mention… même lorsque nous reconnaissons, dans une humilité plutôt superficielle, que nous ne sommes pas parfaits. Oui, on pourrait facilement disputer Jésus au sujet de sa demande et, au lieu de constater nos échecs, lui dire : « Ne vois-tu pas à quel point nous nous efforçons, combien nous avons fait des progrès? Tiens compte de nos bonnes intentions, approuve notre bonne volonté de monter un échelon de plus… »
Le véritable problème posé par Jésus n’est pourtant pas là. Parlant de la perfection, le Seigneur donne à ce terme un sens tout autre que nous. Le mot est le même, mais la pensée qu’il contient est tout à fait différente.
Notre manière de chercher la perfection tend à notre glorification, à assurer nos intérêts, à nous rehausser à nos propres yeux et à ceux de notre entourage… L’Évangile, lui, a une profonde connaissance de notre personne. Voici comment un jour la lumière presque aveuglante de l’Évangile fut braquée sur un homme. Un jeune homme, riche de surcroît, alla trouver Jésus; il étala devant les yeux du Seigneur sa piété, toutes les choses admirables, morales et religieuses, qu’il avait accomplies sans faillir. Il ne lui manquait à présent que la couronne, un verdict de Jésus-Christ pour accéder au niveau le plus élevé de la hiérarchie spirituelle. Cette prétention à la perfection est catégoriquement refusée par Jésus, qui lui montre qu’il ne suffit pas d’être pieux, mais qu’il faut encore faire un pas définitif (Mc 10.17-27).
Une autre fois, le Christ fit le récit de deux hommes : l’un méprisé parce que pécheur notoire et rejeté, l’autre homme de bien, quelqu’un de très respectable et de très estimé par son entourage et par sa communauté. Le second priait ainsi : « Seigneur, je te remercie de tout ce que je suis, et surtout de ne pas ressembler à cet homme qui se trouve à côté de moi, à ce péager » (c’est-à-dire un percepteur d’impôts à la solde de l’occupant romain et considéré donc par les juifs comme un traître et un escroc; Lc 18.9-14). Jésus mettait en garde les hommes à ne pas faire étalage d’une perfection hypothétique et surtout artificielle, dénuée de contenu véritable. Dieu seul nous connaît, et Jésus, lui, nous montre ce que c’est que la véritable perfection. « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5.48).
De quelle manière Dieu est-il parfait? Il l’est dans sa majesté, sa puissance et sa souveraineté, bien entendu; mais sa perfection apparaît surtout dans ses relations avec les hommes, dans son humilité, son abaissement, son accommodement de ceux-ci. La vie et le ministère de Jésus-Christ ont été l’exemple et l’illustration de cette qualité de Dieu. Le Christ s’est appauvri, humilié, abaissé. Il n’a pas conservé dans cet abaissement ses prérogatives de Fils éternel de Dieu. « Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19.10). Il a mangé et a bu avec les gens des classes méprisées. Un soir, il alla jusqu’à prendre une bassine et un linge et laver les pieds à ses disciples.
Nous savons que, finalement, il se laissa arrêter, condamner et crucifier. Il nous donne ainsi l’exemple de sa perfection et de celle de Dieu.
Dieu est amour, et la perfection à laquelle nous sommes invités est avant tout de vivre dans son amour parfait, celui qui bannit toute crainte, celui qui transforme nos vies et qui éclaire nos nuits.
Notre perfection sera donc, par conséquent, mesurée non d’après celle de nos semblables, mais d’après la vraie mesure et d’après la nature de la perfection divine. Au fond, notre perfection commencera le jour où, tel le péager de la parabole de Jésus dont nous parlions il y a un instant, nous nous mettrons à genoux pour reconnaître notre misère et implorer la miséricorde de Dieu. Celui qui refuse de se plier devant Dieu n’est pas en conformité avec la volonté de Jésus. Peu importe la considération dont nous jouissons aux yeux des hommes, peu importe le bilan des expériences spirituelles que nous faisons (parfois d’ailleurs pour impressionner les autres et peut-être même pour les écraser…). Nos succès seront un jour placés sur la balance de Dieu, et ce n’est que là que l’on saura s’ils ont été vraiment trompeurs.
Dieu est amour, et il nous invite à vivre dans et par son amour. Alors, devenons ses imitateurs. Nous avons tout d’abord été créés à son image. Et ce ne sera que lorsque nous aurons obtenu le pardon de son amour, lorsque l’Esprit nous aura transformés pour faire de nous une création nouvelle, que nous pourrons être les imitateurs du Père céleste.
Que veut dire que pratiquer l’amour selon Dieu? En tout cas pas des émotions à fleur de peau ni des effusions sentimentales. Ce commandement peut être parfois très dur, car la Parole de Dieu n’est pas uniquement une douce mélodie, une parole qui console et qui réconforte. Elle est aussi un appel à la consécration et à l’action, à la sanctification et au service, au renoncement et à la persévérance. La charité est la voie par excellence, écrit saint Paul, et c’est sur cette voie-là que les disciples sont invités à marcher.
Ainsi, si la grâce et l’amour de Dieu nous ont atteints, nos vies transformées seront une illustration vivante de la perfection divine. En définitive, notre perfection n’est pas une réussite pouvant devenir objet d’admiration, mais le témoignage rendu à la perfection de celui qui est la source de tout don parfait de l’amour et de la grâce.