Matthieu 6 - Pardonne-nous nos offenses
Matthieu 6 - Pardonne-nous nos offenses
« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi ceux qui nous ont offensés. »
Matthieu 6.12
La cinquième requête du Notre Père constitue le cœur même de toute prière biblique. Elle est la demande d’une faveur qui a coûté à Dieu un prix exorbitant. Remarquons que, parmi toutes les demandes, il n’y a que celle-ci qui fait l’objet d’un commentaire de Jésus. Ce n’est pas étonnant puisqu’au moment où il prononçait ces mots, il jetait délibérément sur la balance le poids écrasant de sa terrible croix. Il n’est pas inutile de songer à la douleur du Maître au moment où il formulait cette requête. Ses disciples en saisirent mieux le sens plus tard, lorsqu’ils comprirent l’étendue du sacrifice consenti sur le Calvaire. Sans la cinquième requête, il serait inutile de prier Dieu, qui n’écoute pas le cri des hommes non pardonnés.
Pour que notre prière atteigne le ciel, il nous faut commencer par cette demande, ce qui veut dire qu’il faut toute la force purificatrice de la croix du Sauveur pour l’emporter et la déposer devant le trône de notre Père céleste. Le sentiment profond de notre imperfection devrait nous envahir au moment où nous prononçons chacune de nos prières, car sous le regard de Dieu, nous ne sommes que des pécheurs, transgressant sa loi et offensant son amour. Par nature, toutes nos inclinations vont dans le sens opposé de celui de la sanctification du nom de Dieu. Préoccupés par nos personnes et en constante rébellion, nos affections se détournent de son intérêt, de son nom, de sa souveraineté. Enclins au mal, nous nous égarons loin de lui tous les jours et de différentes manières par la pensée, la parole et les actions.
Dieu nous avait pourtant créés des créatures parfaites, afin que dans toutes nos entreprises nous atteignions l’objectif suprême, à savoir la sanctification de son nom, l’avènement de son règne, l’accomplissement de sa volonté et l’amour pour lui suivi de l’amour pour notre prochain. Nous sommes tombés bien en deçà de cet objectif. C’est là, d’ailleurs, l’une des significations du mot biblique péché : rester en deçà du but, manquer la cible choisie… Remarquons que cette chute n’est pas due à notre ignorance morale, mais à la disposition délibérée de notre esprit corrompu. Appelés à devenir les alliés de Dieu, nous avons déclenché les hostilités, nous avons déclaré une guerre fondamentale contre lui et nous sommes entrés dans la phase d’une inimitié tellement irrémédiable que toutes les autres hostilités, inimitiés et conflits, toutes les guerres entre individus et entre peuples et nations ne sont que la conséquence inéluctable de cette guerre-là.
Avec une désinvolture inouïe, nous nous représentons parfois le péché comme une simple dette et rien de plus… Débiteurs insolvables, nous trouvant dans une situation sans issue, désespérée, incapables d’effacer le mal dont nous sommes les malheureux responsables, nous pourrions alors avoir recours à Dieu, lequel, d’après une légendaire et mythique générosité, devrait nous remettre sur-le-champ toutes les dettes contractées. Comme un grand seigneur, tel que nous aimons nous l’imaginer, il déclarerait que tout est en ordre entre lui et nous et il nous pardonnerait sur-le-champ. Sa bonté n’est-elle pas inépuisable? Et l’histoire touchante et dramatique des débiteurs insolvables se terminerait de façon heureuse, aurait une « fin heureuse » comme nous les aimons… Le débiteur s’en irait soulagé et le riche créancier resterait satisfait de sa générosité royale.
C’est ainsi que nous nous représentons, parfois même nous autres chrétiens, l’histoire tragique du péché et de nos rapports avec Dieu. Au fond, le brave chrétien encouragé parfois par certains sermons se dit que le salut est une chose vraiment très facile. Corrigeons cette représentation simpliste et surtout erronée de nos rapports avec Dieu. L’Évangile prêché et vécu par le Christ fut tout autre. Dans l’image que nous évoquions plus haut, il n’y a que la moitié de l’Évangile chrétien. Hâtons-nous donc de prévenir nos lecteurs que, dans ce cas, il n’y aura aucune rémission des offenses. D’après l’Évangile, pardonner est bien davantage que remettre une dette. Le pardon appelle à un changement complet des rapports entre Dieu et nous. Nos dettes ne sont pas simplement des factures non honorées. Elles sont principalement offenses graves qui nous aliènent de Dieu et nous rejettent loin de sa face. Le pécheur que nous sommes n’est pas un pauvre bougre inoffensif qui aurait besoin d’indulgence parce qu’il aurait commis quelques bêtises, qu’il y aurait presque droit… La réalité est tout autre. Nous sommes des êtres cruels et endurcis qui frappons au cœur même de Dieu pour le blesser sans pitié. Notre dette ne relève pas simplement d’une transaction légale. Elle est une affaire personnelle, une affaire de cœur qui n’a pas été contractée vis-à-vis d’une loi impersonnelle ou d’un code neutre, mais qui est un mal innommable dirigé contre la personne même du Père céleste.
On a pris l’habitude de penser au mal en termes uniquement humains. Or, il est avant tout une offense jetée au visage même de Dieu, ce Dieu que Jésus-Christ vint nous révéler. C’est pourquoi la demande du pardon des offenses me paraît une requête parmi les plus difficiles que nous puissions formuler devant lui. Dieu n’est pas un milliardaire magnanime comblant de ses bienfaits des pauvres mendiants. Nos dettes le bouleversent jusqu’au fond de ses entrailles et, à moins que l’offense ne soit pas totalement ôtée, il ne se réconciliera pas avec les humains. Il est le Père douloureusement offensé par notre comportement, non pas parce que ses enfants lui doivent ceci ou cela, mais parce qu’ils lui ont brisé le cœur. Une telle dette ne saurait être remise sans problème : il faut le pardon. Le mal causé doit être réparé. Il faudra la réconciliation qui exige le changement des rapports entre les deux parties.
Avez-vous remarqué que le terme offense se trouve au pluriel? Ce n’est pas un acte occasionnel, une faute singulière au sens d’exceptionnelle ou isolée que nous avons à déplorer. Notre vie tout entière en est envahie et infestée; le péché nous colle à la peau. Il est enfoui jusque dans notre subconscient. Il touche et pervertit toutes nos facultés et souvent il échappe même à notre connaissance et à notre contrôle. Dieu seul est capable de le voir tel qu’il est et de nous en révéler la hideuse réalité. Nous pourrions réussir à le dissimuler au regard scrutateur du plus intime, mais pas au regard de Dieu. Orgueil et convoitise, arrogance et vanité, égoïsme et dureté de cœur, péchés de profanation ou de silence sur Dieu, mensonge et calomnie, trahisons, fautes irréparables commises par la langue, etc. La forme du pluriel souligne que nous ne sommes pas affligés par une forme abstraite de péché, mais que nous nous rendons coupables d’actes bien concrets. Il est relativement facile de présenter à Dieu « le péché », globalement et anonymement, mais combien plus difficile et humiliant de lui demander pardon pour tous et pour chacun des péchés dont nous nous sommes rendus personnellement responsables! L’offense n’est pas due à autrui. Nous n’avons pas à incriminer nos premiers parents, Adam et Ève, ni à l’attribuer uniquement à l’action diabolique de Satan.
Comment obtenir le pardon des offenses? C’est là où réside tout le problème. Le pardon est une affaire difficile et coûteuse lorsqu’il s’agit de Dieu. Considérons encore le prix qui lui en a coûté.
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique », disait Jésus (Jn 3 16). Rien de moins que le sacrifice de la personne du Fils unique de Dieu. L’abandon de la gloire céleste, une vie d’abaissement et d’humiliations, la souffrance et la honte, la malédiction insupportable qui pèse sur le péché, l’agonie lors de cette sombre soirée dans le jardin des Oliviers et, pour finir, la croix dressée sur le sommet d’une colline, lieu d’exécution capitale pour malfaiteurs. Ce fut là le prix de l’amour paternel, celui de la remise de ma dette et de la vôtre; de celle de tous ceux qui cherchent leur salut et qui sont tous, sans exception aucune, des débiteurs insolvables ne méritant que la condamnation. Personne n’aurait osé demander une telle rançon. Pourtant, après que Dieu eut consenti à la payer, combien de personnes s’en moquent! Il nous faut apprendre à prier pour le pardon de nos offenses, car celui qui nous a enseigné cette prière est le même qui a versé son sang précieux pour que nous obtenions un pardon total. C’est avec une sainte crainte que nous devrions formuler la cinquième demande du Notre Père.
Nombre de prières prononcées même par des chrétiens ne cherchent et ne demandent qu’une simple guérison. Les hommes savent tous, sans exception, qu’ils sont malades; ils cherchent aveuglément et dans toutes les directions la guérison de tous leurs maux et, dans leurs craintes et dans leur désespoir, ils viennent à Jésus-Christ pour trouver une telle guérison. Mais ils s’obstinent quand même dans leur refus d’admettre qu’ils sont des « pécheurs », des « restant en deçà » de la volonté de Dieu, et que leur état nécessite tout d’abord le pardon de leurs transgressions. Ils vont à la rencontre extraordinaire, disent-ils, de Jésus, le grand Médecin. Ils oublient que leur mal s’appelle péché et que celui-ci n’est rien de moins que la haine à l’égard de Dieu. On ira à Jésus pour la guérison, le bonheur, les biens d’ordre physique ou psychique, pour que les affaires personnelles ou encore nationales ou internationales trouvent auprès de lui une solution satisfaisante. Sachons pourtant que rien ne s’arrangera à moins que n’intervienne une réconciliation totale entre Dieu et nous-mêmes, à moins qu’entre lui et nous ne se tienne Jésus-Christ, l’unique Médiateur, dont le sang nous purifie de tout péché.
L’Évangile n’est pas une morale, une philosophie ou un précepte pour hommes de bonne volonté. Il est rédemption et réconciliation. Il est le pardon des offenses par celui que Dieu a désigné dès avant la fondation du monde à devenir l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés des hommes et le Sauveur qui pardonne avec autorité toutes nos offenses.
Un mot sur la deuxième partie de la requête, sur ce « comme aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Par rapport à notre immense dette envers Dieu, celles que les hommes ont envers nous devraient nous paraître minimes. « Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus », disait Jésus à la suite d’une parabole saisissante que vous lirez dans Matthieu 18. Dieu ne dit pas : « Assez, je ne te pardonne plus. Ce sera la dernière fois! » Il n’existe pas de dernière fois pour lui si nous implorons dans l’humilité et la repentance sa grâce rédemptrice. De même, il ne devrait pas exister de « dernière fois » si nos débiteurs viennent implorer la remise de leur dette. Voici encore une parole de Jésus : « On vous mesurera avec la mesure avec laquelle vous aurez mesuré » (Mt 7.2). Pardonnés par Dieu, nous pardonnerons à notre tour pour devenir les imitateurs de notre Père céleste.