Pourquoi justifier la polygamie au nom de la Bible?
Pourquoi justifier la polygamie au nom de la Bible?
« Pourquoi certains prédicateurs justifient-ils la polygamie au nom de la Bible? »
Question d’un correspondant
Les prédicateurs avancent quelques versets bibliques complètement détachés de leur contexte pour soutenir leur opinion. Avant de passer en revue les textes qu’ils mettent en avant de la sorte, parlons de manière plus générale de ce sujet.
Dans l’Ancien Testament, la polygamie pratiquée par des hommes qui appartiennent au peuple de Dieu doit être comprise comme une pratique désobéissante adoptée par les Israélites, en fait une pratique courante parmi les nations païennes environnantes. Dieu la tolère cependant, tout en la régulant, c’est-à-dire en lui imposant des limites dans sa loi. Qu’elle soit seulement tolérée et non approuvée est clair si on lit la loi que Dieu a instituée pour sa création au début du livre de la Genèse. Les chapitres 1 et 2 expriment sans ambiguïté que la relation conjugale est une relation monogame exclusive.
De plus, s’il est vrai que dans l’Ancien Testament on ne trouve pas de condamnation expresse de la polygamie, on trouve plusieurs descriptions des maux liés à la polygamie, par exemple dans la vie de Jacob, et la manière dont son plus jeune fils, Joseph, a été malmené par ses frères et vendu comme esclave, lui qui n’était pas de la même mère. Au livre du Deutéronome, le droit concernant la royauté considère l’acquisition de nombreuses femmes par un roi comme un ferment de corruption (Dt 17.17). Au premier livre des Rois, chapitre 11, les nombreuses femmes et concubines du roi Salomon (mille en tout) sont justement tenues pour responsables de son idolâtrie :
« Il eut sept cents épouses de rang princier et trois cents épouses de second rang, et toutes ces femmes détournèrent son cœur. En effet, lorsque Salomon fut devenu vieux, ses femmes détournèrent son cœur vers des dieux étrangers, de sorte que son cœur n’appartint plus sans réserve à l’Éternel son Dieu, à la différence de David son père » (1 R 11.3-4).
Cela dit, les chrétiens se réfèrent toujours à Jésus-Christ comme point central de la révélation divine. Toute la Bible doit être rattachée à la personne et à l’œuvre de Jésus-Christ, si on veut en comprendre le but ultime. Au chapitre 19 de l’Évangile selon Matthieu, Jésus, interrogé sur le divorce, reprend le texte de la Genèse, soulignant par cette citation que l’ordonnance de Dieu pour le couple homme-femme reste valide pour toutes les époques :
« N’avez-vous pas lu dans les Écritures qu’au commencement le Créateur a créé l’être humain homme et femme et qu’il a déclaré : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un? Ainsi donc, ils ne sont plus deux; ils font un. Que Dieu ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » (Mt 19.4-6).
Les deux ne feront plus qu’un, dit Jésus-Christ, soulignant ce que dit la Genèse. Il ne dit pas : « les trois, quatre ou cinq ne feront plus qu’un. » Notez aussi que le Nouveau Testament présente plus d’une fois la relation entre Jésus-Christ et son Église comme une relation entre un époux et une épouse : relation monogame caractérisée par l’amour et la fidélité (Ép 5.22-28; Ap 19.7-9). Quel que soit le nombre des Églises dans le monde, il n’existe qu’une seule Église universelle, qui est la fiancée attendant le retour de son fiancé. Christ n’est pas un polygame dans sa relation avec l’Église!
Mais revenons maintenant sur les arguments et les textes invoqués par ces prédicateurs qui obscurcissent le sens de l’Écriture sainte en essayant de justifier la polygamie par l’emploi irresponsable de quelques versets bibliques. Notre correspondant mentionne deux passages du livre du Lévitique, dans l’Ancien Testament, qui interdisent d’avoir des relations sexuelles avec la femme de son père, ou encore avec une autre femme de son père. Les prédicateurs en question prennent prétexte de ce que ces textes n’interdisent pas spécifiquement la polygamie pour justifier celle-ci. Quelle drôle de logique! Si l’on suivait cette manière de raisonner, alors il faudrait permettre tout ce qui n’est pas expressément défendu dans tel ou tel passage biblique. De cette manière, tout pourrait bientôt être justifié.
Un autre passage invoqué provient, encore une fois, de la première lettre de Paul aux Corinthiens, au début du chapitre 7. Paul répond à une question sur le mariage et l’abstinence que les Corinthiens lui avaient posée dans une lettre qu’ils lui avaient adressée. Il leur dit que, pour éviter toute immoralité, il est préférable que chaque homme ait sa femme et que chaque femme ait son mari. Les avocats de la polygamie disent que, dans le texte original grec du Nouveau Testament, les mots « femme et mari » n’impliquent pas une seule femme et un seul mari. En fait, rien n’est plus faux. Quiconque a une connaissance même limitée de la langue grecque dans lequel le Nouveau Testament a été écrit verra sans l’ombre d’un doute qu’il s’agit bien dans les deux cas d’un singulier : « sa propre femme, son propre mari ». Il est absolument impossible de lire un pluriel, comme si Paul écrivait que chaque homme devait avoir ses propres épouses, et chaque femme ses propres maris. Dans ce passage de sa lettre, Paul ne parle d’ailleurs pas de la polygamie opposée au mariage monogame, mais de la nature de la relation conjugale au sein d’un couple chrétien. Son enseignement provient en droite ligne de celui de Jésus-Christ.
Parlons ensuite d’un texte de l’Ancien Testament que cite notre correspondant, et que certains interprètent de manière fausse pour justifier leurs vues sur la polygamie. Ce passage se trouve dans le second livre de Samuel, au chapitre 12. Le contexte est le suivant : le roi David vient de commettre un adultère avec Bathshéba, et a arrangé que le mari de cette femme, Urie, se fasse tuer dans un combat militaire. Après cet adultère aggravé d’un crime, le prophète Nathan vient trouver David de la part de Dieu pour lui mettre sa faute devant les yeux. Les bienfaits de Dieu à l’égard de David sont rappelés à ce dernier, notamment le fait que Dieu l’a délivré de la menace que faisait constamment peser sur sa vie le roi Saul, son prédécesseur. Dieu lui a même donné tout ce qui appartenait à ce dernier :
« Je t’ai donné la maison de ton seigneur [c’est-à-dire de Saul], j’ai mis les femmes de ton seigneur dans tes bras et je t’ai établi chef sur Israël et sur Juda; et si cela était trop peu, j’étais prêt à y ajouter encore d’autres dons. Alors pourquoi as-tu méprisé ma parole en faisant ce que je considère comme mal? Tu as assassiné par l’épée Urie, le Hittite. Tu as pris sa femme pour en faire la tienne, et lui-même tu l’as fait mourir par l’épée des Ammonites » (2 S 12.8-9).
Ceux qui soutiennent l’idée saugrenue que la Bible parle favorablement de la polygamie s’appuient sur le fait que Dieu, par son prophète Nathan, déclare à David qu’il a lui-même donné les épouses de Saul à David. Il serait donc en faveur de la polygamie. Mais le but des paroles de Dieu ici n’est pas de faire un plaidoyer en faveur de la polygamie. Il accuse la conscience de David en lui montrant qu’il était d’autant plus inexcusable d’avoir agi de la sorte qu’il avait reçu beaucoup de la part de Dieu. Dans le contexte de l’Ancien Testament, où, comme je l’ai dit, la polygamie est tolérée par Dieu, il est clair que c’est par l’action de la providence toute-puissante que les épouses de Saul sont devenues celles de David. Mais ce que la Bible souligne, c’est que David avait reçu de la main de Dieu tous les biens qui appartenaient au premier roi d’Israël, Saul. Saul avait plusieurs épouses, et elles aussi étaient tombées en partage à David. Dieu ne l’avait pas considéré comme coupable d’avoir pris ces femmes. Fallait-il qu’il se montre ingrat au point de commettre un crime pour s’approprier une autre femme, qui était l’épouse d’un autre?
Cependant, répétons encore que, même ce que Dieu permet comme dans le cas des épouses de Saul devenues celles de David, n’est pas nécessairement ce que sa volonté expresse indique à l’homme. David lui-même, tout roi qu’il était, aurait dû se conformer au commandement de Dieu sur le mariage tel que la Genèse nous le donne. Souvenons-nous que même si le roi David reste un exemple remarquable de foi en Dieu, et même l’image du Messie à venir, il fut un homme coupable de transgressions, un pécheur. Pour citer une expression du Nouveau Testament, il est lui aussi « l’ombre des choses à venir ». Avec le Messie, Jésus-Christ, le commandement de Dieu nous devient tout à fait clair.
Un dernier point sur cette question de la polygamie vue à la lumière de la Bible : l’apôtre Paul, lorsqu’il énonce les marques caractérisant les hommes qui désirent devenir conducteurs de l’Église, écrit à Timothée : « Il faut que le dirigeant d’Église soit un homme irréprochable, mari d’une seule femme, sobre, réfléchi et vivant convenablement » (1 Tm 3.2). Paul ajoute bien d’autres caractéristiques à ce portrait, nous donnant ainsi le profil idéal du dirigeant d’Église. En ce qui concerne notre sujet, nous avons dans ce passage un commandement très clair concernant le mariage monogame des dirigeants d’Église. Nous pouvons comprendre qu’à l’époque de Paul, où la polygamie était encore largement pratiquée par les nations païennes, de nouveaux convertis au christianisme, eux-mêmes polygames, auraient pu aspirer à devenir anciens ou évêques. Mais Paul le défend : ceux qui aspirent à devenir conducteurs doivent mener une vie exemplaire et montrer dans leur vie ce que Dieu attend de ses enfants. Être le mari d’une seule femme fait partie de ce profil, car c’est obéir à la volonté expresse du Dieu Créateur qui a donné sa loi pour le mariage au début de l’humanité.