Réforme et réveil de l'Église
Réforme et réveil de l'Église
- Retour à la vie normale de l’Église
- L’Écriture et l’Esprit
- La responsabilité et la grâce
- La prière et l’obéissance
- L’unité de l’expérience chrétienne
- Réforme et Réveil
« Il vaut mieux plaire au Saint-Esprit que d’en connaître la définition », a écrit Thomas à Kempis, l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ au début du 15e siècle. Que sert-il de parler du Réveil? Mieux vaudrait le vivre!
Quand Jean Cadier et ses jeunes collègues quittèrent la faculté de théologie de Montpellier et arrivèrent dans la Drôme, en 1923, ils trouvèrent des Églises passablement endormies. « À ce moment-là, la nécessité d’un Réveil s’imposa à la méditation de ces jeunes pasteurs et à leur prière », écrit-il1. Pendant une année, ils consacrèrent leurs rencontres à l’étude du Réveil. Ils s’instruisaient et ils priaient. Mais quand le Réveil se déclencha, quelque temps après dans un minuscule village, ils en furent les premiers surpris. Un Réveil ne vient jamais comme on l’attend, ce qui n’empêche pas de s’y préparer.
Cela nous parle de la responsabilité de l’homme : Dieu ne fait rien à notre place. Cela nous parle aussi de la souveraineté de Dieu : tout vient de lui! Charles Finney put écrire : « Si nous nous repentons aujourd’hui, demain nous aurons un Réveil. » Mais quelle repentance y aura-t-il si Dieu n’envoie pas sa lumière et ne touche pas nos cœurs?
Nous avons nos idées, mais sommes-nous prêts à en changer si Dieu le demande? Pourquoi désirons-nous un Réveil? « Beaucoup croient que le Réveil, c’est le plafond qui s’envole », écrit l’évangéliste Roy Hession2. « Le Réveil, c’est le plancher qui s’effondre! »
Cela nous parle tout à la fois de grâce et de consécration, de joie et de prix à payer. « Beaucoup demandent à Dieu : Donne-nous un Réveil, dit encore Finney. Mais s’ils savaient ce que coûte un Réveil, leur prière serait : Seigneur, préserve-nous d’un Réveil! »
Dans l’esprit de beaucoup, il n’existe pas de mots plus éloignés l’un de l’autre que Réforme et Réveil. Deux écoles inconciliables, comme sont inconciliables la sagesse et la folie, la sécurité et le risque, l’érudition et la spontanéité. Cependant, à y regarder de près, avons-nous le choix? Avons-nous le droit de choisir entre la foi du petit enfant (à qui Dieu révèle ses secrets) et la foi de l’homme fait dont parle l’apôtre Paul (Ép 4.13)? Avons-nous le droit de choisir entre le fondement et les implications, entre les docteurs et les prophètes? Une même Parole sous-tend le ministère de l’un et de l’autre; un même Esprit les anime.
1. Retour à la vie normale de l’Église⤒🔗
« Réforme et réveil sont un retour à la vie normale de l’Église », a dit Victor Bordigoni qui fut à l’origine du Réveil de la Drôme. Si on doute de cela, on risque fort de ne pas le vivre.
Écoutons la pensée du pasteur Édouard Champendal, lui aussi Brigadier de la Drôme :
« Nous voulons que l’homme ne marche plus la tête basse, sans espérance, mais qu’il comprenne que, réconcilié avec Dieu par Christ, il est appelé à une vie glorieuse, éternelle. Nous voulons qu’une place — la place d’honneur — soit faite à Dieu dans la vie familiale et individuelle. Nous voulons que la Bible, Parole de Dieu, lue, méditée et mise en pratique, redevienne la base de la famille chrétienne. Nous voulons que le repos du dimanche soit observé et ce jour sanctifié. Nous voulons que les chrétiens prennent conscience de leurs privilèges et de leur force, qu’ils manifestent aux yeux du monde étonné la possibilité et la réalité du corps de Christ. Nous voulons des cultes vivants où l’on respire une atmosphère de prière, où le chant des cantiques soit l’expression des sentiments et des louanges de chacun. Nous voulons que le protestantisme français reprenne l’œuvre de la Réforme interrompue par trois siècles de persécutions et cent ans de funeste concordat, et parte à la conquête du peuple tout entier pour Christ… Nous voulons toutes ces choses parce que nous avons la certitude que Dieu les veut. Et seul un Réveil les accomplira.3 »
Pourquoi la vie d’une personne change-t-elle un jour, que ce soit subitement ou progressivement d’ailleurs? Il en est de l’Église comme d’une personne. Dans les deux cas, cela passe par une prise de conscience qui est en même temps l’œuvre de Dieu et un acquiescement suivi d’un engagement de la volonté. Prise de conscience du péché, de l’échec; prise de conscience de la grâce, du secours. L’un ne va pas sans l’autre. Cela va se traduire notamment par une grande tristesse et un renoncement, par l’abandon d’habitudes et de pratiques qui étaient apparues tout à fait normales jusqu’alors et qui paraissent soudain déplacées, vaines, stériles.
Dans tout Réveil, comme d’ailleurs chaque fois que l’Évangile est annoncé, l’homme est placé devant un choix. Le refus du Réveil, c’est le refus d’effectuer des choix, ou le report à une date ultérieure… On s’habitue à tout, même au pire. On abaisse à notre portée la vision, les enjeux, le combat. On trouve même des versets bibliques pour se justifier… « L’hérétique, écrit Jean Cadier, c’est celui qui, dans la Parole, choisit, si peu que ce soit, la vérité conforme à ses circonstances et à celles de son époque, à son esprit, à son tempérament. »
On pourrait le dire ainsi : le chrétien dont Dieu a réveillé le cœur ne choisit plus ce qui lui convient. Il fait aujourd’hui les choix que Dieu lui demande de faire aujourd’hui. « Que ta volonté soit faite, et non la mienne » (Mt 6.10; 26.42). Mais c’est mourir, en quelque sorte!
Nous devons cesser de voir les préceptes de la Parole de Dieu comme une théorie, l’Évangile comme un idéal inaccessible. Voyons-nous le péché — nos péchés — comme peu de chose ou comme une offense à Dieu? Certains diront que vivre comme Dieu le demande est bien difficile. En réalité, ce n’est pas difficile, c’est impossible. Mais Dieu le rend possible pour qui s’en remet à lui entièrement.
Réforme et réveil ont en commun qu’ils prennent au sérieux les « tout » de l’Écriture et l’absolu de ses affirmations. C’est aux chrétiens d’ouvrir les chemins de la repentance. « Si mon peuple s’humilie, prie et cherche ma face… » (2 Ch 7.14). Nous devons vivre, dans la foi, des gestes significatifs de repentance, d’obéissance, de pardon entre nous. Après, et après seulement, nous pourrons répondre à l’appel : « Faites tout pour la gloire de Dieu! » (1 Co 10.31).
2. L’Écriture et l’Esprit←⤒🔗
« C’est sur le sol rocailleux de l’orthodoxie que sont toujours nés les Réveils », a écrit Alexandre Vinet (1797-1847). Réforme et Réveil ont en commun l’attachement au double témoignage de l’Écriture normative et de l’Esprit qui donne la vie et conduit dans la vérité. On ne connaît vraiment que ce que l’on vit.
« La connaissance de Dieu est une vive expérience », a écrit Jean Calvin. Ce n’est pas là la remarque d’un froid dogmaticien! Regardons comment l’enseignement des réformateurs demeure toujours lié à la piété d’une part, aux implications pastorales d’autre part. Regardons comment ils ont eu le souci constant de répondre aux besoins concrets qu’ils rencontraient. « Si je prêche l’Évangile sans parler du temps présent et de ce qui m’entoure, je ne prêche pas l’Évangile », a dit Luther. C’est aussi la pensée du pasteur Stuart Olyott : « Nous avons besoin d’un christianisme doctrinal, expérimenté, vécu. » Ces trois dimensions ne s’opposent nullement.
Considérons le grand souci pédagogique des réformateurs. Les catéchismes devaient transmettre un contenu de connaissance approprié aux personnes instruites, aux personnes plus simples et même aux enfants4. Pour cela, plusieurs formats existaient, adaptés à chacun. « Les sermons de Calvin étaient de véritables cours de théologie exégétique, dit un historien, ajustés à un public varié et peu instruit. Les choses de Dieu amenées à la cuisine.5 »
Souvenons-nous de la part importante que Calvin donne au témoignage intérieur du Saint-Esprit.
« Il y a un lien entre ce que nous croyons de Dieu et de son salut et notre appropriation de ces réalités par l’Esprit. Les deux ensemble constituent notre “contrat” de vie chrétienne, écrit le professeur Paul Wells. C’est pour cela qu’un redressement de la théologie ou une refonte des structures sont insuffisants pour réveiller le peuple de Dieu ou pour réformer la vie de ses membres.6 »
On a appelé Calvin le théologien du Saint-Esprit. Calvin, en effet, a repris chez saint Augustin les doctrines de la grâce, du péché, de la prédestination. Son originalité : l’œuvre du Saint-Esprit.
« La Parole nue ne profite de rien sans l’illumination du Saint-Esprit, écrit-il. D’où il apparaît que la foi est au-dessus de toute intelligence humaine. Et encore ne suffit-il pas que l’entendement soit illuminé par l’Esprit de Dieu, mais aussi que le cœur soit confirmé par sa puissance.7 »
Jean Cadier ne dit pas autre chose : « Ce que nous sommes ne doit pas être seulement vérité de catéchisme. » Calvin appelle l’Écriture « l’école du Saint-Esprit ». Il est frappant encore d’observer que chez lui, comme chez saint Paul, l’œuvre de la grâce et l’œuvre de l’Esprit semblent être une seule et même chose, au point où les termes grâce et Esprit paraissent interchangeables.
Le rôle normatif de l’Écriture serait-il, d’une certaine manière, dépassé? Aucunement.
« Rendons à l’Écriture la place qu’elle avait à l’origine. Qu’elle inspire notre conduite, notre prédication, toute notre œuvre. Et soyons remplis de l’Esprit. C’est la même règle sous une autre forme. C’est le Saint-Esprit qui rend efficace la prédication et le témoignage individuel, qui créé l’unité de l’Église, qui affranchit du péché et crée des personnalités nouvelles, qui communique les dons variés pour l’édification de l’Église, conduit dans la vérité et communique la pensée de Dieu.8 »
« Il y a un lien entre doctrine et spiritualité, écrit le professeur Paul Wells. La doctrine est première, mais sans utilité si elle n’est pas mise en pratique grâce à une spiritualité vivante. Il n’est pas exagéré de dire qu’on ne connaît bien une chose que si on la pratique. »
Souvenons-nous encore que la notion biblique de doctrine est beaucoup plus riche et exigeante que ce qu’on entend généralement. Ainsi, la saine doctrine suppose une saine piété (1 Tm 6.3-5) et une mise en pratique conséquente (Ps 119; Jc 1.22). Sinon, c’est du bavardage.
Le sola Scriptura a peut-être été retenu parfois dans un sens plus restrictif que ce qui convenait, comme s’il ne nous restait que l’Écriture. L’article 5 de la Confession de foi de La Rochelle ne dit pas cela. Il dit que l’Écriture seule est normative, et non pas qu’elle est la seule manifestation de la grâce. Ce n’est pas la même chose!
3. La responsabilité et la grâce←⤒🔗
« Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, et il vous élèvera au temps convenable » (Jc 4.5).
L’Évangile est un don de Dieu. Il n’y a pas de mérite possible. Cependant, il y a des conditions. L’humiliation et la repentance en font partie. Martin Luther écrit :
« Aujourd’hui, il est devenu banal de bavarder sur la foi; mais comprendre ce qu’est la foi est impossible si on n’a pas prêché d’abord la vertu de la pénitence. Qui célèbre la foi en oubliant la pénitence, la doctrine de la crainte de Dieu et de la loi, et en conduisant ainsi à une folle et superficielle sécurité charnelle, adopte une position d’esprit pire que celle que constituent les erreurs papales. »
La notion de « libre arbitre » n’a pas vraiment sa place face à la doctrine de la corruption et au salut par la grâce de Dieu9. Quelle pourrait être la liberté de l’homme pécheur? Mais la notion de responsabilité demeure. Le premier mal survenu sur la terre n’est pas une blessure, c’est une transgression. Ainsi, la foi ne peut être considérée simplement comme quelque chose qui s’ajoute; elle est quelque chose qui remplace! C’est pourquoi la prédication de la repentance précède toujours celle du Royaume de Dieu : pour Jean-Baptiste, pour Jésus, comme pour les apôtres.
Tout cela, reconnaissons-le, s’est beaucoup altéré. On annonce souvent un « évangile de confort ». Dans les Églises conçues comme des associations, on a trop souvent considéré que la vie était en fonction du nombre de réunions ou de la somme des activités. Mais une Église peut avoir beaucoup d’activités et peu de vie. Quant à la grâce, elle « ne se réduit pas au pardon des péchés, bien qu’une grande partie de la chrétienté semble s’en contenter », écrivait Jonathan Edwards (1703-1758).
Dietrich Bonhoeffer le dit ainsi :
« La promesse de la grâce ne doit pas être dilapidée; elle a besoin d’être protégée des impies. Il y a ceux qui ne sont pas dignes du sanctuaire. La proclamation de la grâce a ses limites. La grâce ne doit pas être proclamée à quiconque ne la reconnaît pas ni ne la désire. Le monde à qui on impose la grâce comme une marchandise s’en fatiguera vite, et il ne trébuchera pas uniquement sur ce qui est saint, mais il mettra en pièce ceux qui l’auront forcé. L’Évangile est protégé par la prédication de la repentance qui appelle le péché par son nom et déclare le pécheur coupable. La prédication de la grâce ne peut être que protégée par la prédication de la repentance.10 »
4. La prière et l’obéissance←⤒🔗
Les Réveils ont été le fruit de ministères ardents, mais ils ont aussi été reçus en réponse à la prière.
Pour les réformes comme pour les réveils, il faut lier attente et engagement. C’est une caricature de la Réforme de faire de la souveraineté de Dieu un prétexte pour la passivité. C’est une sorte d’illuminisme de voir le Réveil comme un surgissement imprévisible, indépendant de la foi et de l’engagement des chrétiens. Curieux oubli du schéma pédagogique de l’alliance où la bénédiction accompagne l’obéissance de la foi, sans idée de mérite (2 Ch 7.14). Craignons que notre vision de la souveraineté de Dieu fasse porter à Dieu la responsabilité de nos manquements, de nos refus, avec toutes les conséquences qui en résultent.
Deux risques nous guettent : l’activisme qui oublie de se mettre à l’écoute et dans la dépendance de Dieu, et la passivité qui considère que prier suffit. « Si quelqu’un détourne l’oreille pour ne pas écouter la loi, sa prière même est une abomination » (Pr 28.9). En un sens, la plus belle prière est bien l’obéissance de la foi. Mais comment la vivre sans se mettre à genoux?
Comme aumônier hospitalier, je suis témoin d’une chose étonnante : on peut faire plus de chemin en 8 jours sur un lit d’hôpital qu’en 50 ans d’activités éparses. C’est l’expérience du désert (Os 2.16). C’est l’abandon des illusions, des prétentions, des rêves et de la folie qui étouffent la dimension de l’Esprit. En réalité, la première condition pour ressusciter, c’est de mourir d’abord. Quand, à Gethsémané, Jésus dit à son Père : « Que ta volonté se fasse et non la mienne », c’était mourir déjà, avant la croix.
5. L’unité de l’expérience chrétienne←⤒🔗
Il faudrait évoquer deux autres écueils : l’intellectualisme d’une part, le sentimentalisme d’autre part. Ou encore la savante recherche d’un équilibre entre les deux. Un bon dosage d’intellectualisme et de sentimentalisme fait-il nécessairement une expérience chrétienne fondée et féconde? Rien n’est moins sûr. Dans les deux cas, en effet, la ressource est seulement humaine, avec toutes ses aptitudes certes, mais aussi avec toutes ses limites — et elles sont grandes, quoi qu’on fasse, quoi qu’il semble. Quand nous lisons que « l’homme naturel (ou animal) ne conçoit pas les choses de Dieu » (1 Co 2.14), le texte original dit « l’homme psychique », c’est-à-dire l’homme avec ses facultés naturelles, aussi grandes soient-elles.
Il ne s’agit pas de nier ce qui relève du psychisme (psychè = l’âme) : l’intelligence, les sentiments, la volonté. Il s’agit de le rendre dépendant de Dieu, sensible à la direction de Dieu, accueillant de la dimension de Dieu; et pour cela d’abandonner la tentation d’autorésolution que l’on constate si souvent. Il est certes plus aisé aujourd’hui d’expliquer les mécanismes du psychisme humain que d’évoquer la dimension du péché et de la rédemption. Notons que les deux sont compatibles, mais ils ne sont pas interchangeables : ils ne se situent pas au même niveau! On pourrait le dire ainsi : Que peut la bonne volonté pour vivre l’intelligence spirituelle ou l’amour-agapè dont nous parle l’Écriture? Pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Imiter seulement.
« L’Église ne peut se contenter d’être un refuge pour les âmes meurtries, écrit Jean Cadier, pas même une école de sanctification. Elle doit être aussi un foyer d’où jaillissent les étincelles de vie.11 » Il parle de la dimension de l’Esprit, qui peut certes s’imiter, bien qu’elle soit inimitable!
6. Réforme et Réveil←⤒🔗
Selon l’historien Francis Higman12, deux éléments essentiels ont préparé l’éclosion de la Réforme du 16e siècle, qui fut aussi un Réveil spirituel :
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L’étude des textes, à la suite de l’essor de l’humanisme classique et de l’imprimerie.
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L’influence des Frères de la vie commune, aux Pays-Bas, dès le 13e ou le 14e siècle. Il s’agissait de communautés de laïcs et de clercs qui cherchaient un renouveau spirituel au travers du développement de la vie intérieure et d’engagements simples et pieux.
Les Frères de la vie commune recommandaient de ne pas étudier la Bible en dehors du désir de conformer sa vie aux préceptes de l’Évangile. Le contraire, c’est l’Évangile vu comme un idéal, qui explique la médiocrité de tant de vies chrétiennes, de tant de ministères.
« Si nous prêchons les doctrines de la Réforme avec le zèle des Réveils envoyés par Dieu, un avenir glorieux nous attend », a écrit Charles Spurgeon. Bien comprises, les doctrines majeures de l’Écriture sont universelles. De quel droit pourrions-nous les déclarer caduques, comme cela se fait parfois? Ces doctrines sont liées les unes aux autres. Je pense notamment à l’enchaînement « création – chute — rédemption ». Que deviennent les deux autres si un de ces thèmes est nié ou même altéré? Ces grandes doctrines doivent toutes être enseignées, comme le fit Paul à Éphèse (Ac 20.27). C’est la foi qui, dans la Bible, comprend aussi le contenu de la foi conforme à la révélation écrite. « Autrement, vous auriez cru en vain », dit Paul (1 Co 15.1-6). C’est ce à quoi sont attachés les pasteurs qui pratiquent la prédication expositive ou textuelle de la Parole de Dieu13.
Dire cela dispense-t-il d’exercer un discernement pour déterminer ce qui doit être dit ici et maintenant? Avons-nous le droit de choisir entre la foi qui s’appuie et la foi qui s’élance? Trop souvent il y a mainmise, récupération, choix de convenance, aménagement de confort sur une matière qui devrait porter la marque de Dieu seul. N’est-ce pas en partie à cela que servent nos Églises : des forteresses pour nous protéger de ce que nous ne voulons pas entendre… Comprenons-nous, par exemple, que nos travers expliquent et justifient en partie ceux que nous dénonçons chez les autres? Qui mettra le premier le genou à terre?
Francis Schaeffer a écrit
« La combinaison d’une réforme et d’un réveil serait révolutionnaire à notre époque. Révolutionnaire pour nos vies personnelles de chrétiens, révolutionnaire pour l’Église libérale, révolutionnaire encore et d’une manière très constructive pour l’Église évangélique elle-même.14 »
Réforme et réveil : dans les deux cas, il y a la découverte d’une situation injuste et offensante pour Dieu. Les Brigadiers de la Drôme ont prêché sur les interdits, en référence à Josué chapitre 7. Un des leitmotive de leur prédication a été : « Dieu ne se contente pas de ce que vous êtes. »
Dans les deux cas, il y a une profonde tristesse, l’abandon des excuses et une attitude de repentance ouverte. Dans les deux cas, il y a une réponse de la foi à un appel de Dieu. D’abord dans ma vie. Dans les deux cas, il y a obéissance de la foi, comme une offrande de ma vie tout entière. Appelons cela réforme ou réveil, c’est presque la même chose. Réforme et réveil devraient caractériser le début de la vie chrétienne, mais aussi tout son développement, de manière durable.
Dans les deux cas, la volonté de Dieu cesse d’être un simple idéal, une utopie. La prière ou la grâce ne sont plus regardées comme une dispense, mais comme un accès à la position en Christ, une introduction dans la vie et la marche avec Dieu.
Evan Roberts dit :
« Reconnaître la présence du Saint-Esprit sur chaque réunion; reconnaître qu’il en a la charge, qu’il a un plan pour ce service, qu’il peut incliner plusieurs membres de l’Église pour y participer… Dans les réunions de Réveil, tout fidèle peut et doit prendre part, même si la chose lui semble à lui insignifiante et sans importance. C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire.15 »
« Loin de constituer un obstacle au Grand Réveil, la doctrine calviniste était au cœur de ce mouvement, écrit John MacArthur au sujet du Réveil du 17e siècle en Amérique du Nord. Les fondements mêmes de leur prédication (la doctrine de la corruption qui atteint toute créature humaine et l’entière souveraineté de Dieu) furent les éléments qui déclenchèrent le Réveil.16 »
En ce sens, réveil et réforme sont bien un retour à l’être et à la vie normale de l’Église. « L’Église n’est pas un désert qui “attend les bénédictions divines”, mais plutôt un jardin qui a besoin des soins constants du jardinier. Elle est une vigne, et non un désert », dit encore Evan Roberts17.
Prenons garde de ne pas nous mettre en avant, de ne pas devancer ou dépasser l’œuvre de Dieu : la « bonne odeur de Christ » serait perdue! Attention de ne pas nous tenir en retrait non plus, par crainte ou par calcul. N’évoquons pas la souveraineté de Dieu pour excuser le peu de réformes, le manque de réveil; une manière de rendre Dieu responsable…
Prenons garde enfin de ne pas demander à Dieu de faire ce qu’il nous demande de faire. À nous l’humiliation et la repentance, à nous la foi qui s’incline, la soif de voir la puissance de Dieu à l’œuvre, à nous la sensibilité à sa direction, l’obéissance et le zèle persévérants — même si tout cela est impossible sans la grâce qui brise et qui relève.
« Dieu n’a pas changé, c’est nous », ont dit les Brigadiers de la Drôme. Si nous acceptons et vivons ces vérités immuables — et pourquoi ne les vivrions-nous pas? — Dieu restera-t-il en retrait? Ne remplira-t-il pas l’espace qui lui est offert? N’utilisera-t-il pas ceux qui s’en remettent réellement à lui? Il le fera.
Notes
1. Jean Cadier, Le Matin Vient, Éd. Olivétan.
2. Lui-même témoin et acteur du Réveil en Afrique de l’Est et auteur du livre Le chemin du calvaire.
3. Journal Le Matin Vient, 1er février 1926.
4. Pensons au Grand Catéchisme et au Petit Catéchisme de Luther. Quant à la Confession de Westminster, elle est suivie du Petit Catéchisme et du Catéchisme pour jeunes enfants : le même contenu décliné en plusieurs niveaux.
5. Francis Higman, La diffusion de la Réforme en France. Labor et Fides, 1992.
6. Paul Wells, Le renouveau possible de l’Église, Kerygma.
7. Calvin, Institution chrétienne, III,II,33.
8. M. Antonin. L’avenir de nos Églises et les conditions spirituelles de leur réveil. Union des Églises libres, 1919.
9. Pensons au débat capital entre Érasme et Luther à ce sujet.
10. Commentaire de Mt 7.6. Exposé sur le pouvoir conféré à l’Église par Dieu. Mars 1937.
11. Journal Le Matin vient, février 1926.
12. La diffusion de la Réforme en France. Labor et Fides, 1992.
13. Il s’agit de prêcher le texte biblique en continu, séquence par séquence, de telle sorte que tous les aspects de l’enseignement qu’il contient sont abordés.
14. Francis Schaeffer, La mort dans la cité, 1979.
15. Réveil du Pays de Galle, cité dans le journal Le Matin Vient, décembre 1925.
16. La bénédiction de Toronto à la lumière de la Bible. Maison de la Bible, 1995.
17. Le Matin Vient, 1° décembre 1925, sur Les causes du réveil.