La responsabilité politique du chrétien d'après le Nouveau Testament
La responsabilité politique du chrétien d'après le Nouveau Testament
Le Nouveau Testament contient de nombreux textes qui traitent de la responsabilité politique du chrétien. Beaucoup plus qu’on s’y attendrait si on n’a pas étudié la chose avec sérieux. Avant même d’examiner les données du Nouveau Testament à ce sujet, il serait utile d’avoir une idée générale sur les différents textes que nous allons considérer. Nous les classerons comme suit :
Textes contenant une exhortation directe sur le sujet (Mt 22.15-22; Mc 12.13-17; Lc 20.20-26; Rm 13.1-7; 1 Tm 2.1-7; Tt 3.1-2; 1 Pi 2.13-17).
Textes n’ayant pas une exhortation directe se réfèrent à l’État. Voir par exemple l’attitude de Jésus (Mt 20.25; Mc 10.42; 13.9; Lc 13.32; 22.25), les récits de la passion et ceux de la nativité, l’attitude de Paul vis-à-vis de l’État (Ac 16.19-39; 1 Co 2.6-8; 6.1-6) ou celle de Jean (Ap 13).
Textes qui parlent indirectement de la responsabilité politique du chrétien : le règne du Christ, l’eschatologie, les textes qui exposent la réalité et l’universalité du péché, ceux qui nous révèlent pourquoi le Christ est mort et d’autres qui contiennent un enseignement moral, textes relatifs à la loi… Cet aperçu n’est pas exhaustif, mais il démontre que le Nouveau Testament contient un matériel abondant à ce sujet.
À présent, il nous est possible d’examiner certains de ces textes de plus près.
Voici tout d’abord ceux qui nous parlent de la responsabilité politique du chrétien et de ses obligations envers l’État. Dans Marc 12.13-17, Jésus emploie un terme grec qui signifie qu’il faut donner à César ce qui lui est dû; il s’agit donc de payer une dette. Dans Romains 13.1-7, le sujet de l’impératif est chaque chrétien. Personne dans l’Église n’est exempt de la soumission aux autorités et puissances supérieures. Dans 1 Timothée 2.1-7, « la prière pour tous les hommes et pour les rois » indique que la prière doit être tout d’abord offerte pour les autorités civiles. Il faut nous demander quelles sont les raisons de cette responsabilité politique. Les voici énumérées brièvement :
Dans Marc 12.13-17, il faut retenir la nature occasionnelle de cet enseignement. Ces paroles de Jésus ont une grande portée, mais la question qui y est posée ne relève pas de l’ordre général en ce qui concerne les devoirs civiques. Il faut aussi remarquer le mobile de la question qui fut posée à Jésus. Ses adversaires lui tendaient un piège. Si Jésus avait répondu par l’affirmative, il aurait soulevé l’opposition de la foule. S’il avait répondu par la négative, on aurait pu le dénoncer aux autorités romaines. Cependant, la réponse de Jésus n’est pas une manière habile d’esquiver la question. L’enseignement que contient sa réponse a une valeur permanente.
Jésus demande qu’on lui apporte un dinar. Il cherche à dénoncer l’hypocrisie de ses interlocuteurs. L’emploi de la monnaie de César était un élément essentiel de la vie quotidienne, et ceux qui l’employaient profitaient des possibilités et des facilités offertes par le gouvernement impérial. Ils étaient donc sous l’obligation de payer quelque chose en retour pour les biens dont ils jouissaient. Une raison pour la responsabilité politique du chrétien est le fait qu’il bénéficie de l’ordre politique établi, lorsque celui-ci n’est pas trop injuste. Une autre raison nous est fournie par Romains 13.7. Dieu a établi les autorités civiles. Se rebeller contre elles c’est se révolter contre Dieu, qui ne laissera pas ce péché impuni.
Romains 13.3 montre que, d’une manière consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire, l’autorité est là pour louer et protéger les citoyens qui ont une bonne attitude. Car, qu’elle le sache ou non, elle est la servante et l’instrument de Dieu afin d’aider les chrétiens dans l’œuvre du salut et pour punir ceux qui font le mal. La raison donnée par 1 Timothée 2.1-7 est identique à la précédente, mais elle la dépasse; aussi les chrétiens sont invités à prier pour ceux qui exercent une autorité afin qu’ils puissent mener une vie tranquille. Cette prière est acceptable aux yeux de Dieu, qui veut l’existence de l’État afin de promouvoir la paix et le bien-être de tous. Cette paix et ce bien-être doivent être des voies pour amener tous les hommes à la connaissance du salut. Par le moyen de l’État, Dieu restreint la tendance chaotique et anarchique des hommes et leur propension à la domination violente, maintenant ainsi des conditions extérieures qui permettent la prédication de l’Évangile.
L’État, lorsqu’il fonctionne dans des conditions normales, est le signe de la patience de Dieu, qui veut offrir à tous les hommes l’occasion de se repentir et d’être sauvés à travers la prédication de l’Évangile. Les chrétiens doivent donc servir l’État pour l’amour du salut éternel de leur prochain. L’accomplissement de nos responsabilités politiques est, par conséquent, une part nécessaire de l’accomplissement de nos responsabilités évangélisatrices.
Dans Romains 13.1-7, nous trouvons une exhortation qui commence déjà dans le chapitre précédent. L’obéissance aux autorités fait partie du « culte raisonnable » qui doit être offert à Dieu. Le contexte de Romains 13.1-7 suggère une autre raison. Le texte est précédé et suivi par l’exhortation à aimer. Puisque l’État sert de cette façon le bien temporel des hommes et, d’une certaine manière, leur salut éternel, le service qui lui est dû fait partie de l’ensemble de notre devoir d’amour pour le prochain. Finalement, le fait que toute autorité, et non seulement celle de l’État, a été donnée à Christ (Mt 28.18) est la raison impérative pour laquelle le chrétien doit servir aussi l’État de façon correcte. Le chrétien sait que l’État est un instrument du règne royal de Jésus-Christ.
Quel est le contenu de la responsabilité politique du chrétien? La lecture de Romains 13.1 fait supposer qu’il s’agit d’une simple et pure soumission; cependant, lorsqu’on compare le mot soumission qui se trouve dans Éphésiens 5.21 on découvre un autre sens, plus riche encore. Il s’agit d’une obligation réciproque. Sans trop insister sur les considérations de relations « à l’amiable » entre chrétiens, il nous faut remarquer que le temps de l’obéissance dans le Nouveau Testament — et lorsqu’il s’agit de l’obéissance aux hommes — ne va pas sans jugement critique. Le mot soumission veut simplement dire que quelqu’un a été placé au-dessus de nous et qu’il faut reconnaître le fait. Cette autorité étant placée par Dieu, elle peut nous poser de grandes demandes.
Cependant, le Nouveau Testament ne nous exhorte pas à une obéissance aveugle, qui ne pourrait jamais mettre en question l’autorité humaine. Même d’après Marc 12.17, il y a une limite à ce qu’on donne à César. Il faut aussi donner à Dieu ce qui lui est dû. Jésus appelle Hérode Antipas « le Renard » et Paul n’a pas été trop conciliant avec les magistrats de la ville de Philippe. Apocalypse 13 nous interdit d’adorer « la Bête » et d’en porter l’image, et la Bête décrite ici est l’État totalitaire. Là où un conflit surgit entre le gouvernement civil et les commandements de Dieu, le chrétien obéira à Dieu plutôt qu’aux hommes. Ainsi, parfois, l’insoumission aux autorités est une marque de notre fidélité à Dieu.
L’attitude chrétienne vis-à-vis de l’État est démontrée dans les dispositions suivantes : Respect, d’après Romains 13.7 et 1 Pierre 2.17; il faut prendre les dirigeants au sérieux, comme ayant été établis pour servir Dieu, même lorsqu’ils ne se prennent pas au sérieux. Ni flatterie ni acception de personnes. Un tel respect ne prive personne de réclamer son droit légal ou celui des autres au gouvernement. Lorsque les gouvernements ou leurs agents se comportent indignement et commettent des injustices, le respect qui leur est dû implique de leur adresser des reproches.
Voici, par exemple, Jean le Baptiste devant le roi Hérode. Calvin a dit à ce sujet des choses fort pertinentes! Nous apprenons de quel courage les serviteurs de Dieu doivent s’armer lorsqu’ils doivent s’adresser aux princes. Car dans toutes les cours, anciennes ou modernes, l’hypocrisie, la servilité et la flatterie y sont des facteurs dominants. Les oreilles des princes étant accoutumées à ce langage, elles tolèrent difficilement la moindre voix réprouvant leurs vices et les dénonçant avec sévérité. L’obéissance aux autorités ne doit jamais mener les chrétiens sur le chemin de la désobéissance à Dieu. Ils doivent se garder, avec le plus grand soin, de tomber dans un tel piège, car, dans ce domaine, le danger est toujours présent.
Le respect dû aux autorités établies exige le paiement des impôts. La prière pour les autorités est, elle aussi, une dette essentielle envers l’État. Même si l’État est païen ou irréligieux, nous avons le devoir de prier pour lui. Le témoignage pour Christ peut parfois amener le chrétien à souffrir (Mc 13.9).
Nous devons nous rappeler que le Nouveau Testament envisageait un État dans lequel il n’était pas question, pour le citoyen ordinaire, de partager des responsabilités dans le gouvernement. Comment pouvons-nous appliquer son enseignement dans un ordre politique différent? Il est tout à fait clair que le devoir du chrétien, quelle que soit la situation, est celui de maintenir l’État dans les limites de la justice. Mais les chrétiens vivant sous un régime démocratique peuvent faire davantage encore. Voici quelques-unes de leurs obligations :
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Participation responsable dans les élections législatives et municipales, dans l’obéissance au Christ et l’amour du prochain. Ne pas voter, alors que les conditions sont normales, c’est manquer son devoir envers Dieu.
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Critiquer le gouvernement et sa politique à la lumière de l’Évangile et de la loi de Dieu. Une telle attitude nécessite une bonne connaissance de l’Écriture sainte.
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Rester un chrétien mû par le renouvellement et par la régénération constante de l’intelligence afin d’accomplir ce qui est bon, acceptable et la volonté parfaite de Dieu.
Nous devons considérer maintenant deux éléments controversés :
1. Il faut être disposé, dans certaines circonstances, à prendre part dans une action militaire armée sous l’ordre du gouvernement. Le chrétien peut-il s’engager dans l’armée? Le Nouveau Testament ne donne pas une réponse précise à ce sujet. Ceci ne doit pas nous surprendre, car au premier siècle de notre ère les juifs étaient exempts du service militaire. Il ne faut pas trouver à cette question assez difficile une réponse implicite. Il semble pourtant qu’à cause de l’affirmation que l’État est institué par Dieu, nous ne pouvons pas y répondre simplement par la négative, car ce serait refuser, de fait, l’État. Dans Romains 13, Paul est convaincu que « le port de l’épée » par le magistrat pour user de la force pour punir le mal, et non pas pour exercer une violence injuste, fait partie de sa fonction totale.
Mais cela ne veut pas dire non plus que l’on peut admettre la guerre comme l’une des activités normales de l’État, et qu’il faille l’accepter avec complaisance. Les chrétiens doivent refuser de participer à une action militaire s’ils sont convaincus que celle-ci peut être évitée et si la cause pour laquelle la guerre a été déclarée est injuste.
2. Être disposé, dans certaines circonstances extrêmes, à s’engager dans une rébellion armée pour renverser un gouvernement devenu intolérablement injuste et oppresseur, afin de le remplacer pour un autre plus juste. Ici encore, le Nouveau Testament ne donne pas de directives précises. Ni l’attitude de Jésus à l’égard des zélotes, ni Romains 13.2 ne nous aident à avoir une pensée tout à fait claire. De l’opposition de Jésus aux zélotes, il ne faut pas déduire que le Seigneur dénonçait nécessairement un principe de rébellion armée. Un autre fait dont il faut tenir compte est le suivant : le gouvernement romain n’était pas, à cette période de l’histoire, injuste au point de justifier une révolte armée. D’autre part, les zélotes ne tentaient pas seulement d’établir un nouvel État, mais ils espéraient surtout établir le royaume de Dieu par la force armée. Il était clair, tout au moins aux esprits lucides, qu’une telle rébellion était sans espoir.
Dans quel état d’esprit faut-il accomplir sa responsabilité politique? Voilà maintenant la question à laquelle il faut répondre.
Le chrétien doit le faire avec tout le sérieux possible, comme une obligation qui lui est imposée par Dieu et comme une obéissance due à Jésus-Christ qu’il ne peut pas éviter.
L’accomplir dans la plus grande sobriété et avec le plus grand réalisme. L’enseignement eschatologique du Nouveau Testament rend claire la nature temporaire de l’État; il est donc interdit de l’absolutiser. Nous ne pourrons pas établir le Royaume de Dieu par notre engagement politique, pas plus, d’ailleurs, que par nos activités ecclésiastiques.
Notre connaissance de la présence et de l’action du péché nous permettra de réaliser que tous les hommes, sans exception, sont sous la domination du péché. Le domaine politique et les hommes politiques ne font pas exception à cette règle. Chaque membre du gouvernement et chaque magistrat sont des hommes pécheurs. Le chrétien sait donc qu’il ne peut pas accorder une confiance totale à un homme d’État, quel qu’il soit; il sait aussi qu’il doit tenir compte de beaucoup de facteurs que les slogans politiques évitent souvent de mentionner.
Il doit veiller à ce que les buts politiques poursuivis ne soient pas des objectifs et des intérêts égoïstes. Il ne doit pas non plus faire partie d’un groupe politique qui confierait le pouvoir à un seul homme. L’enseignement eschatologique et celui sur l’universalité du péché nous aideront à nous rendre compte qu’il y a des limites à ce qu’on peut réaliser par le seul pouvoir politique. Cependant, il ne faut pas mépriser les objectifs limités. Ailleurs, le chrétien sera obligé de choisir entre deux maux; il n’est pas indifférent d’opter pour le moindre… Laisser la porte ouverte au plus grande mal, pensant que seule l’attente de la perfection est compatible avec la foi chrétienne, est une grave erreur. Quoique le bien absolu n’est pas réalisable dès ici-bas, il faut chercher par tous les moyens qu’une plus grande justice et équité se manifestent dans la société.
Ce réalisme nous aidera à comprendre, en tant que chrétiens, le but définitif de chaque gouvernement politique; à savoir le bien de tous les hommes. Le gouvernement est fait pour les hommes, et non les hommes pour le gouvernement. Celui-ci doit donc veiller au bien-être de tous et à la dignité de chacun. Il doit défendre ceux qui sont sans défense et poursuivre une politique juste non seulement à l’égard des citoyens de son propre pays, mais encore à l’égard des autres peuples.
Le chrétien peut accomplir sa responsabilité politique avec la certitude qu’il accomplit son devoir envers Dieu, car comme nous l’avons déjà signalé, l’État est un ministre de Dieu et l’instrument de ses desseins (pensons au cas de Ponce Pilate). L’activité politique du chrétien ne sort pas du domaine où le Christ est le Seigneur absolu. Il sait aussi que partout où il ira et agira, il possède la plus grande espérance : celle du retour du Christ. Les temps sont proches où il sera dit de lui : « Le royaume du monde est remis à notre Seigneur et à son Christ, et il régnera aux siècles des siècles » (Ap 11.15). « Les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre y apporteront leur gloire. » (Ap 21.24).