2 Timothée 3 - Dionysos ou le paradis terrestre
2 Timothée 3 - Dionysos ou le paradis terrestre
« Sache que, dans les derniers jours, surgiront des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, insensibles, implacables, calomniateurs, sans frein, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, impulsifs, enflés d’orgueil, aimant leur plaisir plus que Dieu; ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Éloigne-toi de ces hommes-là. »
2 Timothée 3.1-5
La mythologie nous apprend que Dionysos, fusion de plusieurs divinités grecques, thraces ou d’ailleurs, hantait les sommets boisés, rendait des oracles, présidait aux cultes d’ivresse orgiaque. Il était toujours suivi d’un cortège de satyres, de Pan, de Priape et de toutes les bacchantes. Les rites religieux en son honneur devaient permettre à ses fidèles de s’intégrer à la divinité. D’après la légende, ses adeptes se livraient également à l’omophagie, c’est-à-dire à dépecer et à dévorer des victimes vivantes. Son cortège délirant et ses compagnons de débauche ont inspiré les meilleurs poèmes et les chants les plus populaires de la Grèce antique. Son culte a toujours été l’occasion de processions grotesques et de banquets aux suites obscènes et tapageuses.
Divinité infernale, incitant à la recherche de l’intensité de la vie et à l’insatiable satisfaction de tous les sens, présidant aux ivresses orgiaques dans lesquelles peut sombrer toute vie humaine, le vieux Dionysos est toujours parmi nous. Le débordement de la vie animale auquel nous assistons, la primitivité des désirs, une débauche devenue frénétique, le déchirement entre l’orgueil exaltant et la culpabilité refoulée sont, aujourd’hui comme dans le passé, l’œuvre de Dionysos. L’attrait de son culte et l’envoûtement de ses débauches se trouvent cachés au plus profond de tout homme. Parce qu’il offre à ses adeptes l’extase du plaisir et celui de la violence, Dionysos reste la divinité suprême sur cette terre.
On pourrait s’en étonner… à tort. Car le voici, derrière toutes les manifestations irrationnelles des modernes. Les exemples ne manquent pas. Il suffit d’en mentionner deux pour s’en convaincre. « L’érotisme de masse et la pornographie industrielle sont ce qu’il y a de plus triste et de plus laid au monde », écrivait, il y a quelques années déjà, non pas un moraliste, mais le journaliste d’un illustre hebdomadaire. L’auteur poursuit :
« Contribuer à rendre ce monde chaque jour un peu plus noir, un peu plus bête et un peu plus sinistre, là est la véritable immoralité. La pornographie est funèbre. […] Je les entends d’ici; qui ça? Les clercs en folie. Les clercs? Oui, sous ce nom générique je désigne des psychologues, des sociologues, des sexologues, des érotologues, des pornologues, des abbés de choc, des pasteurs d’assaut, des rabbins de combat, des intellectuels démystificateurs et tout ce que la gent bavardeuse et écrivassière compte. »
Plus loin encore, il mentionne des chiffres (il s’agit du début des années 70) concernant une grande ville européenne :
« Regardons se multiplier dans notre ville les sex-shops et les sexo-porno-shops; sept en mars, dix en mai, trente-quatre en septembre. Monsieur X…, 34 ans, a ouvert en dix mois sept boutiques. Il a développé son rayon de vente par correspondance, possède en province 60 000 clients, reçoit chaque jour 400 lettres et expédie par la poste 900 volumes. Près d’un million de nos concitoyens reçoivent régulièrement le catalogue de ses publications. »
On pourra objecter au pasteur chrétien que je suis que, selon l’Évangile, il ne faut juger personne. On oublie sans doute l’autre page de l’Évangile de Jésus-Christ qui nous met en garde contre la débauche et la perversion, contre toute immoralité. Lisez donc saint Paul, apôtre et porte-parole de cet Évangile :
« Sache que, dans les derniers jours, surgiront des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, insensibles, implacables, calomniateurs, sans frein, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, impulsifs, enflés d’orgueil, aimant leur plaisir plus que Dieu; ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Éloigne-toi de ces hommes-là » (2 Tm 3.1-5).
Le voici donc cet Évangile, qui est loin d’être une Parole inodore, incolore et sans saveur pour des émasculés de l’esprit! S’il est Bonne Nouvelle, il est aussi jugement. Il est invitation à se tourner vers le Dieu saint, ordre à fuir « cette génération perverse ». Nul n’a le droit d’en arracher les pages qui dérangent et qui bousculent pour ne conserver que celles où les esprits libidineux s’imaginent bien à tort trouver de l’indulgence pour leur libertinage. L’Évangile remet radicalement en question notre manière de sentir, de penser et de nous comporter.
Or, les formes des bacchanales et des fêtes dionysiaques ont peu changé. Voici ce qu’écrivait Jean Brun à ce sujet dans son percutant Le retour de Dionysos :
« Notre époque est à la fois celle du formalisme et du psychédélisme, de la machine et de l’érotisme, celle de la rationalisation et de la violence. À la proclamation de la mort de Dieu suit l’annonce de la mort de l’homme. Celui-ci est plongé dans le délire et l’hystérie des pseudo-libérations fracassantes. La dislocation des formes, des mots, des sons, de la personne, autant d’expressions de dévotion à la nouvelle ivresse qu’engendre et qu’entretient Dionysos. Il improvise un peu partout des fêtes énormes, sans loi, afin que tout devienne ivresse et jeu de hasard. Ce dieu revenant et déjà revenu, ce dieu qui n’a cessé de hanter les meilleurs esprits, ce dieu qui se présente à l’homme comme le libérateur, arrive à se dissimuler même dans ce qui lui semble le plus étranger, l’intellectualisme et la technique. Les gens de l’Occident se glorifient d’avoir exorcisé le fantôme de l’irrationnel, mais ils n’ont rejeté le vrai Dieu Créateur et Sauveur que pour se livrer à Dionysos, assez démoniaque pour ne pas paraître ce qu’il est. »
Connaître le vrai visage de Dionysos, c’est comprendre notre époque. Citons encore Jean Brun :
« Le retour de Dionysos signifie la déshumanisation de l’homme. Il est de plus en plus déshumanisé sous prétexte qu’il doit se dépasser. Les paradis artificiels, l’art psychédélique, la domination totale des images devraient nous avertir du danger que nous courons peut-être en toute inconscience. Rien n’échappe au pouvoir d’envoûtement exercé par Dionysos; certaines peintures dites modernes, une littérature qui se prétend d’avant-garde, ou même des expressions plus populaires sont les signes du culte qui lui est voué. »
Comment expliquer son influence sur les esprits modernes? Jadis, on se préparait pour le lendemain. Depuis peu, on crut devoir apprendre que le lendemain ne venait pas; qu’il fallait par conséquent vivre l’instant présent. Vivre, manger, boire et surtout déféquer, puisqu’il n’y a pas de perspective d’avenir. Paradis avec ses drogues, ses exaltations et ses happenings simultanés, des émotions tribales, l’exubérance érotique, la scatologie infantile, voilà pourtant le paradis dionysiaque pour les révoltés modernes, ces néo-romantiques avec leur propre tradition mystique. Tout est alors lacéré, pulvérisé, pour être remembré, recomposé, refait d’une manière chimique et alchimique.
Des débris de l’ancienne vie, les hommes cherchent à refaire ou à replâtrer une existence nouvelle. Comment y parviendraient-ils? Ils refusent le sens et surtout la norme, la règle. Ils optent pour le nihilisme et proclament l’anarchie.
« Les hommes jouent avec l’existence comme on joue un personnage dans une pièce de théâtre ou comme on joue aux jeux de hasard. Ce jeu sans fin ni but est bien le visage du nihilisme que professe Dionysos et qu’il fait passer pour une extase. »
Tout autour de nous semble culte de participation et d’ivresse religieuse à la manière des païens de l’antiquité. Le bon sens et la raison sont bannis. Il faut la fête, et pourtant, les déboussolés de Dionysos sont les proies toutes préparées et désignées pour succomber au premier tyran qui, se frottant les mains dans l’ombre, saura attendre son heure. C’est toujours la dictature qui suit la pourriture.
Les chrétiens parviendront-ils à échapper à cet envoûtement? Il y a tellement d’indices que l’espoir reste bien mince… La fête dionysiaque s’est déjà introduite dans nombre d’Églises chrétiennes. Certaines célébrations cultuelles, certaines contestations, une manière obsessionnelle de s’intéresser à l’homme en mettant Dieu de côté ne sont-elles pas les indices que Dionysos s’est inscrit sur les registres de nos paroisses? Qu’il s’y trouve parmi les membres les plus en vue et les plus actifs?
Le lecteur de l’Évangile ne connaît d’alternative que Dieu ou Dionysos. Céder au second, c’est tomber dans l’asservissement et la destruction. Choisir le Dieu de Jésus-Christ, c’est rejeter toutes les tyrannies et résister à la tentation fondamentale; c’est comprendre une fois pour toutes que la religion n’est pas un accessoire dont on peut se passer; elle est la peau dans laquelle nous portons le corps. Mais elle sera ou bien l’orientation fondamentale de notre existence vers le vrai Dieu Libérateur, ou bien l’orientation vers des pseudo-dieux et des idoles dérisoires ou sinistres. Les masques modernes de ce deuxième type de religion, qu’ils soient politiques, culturels, socio-économiques ou psychologiques, ont tous l’a priori religieux qui habite le cœur de tout homme.
Il n’existe pas d’athéisme véritable. Il n’y a que l’idolâtrie. Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme est apparu. Écoutons-le déclarer :
« Quiconque boit de cette eau [terrestre] aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source qui jaillira jusque dans la vie éternelle » (Jn 4.13-14).
Saint Paul, de son côté, nous exhorte : « Ne vous enivrez pas de vin : c’est de la débauche. Mais soyez remplis de l’Esprit », celui de Dieu (Ép 5.18).