Matthieu 1 - L'annonce faite à Joseph
Matthieu 1 - L'annonce faite à Joseph
« Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph; avant leur union elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle. Comme il y pensait, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit, elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait déclaré par le prophète : Voici que la vierge sera enceinte; elle enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous. À son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui. Mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus. »
Matthieu 1.18-25
La généalogie de Jésus le déclarait fils de David. Le récit de sa naissance le révèle à notre foi comme le Fils de Dieu. Le récit de l’Évangile selon saint Matthieu comporte en outre l’explication du nom qui lui fut donné et de la prophétie qui s’est accomplie par la naissance de l’enfant. L’histoire en est brève, mais contient tous les traits propres à ce premier Évangile, l’Évangile du Roi et du Royaume, celui du Messie prédit et rejeté.
Le récit de la naissance surnaturelle de notre Seigneur nous est offert avec une délicatesse inspirée et une grande réserve, et pourtant, dans une telle clarté qu’il ne laisse planer aucun doute quant à la véracité des événements rapportés. La description de la perplexité de Joseph, l’allusion à la loi et aux coutumes judaïques, la direction divine accordée dans un rêve et la déclaration de l’événement miraculeux nous sont rapportées avec naturel et sobriété, mais aussi avec une grande solennité.
Il n’y a aucune raison de douter de l’événement miraculeux annoncé; le Christ en personne n’est-il pas l’incarnation du plus grand miracle, l’incarnation même du Fils de Dieu? En sa personne, le divin et l’humain sont indissolublement associés. S’il existait depuis l’éternité en tant que Dieu, si sa mission terrestre fut le théâtre d’actes surnaturels, s’il a quitté le monde par une résurrection corporelle et une ascension vers le ciel, il n’est nullement incroyable que sa venue, elle aussi, fût de nature surnaturelle. Néanmoins, l’importance réelle de l’événement ne réside pas dans la manière dont il s’est déroulé, mais dans la conséquence de celui-ci, c’est-à-dire la naissance miraculeuse elle-même.
Cette naissance est l’accomplissement même de l’antique prophétie du livre d’Ésaïe, au chapitre 7. Au temps du roi Achaz, le prophète avait annoncé que Dieu accorderait une délivrance miraculeuse à son peuple en l’arrachant des mains de ses ennemis, Israël et la Syrie. Comme symbole de cette intervention divine, une jeune fille donnerait naissance à un enfant, qui devait être appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Sans doute, le prophète ne songeait nullement à une naissance miraculeuse pour son propre temps.
L’auteur de notre Évangile, quant à lui, y perçoit le sens de la prédiction réalisée lors de la naissance de Jésus. Or, Jésus n’était pas simplement une assurance donnée pour une délivrance, mais la délivrance elle-même; non un signe de la présence divine, mais Dieu présent parmi les humains. L’importance réelle de la naissance de Jésus réside dans le fait que le fils de Marie est aussi le Fils incarné de Dieu, capable de sauver ceux qui lui font confiance dans la foi; il porte les deux noms les plus prodigieux qui puissent exister, à savoir Jésus et Emmanuel.
C’est un ange du Seigneur qui intervient auprès de Joseph et qui change le scandale en une grâce secrète, en changeant le cours même de sa pensée.
Ne nous laissons pas arrêter par les détails, mais voyons l’interprétation qui nous est offerte par l’évangéliste en personne, et que l’Église universelle a acceptée pour confesser sa foi en Jésus-Christ à la fois Dieu et homme, deux natures en une seule personne.
Un premier point à retenir est la présence de l’Esprit de Dieu dans l’annonce qui vient d’être faite. Le Saint-Esprit s’associe dès le début à l’histoire du Christ. Le Saint-Esprit s’associe toujours à la personne du Christ et à son œuvre terrestre, historique, pour le présenter à nos yeux comme une figure réelle, vivante, historique. Là où l’Esprit se trouve engagé, nous nous trouvons nécessairement en présence du Christ vers qui il nous conduit, devant qui il s’éclipse, auquel il rend un témoignage parfait, clair et suffisant. Notons que l’Esprit nous révèle un Christ fait homme et non un Christ spirituel et désincarné. En effet, la Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous pleine de grâce et de vérité.
À un moment où l’on parle beaucoup du Saint-Esprit, allons-nous, enfin, découvrir l’aspect l’essentiel de sa fonction, à savoir qu’il tient à rendre compte du Christ incarné et de son œuvre? « Reconnaissez à ceci l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu » (1 Jn 4.2). Ceci ne diminue aucunement sa divinité, mais ne réduit pas non plus le Christ des Évangiles en un esprit désincarné, à la manière des docètes hérétiques qui prétendaient que le Christ n’avait pris qu’une apparence humaine. L’Esprit nous préserve aussi de réduire le Fils incarné en une créature subordonnée, non consubstantielle avec Dieu le Père.
Sachons aussi que là où on ne confesse pas le Christ incarné, pleinement humain, l’humanité, elle, sera exposée aux dangers les plus grands et les plus graves. L’Évangile ne nous présente pas un Christ semblable à ces icônes orientales couvertes d’or et auréolées de lumière. Un tel Christ, dans de telles Églises, a rendu possible la tyrannie d’hommes iniques sur leurs semblables tout au cours de leur histoire, et à notre époque encore plus que par le passé. Lisez seulement les comptes rendus des goulags modernes; ce sont des témoignages véridiques, terribles et émouvants, de ce qui peut advenir aux êtres humains lorsque des hommes pervers, sans foi ni loi, sont en mesure d’exercer un pouvoir totalitaire. C’est parce que les victimes n’avaient pas compris correctement l’image réelle, parfaitement humaine aussi bien que divine, du Fils incarné qu’elles avaient pu être réduites à l’état de sous-hommes. Le Christ conçu du Saint-Esprit et auquel saint Matthieu rend témoignage est un Christ totalement humain comme il est totalement divin.
Le Jésus dont nous parle saint Matthieu nous vient littéralement « hors de l’Esprit ». Son entrée dans la vie, dans le sein de Marie, la vierge, est l’œuvre même du Saint-Esprit. L’expression « naît de » revient sept fois dans le chapitre 1 de Matthieu, et quatre fois au sujet de femmes apparemment indignes de figurer dans la généalogie du Christ (Thamar, Rahab, Ruth, Bath-Chéba). Mais on peut dire que les naissances auxquelles elles avaient donné lieu avaient été, en faisant un jeu de mots en grec, « ex-centriques », comme le sera, à son tour, celle du divin Sauveur, à cause du Saint-Esprit. Œuvre excentrique en effet, comme toutes celles qu’entreprend notre Dieu, c’est-à-dire totalement miraculeuse.
L’enfant portera deux noms : il sera appelé Jésus et il sera appelé Emmanuel. Ces noms nous apprennent l’essentiel de la personne et de la mission de celui qui les portera. Ils servent d’introduction à la doctrine de la personne du Christ.
Jésus, celui qui sauve, ou plutôt Dieu sauve. C’est un nom qui indique à notre foi qui il est et ce qu’il fait. On peut s’interroger : Qui est celui qui sauve? L’apparente confusion nous permet de mieux mesurer la profondeur du mystère que nous contemplons; Dieu sauve, et il sauve en Jésus. Les deux sont engagés dans notre rédemption. Dieu sauve, qui est la traduction du nom de Jésus, donne une parfaite définition. Jésus n’est pas un simple instrument entre les mains divines, une extension plus longue que Moïse, Élie, Jean-Baptiste et d’autres. Il est le Sauveur en personne, non un représentant du divin, mais Dieu avec nous. Il est un avec Dieu, mais sans oublier que ce pronom usuel répandu parmi les Juifs de son époque indique également son humanité parfaite et totale.
Comment est-ce possible qu’il soit à la fois divin et humain? C’est le grand mystère de notre foi que nous acceptons dans l’adoration. Jésus n’est pas un être humain supérieur, il n’est pas appelé à devenir divin. Il est Dieu et homme à la fois, en sa personne une, sans confusion ni mélange, sans division ni séparation.
C’est à ce titre-là qu’il pourra sauver. Sauver son peuple, ceux pour qui il est venu, c’est-à-dire ses élus. Il est le Sauveur de son Église, et non de ceux qui s’excluent eux-mêmes de son peuple. Cette Église est actuellement composée des croyants de l’ancien Israël et des païens convertis, quelles que soient leur race, leur couleur ou leur langue.
Il les sauvera de leurs péchés. Non pas d’un joug tyrannique politique, de la détresse économique, des troubles psychologiques ou des miasmes atmosphériques, mais de leurs péchés. Il vaut la peine de le souligner. Même pas du péché d’autrui, mais de leurs propres péchés. Tout l’Évangile a été rédigé pour répondre à cette question et expliquer comment Jésus est devenu le Sauveur de son peuple.
Emmanuel, c’est l’autre nom qu’il portera. Nous avons insisté suffisamment sur la naissance virginale du Christ qu’il n’est pas nécessaire de donner encore une preuve de notre attachement à cette doctrine capitale de la foi chrétienne. Nous pensons néanmoins que l’annonce faite à Joseph souligne davantage le « Emmanu-El », Dieu avec nous, que ne le fait la naissance virginale comme telle. Ce nom signifie littéralement que le El, Dieu en hébreu, est avec nous. Emmanuel ne signifie pas que Dieu est avec Jésus, mais que Dieu est Jésus, son Fils éternel. Du moment où Dieu est devenu Emmanuel, qu’il s’est incarné en son Fils, qu’il est né en Judée, le salut du monde a déjà pris corps et est en train de se faire.
Cette incarnation soulèvera la question de la Trinité, ce que nous n’aborderons pas dans ce bref exposé. Qu’il suffise de mentionner qu’à partir du moment où nous parlons de Dieu qui demeure au-dessus de nous, et du Dieu avec nous, nous posons inévitablement la question de la Trinité. L’Église, dans sa confession, ne se livre pas à une spéculation oisive, mais déclare ce que ce Dieu fait pour elle, ce que Dieu est capable d’accomplir pour nous hommes et pour notre salut.
J’aimerais conclure par un mot consacré aux protagonistes humains des événements. Joseph, l’homme juste, n’est pas bien loquace dans le Nouveau Testament, quoique son attitude est une démonstration remarquable de la soumission active à la volonté Dieu. Il parle peu, mais accomplit beaucoup. Il surmonte son hésitation légitime d’entrer dans le jeu divin. Il décide de ne pas répudier Marie, sa jeune fiancée, mais de l’épouser, pour ne pas l’exposer au déshonneur. Plus tard, il prendra soin de l’enfant et le protégera, même si pour ce faire il doit s’enfuir en Égypte. Simple, disponible, tranquille d’une saine tranquillité, sans ostentation, il incarne parfaitement la justice biblique. Être juste selon la Bible, n’est-ce pas se soumettre au commandement divin?
Parlons aussi de Marie. Elle deviendra, mais après la naissance de Jésus seulement, l’épouse de Joseph; c’est ce que nous rapporte l’Évangile, ce qui explique que Jésus aura, sur le plan familial, des frères et des sœurs et non pas des cousins, comme on le prétend parfois. Je n’ignore pas combien cette déclaration, que je tiens pourtant de l’Évangile lui-même, soulèvera l’indignation de certains croyants; je ne le fais nullement dans un esprit polémique ni pour jeter inutilement le trouble dans les esprits. Mais mon devoir va d’abord à cet Évangile éternel qui ne nous trompe pas. Ce passage exclut définitivement la doctrine, non pas de la naissance virginale de Jésus, car avec l’Église universelle j’y crois fermement et je la confesse, mais celle de la virginité perpétuelle de Marie, élaborée après coup et qui n’a jamais été confessé par les credo œcuméniques.
Mais retenons l’essentiel encore de ce passage : Jésus n’est Sauveur que parce qu’il est Emmanuel.