Philippiens 3 - La politique tout autre du chrétien
Philippiens 3 - La politique tout autre du chrétien
« Soyez mes imitateurs, frères; portez les regards sur ceux qui marchent selon le modèle que vous avez en nous. Il en est plusieurs qui marchent en ennemis de la croix du Christ; je vous en ai souent parlé et j’en parle maintenant encore en pleurant : leur fin, c’est la perdition; leur dieu, c’est leur ventre, ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Pour nous, notre cité est dans les cieux; de là nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps humilié, en le rendant semblable à son corps glorieux par le pouvoir efficace qu’il a de s’assujettir toutes choses. »
Philippiens 3.17-21
« Au risque de nous faire comprendre, nous appellerons les choses par leur nom. Aujourd’hui, dans l’esprit de beaucoup, le bien est de ce côté-ci, et le mal est de l’autre. Telle idéologie politique représente la libération et l’avenir de l’humanité, la fin des aliénations dégradantes, tandis que son opposé incarne la répression, la réaction, l’exploitation sans scrupule de l’homme par l’homme. Le conte du grand méchant loup et du gentil chaperon rouge est encore actuel. »
C’est à un philosophe, Jean Brun, que nous empruntons ces propos.
« En donnant à César ce qui appartient à Dieu et à Dieu ce qui appartient à César, on fait naître des conduites suicidaires qui se prennent pour des rédemptions apocalyptiques, travaillant à faire descendre sur terre le Royaume de Dieu. Ainsi se donnent la main les théologies de la révolution, les théologies de la violence, les théologies et les querelles de moines byzantines, au sujet d’un ciel et d’un Dieu qui y serait localisé. À un moment où l’homme doit affronter les problèmes cruciaux tels que la répartition des richesses ou la pollution, la foi semble une démarche obscurantiste. Laissons donc la transcendance et la grâce aux anges sans sexe, pour nous occuper de notre jardin terre à terre. Le danger que courent les chrétiens c’est de se mettre de nos jours au service d’institutions et d’idéologies avec de nouveaux obscurantismes, avec une nouvelle intolérance, avec de nouvelles violences au service des privilégiés d’un ordre nouveau. Le dogmatisme ecclésiastique n’a pas été exorcisé par le développement de la science.
Il s’est reconstitué sous d’autres formes en se laïcisant. Les partis politiques modernes ont leurs élus-prophètes, leurs manifeste-évangile, leurs congrès-synodes, leurs hérétiques-déviationistes, leur science-orthodoxie, leur police-inquisition, leur censure-index, leurs guerres-justes-croisades. Au nom de la vérité scientifique et du sens de l’histoire, des sauveteurs se prennent pour des sauveurs, devant lesquels les autres sont tenus de s’incliner rationnellement et dévotement. Des hommes se trouvent réduits au rang de matériaux servant à construire la Tour de Babel de la cité humaine. L’hystérie de l’action se prend pour une grâce irrésistible et s’achève dans des entreprises outrancières dans des délires de l’exaspération, dans des conduites d’acharnement (je ne parle guère de la névrose politique, aussi fréquente que d’autres, mais plus séduisante, semble-t-il, grâce à de subtils camouflages). Mais il faut le dire nettement, le pouvoir politique est de nature névrotique. Derrière le pouvoir se cache la volonté de puissance de ceux qui l’exercent. Il n’est pas jusqu’à l’éloquence sacrée qui est passée de mode, pour céder à l’éloquence politique. On pourrait décerner le premier prix de dissertation politique pour les slogans que l’on déverse entre le dentifrice au goût sauvage, ou la poudre machin qui rend votre linge le plus blanc du monde. »
De quelle manière le chrétien peut-il demeurer à l’abri des tentations et des tentatives du politique, lui qui constitue l’irremplaçable agent de démystification du politique? Il dévoile la nature profonde et perverse de ceux qui, ayant soif d’exercer un pouvoir, prétendent apporter le salut aux hommes. Le chrétien, à l’écoute de la Parole citée au début, devrait être le mieux armé pour ne pas céder au vertige du triomphalisme des œuvres politiques, celui qui pourrait garder la distance pour mieux servir son prochain et la Parole de Dieu.
Le politique pense que son pouvoir de métamorphoser la condition de l’homme en transformant ses situations est un pouvoir vraiment créateur; ainsi, il ne remet pas seulement en question la société, mais aussi et encore la création tout entière.
Cette confusion et ces réductions catastrophiques rendent l’homme dupe de la magie verbale des messianismes politiques qui lui promettent le paradis sur terre. « Le chrétien — écrit encore Jean Brun — a été le meilleur, non lorsqu’il a donné l’exemple du pouvoir, mais l’exemple au pouvoir! » En présence des nouvelles aliénations, Jésus-Christ répond : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14.6). Face à ceux qui collectionnent des vérités sans la vérité, et prétendent qu’il n’y a pas de but, pas de chemin, ni même de voyageur, le chrétien mieux que quiconque peut affirmer que s’il vit dans la cité, il ne vit pas que d’elle ni par elle, car s’il marche dans la cité terrestre c’est pour se diriger vers la cité de Dieu. La cité humaine est le domaine des catastrophes, là où l’homme devient son propre Dieu après avoir voulu tuer le vrai pour le singer ensuite.
C’est à Jésus-Christ que nous donnons notre allégeance. Non pas à la politique de notre pays, parce que Jésus-Christ est le seul Seigneur qui, ayant triomphé du mal et de la mort, détient tout pouvoir réel. Dans la cité terrestre, le chrétien proclame donc le seul manifeste politique de quelque valeur (voir Ph 3.17-21).
Ce texte n’est ni abstraction ni spéculation, mais une déclaration radicale. À tel point que la politique particulière du pays où l’on vit devient secondaire. Certes, il n’est pas question de se réfugier dans la tour d’ivoire du contemplatif qui laisse aux autres le soin de mettre fin à toutes les injustices et à toutes les exploitations. Il ne s’agit pas de fuir les responsabilités ni d’agir en traître dans la cité terrestre. Mais de reconnaître simplement que Christ se trouve au-dessus de toute politique et de tout syndicat, de tout intérêt national et de toute lutte de classe. Il ne s’agit pas de dévaluer la cité à laquelle nous appartenons, mais de reprendre avec Paul une autre déclaration :
« C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2.9-11).
C’est fondé sur cette certitude que le chrétien exerce son droit de double citoyenneté. Jésus a été victime des autorités civiles et il a été exécuté par le pouvoir politique de son temps. Mais c’est lui qui a reçu le pouvoir suprême. Notre relation avec le Christ affecte nos rapports avec le pays dont nous sommes les citoyens. Nous ne sommes pas des apatrides, mais des hommes et des femmes possédant une double citoyenneté.
Ayant fait la rencontre de Jésus et nous étant enrôlés à son service, nous n’avons pas à nous laisser impressionner par l’activisme politique ni même par les menaces d’un régime fort.
Une véritable et profonde analyse politique se fait par les soins du citoyen chrétien. Pour lui, tous les états modernes sans exception, quelle que soit leur couleur ou quel que soit leur régime, sont des institutions fondées sur la seule raison humaine et non dans la foi en Dieu. Ils sont régis par la prétendue universalité du bon sens, et se fondent théoriquement sur la dignité de l’homme.
Or, la véritable dignité de l’homme est le don de Dieu, tandis que les modernes s’appuient sur des vérités allant de soi, issues de l’humanisme athée qui exalte l’homme au lieu de glorifier Dieu; qui instaure un gouvernement soi-disant par le peuple et pour le peuple, en faisant fi de l’autorité divine et de la rédemption offerte en Christ. C’est pour cela que, malgré une intarissable logorrhée sur les droits et la dignité de l’homme, on n’a jamais autant avili, massacré et torturé les hommes — et avec autant d’efficacité — qu’à notre époque. Les idoles modernes, telles la société, l’éducation, la culture, l’industrie, l’économie, les loisirs sont devenues des biens absolus et des dispensateurs de biens, se substituant à la providence divine.
Tout chrétien, ce double citoyen, possède un droit inaliénable de questionner tout ordre politique au nom de sa foi. Chaque fois que la liberté d’exprimer sa foi en Christ lui est refusée ou retirée, il sait qu’il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Chaque fois que l’éducation des enfants sera compromise par un enseignement athée et anti-chrétien, il se sait responsable des siens et investi d’autorité pour élever ses enfants dans la crainte du Seigneur et pour sa seule gloire.
Appartenir à Jésus-Christ ne nous fait pas fuir nos responsabilités, bien au contraire. Cet immense privilège nous rend lucides et nous permet de prendre conscience des problèmes réels, de les examiner à l’aide de la Bible, dans un esprit d’amour et de service. Agir ainsi c’est rendre le plus grand service à la cité des hommes.
Nous sommes appelés à pratiquer une politique différente de celle d’hommes dépourvus de la crainte de Dieu, puisqu’appelés à demeurer des citoyens de la cité terrestre et à mener une politique inspirée, fondée par la mort et la résurrection du Christ.
Nous pouvons pratiquer cette politique tout autre, dans l’attente de la cité des cieux qui ne tardera pas à s’établir, pour notre rédemption définitive et pour proclamer et vivre la gloire de Dieu, unique Sauveur.