L'institution papale dans le catholicisme
L'institution papale dans le catholicisme
- Introduction
- L’origine de la papauté
-
La primauté de Pierre?
a. Matthieu 16:13-19
b. Luc 22:31-32
c. Jean 21:5-7 - Aucune preuve que Pierre fut évêque de Rome
- Le vicaire du Christ
- Une succession apostolique?
- La promulgation du dogme de l’infaillibilité au Concile Vatican I
- Le dogme de l’infaillibilité papale précisé par les événements :
- Le Concile Vatican II
1. Introduction⤒🔗
Comme organisation, l’Église romaine se distingue de toute autre Église par le gouvernement monarchique qu’est le système papal. Le pape en est le chef visible; ses membres sont réunis en la personne de l’évêque de Rome, qui porte le titre de pape, en sa qualité de vicaire du Christ et successeur de Pierre et la plénitude de juridiction et l’autorité doctrinale suprême. Que disent les sources et les textes romains à ce sujet et au sujet de l’infaillibilité papale?
Le terme de pape dérive du latin « papa », père. Jésus, on s’en souvient, a défendu d’appeler quelqu’un « père », ce qui sous-entend l’exercice d’une autorité religieuse usurpée (Mt 23:9). Au cours des siècles, ce terme, en tant que titre officiel, a été porté par tous les prêtres; actuellement, les Églises orientales les désignent toujours comme tels.
En Italie, le terme fut d’abord appliqué aux évêques comme titre honorifique; ensuite, il fut porté par l’évêque de Rome de manière exclusive en sa qualité et en sa fonction d’épiscope universel. Grégoire avait refusé d’être nommé pape par l’empereur Phocas, mais son second successeur, Boniface III (607), l’accepta; depuis lors, il sert de titre officiel à l’évêque de Rome.
Pontife, littéralement celui qui construit des ponts (« pons » : pont; « facio » : faire), n’est pas un terme biblique, mais dérive de la Rome païenne, où l’empereur, en sa qualité de haut hiérarque, c’est-à-dire de souverain sacrificateur de la religion, se désignait en tant que le pont reliant la vie temporelle à la vie future, et il est appelé Pontifex Maximus. C’est donc au paganisme romain que la désignation de l’évêque romain, en tant que chef de l’Église, a été empruntée. Comme le souverain sacrificateur de l’Ancien Testament fonctionnait comme intermédiaire entre Dieu et les hommes, de même le pape revendique pour lui ce rôle de médiateur. Il a même pouvoir sur les âmes du purgatoire, il peut les faire libérer et les faire accueillir au ciel, ou bien, au contraire, faire prolonger indéfiniment leur châtiment purificateur!
Durant une période s’étendant sur plus de six siècles après Jésus-Christ, aucun chef spirituel de l’Église n’a exercé d’autorité sur d’autres évêques. Les premiers conciles œcuméniques étaient composés de délégués de diverses Églises, ayant tous le même rang ecclésiastique. Grégoire I, vers 590, appelé le Grand, qui peut être considéré comme le premier évêque du système actuel, consolida le pouvoir épiscopal romain, traçant une direction toute nouvelle et définitive du développement ultérieur de l’Église.
La Réforme ne pouvait ignorer ni négliger cette doctrine principale de l’Église romaine qu’est le système de la papauté. Même si Rome était disposée à faire des concessions sur d’autres points (de convergences ou de divergences), ce point de doctrine était devenu « l’articulum standis et cadentis ecclesiae », c’est-à-dire un article de foi décisif pour toute l’Église. Ce point donc mobilisa autant l’attention de Rome que celle de la Réforme.
En dépit des tentatives d’interprétations nouvelles, le principe de l’autorité papale est toujours fermement maintenu et défendu par Rome. Même si Vatican II a laissé un espace pour une certaine collégialité des évêques, celle-ci devra toujours être interprétée à la lumière de la primauté de l’évêque de Rome. Le pape conserve l’office suprême, lequel est sa prérogative intangible. Il incarne l’autorité magistérielle, qu’il exerce sur la totalité de l’Église romaine. La puissance de celle-ci est symbolisée par la primauté de l’évêque de Rome, qui la manifeste et la concrétise. Ce sera là la question décisive qui séparera Rome de la Réforme. Cette autorité papale et son institution devenue intangible rendront tout rapprochement impossible entre Rome et les réformés et ainsi qu’avec les Églises orientales.
2. L’origine de la papauté←⤒🔗
La primauté du pontife romain prétend se fonder sur des privilèges qui auraient été accordés à Pierre, déclaré premier évêque de Rome, premier anneau de la chaîne ininterrompue de la succession apostolique.
« Cette primauté pontificale est définie comme le pouvoir suprême qui lui appartient dans toute l’amplitude de la juridiction spirituelle, en tant que chef de l’Église catholique et apostolique, évêque des évêques, prince des pasteurs, successeur de saint Pierre et vicaire de Jésus-Christ sur la terre.1 »
Cette prérogative culmine à l’infaillibilité dans le domaine de la juridiction doctrinale, mais ne se confond pas entièrement avec elle. Remarquons que ce privilège et son autorité comme chef de l’État du Vatican ne sont pas directement associés. Cependant, il ne s’agit pas d’une simple primauté d’excellence, de conseil ou d’honneur, en vertu de laquelle l’évêque de Rome, « primus inter pares » (premier parmi ses pairs), obtiendrait sur les autres évêques une prééminence purement cérémonielle; il s’agit bien d’une primauté de gouvernement, d’une autorité réelle, non pas due à la déférence et au respect, mais encore engageant la soumission proprement dite, une obéissance à la fois extérieure et intérieure. On voit que le gouvernement de Rome, malgré la récente collégialité des évêques, rappelle un régime monarchique parmi les plus autocratiques en vertu de sa substitution sur terre à l’autorité souveraine du Christ Seigneur.
La doctrine relative au pape a été amplement et officiellement définie par le Concile Vatican I, qui a également érigé en dogme son infaillibilité. Voici les canons concernant la doctrine du pape et, en outre, la définition de son infaillibilité :
« Si donc quelqu’un dit que le bienheureux apôtre Pierre n’a pas été constitué par le Christ, notre Seigneur, le prince des apôtres et le chef visible de toute l’Église militante, ou que le même Pierre n’a reçu directement et immédiatement du Christ, notre Seigneur, qu’une primauté d’honneur, et non de véritable et propre juridiction : qu’il soit anathème. […]
Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ Seigneur lui-même ou de droit divin que le bienheureux Pierre a des successeurs perpétuels dans sa primauté sur l’Église universelle, ou que le Pontife romain n’est pas le successeur du bienheureux Pierre dans la même primauté : qu’il soit anathème. […]
Donc, si quelqu’un dit que le Pontife romain n’a que la charge d’inspection et de direction, et non le plein et suprême pouvoir de juridiction sur l’Église universelle, non seulement dans les matières relatives à la foi et aux mœurs, mais aussi dans celles qui appartiennent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans tout l’univers; ou qu’il a seulement la partie principale, et non la plénitude entière de ce pouvoir suprême; ou que ce pouvoir qui lui appartient n’est pas ordinaire et immédiat soit sur toutes et chacune des Églises, soit sur tous les pasteurs et les fidèles et sur chacun d’eux : qu’il soit anathème. […]
C’est pourquoi […] nous [c’est-à-dire le pape] enseignons et nous définissons que c’est un dogme divinement révélé : Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.
Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la témérité de contredire notre définition : qu’il soit anathème.2 »
3. La primauté de Pierre?←⤒🔗
La doctrine relative à la papauté repose sur deux suppositions : la première, que Pierre aurait été établi par Jésus comme chef de l’Église; la seconde, que Pierre aurait eu des successeurs dans cette charge, que seraient les évêques de Rome. Pierre aurait été investi d’une primauté dans l’Église apostolique accordée par le Christ en personne. Il serait devenu le premier évêque de Rome, jouissant d’une juridiction suprême, pleine et universelle. Cette même autorité papale sur l’Église universelle serait transmise par Pierre à ses successeurs sur le siège apostolique de Rome.
a. Matthieu 16:13-19←↰⤒🔗
Le point de départ biblique de la doctrine concernant la primauté de Pierre est Matthieu 16:13-19 :
« Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis? Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus reprit la parole et lui dit : tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. »
Il est clair qu’une place importante est ici faite à Pierre dans le plan du salut. Il est toutefois significatif qu’il soit appelé « Pierre » et que Jésus-Christ bâtisse son Église non pas sur ce « Petros », « Pierre », mais sur cette « petra », c’est-à-dire sur « ce rocher ». Cette distinction dans les mots doit nous avertir de ne pas imputer à la seule personne de Pierre cette haute signification.
Nous n’entrerons pas dans la controverse passablement complexe, et qui dure depuis des siècles, au sujet de l’exacte signification du terme grec « petra », que nous traduisons par rocher, ou pierre, sur lequel le Christ promet de bâtir son Église. « Petra » serait-il la personne de Pierre? Ou bien sa confession? Ou même uniquement la personne du Christ? Ici même, cherchons à exposer le point de vue romain.
Selon la conviction romaine, c’est la personne de Pierre qui est identifiée avec « petra ». Mais ceci ne constitue pas du tout une preuve convaincante, car il est évident que si Pierre ou un autre apôtre devait être considéré comme détenteur d’une autorité exceptionnelle, ayant une position de fondement, il ne le serait qu’en un sens secondaire, dans sa capacité d’associé et certainement pas, en tant qu’individu privé, en sa qualité personnelle. Or, les deux textes pauliniens d’Éphésiens 2:20 et 1 Corinthiens 3:11 rendent bien clair cet aspect des choses. Le Christ en personne est la « petra », le rocher en question, et les apôtres, y compris Pierre, ne sont que des pierres de fondation, la première rangée sur laquelle se posera l’ensemble de l’édifice. Du fait que la stabilité de l’Église dépend de son édification sur le Christ Rocher, son unité aussi en dépend, puisqu’il est véritablement la pierre d’angle et constitue le lien véritable de toute unité entre toutes les pierres vivantes qui sont assemblées en vue de l’édification de l’Église.
Il s’agit de ce Pierre qui vient tout justement de confesser : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! » Pierre est le fondement sur lequel le Christ peut bâtir son Église, parce qu’il vit de cette confession de foi et dans la mesure exacte où il en vit. Pierre est ici un représentant de la véritable confession de foi et le chef de file des apôtres; il représente l’unité de la confession de foi et de la prédication sur laquelle l’Église est fondée. Mais, pour avoir une idée complète de la personne de Pierre, nous devons aussi nous référer aux versets 22 et 23, où Pierre intervient après que Jésus lui ait fait part de sa passion et de sa mort.
Pierre s’était mépris sur l’assurance qui venait de lui être donnée, l’avait interprétée comme si elle lui avait conféré le droit de régner et de décider avec le Christ. L’homme qui venait de recevoir cette révélation sur l’identité du Christ est qualifié maintenant de Satan.
En outre, nous ne devons pas perdre de vue Matthieu 18:18, où la puissance de lier et de délier est conférée à tous les apôtres sans exception. Dans Matthieu 16, cette puissance n’a donc pas été donnée à Pierre en tant que particulier, mais en tant que représentant du collège des apôtres, ce qui ne s’accorde nullement avec la déclaration de Vatican I affirmant que Pierre et ses successeurs auraient été revêtus non seulement « de la partie principale », mais « de la plénitude entière » de la juridiction ecclésiastique.
Telle a été l’interprétation d’éminents conducteurs et de Pères de l’Église primitive, dont Hilaire de Poitiers, Tertullien, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome et même Cyprien. Aucun d’entre eux ne laisse entendre une hypothèse de primauté de Pierre qui ne serait pas partagée par ses condisciples. En outre, le passage de Jean 20:22-23 rend la chose très claire que le pouvoir des clés n’a jamais été la prérogative exclusive de Pierre. Ce pouvoir, il l’exercera en association avec ses frères. Nous ne voulons pas nier la prééminence de Pierre au sein de l’Église apostolique durant les premiers temps de l’Église, notamment à Jérusalem. Les Évangiles eux-mêmes nous le présentent comme faisant partie du cercle des intimes du Seigneur, qui durant le ministère terrestre de celui-ci jouissaient de certains privilèges. Rappelons-nous aussi qu’il fut le porte-parole de l’Église le jour de Pentecôte.
Nous pouvons constater qu’il possède d’éminents et d’indéniables dons de chef. Il a été le premier envoyé par l’Esprit Saint pour ouvrir avec les clés de l’Évangile la porte de la grâce aux païens. Mais rien de tout ceci ne lui confère une quelconque primauté officielle, et si le Seigneur la lui avait conférée, il est fort étonnant que les autres membres du collège apostolique n’en aient point été informés, ni même conscients! À aucun moment nous ne verrons Pierre exercer un gouvernement « monarchique », même et surtout lors de l’apparition de problèmes sérieux au sein de l’Église apostolique. Lors du concile de Jérusalem (Ac 15), ce fut Jacques, le frère du Seigneur, et non Pierre, qui apparaît au premier rang. La désignation de Matthias comme successeur de Judas ne fut nullement décidée par Pierre, mais par l’ensemble du collège apostolique à la suite d’une prière demandant à Dieu la direction pour un choix correct. C’est ainsi que l’on procéda aussi pour la désignation des sept diacres (Ac. 6). Nous dirions, aujourd’hui, de façon « démocratique »… Par conséquent, si Pierre avait reçu une primauté officielle, il est très étrange que les autres apôtres n’en prissent jamais connaissance. Et il est plus étrange encore que Pierre, personnellement, n’ait jamais donné le moindre signe de cette conscience de sa primauté! Lorsqu’il exhorte les « anciens » de l’Église à s’acquitter fidèlement des charges ecclésiastiques qui leur sont confiés, il ne réclame pour lui-même aucune autorité particulière, et bien qu’il jouisse d’une autorité propre à l’apostolat, il se présente comme un ancien, témoin de la souffrance du Christ.
« Ce n’est qu’au début du 3e siècle qu’apparaissent en Occident les premières tentatives pour fonder sur ce texte de Matthieu 16:16 le primat de l’évêque de Rome. Saint Augustin ne s’y rallie pas et lui-même enseignera que cette parole, le Christ ne l’a pas appliquée à Pierre, mais se l’est appliquée à lui-même, car si le Christ appelle Pierre de son nom de Pierre, par le terme de roc il se désigne lui-même. S’il y a empiriquement une tradition protestante, celle qui prend sa source chez Luther et Calvin, elle se borne à reprendre l’argument de saint Augustin. C’est le Christ qui est le roc sur lequel est fondée l’Église, le Christ en tant qu’il vient précisément d’être reconnu et confessé par Pierre comme le Fils du Dieu vivant. Mais comment transmettre ce qui est vraiment lié à une personne en raison de l’élection gratuite dont elle a été faite personnellement l’objet? Ici notre désaccord avec Rome est profond et irréductible… Ce serait livrer la révélation de Dieu aux lois de l’évolution humaine, de la spiritualité et des orientations intellectuelles de l’humanité. En proclamant la nécessaire transmission de la fonction apostolique, l’Église catholique, sans en avoir eu l’intention assurément, a ouvert la voie à toutes les synthèses disgracieuses entre les philosophies humaines et l’unique révélation de Dieu. C’est bien pour cela que la papauté constitue l’obstacle essentiel à l’unité et à la réforme permanente.3 »
b. Luc 22:31-32←↰⤒🔗
Après le texte de Matthieu 16, c’est Luc 22:31-32 qui est le passage invoqué comme preuve biblique attestant la primauté de Pierre. Mais il ne faudrait pas isoler ces paroles des versets 33 et 34. Tout comme dans Matthieu 16, nous voyons ici la tendance de Pierre à intervenir de son propre chef au nom et à la place de Jésus-Christ. Le Seigneur y répond par la prédiction de son reniement. Il ne sera nullement question d’une intervention autonome de Pierre. C’est uniquement à l’intercession du Christ qu’il devra de ne pas être considéré comme de l’ivraie lorsque Satan le criblera de ses flèches. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il sera converti, que connaissant sa faiblesse il pourra affermir ses frères en témoignant auprès d’eux, dans leurs tentations, de la fidélité de Dieu qui est plus forte que toutes nos infidélités.
Il ne faut pas avoir une très grande compétence exégétique pour démontrer que ce texte n’apporte aucun appui à la thèse défendue par Rome. Hélas! la fabrication des preuves artificielles fait trop souvent partie des spécialités propres à l’Église romaine… Expliquons simplement ce texte. Les disciples se trouvent en présence d’un danger imminent et commun à tous. Satan va les tenter, mais le Seigneur prie pour l’un d’entre eux plus particulièrement afin que sa foi ne défaille pas et qu’après sa conversion et sa réhabilitation il puisse être en mesure de consoler et de fortifier la foi de ses frères.
L’interprétation romaine est devenue l’une des illustrations typiques de la manière dont les textes bibliques sont malmenés et leur sens déformé. Contre quoi, précisément, Pierre mettait ses lecteurs en garde (2 Pi 3:16). Pour Chrysostome, le texte comporte un autre sens.
« Pour cela, il [Jésus] dit avec force en réprouvant Pierre et en montrant que sa chute serait plus grave que celle des autres disciples; aussi s’adresse-t-il à lui. Il n’affirme pas qu’il ne le reniera, mais promet que sa foi ne défaillira. Afin qu’il ne périsse pas définitivement. »
Chrysostome écrivait ces lignes au 4e siècle, il fut sans aucun doute l’un des commentateurs de l’Écriture les plus avisés et les plus brillants de son temps. Pierre sera spécialement qualifié pour soutenir ses frères, non en vertu d’un don supérieur qui lui serait accordé, mais en raison de la grâce de ce Seigneur, que sous peu il profanera d’une manière totale, le reniant lors du procès devant le Sanhédrin juif.
c. Jean 21:5-7←↰⤒🔗
Jean 21:5-7 est le troisième passage sur lequel Rome cherche à fonder la primauté de Pierre. Nous ne reproduirons pas ce long texte. Interrogeons-nous sur les raisons des questions que Jésus pose à Pierre. Pourquoi Jésus, le Seigneur ressuscité, compare-t-il Pierre aux autres? Est-ce possible qu’il s’attendît que Pierre le renégat se comparât à présent à ses frères et qu’il affirmât : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime plus que tous les autres? » Était-ce dans l’acceptation d’une telle réponse que le Christ aurait confié la mission pastorale suprême : « Pais mes agneaux »?
Mais voici la situation décrite par l’évangéliste : Jésus avait prévenu et averti ses disciples de l’épreuve à laquelle ils seraient exposés bientôt, et l’effet troublant qu’elle aurait sur chacun d’eux. Pierre, quant à lui, plus impulsif que les autres, ne voulait rien savoir. « Même si tous te renient, je ne serai pas scandalisé en toi. » Jésus se fera plus précis encore dans son avertissement. « Cette même nuit, tu me renieras. » Pierre proteste de nouveau : « Même s’il faut mourir avec toi, je ne te renierai pas! » Implicitement, Pierre se compare aux autres; il tenait à dire : « Eux ils peuvent peut-être te renier, moi, jamais! Je m’engage pour toi plus que tous les autres. » Or, lors de sa rencontre ou confrontation avec le Seigneur ressuscité, Pierre osera-t-il encore se comparer aux autres? Sûrement pas! Il se contentera de cet aveu émouvant : « Tu sais que je t’aime. » Mais Jésus poursuit son interrogation. Non parce qu’il met en doute la sincérité de Pierre, mais afin de lui rappeler sa récente défaillance. Il l’avait renié trois fois. Aussi, pour chaque reniement, il devra affirmer à présent un attachement renouvelé. Une touchante confession d’amour et de foi. Alors seulement le Seigneur lui confiera la mission pastorale. Dans cette rencontre, Jésus ne confirme donc pas une fonction officielle de Pierre, mais accorde au disciple repenti l’assurance gracieuse qu’il est librement pardonné et pleinement réhabilité dans le collège apostolique.
La scène se déroule en présence des autres disciples. Eux aussi doivent apprendre que Pierre est réintégré dans son ancienne position. Non pas comme le pasteur suprême des troupeaux, mais comme chacun d’entre eux, en leur qualité de berger appelé à ramener à la maison paternelle les brebis égarées d’Israël et celles d’autres nations, afin qu’il puisse y avoir un seul troupeau et un seul Berger, le Pasteur suprême, Jésus-Christ, qui aime ses brebis et donne sa vie pour elles.
Dans toutes ces paroles du Christ, nous ne trouvons absolument rien de ce que l’Église romaine souhaiterait y voir, à savoir une primauté de juridiction universelle de Pierre. Nous sommes alors frappés de trouver de nombreux textes infirmant la thèse romaine dans le livre des Actes des apôtres et dans les épîtres. Ceci est d’autant plus intéressant qu’ils vont nous permettre de préciser en quel sens et dans quelle intention le Christ a fait ces promesses à Pierre.
Ainsi que nous l’avons admis plus haut, Pierre a assumé pendant un certain temps une fonction spéciale au sein de la première communauté de Jérusalem. Que cette fonction n’ait jamais été considérée comme un pouvoir suprême de juridiction ressort nettement de la difficulté que Pierre eut à défendre, aux yeux de l’Église de Jérusalem, son attitude à l’égard de Corneille. De même au concile de Jérusalem, à côté de Pierre et après lui, Jacques, le frère du Seigneur, a été obligé de prendre sa défense avant que les apôtres, les anciens de l’Église, lui aient donné gain de cause. Pierre ne jouit ici que d’une primauté d’honneur.
La preuve la plus éclatante que l’Église primitive ne considérait pas Pierre comme le chef de l’Église nous est offerte dans l’épître aux Galates, où Paul souligne le fait qu’il détient son Évangile directement de Jésus-Christ et que c’est ultérieurement qu’il chercha à entrer en rapport avec les apôtres, entre autres avec Pierre (Ga 1:11-19). Les colonnes de l’Église, Jacques, Céphas et Jean, ont reconnu sa vocation. Enfin, il n’hésite pas à dire qu’à Antioche il est entré ouvertement en conflit avec Pierre, dont il qualifie l’attitude d’hypocrite (Ga 2:11-14).
Dans le texte d’Éphésiens 4, l’apôtre Paul rappelle l’unité de l’Église, mais ne fait aucune allusion à Pierre ni à la primauté papale, qui cependant, selon Vatican I, serait « le principe permanent et la base visible de l’unité de l’Église ». L’affirmation de Vatican I selon laquelle saint Pierre a été établi « comme prince des apôtres et le chef visible de toute l’Église militante » et qu’il aurait possédé « la primauté de la véritable et propre juridiction » non seulement ne trouve aucun fondement dans ce que les Écritures nous rapportent à son sujet, mais s’y trouve, au contraire, réfutée.
4. Aucune preuve que Pierre fut évêque de Rome←⤒🔗
Il semble aujourd’hui certain que Pierre mourut martyr à Rome. Mais il n’est pas du tout certain qu’il en fut le premier évêque. Les textes de l’Évangile ne disent pas davantage que le prétendu privilège accordé à saint Pierre fut transmissible à d’éventuels successeurs. Ceci nous conduit à nous poser la question de l’autorité dans l’Église.
Même si nous accordions à l’Église de Rome le droit de soutenir que Pierre fut investi d’une primauté accordée par le Christ et qu’il fut le premier pape, le Père de l’Église, il faudrait encore produire des preuves que son autorité devait également être transmise à ses successeurs dans le siège apostolique de Rome. Le texte libérien affirme qu’il fut évêque durant 23 ans. Or, toute l’histoire du Nouveau Testament, de même que ce que nous savons des premiers temps de l’Église après l’ère apostolique, ne permet aucune justification de cette chronologie. Il est étrange que, si Pierre fut évêque, l’histoire n’en ait retenu aucune trace, ni dans le livre des Actes ni dans les écrits pauliniens, même pas dans la lettre aux Romains. Il existe, certes, une tradition remontant à la lettre que Clément adressait à Corinthe (90) d’après laquelle Pierre serait mort martyr à Rome. Même ainsi, son martyre ne prouve pas qu’il fut le premier évêque de la capitale impériale.
5. Le vicaire du Christ←⤒🔗
Selon le Nouveau Testament, il nous est possible de nous orienter dans deux directions différentes, mais complémentaires, si nous cherchons à préciser qui est aujourd’hui le vicaire du Christ. La première vient précisément de retenir notre attention : les apôtres sont les remplaçants du Christ; par leur parole, il est lui-même avec nous tous les jours. Par ailleurs, le Christ nous a promis de ne pas nous laisser orphelins, mais de nous envoyer un autre Paraclet, le Saint-Esprit. Ce sont donc la Parole et le Saint-Esprit qui, conjointement, prennent dans l’Église la place du Christ corporellement absent, et c’est par leur présence et leur action que sa promesse se réalise (Mt 28:20).
Si des hommes peuvent être considérés comme des représentants du Christ, c’est seulement parce que, par leur témoignage, la souveraineté du Christ est établie au milieu de nous par la Parole et en l’Esprit. Mais aucun ministère, aucune ordination, aucune succession ne peuvent garantir que ce sera le cas. L’unique garantie en est le Saint-Esprit, qui est et qui reste libre, et dont la présence se reconnaît à ce que les hommes se soumettent à l’autorité absolue et exclusive de la Parole de Dieu. Dans l’Écriture, nous ne trouvons pas le plus petit indice qui permettrait d’affirmer que l’évêque de Rome, comme successeur de Pierre, soit le représentant du Christ sur terre.
Dans sa conception des ministères et de l’autorité du pape, l’Église romaine mise sur des garanties terrestres qui ne nous ont pas été promises et dont nous n’avons par conséquent nul besoin. En tout cela, nous ne pouvons voir qu’un acte de méfiance quant à l’œuvre du Consolateur qui nous a été promis. Qui veut plus que ce que le Christ a promis reçoit moins. Sur le chemin que suit l’Église romaine, le Saint-Esprit est localisé et canalisé, c’est-à-dire lié, et, pour autant que cela dépende de nous, entravé dans son œuvre. La Parole elle-même est livrée à des puissances terrestres qui se mettent à régner sur elle et voilent sa souveraineté en enseignant des préceptes qui ne sont que des commandements d’hommes (Mt 15:9).
Ainsi, rien ne favorisera l’interprétation romaine de l’autorité pétrine, ni de son infaillibilité, ni de sa primauté. Aucun document ecclésiastique primitif ne pourrait être invoqué en faveur de cette interprétation, jusqu’à l’apparition du catalogue dit « libérien » datant du 4e siècle, dans lequel il est mentionné que Pierre fut l’évêque de Rome. Mais il a fallu des siècles pour que l’Église de Rome en vienne à se considérer comme le siège apostolique suprême et que la papauté prenne son visage actuel.
Telle est donc la nature de l’autorité papale : anti-biblique, anti-historique, anti-morale. Son symbole, la triple couronne, tiare de Rome, est un affront à la civilisation moderne, une monstrueuse déformation de l’histoire, une infidélité à la foi et au christianisme biblique. Elle est la concrétisation de l’erreur (délibérée, diront les plus rigoureux critiques) de l’Église romaine et d’une arrogance sans borne. L’institution papale est au service d’une Église qui a glissé hors des voies tracées par la révélation et des bornes assignées pour le ministère de la Parole et des sacrements pour le plus pur bénéfice de son propre développement. Ce sont là des conclusions horribles. Mais si vous acceptez la première, les deux autres la suivent inévitablement.
Si Pierre est le vicaire du Christ désigné officiellement par le Sauveur, alors l’apôtre est bien ce que l’Église romaine prétend qu’il est : docteur de l’Église universelle, dont la doctrine infaillible doit s’imposer à tous, autrement ils périront. Il est le magnat suprême et le Pontifex Maximus à qui tous les rois de la terre doivent montrer du respect, preuve de leur soumission divinement prescrite. Mais permettre de tels droits et des privilèges aussi extravagants, pour ne pas dire blasphématoires, c’est accorder la liberté d’usurper des prérogatives qui n’appartiennent qu’au seul Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
Pour tous les chrétiens, il n’y a pas d’autre autorité dans l’Église que le Christ (1 Co 3:11). La question est de savoir comment le Christ exercera son autorité après l’ascension et avant son retour. Donc maintenant catholiques et réformés admettent l’apostolicité de l’Église; c’est par l’intermédiaire des apôtres, seuls témoins visuels autorisés et disciples du Seigneur, que l’autorité du Christ s’est fait connaître. Nous allons voir que le catholicisme a une conception plus large de l’apostolicité que les réformés. Alors que pour nous, par l’intermédiaire des apôtres, l’autorité du Christ ne s’exerce que d’une manière, dans l’Église romaine elle s’impose de trois façons.
Devant le critère souverain et définitif des saintes Écritures, il n’existe aucune possibilité d’interpréter la primauté du pape dans le sens romain. Même la très modérée et éclairée interprétation d’Yves Congar sera réfuté comme les arguments de la lourde artillerie romaine. Cette doctrine empêchera toute réforme profonde de l’Église romaine. Car elle empêche l’écoute humble et obéissante de la voix du seul Maître, de Jésus-Christ, seul Seigneur de l’Église. La doctrine de l’infaillibilité papale n’est en aucune façon un dogme divinement révélé. Si elle l’était, elle ne serait pas différente des « dogmes » que contient le Coran de Muhammad. Ainsi, à moins de contredire et de nier l’ensemble de l’enseignement des saintes Écritures, aucun chrétien réformé ne souscrira à ce « dogme ».
La perpétuité du magistère de Pierre n’est pas pensée pour elle-même par l’Église romaine. Elle est pensée, écrit R. Mehl, en référence à la perpétuité du ministère de l’Église. C’est même cette seconde idée qui a progressivement imposé la première. S’il est vrai que l’Église doit durer jusqu’à la fin des temps, il faut que le magistère de Pierre n’ait point de fin… Le roc sur lequel l’Église est bâtie doit durer autant qu’elle; aussi longtemps que l’on pourra entrer dans le Royaume, un portier en devra garder les clés. Au moment où Jésus prononce le « Tu es Petros », le roc est Simon Barjona, privilège accordé en récompense de sa foi, et c’est vraiment sur sa personne que l’Église sera fondée; mais quand Simon Barjona aura disparu, la fonction de roc fondamental et de majordome devra passer à un autre.
R. Mehl fait remarquer qu’en fait ce sont bien ces nécessités de raison qui ont inspiré l’évolution de la pensée catholique dans sa construction d’un gouvernement monarchique de l’Église. Évolution lente, souvent contrariée, mais aussi aidée par la lutte contre les hérésies, évolution qui aboutira en 1439 (Concile de Florence) à la définition juridique du pouvoir absolu du pape sur l’Église4.
6. Une succession apostolique?←⤒🔗
Les apôtres ont été les témoins oculaires du Christ, de son ministère, de sa passion, de sa résurrection. Comme tels, ils ne peuvent avoir de successeur. Après leur mort, par contre, leur voix vivante se fait toujours entendre à travers les siècles jusqu’à nos jours. Elle résonne dans les Évangiles et dans les épîtres, elle anime tout le canon du Nouveau Testament, lequel nous rapporte leur témoignage. Ils sont et restent parmi nous les témoins oculaires du Christ. La déclaration de Jésus : « qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette » s’applique à leur témoignage. Leur parole nous place devant le choix décisif : par elle, nous sommes liés ou déliés, comme par les clés ouvrant soit l’accès du Royaume, soit nous en excluant.
En revanche, en tant que chefs de l’Église primitive, les apôtres ont eu des successeurs. Partout où leur œuvre missionnaire porta des fruits, ils établirent des anciens. Paul se fit le champion contre la prétention de la primauté de l’Église de Jérusalem. Dès le début, il y a eu le grand danger de voir des « successeurs » supplanter leur propre autorité à celle, vivante, des apôtres, incarnée dans la Parole écrite.
« Personne n’ignore le rôle capital joué, dans le débat œcuménique actuel, par la notion catholique romaine de la succession apostolique, dont on peut se demander, à vues humaines, si elle n’est pas un obstacle infranchissable sur la route de l’unité des diverses branches de la chrétienté… Les positions ne sont-elles pas trop nettement prises de part et d’autre pour espérer faire avancer la solution du problème en quoi que ce soit?5 »
Après avoir examiné la notion de l’apostolat, dans le Nouveau Testament, J.-C. Margot aborde la question de la succession apostolique. Résumons-le :
« Un fait paraît évident : La définition de la doctrine de la succession apostolique est un contrecoup de la réaction anti-gnostique du deuxième siècle. Il est significatif de constater que la première mention qui soit faite des termes “tradition apostolique” et “succession” se trouve dans un document gnostique : l’épître de Ptolomée à Flora (env. 165). Il n’est pas nécessaire d’étudier longuement les systèmes gnostiques pour remarquer à quel point chaque disciple altérait l’enseignement de son maître… Cet argument fit de l’impression et fut repris par l’Église, qui se mit à insister sur l’autorité doctrinale des évêques en énonçant à son tour une théorie de la succession apostolique dans un sens encore restreint. […]
La doctrine soutenue à Rome vers 180 se ramène à l’affirmation de la continuité dans l’enseignement, l’ordination n’y jouant pas encore de rôle. […] Face aux particularismes des doctrines gnostiques, un certain consensus entre les évêques, dans l’Église, donne du poids à leur prétention à l’orthodoxie. Cependant, la succession, telle que la comprend Hégésippe en particulier, ne suffit pas à garantir l’authenticité apostolique de l’enseignement officiel de l’Église. […]
Cullmann rappelle fort justement qu’à part les lettres d’Ignace, les écrits des Pères dits apostoliques, malgré l’intérêt théologique qu’ils présentent, s’éloignent considérablement de la pensée du Nouveau Testament et retombent dans une large mesure dans un moralisme qui ignore la notion de grâce, de la mort rédemptrice du Christ, centrale pour la théologie apostolique. […] Les traditions auxquelles se réfère Papias (150) ont un caractère tout à fait légendaire, et pourtant elles ont été transmises dans l’Église. Et il suffira encore de faire allusion aux évangiles apocryphes, avec leurs récits souvent extravagants, que l’on justifiait pourtant aussi par l’établissement de chaînes remontant aux apôtres.
Par contre, on a constaté que les Pères de l’Église qui ont écrit après 150 comme Irénée et Tertullien, tout en étant chronologiquement plus éloignés du Nouveau Testament que les auteurs de la première moitié du siècle, ont infiniment mieux compris l’essence de l’Évangile. Le souci que l’Église a eu de fixer le canon est une preuve que la voie de la transmission d’évêque à évêque, remontant même jusqu’aux apôtres, n’était pas considérée comme suffisante et qu’elle devait être soumise à un critère fixe : l’enseignement apostolique délimité au moyen de la fixation du canon.
En conclusion, nous pouvons dire ceci : la solution du problème de la succession apostolique dépend une fois de plus de la place attribuée à l’Écriture face à la tradition. Pour autant qu’on fasse passer la tradition par le crible de la norme scripturaire, il est possible d’attribuer de la valeur à la notion de “succession apostolique” comprise comme élément de continuité dans la structure institutionnelle de l’Église, dans l’organisation des ministères.6 »
7. La promulgation du dogme de l’infaillibilité au Concile Vatican I←⤒🔗
Voici, selon le texte décisif, la nouvelle interprétation romaine du dogme de l’infaillibilité promulguée au Concile Vatican I :
« Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.7 »
Comment comprendre ces propositions? Les actes du concile donnent des éclaircissements.
« 1. L’infaillibilité est donnée à tous les papes et à chacun personnellement. Mais elle n’est pas un privilège personnel du successeur de Pierre, privilège par lequel celui-ci serait à part de l’Église et placé au-dessus d’elle. Le pape n’est pas infaillible parce qu’il est pape, ou évêque de Rome, ou patriarche d’Occident. Il est infaillible lorsqu’il parle comme docteur suprême de tous les fidèles et avec l’autorité souveraine afférente à cette tâche (ex cathedra). Autrement dit, l’infaillibilité n’est pas conférée à un ministre en tant que tel, mais seulement à des actes précis qu’il accomplit. Le pape doit donc faire connaître spécialement qu’il accomplit un tel acte, qu’il a l’intention de promulguer une telle décision. Celui qui affirme que le pape a pris une telle décision doit pouvoir le prouver. Pour le temps antérieur au concile Vatican I, cela naturellement n’est pas toujours facile.
Une autre restriction de l’infaillibilité pontificale est liée à son objet. Ne sont infaillibles que des propositions doctrinales en rapport avec la foi et les mœurs; ce n’est donc pas le cas, par exemple, lorsque le pape s’exprime sur des questions scientifiques et politiques. Le but d’une définition doctrinale infaillible est de constater qu’une certaine doctrine est véritablement révélée par Dieu; c’est alors seulement qu’elle exige inconditionnellement l’adhésion de la foi. L’infaillibilité veut dire que le pape, parlant dans ces conditions et ces limites et de cette manière, est préservé par l’assistance du Saint-Esprit du danger de conduire les fidèles dans l’erreur. Il est donc faux, parce que trop simple, de dire : selon la doctrine catholique, le pape est infaillible. Il est juste et conforme aux textes du concile de dire : l’exercice du magistère par l’évêque de Rome est, à certaines conditions bien définies, infaillible, c’est-à-dire sans erreur.
2. Même lorsque sont remplies les conditions précises citées plus haut, l’infaillibilité des proclamations pontificales n’est pas absolue, c’est-à-dire isolée de l’Église. Bien plutôt, la foi de la totalité de l’Église est le critère qui engage le pape lorsqu’il prépare une définition doctrinale qui sera proclamée avec le titre d’infaillibilité. Il n’y a qu’une seule infaillibilité dans l’Église, celle de l’Église dans sa totalité. Mais celle-ci s’exprime en des formes variées, entre autres dans certaines propositions doctrinales du pape. Le point saillant de la doctrine catholique est, bien entendu, que les définitions ex cathedra du pape ne possèdent pas l’infaillibilité en ce sens que l’Église déléguerait en quelque sorte au pape sa pérennité dans la vérité. Bien plutôt, comme garant de l’unité de la foi de l’Église, celui-ci possède sans intermédiaire le charisme de l’Esprit qui le préserve d’erreur dans de telles définitions pour le bien de l’Église.
Par ailleurs, ces décisions doctrinales du pape renvoient à la foi de l’Église, non seulement dans la mesure où cette foi est le but de la décision, mais où elle en est aussi la norme. Le dogme lui-même demande au pape d’utiliser tous les moyens humains dans la recherche de la vérité, quoique le concile n’ait pas voulu lier le pape dans le choix des moyens. Il va de soi que l’écoute de l’Écriture et de la Tradition est indispensable pour cela. L’assistance du Saint-Esprit qui lui est promise, selon le dogme, a seulement un effet “négatif” : la préservation de l’erreur. Il n’est promis au pape ni une inspiration positive ni surtout une nouvelle révélation.
3. Le plus grand scandale, autrefois comme aujourd’hui, se trouve dans les formulations que “les décisions de l’évêque de Rome sont de par elles-mêmes, non à cause du consentement de l’Église, irrévocables”. Cependant, le sens n’en est pas si scandaleux qu’il paraît. Le concile n’affirme pas qu’il n’y a aucun lien entre une définition infaillible du pape et la foi de l’Église. Au contraire, la définition doctrinale exprime justement le témoignage de la foi de l’Église. Le pape ne peut jamais se désolidariser de la foi de l’Église, sans quoi il se placerait hors de la communauté. Le “de par lui-même” ne signifie donc pas que le pape pourrait, selon son bon plaisir, dicter des formules de foi à l’Église. Est uniquement exclue la thèse suivante : seule une procédure juridique précise, semblable à la ratification de décisions parlementaires, conférerait aux décisions papales leur caractère irréformable. Ces sortes d’opinions ont effectivement existé, à la suite des courants théologiques. […] On voulait dans ces cas faire dépendre la validité des déclarations papales soit de l’acquiescement des princes et des évêques, considérés comme représentants du peuple, soit de l’assentiment direct de l’ensemble des fidèles. Pour parer à ces tendances, on introduisait littéralement à la dernière minute la formule contestée dans le texte de la constitution.
Était-il nécessaire d’imposer ce texte, source d’innombrables achoppements et malentendus? La chose est contestée jusqu’à ce jour. […] Toujours est-il que les théologiens protestants s’efforcent expressément de comprendre correctement, selon l’histoire et les faits, cette notion peu heureuse, parce que sujette à interprétations multiples de consentement de l’Église pour éliminer, à propos du “magistère infaillible”, une controverse mal située.8 »
8. Le dogme de l’infaillibilité papale précisé par les événements :
La définition du dogme de l’Assomption (1950)←⤒🔗
Nous reproduisons ici presque entièrement l’article du doyen Pierre Lestringant, qui présente valeur de document :
« À la veille du deuxième Concile du Vatican, comment ne pas s’interroger sur l’objet de ses travaux et plus encore sur leurs résultats? L’initiative de cette convocation n’est pas seulement inattendue; elle met en cause la signification que beaucoup donnaient au dogme de l’infaillibilité papale, en tout cas la conséquence inéluctable qu’en semblait tirer Rome depuis sa proclamation, en 1870. Il n’est pas surprenant que l’opinion des réformés soit désorientée. Les uns conçoivent (concevaient) l’immense espoir d’un renversement du courant de dérive qui, au cours des siècles, a éloigné du pur Évangile, la foi, les piétés et les institutions de l’Église romaine. D’autres, au contraire, n’y voient qu’une habile tentative d’effacer de son visage les traits les moins compatibles avec l’Évangile, afin de rendre sans objet le refus des chrétiens non catholiques et d’en rallier un grand nombre. Des deux côtés, on se réfère à des tendances observées, on invoque des faits et l’on met en avant des arguments. Mais est-il sage, pour prévoir l’avenir, de se livrer à des hypothèses sur le présent? Et l’art de discerner les intentions, serait-ce celles de la hiérarchie, ne relève-t-il pas de la fantaisie? Pourquoi nous efforcer tout simplement de voir où en est l’Église romaine en cette année? La méthode consisterait, par exemple, à préciser à l’aide de plusieurs points de repère pris dans le passé le plus proche l’orientation qu’ont imprimée au vaisseau de l’Église romaine les souverains pontifes qui en tinrent successivement le gouvernail. À cet égard, l’examen des étapes préparatoires à la promulgation des deux dogmes récents, relatifs à la Vierge Marie, celui de son Immaculée Conception et celui de son Assomption, nous paraît au plus haut point éclairant.
L’Immaculée Conception fut érigée en dogme de foi le 8 décembre 1854, par Pie IX (Bulle Inneffabilis). C’est un siècle plus tard, le premier novembre 1950, que Pie XII devait définir le dogme de l’Assomption (Bulle Munificentimus Deus). Mais entre les deux était intervenue, lors du Vatican I (1869-70), la promulgation de l’infaillibilité pontificale.
En fait, le second dogme marial vint fournir au Saint-Siège la première occasion de donner, en vertu de l’autorité que l’Église lui reconnaissait depuis 80 ans, la définition infaillible d’un dogme. Beaucoup attendaient cette heure avec émotion. Ils se demandaient comment deviendrait manifeste l’infaillibilité du pape, en particulier pendant la période d’élaboration du nouveau dogme. Les événements sont maintenant derrière nous. Pour qui les analyse objectivement, quatre remarques s’imposent.
1. L’étape préparatoire à la promulgation de l’Assomption n’a différé en rien des préliminaires à celle de l’Immaculée Conception au siècle dernier, Pie IX avait recouru à une consultation de l’épiscopat. Pie XII n’a pas procédé autrement; dès le 1er mai 1946, il demandait aux évêques catholiques du monde entier s’ils estimaient que le dogme de l’Assomption dût être défini, et si clergé et fidèles de leurs diocèses respectifs le désiraient. Les neuf dixièmes des évêques ont répondu affirmativement, et 8 millions de signatures apportèrent le vœu des croyants. La bulle Munificentissimus Deus ne fait pas seulement état de cette consultation. Dans sa première partie, elle s’attache à préciser que l’Église s’est largement exprimée en tous ses organes, communautés, ordres, paroisses, épiscopales, en une admirable harmonie de sentiments et de paroles.
2. Pie XII ne cherche pas, dans la bulle, à fonder la vérité du nouveau dogme sur l’infaillibilité de son jugement de vicaire de Jésus-Christ. Il n’invoque pas le droit qu’il possède de trancher une question qui reste, malgré tout, controversée. Il constate que la croyance à l’Assomption de la Vierge est largement répandue depuis des siècles dans l’Église, qu’il existe sur ce point une conformité de pensée entre cardinaux, pères, évêques et pape, cet accord mettant en évidence la foi, l’enseignement et le désir de l’Église. Il s’agit pour Pie XII d’en prendre acte officiellement, en quelque sorte de l’entériner. Le consensus a rendu sa vérité manifeste. Il faut qu’elle ne soit pas seulement vraie à cause du consensus du peuple des croyants et du clergé. Par la confirmation pontificale, elle sera désormais vraie “en elle-même”. Tel est le mode d’accroissement de la vérité religieuse que professe l’Église.
3. Toutefois, pas plus en 1950 qu’en 1854, le pape ne s’est pas contenté d’homologuer une croyance après avoir vérifié que la piété des fidèles s’en nourrit. Le parallélisme des deux Bulles est encore frappant en ceci, qu’après avoir proclamé la suffisance du consensus de l’Église vivante, elles donnent aussi au dogme un fondement théologique. Toutes les deux y joignent une série de preuves, et de preuves qu’elles puisent aux mêmes sources; textes empruntés à des liturgies anciennes et à plusieurs Pères de l’Église, références à quelques paroles de la Bible interprétées d’une manière allégorique, recours au témoignage de nombreux théologiens, démonstration faisant appel tantôt à la logique ou à la spéculation, tantôt au monde des sentiments de la piété mariale.
Le caractère propre d’une certitude est de n’avoir aucun besoin d’être consolidée par des preuves. Or ici, dans les deux cas, ce qui est d’abord objet de certitude est pourtant accompagné d’abondantes justifications. Pour étayer l’enseignement qu’elle définit, la Bulle de 1950, plus encore que celle de 1854, invoque des paroles de l’Écriture sainte et des Pères dont le sens est pour le moins obscur. Et c’est afin de pouvoir y projeter les traits nettement dessinés d’une doctrine qu’elle entend légitimer. La méthode appliquée est celle que préconise l’Humani Generis : ce qui est obscur doit être expliqué par ce qui est clair. […]
Il est paradoxal de constater que la thèse impliquée dans la bulle de 1950 reprend celle du modernisme que condamnait Pie X dans l’encyclique Pascendi Dominici gregis du 8 septembre 1907. Mais ce paradoxe témoigne d’une remarquable fidélité à la notion cumulative de la vérité religieuse familière au catholicisme.
4. À la lumière des récentes décennies, l’infaillibilité des papes revêt une signification que beaucoup ne prévoyaient pas il y a 70 ans. Le souverain pontife est celui dont la voix formule et définit la foi que vit, dans son infaillibilité, le peuple des croyants, l’Église vivante, les philosophes diraient “l’Église empirique”. Cette signification de l’infaillibilité papale s’harmonise également avec le principe d’une religion qui capitalise en quelque sorte les vérités.
Il va de soi qu’une telle infaillibilité est d’un tout autre ordre que le pouvoir exercé par le pontife romain en tant que primat d’une hiérarchie sacerdotale, seul qualifié pour assurer dans le monde la suprématie d’une institution ecclésiastique et pour traiter avec les gouvernements politiques.9 »
Le dogme de l’infaillibilité papale est plus vaste encore, puisqu’il couvre aussi l’infaillibilité de l’Église romaine. Mais si tel est le cas, tout appel à l’Écriture serait vain et nul. Luther plaçait cette conception de la papauté au même plan que celle des « enthousiastes » fondant une autorité à leurs propres yeux, une autorité autoproclamée. En cela l’Église romaine ne pourrait être qualifiée que de secte. Cette autorité magistérielle s’étend à l’ensemble de l’ordre épiscopal. Car l’ordre des évêques est le successeur du collège apostolique en ayant l’autorité d’enseigner et de règne pastoral; le corps apostolique est sans interruption dans le corps épiscopal.
Avec sa tête, le souverain pontife romain, et jamais sans sa tête, l’ordre épiscopal est le sujet du pouvoir suprême et entier sur l’Église universelle. Mais ce pouvoir ne peut s’exercer qu’avec le consentement du pontife romain. Or l’infaillibilité promise à l’Église réside aussi dans le corps des évêques, lorsque ce corps exerce son autorité suprême d’enseignant avec le successeur de Pierre. Il s’en suit que l’on doit soumission à l’enseignement suprême autorisé du pontife romain même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra.
Pour avoir autorité, tout évêque doit être dans la succession apostolique, c’est-à-dire consacré par un évêque lui-même dans la succession, de telle sorte qu’il y ait une suite ininterrompue d’évêques, comme une chaîne le reliant aux apôtres. La succession apostolique n’est pas propre à la seule Église romaine (voir par exemple les Églises orientales), mais c’est à Rome qu’elle a revêtu le caractère le plus institutionnel (hiérarchie : pape, concile, évêque, prêtres, bas clergé).
9. Le Concile Vatican II←⤒🔗
Vatican II a réaffirmé la décision de Vatican I. Le collège ou le corps des évêques n’a pas d’autorité à moins qu’il ait conjointement avec sa tête, le pontife romain, successeur de Pierre. En vertu de son office, à savoir en tant que vicaire du Christ et pasteur de l’Église tout entière, le pontife romain a plein, suprême et universel pouvoir sur l’Église. Il peut toujours l’exercer librement.
« L’infaillibilité du ministère est englobée dans l’infaillibilité de tout le peuple de Dieu. La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint-Esprit, ne peut se tromper dans la foi.
Le collège des évêques est associé d’une manière explicite à l’acte de la prédication doctrinale infaillible. Quoique les évêques, pris un à un, ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité, cependant, lorsque, même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors, c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment.
Si le pape, à titre singulier, a reçu le charisme d’infaillibilité qui est celui de l’Église elle-même, cela signifie que le privilège de l’Église d’être une communauté de foi indestructible en Jésus-Christ trouve dans le pape une incarnation suprême et personnelle capable d’agir; elle devient en quelque sorte visible dans ses décisions doctrinales. La plupart des théologiens, s’appuyant sur le concile, sont aujourd’hui d’avis qu’il n’y a dans l’Église qu’un seul sujet d’infaillibilité : le collège des évêques sous la direction du pape. Seulement ce collège peut exercer différemment ce magistère d’enseignement. Le pape peut exprimer “seul” la foi de l’Église. Pour cela, il peut et doit s’assurer de l’assentiment de l’Église de manières diverses. Il peut aussi faire apparaître plus clairement la collaboration de tous, en convoquant un concile et en annonçant avec lui la foi de l’Église.10 »
De son côté, le Catéchisme de l’Église catholique, à l’article du credo consacré à l’Église, affirme :
« Le ministère sacramentel dans l’Église est donc un service à la fois collégial et personnel, exercé au nom du Christ. Cela se vérifie dans les liens entre le collège épiscopal et son chef, le successeur de S. Pierre, et dans le rapport entre la responsabilité pastorale de l’évêque pour son Église particulière et la sollicitude commune du collège épiscopal pour l’Église universelle.
Le collège épiscopal et son chef, le pape
Le Christ, en instituant les douze, leur donna la forme d’un collège, c’est-à-dire d’un groupe stable, et mit à leur tête Pierre, choisi parmi eux. De même que S. Pierre et les autres apôtres constituent, de par l’institution du Seigneur, un seul collège apostolique, semblablement le pontife romain, successeur de Pierre et les évêques, successeurs des apôtres, forment entre eux un tout.
Le Seigneur a fait du seul Simon, auquel il donna le nom de Pierre, la pierre de son Église. Il lui en a remis les clés; il l’a institué pasteur de tout le troupeau. Mais cette charge de lier et de délier qui a été donnée à Pierre a été aussi donnée, sans aucun doute, au collège des apôtres unis à leur chef. Cette charge pastorale de Pierre et des autres apôtres appartient aux fondements de l’Église. Elle est continuée par les évêques sous la primauté du pape.
Le pape, évêque de Rome et successeur de S. Pierre, est principe perpétuel et visible et fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles. En effet, le pontife romain a sur l’Église, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Église, un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours librement exercer.
Le collège ou corps épiscopal n’a d’autorité que si on l’entend comme uni au pontife romain, comme à son chef. Comme tel, ce collège est lui aussi le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église, pouvoir cependant qui ne peut s’exercer qu’avec le consentement du pontife romain.
Le Collège des évêques exerce le pouvoir sur l’Église tout entière de manière solennelle dans le Concile œcuménique. Il n’y a pas de Concile œcuménique s’il n’est pas comme tel confirmé, ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre.
Par sa composition multiple, ce collège exprime la variété et l’universalité du peuple de Dieu; il exprime, par son rassemblement sous un seul chef, l’unité du troupeau du Christ.
Les évêques sont, chacun pour sa part, principe et fondement de l’unité dans leurs Églises particulières. Comme tels ils exercent leur autorité pastorale sur la portion du peuple de Dieu qui leur a été confiée, assistés des prêtres et des diacres. Mais, comme membres du collège épiscopal, chacun d’entre eux a part à la sollicitude pour toutes les Églises, qu’ils exercent d’abord en gouvernant bien leur propre Église comme portion de l’Église universelle, contribuant ainsi au bien de tout le corps mystique qui est aussi le Corps des Églises. Cette sollicitude s’étendra particulièrement aux pauvres, aux persécutés pour la foi, ainsi qu’aux missionnaires qui œuvrent sur toute la terre.11 »
Selon Yves Congar :
« Le pape est “l’évêque de Rome”. Sa place dans l’Église et dans le monde est très grande. Il n’y a pas à la majorer, mais à la rendre vraie. L’idée d’un ministère d’unité pour l’Église universelle règne de plus en plus, mais les “prétentions” de Rome demeurent un obstacle non surmonté. Notons que Vatican II n’a rien retiré des prérogatives reconnues par Vatican I, mais les a mieux équilibrées.
1. La fonction de gouvernement
Distinguons par souci de clarté les privilèges du pape dans l’Église, ceux qui sont de droit divin et ceux qui sont de droit ecclésiastique. Cependant, même le droit divin n’est exercé que dans des formes historiques de droit humain. Ainsi la charge confiée par Jésus de “paître le troupeau” a été précisée par les notions non bibliques de juridiction et de primauté. En revanche, le titre de “pasteur universel”, utilisé par Vatican II et que Jean-Paul II adjoint à celui d’évêque de Rome, est de vocabulaire biblique, mais il ne signifie pas que le pape soit évêque universel. Les mots “Episkopus Ecclesiae catholicae”, que Paul VI employait en promulguant les décrets conciliaires, signifient simplement : évêque catholique. Le pouvoir de juridiction du successeur de Pierre est suprême, plénier, immédiat, universel et ordinaire, c’est-à-dire attaché à la charge, non délégué. Il ne signifie pas que le pape pourrait intervenir tout le temps. La Constitution Pastor aeternus de Vatican II finalise les prérogatives pontificales par la mission de veiller à la communion. C’est une mission spirituelle qui comporte les moyens nécessaires.
2. La fonction d’enseignement
Dire simplement que le pape est “infaillible” est une formule inexacte en sa généralité. C’est un charisme de fonction : “le magistère du pontife romain”, non une qualité individuelle. Le texte de Vatican II précise les conditions dans lesquelles ce charisme est assuré. En ajoutant que les décisions du pape sont valables “par elles-mêmes non par le consensus de l’Église”, il ne veut pas dire que le pape pourrait proclamer un dogme là où il n’y aurait aucun consensus de l’Église. Aussi bien Pie IX, avant de proclamer le dogme de la Conception Immaculée de Marie, que Pie XII, avant le dogme de l’Assomption, ont interrogé l’Église par l’intermédiaire des évêques du monde entier. Le concile voulait simplement dire qu’une décision du pontife romain n’a pas besoin d’un acte de consentement d’une Église particulière pour avoir force de loi.
3. La fonction de sanctification
Pour l’évêque de Rome, la fonction de sanctification est propre à tout évêque. Comme pasteur universel, elle dépend de ses charismes personnels. À cet égard, les derniers pontifes ont édifié l’Église. Jean-Paul II a déclaré : “Je viens en évangélisateur”. Mais il a existé des papes mal édifiants. Théologiquement parlant, la primauté de l’évêque de Rome ne constitue pas un ministère de médiation de grâce sur le plan du mystère de l’Église. Le pape n’est pas le vicaire du Christ pour l’Église universelle de la même manière que l’évêque l’est pour son Église locale. Car il n’y a pas de sacrement de la papauté, tandis que l’ordre épiscopal est un sacrement au sens propre.
Les privilèges historiques de la papauté, n’étant pas de droit divin, pourraient changer, même si les faits ont vérifié leur convenance. Il en est ainsi de la règle selon laquelle les évêques sont nommés par Rome. […] Mais il n’y a pas eu d’intervention papale pour les quelque 650 évêques d’Angleterre avant le 12e siècle. Pour une bonne part, ce sont les Églises qui, en sollicitant cette intervention, ont porté la papauté à étendre l’exercice de son pouvoir. Bien des interventions relèvent de la fonction patriarcale, même si, de fait, le pape agit avec son pouvoir primatial. Certains privilèges, comme celui de souverain d’un État, le Vatican, tiennent de l’histoire séculière. On peut mettre en valeur la convenance de cet état de choses ou estimer, au contraire, qu’il a nui au visage prophétique et évangélique de l’Église en son sommet et en son centre, même si cela a noblesse et beauté.
Soulignons plutôt l’immense valeur symbolique de Rome et du pape. Elle joue un rôle important dans l’imaginaire catholique et dans celui du monde. Cela atteint un sommet avec le pape Jean-Paul II qui, par les médias, touche le monde entier. Mais la personne du pape est puissante, et cela entraîne parfois des dévotions excessives; elle risque de trop dominer. La subsidiarité que Pie XII a appliquée à l’Église signifie que l’instance supérieure doit laisser les échelons moins élevés prendre leurs responsabilités, mais aussi qu’elle a le droit et le devoir d’intervenir là où le travail est mal fait.12 »
Notes
1. Roger Mehl, Du catholicisme romain. Cahiers théologiques no 40, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 52.
2. Concile Vatican I, Pastor aeternus, extraits des chapitres 1 à 4.
3. Roger Mehl, Du catholicisme romain. Cahiers théologiques no 40, Delachaux et Niestlé, 1957.
4. Roger Mehl, Du catholicisme romain. Cahiers théologiques no 40, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 52ss.
5. Jean-Claude Margot, Verbum Caro, no 43, p. 213.
6. Id., p. 224-225.
7. Concile Vatican I, Pastor aeternus, chapitre 4.
8. Nouveau livre de la foi, La foi commune des chrétiens, Le Centurion, Paris; Labor et Fides, Genève, 1976, p. 606ss.
9. Pierre Lestringant, Le Christianisme au XXe siècle, 12 avril 1962, peu avant l’ouverture du Concile Vatican II.
10. Nouveau livre de la foi, La foi commune des chrétiens, Le Centurion, Paris; Labor et Fides, Genève, 1976, p. 610.
11. Catéchisme de l’Église catholique, Mame/Plon, Paris, 1992, p. 193-194, parag. 879 à 886. Notons que le catéchisme cite régulièrement et à profusion des décrets conciliaires de Vatican II, que, par commodité pour la lecture, nous n’avons pas placés nous-mêmes entre les guillemets.
12. Yves Congar, L’État des religions dans le monde. Éditions La Découverte/Le Cerf/Boréal, 1987.