Les dons de l'Esprit - Débat entourant leur utilisation
Les dons de l'Esprit - Débat entourant leur utilisation
- Introduction
- La genèse du conflit à propos des « dons »
- Les critères d’utilisation
- L’amour : le don par excellence
- Le témoignage du livre des Actes sur les dons
1. Introduction⤒🔗
Les dons de l’Esprit tiennent une place tellement décisive dans l’expérience pentecôtiste qu’ils ont ouvertement porté atteinte à la personne même du Donateur divin qu’est le Saint-Esprit de Dieu. C’est notamment le cas du parler en langue ou glossolalie. Celle-ci passe aux yeux des pentecôtistes, avec le baptême de l’Esprit, pour la preuve irréfutable de la plénitude de l’Esprit et le signe par excellence de toute expérience chrétienne authentique.
Pour commencer, examinons les divers aspects des dons, pour aborder ensuite individuellement les charismes dont il est question dans le Nouveau Testament. De nombreux problèmes fort complexes attendent celui qui cherche à cerner la nature des charismes aussi bien que leur usage actuel dans la pratique chrétienne. Pour emprunter une expression au vocabulaire scientifique, il nous faudrait ici un principe organisateur nous permettant d’aborder aussi bien les divers aspects de la révélation que son message central.
La révélation reçue par la foi est un ensemble indivis et cohérent, dans lequel toutes les parties sont étroitement liées et se trouvent sans contradiction entre elles; nous n’y avons pas des fragments réunis au hasard au cours des siècles, selon l’humeur de collectionneurs plus ou moins attitrés des Écritures. Aucun aspect de celle-ci ne sera compris isolément du reste et se prêtant à une interprétation détachée de la totalité. Les débats au sujet des charismes de l’Esprit, aussi bien dans les milieux pentecôtistes et charismatiques que chez ceux qui divergent profondément, ont souvent séparé les « dons de l’Esprit » les plus ordinaires de l’ensemble de l’opération de la troisième personne de la Trinité. Cependant, ne considérer comme essentiels et décisifs pour la foi et pour l’expérience individuelle que les dons spectaculaires revient à tomber encore dans la tentation qui amena Paul à développer de manière magistrale et définitive sa théologie des charismes spirituels. Résumons-en l’essentiel.
2. La genèse du conflit à propos des « dons »←⤒🔗
Lors de son second voyage missionnaire, l’apôtre Paul séjourna pendant dix-huit mois à Corinthe, métropole de la péninsule sud de l’Achaïe, en Grèce. Son témoignage et sa prédication portèrent des fruits concrétisés par la fondation d’une Église dans la célèbre ville portuaire. La communauté vivante et vibrante ne tarda pas à se révéler comme l’une des moins amènes pour son pastorat; des questions et des problèmes nombreux d’ordre à la fois ecclésiastique et éthique surgirent après son départ.
La première lettre de Paul aux Corinthiens (qui en réalité est la deuxième qu’il adressa à cette communauté, la première étant perdue) fait état d’un climat ecclésiastique et moral extrêmement pénible pour le grand apôtre et pasteur. Imprégnée d’une sagesse selon le monde, la communauté corinthienne s’est laissée égarer jusque dans l’immoralité la plus grossière.
Ce sont les chapitres 12 et 14 qui traitent plus particulièrement de la question relative aux dons de l’Esprit et de leur pratique. L’apôtre y met un soin bien grand en examinant la genèse et la nature des charismes. À ses yeux, les dons sont sans l’ombre d’un doute destinés à édifier l’Église dans son ensemble et non pas à servir l’autosuffisance et la vantardise des membres individuels.
3. Les critères d’utilisation←⤒🔗
Le Saint-Esprit étant l’Auteur et le Donateur des charismes, il lui appartient de les contrôler afin qu’ils puissent servir le but pour lequel il les accorde avec une si grande générosité.
Outre l’apôtre Paul, saint Jacques soulignait également le fait que le Dieu trinitaire est la source de tout don spirituel et de toute grâce excellente (Jc 1.17). Aucune démarche humaine ne se les procurera. Même la foi en soi ne saurait faire du fidèle le commanditaire du charisme. Dieu l’accorde à qui il veut, selon qu’il le juge bon et utile. Chacun reçoit sa part, en toute équité. Paul souligne ce « chacun », mais, et cela va de soi, le « chacun » désigne les véritables membres de l’Église et non pas, bien entendu, l’humanité en général. Le charisme accordé par l’Esprit Saint n’est pas l’équivalent du talent naturel dont tout homme pourrait se prévaloir.
Chaque croyant recevra tel ou tel don, parfois plusieurs à la fois, afin que les membres du corps du Christ puissent « fonctionner » proprement en toute harmonie. Cependant, certains dons ne sont accordés et ne se manifestent que dans des situations et dans des circonstances spécifiques, tel que ce fut le cas notamment lors de la fondation de l’Église. Leur présence n’étant pas indispensable pour la suite, ils ne seront plus accordés. Il existe donc des dons « ef hapax », c’est-à-dire à caractère unique et non répétable.
Comment procéder pour évaluer la légitimité des charismes et reconnaître à certains la nature permanente? La réponse dépendra grandement de notre position vis-à-vis de l’ensemble de la révélation biblique. Si l’Écriture sainte n’est qu’un maquis de milliers de versets bibliques (en fait quelques 25 000), nous nous y égarerons en prenant la mauvaise direction, si nous ne sommes pas conduits par ce que nous avons appelé le principe organisateur.
À notre avis, n’est pas fondamentaliste qui le veut ou qui le dit… Il ne suffit pas d’appeler à la rescousse un certain nombre de passages bibliques et de les classifier de manière arbitraire sous prétexte qu’on se fonde sur la Bible! Ce genre de fondamentalisme est coupable de deux erreurs. D’abord, il détruit l’unité de la révélation; ensuite, il jette le discrédit sur l’authentique fondamentalisme biblique que nous aimerions représenter ici sans gêne ni complexe. Or le fondamentalisme digne de ce nom ne jongle pas avec des versets isolés pour échafauder un système théologique, le saupoudrant de quelques citations et l’encerclant uniquement de l’extérieur, comme si le corps de l’édifice, lui, n’était nullement affecté par ces passages bibliques. Malheureusement, un certain « évangélicalisme », anglo-saxon surtout, en dépit de ses intentions louables et de ses guerres saintes pour défendre l’infaillibilité des Écritures, a rendu et rend encore les plus mauvais services au fondamentalisme dont nous nous réclamons. Non pas, bien entendu, à cause de ses nobles intentions, mais du fait de sa méthodologie fallacieuse.
Il y a diverses manières de classifier les charismes; plus loin, nous les mentionnerons en les présentant à titre individuel. Nous les séparerons en dons ordinaires et en dons extraordinaires. Nous pouvons également parler des dons de nature permanente et des dons de nature temporaire. Il existe des dons sans lesquels l’Église ne peut s’édifier et sans lesquels elle n’aurait même pas pu être fondée; mais lorsque le besoin pour lequel ils ont été accordés disparaît, par exemple celui d’apôtres pour fonder l’Église, alors le don de l’apostolat disparaîtra aussi. Point de succession apostolique donc ni au sens romain ni au sens larvé, pentecôtiste.
La révélation de Dieu et la connaissance de notre salut renferment l’essentiel pour l’édification de notre foi. Le fait que l’Église post-apostolique ne mentionne pas les dons extraordinaires comme une pratique courante conforte notre conviction que ceux-ci avaient un caractère purement provisoire.
Ainsi, la glossolalie, ou le parler en langues, n’était pas un don nécessaire au maintien et au développement de l’Église, même pas pour sa mission évangélisatrice. En traitant de la question, saint Paul faisait bien ressortir en son temps que l’Église dans son ensemble, ainsi que tout membre individuel de celle-ci, devrait chercher d’abord « le don par excellence ». Si à Corinthe la prophétie était une condition indispensable au développement de la foi, la glossolalie, elle, ne présentait aucun intérêt ni désavantage pour le bien communautaire. Ceci explique que, de propos délibéré, il ne mentionne la glossolalie qu’à la fin de sa liste. C’est très significatif. Certes, il n’en nie pas la réalité dans la pratique corinthienne, mais il met fortement en question l’usage abusif qui en est fait.
Il met en garde les membres de cette Église contre la recherche des dons les moins importants, parce que plus spectaculaires. Chrétiens « charnels », ils font preuve d’un immense orgueil spirituel. Pourtant, nous sommes convaincus que l’apôtre n’aurait jamais osé atténuer l’importance d’un don accordé par l’Esprit si ce don-là n’avait pas été d’une importance vitale.
Voici sa conception d’ensemble. En examinant les passages pauliniens, nous constaterons que l’apôtre a recours à certaines expressions pour désigner la même réalité. Dans 1 Corinthiens 13.4-7, il souligne la source des dons, à savoir l’Esprit Saint; le même Seigneur est le même Dieu qui accorde la variété des dons. Tous ne reçoivent pas les mêmes charismes, mais l’Esprit accorde à chaque croyant le don qu’il choisit souverainement de lui accorder.
Des pentecôtistes affirmaient que la glossolalie devait être générale parce qu’elle authentifierait non seulement un aspect de l’expérience chrétienne, mais jusque l’existence même de la foi. Quant à nous, nous constatons que, selon Paul, l’Esprit n’accorde des dons que dans sa liberté souveraine. Il va jusqu’à nier que tous les membres de l’Église aient été appelés à parler en langues, autrement on n’aurait pas eu besoin d’interprètes…
À cette remarque, on objecte que l’apôtre ne faisait allusion qu’aux abus de la glossolalie. Nous ne suivrons pas davantage ce raisonnement. Dans le passage en question, saint Paul commence par discuter de manière générale des manifestations de l’Esprit, non seulement lorsque l’Église se réunit, mais encore pour décrire la variété des dons par lesquels l’Esprit atteste sa présence. Il souligne encore que l’Esprit traite de manière souveraine avec chaque individu, indépendamment de l’assemblée cultuelle, voire en dehors de celle-ci. Il n’annonce ni ne promet que tout fidèle recevra ou devrait automatiquement recevoir tous les charismes et plus spécialement celui de la glossolalie. En revanche, chaque fidèle devra prendre part à l’œuvre de l’Esprit en vue du bon fonctionnement de l’Église. Restreindre l’utilisation des dons à la célébration cultuelle, comme dans 1 Corinthiens 12, revient à réduire le sens du terme « corps du Christ » à un aspect isolé de celui-ci.
Au chapitre suivant, il propose la voie par excellence qui ne s’arrête pas au culte public. L’amour entre frères ne doit pas se limiter uniquement à des célébrations cultuelles à longueur variable.
Ce n’est qu’au chapitre suivant, chapitre 14, qu’il donnera des directives quant à l’utilisation des dons, en mettant aussi en garde contre leur abus. Tout ceci prouve que l’emploi des dons en vue de l’édification de l’Église va à l’encontre de l’utilisation arbitraire et de la pratique souvent moraliste, pour ne pas dire légaliste, des charismes dans certains cercles charismatiques modernes.
À la lumière des données bibliques, lorsque les dons spirituels deviennent occasion de conflits et de schismes ecclésiastiques, il faut y discerner… un manque de discernement des esprits étranger à toute maturité spirituelle. Selon 1 Corinthiens 12.14-26 et Romains 12.3-8, l’orgueil spirituel de ceux qui avaient reçu des dons doit céder le pas à la modestie. L’orgueil est signe d’indifférence et d’absence de zèle pour servir fidèlement le Seigneur, qui est aussi l’Esprit donateur.
4. L’amour : le don par excellence←⤒🔗
L’apôtre n’est pas étranger aux idées religieuses en cours, héritées de l’Ancien Testament, relatives à ce qui est surnaturel ou miraculeux comme étant l’effet de l’Esprit Saint.
Mais, représentant plénipotentiaire du Seigneur ressuscité qui est l’Esprit, il les modifie dans le sens de l’ensemble de la révélation dont il est devenu le dépositaire. On devine chez lui une réticence à parler de ce qui est extraordinaire et miraculeux. Ce n’est que contraint qu’il fait état de certaines de ses expériences personnelles. Il reconnaît avoir reçu des visions et des révélations (2 Co 12.11). Les paroles entendues lors de cette extase sont de nature « ineffable ». Il n’est pas permis à un mortel de les prononcer. Ainsi, il peut se considérer, avec raison, comme un homme spirituel ou « pneumatikos ». Il a, lui aussi, reçu des dons extraordinaires et il a été investi de pouvoirs exceptionnels dont il pourrait se vanter. Or, s’il s’en vante, ce n’est qu’une façon de parler… C’est avec hardiesse qu’il partage avec les Corinthiens ses convictions au sujet de ces expériences exceptionnelles. Plus qu’aucun d’entre eux, il a parlé en une langue surnaturelle. Dans sa lettre aux Romains, il déclare qu’il osera parler de ce que le Christ a accompli par son intermédiaire, tant en paroles qu’en actes (Rm 15.18).
Toutefois, il traite plus amplement de la question des dons dans sa première lettre aux Corinthiens. Il se souvient que ces derniers sont des gens très excitables et excités, facilement manipulés… Ils s’abandonnent sans retenue à des états d’exaltation qu’ils considèrent comme la possession de l’Esprit. L’apôtre se rend compte que leur goût prononcé pour la transe extatique produit sur eux un effet malsain et manifeste une vie spirituelle anormale, aussi se charge-t-il de les instruire. Il commence par déclarer que le don par excellence accordé par l’Esprit n’est pas la connaissance. Signalons en passant que la connaissance dont il est question ici est de nature gnostique, c’est-à-dire un savoir ésotérique d’une mystique douteuse et non « épignôsis », la reconnaissance du salut par grâce… La véritable connaissance consiste à confesser le nom de Jésus-Christ, le Seigneur. Avant leur conversion, les Corinthiens étaient asservis au culte des idoles. Devenus des hommes spirituels, ils devront reconnaître que Jésus est le vrai Seigneur des cieux et de la terre.
Il rappelle ensuite les dons très divers de l’Esprit et ses multiples opérations. Ceux-ci ont un seul but et ils procèdent d’une source unique. Les charismes devront servir à l’unité du corps, ainsi la sagesse, la connaissance, la foi, la guérison, le miracle, la prophétie, la glossolalie, tous des dons accordés par l’Esprit. Leur manifestation est accordée à chacun à condition de servir l’intérêt général. L’objectif auquel le don doit se subordonner est l’unité et l’utilité, ce sont elles qui établiront le principe de leur pratique légitime. Ce principe devra définir et délimiter l’enthousiasme religieux débordant de façon anarchique et fort dangereuse des Corinthiens.
En excellent pasteur, Paul les avertit contre l’amateurisme et contre leur penchant excessif pour tout ce qui est spectaculaire et merveilleux. La diversité des dons offre l’occasion privilégiée à chaque membre de demeurer dans l’unité de tous les autres fidèles. La règle selon laquelle tout exercice religieux doit être mis au service de l’intérêt général est de nouveau rappelée et renforcée. En outre, cette occasion permet à l’apôtre de donner des directives concernant l’utilisation des dons. Chacun a reçu un don particulier. Qu’il s’en serve pour le bien de l’ensemble. Les dons sont souhaitables dans la mesure où ils servent un objectif précis. Aussi faut-il en rechercher les plus utiles. Comment parvenir alors à déterminer la valeur de chacun des charismes?
C’est pour répondre à cette question que l’apôtre rédige l’une des pages les plus exquises de ses écrits : 1 Corinthiens 13. C’est le débat suscité par les dons charismatiques qui donne lieu à ce chef-d’œuvre de la littérature biblique. L’amour est le don par excellence qui déterminera l’usage du reste. Les charismes devront être évalués à l’aune de celui-ci. Suivez l’amour selon Dieu, préconise-t-il, et vous ne vous tromperez pas de chemin ni de vocation.
Il comparera également le don des langues à celui de la prophétie. La glossolalie était chez les Corinthiens, nous le verrons mieux plus loin, un discours extatique et semblait l’emporter de loin sur toute autre expression de vie spirituelle. La prophétie était considérée comme un discours sans éclat, une expression ordinaire et courante de la foi, dénuée de prestige. Rien de bien extraordinaire dans un exposé prophétique. Tandis que la glossolalie, elle, quel moteur d’excitation, d’emportements passionnés et passionnels…
Or la prophétie consistait en un enseignement catéchétique, en parénèse, ou exhortation, apparemment banale et routinière, et pourtant combien essentielle à la communication de l’Évangile! C’est à elle que va la préférence apostolique. L’apôtre a posé une fois pour toutes l’axiome selon lequel, dans l’Église, tout don aussi bien ordinaire qu’extraordinaire devra servir exclusivement à l’édification de l’ensemble. À cet égard, le parler en langues ne servirait quasiment à rien. Il n’édifie que celui qui parle en langues si personne ne le comprend… Mais il concède que, si l’on tient vraiment à l’employer, il faut avoir recours au service d’un interprète. Autrement la glossolalie ne serait plus qu’un vain bavardage et, à la longue, préjudiciable au bien-être de l’Église.
Des étrangers à la communauté auraient pu même s’imaginer que cette pratique relevait tout simplement de l’insanité mentale. Bien que l’apôtre ne cherche pas à décourager la glossolalie, il fait comprendre qu’il faut lui refuser une place prééminente parmi les charismes. Bien qu’il admet sa réalité, il insiste sur le fait qu’elle n’a pas une force normative dans l’Église, qu’il est de loin préférable de prononcer quelques paroles intelligibles que des sons incompréhensibles à son voisin. Il souligne encore que si les Corinthiens attribuent à ce don une importance exagérée, la raison en est qu’ils sont séduits par son caractère merveilleux, sans qu’ils se posent pour autant la question de sa valeur réelle en tant que facteur d’édification. Sans se laisser éblouir par le prestige des dons extraordinaires, Paul en évalue plutôt l’objectif divin qui est, nous l’avons vu, l’édification du corps du Christ. Nous verrons plus loin la manière pratique et éthique dont l’apôtre résoudra le problème. Pour l’instant, nous disons simplement qu’il ramène tout à une compréhension spirituelle de l’opération de l’Esprit, si on nous permet cette tautologie.
La charité, appelée maintenant le don par excellence, est le principe directeur, le capitaine qui va piloter le vaisseau. Ce don est supérieur et plus vital que tous les autres réunis. Selon Éphésiens 4.16, la charité vise principalement l’édification de l’Église. Il est fort possible de posséder les dons, même les plus extraordinaires, et pourtant ne pas se comporter en croyant. Hélas!, il est possible d’offrir les apparences de la justice, allant jusqu’à consentir aux plus grands sacrifices, et cependant perdre son salut…
L’amour est une force de résistance opposée au mal et à son hégémonie. Il fait épanouir le bien et le vrai. Avec la foi et l’espérance, il se trouve parmi les trois dons permanents. Tous les trois sont le fruit de la grâce que la mort du Sauveur fait mûrir. L’amour est fort, il ne sera jamais vaincu et, contrairement aux dons spectaculaires qui cesseront dès que la Parole de Dieu inscripturée sera fixée dans le canon du Nouveau Testament (avec celui de l’Ancien Testament, complétant ainsi la révélation), il est effectivement le charisme permanent accordé par l’Esprit, son Auteur.
La prophétie complétera la communication verbale. Bien que la révélation de Dieu soit parfaite, complète et suffisante, notre intelligence, elle, est encore astreinte aux limitations engendrées par le péché. Cependant, la connaissance que nous acquerrons dans le monde à venir dépassera, et de loin, tout don ordinaire ou extraordinaire. La foi, l’espérance et l’amour qui jaillissent du cœur même de l’Évangile du salut demeurent inchangés en substance pour le présent et pour l’éternité. C’est la raison pour laquelle ils doivent se développer. Ils constituent les trois charismes principaux. Une vie dans la foi dépourvue d’amour est une contradiction; c’est une existence spirituelle vaine. Alors on ne devrait pas soutenir que les dons extraordinaires et spectaculaires fondent effectivement notre assurance spirituelle.
Dans Matthieu 7.21-23 (voir aussi Hé 5.12 et 8.8), le Seigneur déclare qu’on peut posséder des dons extraordinaires et pourtant manquer la grâce… Il est possible d’avoir reçu des dons et de ne pas être en mesure de donner une confirmation de sa foi, de prouver qu’on a noué un rapport normal et harmonieux avec Dieu. Le fondement du rapport entre le Dieu saint et tout-puissant et le pécheur, s’il doit être positif, sera obtenu par la justification par la seule grâce, au moyen de la foi.
Dans 1 Corinthiens 14, où Paul traite principalement de l’ordre du culte, de sa nature et de son autorité, son argument principal revient à ceci : l’édification de la communauté chrétienne dans la foi, l’espérance et la charité requiert le don de la prophétie. Une fois de plus, il devient clair que le bénéfice que l’Église pourrait obtenir de la glossolalie n’est pas évident. Il est même nul, à moins que tous les membres de l’assemblée cultuelle réunis ne puissent saisir le sens de la langue extatique. Mais l’assemblée devrait se réunir pour entendre un message prophétique et la proclamation de l’Évangile.
La conception générale de l’apôtre nous laisse penser que des dons exceptionnels, telle la glossolalie, n’étant pas d’une utilité particulière pour l’édification de l’Église, cessèrent aussitôt après la première phase de la vie de l’Église primitive.
C’est en bonne compagnie, celle de saint Jean, que Paul souligne l’œuvre ordinaire de l’Esprit. Il ne décrit pas ce qui s’est produit durant la première période de la naissance et du développement immédiat de l’Église, mais il insiste, plus que ne le fait Luc, sur la nécessité de la foi, le don ordinaire, dont le caractère permanent et indispensable est rappelé à chaque occasion. L’Esprit n’accorde pas seulement des dons extraordinaires, mais également des charismes ordinaires. Chaque fidèle est un homme « pneumatikos », spirituel, car il a reçu l’Esprit. Celui qui n’a pas le « Pneuma », l’Esprit Saint de Dieu, ne répondra pas à l’appel de la croix. Au contraire, il sera soumis à l’esprit du monde. Cela dit, l’apôtre ne divise pas les chrétiens en groupes distincts de niveaux différents, un groupe spécial formé de croyants spirituels enthousiastes et un autre groupe composé de chrétiens n’ayant pas encore reçu l’Esprit Saint… Plus simplement, il cherche à convaincre les membres de l’Église de Corinthe de leur immaturité spirituelle; ils ne cherchent pas à vivre selon l’Esprit, qu’ils ont pourtant reçu… C’est dans ce sens-là qu’il les traite de « sarkinoi », de charnels.
L’Esprit est un « arrabôn », un gage de la moisson éternelle, de l’achèvement eschatologique, de la vie à venir. Sa présence constitue le fondement et la source même de la foi. C’est lui qui détermine le cours que devra suivre l’existence. Toute vie dans la foi est une vie et une marche en et par l’Esprit. Il est le principe même de tout renouvellement. Il détruit les actions de la chair; il nous arrache à la confiance que nous mettons en celle-ci. Il nous renouvelle selon l’image du Christ. La joie, le culte rendu à Dieu, la prière, l’unité de l’Église, tout est l’œuvre de l’Esprit. Il équipe en vue de l’exercice du ministère dans la Nouvelle Alliance. Son opération rendra la vie à nos corps mortels. Son habitation en nous fera mûrir de riches fruits spirituels. L’Esprit forme une communauté nouvelle et lui accorde de vivre dans la communion. Grâce à lui, le fidèle deviendra le membre vivant et vivifié d’un corps nouveau. Par lui, il aura accès au Père…
Ajoutons aussi, bien que ce point mériterait un développement plus grand, qu’il faut rechercher les charismes dans l’Église institution elle-même, qui, en principe, reste le corps du Christ, le temple où habite précisément l’Esprit. Ceci est d’une importance vitale pour comprendre qu’il n’est pas légitime de se livrer à une pratique incontrôlée, arbitraire et fantaisiste des dons spirituels.
5. Le témoignage du livre des Actes sur les dons←⤒🔗
La mention fréquente des dons de l’Esprit dans le livre des Actes des apôtres nous sera précieuse dans l’étude du problème qui nous occupe. D’après le chapitre 2, l’Esprit survenant sur les apôtres les rend capables de témoigner du Christ.
Dès son apparition publique, si on ose employer une telle expression, l’Esprit crée une Église qui évangélise aussi bien les Juifs que les païens. Il rend les apôtres ainsi que tous les autres membres de la communauté réunis autour d’eux capables de parler « en langues ». Le fait extraordinaire est que les auditeurs étrangers comprennent cette langue. Chacun entend sa propre langue, celle de son pays d’origine. Notons cependant, que le discours de Pierre se fait en langue araméenne, celle que les Juifs de la diaspora comprennent parfaitement. À partir de ce jour, le miracle de la Pentecôte met fin à la confusion des langues inaugurée à la tour de Babel. Le temps des particularismes linguistiques est définitivement révolu. Devant Dieu, il n’y a désormais « ni Juif ni Grec » (Ga 3.28). À partir de ce moment, tous les hommes sans exception peuvent appartenir, par la foi, au peuple de Dieu. Ils possèdent tous les mêmes droits et privilèges spirituels. Déjà, la langue juive, comme telle, n’avait pas de caractère sacré. Désormais, chaque langue pourra et devra devenir le véhicule de la transmission de l’Évangile. Toute distinction linguistique et toute barrière éthique s’effaceront devant la proclamation de l’Évangile, même si la pluralité des langues restera en vigueur jusqu’à la fin des siècles.
La Parole de Dieu unira tous les hommes croyants pour en former un peuple nouveau et saint, l’Église, le nouvel Israël. Tous pourront exprimer la même foi, entretenir la même espérance et manifester le même amour au Dieu trinitaire. La diversité des langues continuera à nous rappeler l’existence du péché, mais, curieusement, il nous faut également reconnaître qu’elle est due à la providence divine (Gn 11.10).
Le livre des Actes démontre que tous les membres de l’Église reçoivent le Saint-Esprit. L’auteur insiste sur le fait que la participation à celui-ci peut produire certains dons extraordinaires non indispensables à l’accueil et à l’appropriation du salut par la régénération et la foi. Si Luc fait état des dons extraordinaires accordés par l’Esprit, c’est dans l’intention de nous faire comprendre le développement exceptionnel de l’Église durant la période qui suivit sa naissance, tout en insistant sur le fait que le fondement de ce développement est l’acceptation du Christ comme Seigneur et non les dons exceptionnels.