Comment la Bible nous est-elle parvenue?
Comment la Bible nous est-elle parvenue?
Comment la Bible nous est-elle parvenue, comment nous a-t-elle été transmise? C’est la question à laquelle je voudrais très succinctement répondre dans cet article. Dans un article précédent, j’ai parlé du canon de l’Écriture sainte, de son autorité et de son inspiration dans sa totalité, mais on peut se demander comment tous les écrits qui font partie de la Bible ont survécu aux aléas du temps, ayant été rédigés, pour beaucoup d’entre eux, il y a deux mille ou même trois mille ans. Il faut d’abord savoir qu’en l’état actuel des choses il n’existe aucun manuscrit autographe d’un livre de la Bible, c’est-à-dire d’une copie rédigée directement par l’auteur même de ce livre. Les écrits originaux, ou manuscrits autographes, ont été copiés et recopiés maintes fois, et ont aussi donné lieu à des traductions diverses, déjà durant l’Antiquité.
Nous avons une indication de ce processus dans la Bible même, par exemple à la fin de la lettre écrite par Paul aux chrétiens de la ville de Colosses en Asie Mineure. Paul écrit aux Colossiens :
« Lorsque cette lettre aura été lue chez vous, faites en sorte qu’elle soit également lue dans l’Église de Laodicée, et lisez vous-mêmes celle qui vous sera transmise par les Laodicéens » (Col 4.16).
Cette lettre de Paul aux chrétiens de la ville voisine de Laodicée (ville qui existe toujours en Turquie aujourd’hui, mais qui se trouve à côté des ruines de l’antique Laodicée) ne nous est pas parvenue, et ne fait donc pas partie du canon du Nouveau Testament. Tout porte à croire que les Colossiens ont recopié la lettre de Paul qui leur était adressée directement, et envoyé la copie aux chrétiens de Laodicée. Il en aura été de même avec la lettre adressée par l’apôtre aux Laodicéens, aujourd’hui perdue, mais qu’ils auront certainement copiée tout en en gardant l’original.
Les copies des écrits du Nouveau Testament se sont multipliées si bien que l’on dispose aujourd’hui de quelque cinq mille copies en langue grecque, langue dans laquelle le Nouveau Testament a été rédigé. Ces nombreuses copies datent naturellement d’époques différentes, car il s’agit le plus souvent de copies de copies. Le plus ancien manuscrit contenant un fragment du Nouveau Testament, un papyrus contenant quelques versets de l’Évangile selon Jean, date du début du 2e siècle, c’est-à-dire entre l’an 100 et l’an 150 de notre ère. Comme bien d’autres de ces manuscrits antiques, il a été trouvé en Égypte et acheté à un marchand par un chercheur vers 1920. Après le 3e siècle, les copies sur papyrus, matériel qui se conserve mal comme en témoigne l’état assez délabré de beaucoup de papyrus, ont peu à peu laissé la place aux parchemins. Les parchemins, bien plus résistants, provenaient de la peau non tannée de moutons, d’agneaux, de chèvres ou de veaux. Plusieurs écoles de copistes se sont développées à partir de grands centres intellectuels comme les villes d’Alexandrie, en Égypte, Césarée, en Cappadoce, Byzance ou Antioche, autres grands centres chrétiens.
Puis, assez rapidement, sont apparues des traductions, comme la vieille traduction en langue latine, langue parlée à l’ouest de l’Empire romain. Cette vieille traduction en latin a donné lieu à de nombreuses copies, qui ont finalement été harmonisées par saint Jérôme, le grand savant chrétien de la fin du 4e siècle. L’évêque de Rome Damase lui avait demandé d’entreprendre cet immense travail d’harmonisation de toutes ces copies latines qui commençaient à avoir des variantes entre elles. Jérôme a également consulté des copies grecques des livres du Nouveau Testament pour accomplir son œuvre, connue sous le nom de Vulgate.
Des traductions en d’autres langues, à partir du grec, se sont aussi fait jour : en langue gothique, l’ancêtre de l’allemand et de plusieurs autres langues germaniques, en langue arménienne, en langue copte, en syriaque, etc. La traduction arménienne date du début du 5e siècle; elle est généralement considérée par les savants comme la reine des versions à cause de sa beauté et de son exactitude. Un alphabet a été spécialement préparé par le moine savant Mesrob Mashtots pour permettre au peuple arménien, christianisé depuis l’an 301, de pouvoir lire la Bible dans sa langue. Cet alphabet de 36 lettres pouvait aussi servir de système numérique, facilitant ainsi les transactions commerciales. Cela a été le début d’une intense activité littéraire dans cette langue, activité marquée notamment par de nombreux ouvrages historiques. Aujourd’hui, bien des commentaires sur la Bible datant de l’Antiquité, ainsi que bien des renseignements sur l’histoire antique ne nous sont connus que grâce aux traductions ou autres œuvres en arménien.
En ce qui concerne l’Ancien Testament, rédigé dans sa plus grande partie en langue hébraïque, mais contenant aussi quelques passages en langue araméenne, il avait déjà connu une première traduction en grec quelque deux siècles avant Jésus-Christ, à partir de la ville d’Alexandrie, grand centre intellectuel de l’Antiquité, comme je l’ai déjà mentionné. Cette traduction, qu’on appelle les Septante, servait aux juifs dispersés dans les pays voisins du bassin méditerranéen depuis leur exil, survenu en l’an 586 avant Jésus-Christ avec la prise de Jérusalem. Comme le grec était devenu une langue dominante dans bien des régions de ce monde depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand, la plupart des juifs de la diaspora ne parlaient plus l’hébreu. D’ailleurs, dans sa forme écrite cette langue était en train de devenir une langue ancienne, remplacée par l’araméen (à ne pas confondre avec la langue arménienne). L’ancienne version grecque des Septante elle aussi connaîtra une foule de copies. C’est elle que les auteurs du Nouveau Testament utilisent lorsqu’ils citent les écrits de l’Ancien Testament.
Quant aux copies de l’Ancien Testament en langue hébraïque, elles se feront pendant des siècles avec une remarquable exactitude. L’une d’entre elles, conservée à Saint-Petersbourg en Russie, contient l’intégralité de l’Ancien Testament et date environ de l’an mille. Elle est utilisée pour la préparation des éditions modernes de l’Ancien Testament en hébreu et araméen et, à partir de là, pour la traduction de l’Ancien Testament dans les langues modernes. Comme l’hébreu écrit ne comprenait que des consonnes et pas de voyelles, les scribes ou copistes juifs du haut Moyen-Âge, appelés les Massorètes, ont développé un système de points mis au-dessus ou au-dessous des lettres de l’alphabet hébraïque pour qu’on puisse conserver la signification des mots hébreux. En effet, celle-ci aurait pu se perdre ou être modifiée sans cette vocalisation. Prenons un exemple tiré du français : les trois consonnes l-v-r, vocalisées de manière différente, peuvent donner le nom commun livre, le verbe livrer ou encore le mot lévrier. Ce sont les voyelles entourant les consonnes qui permettent de déterminer le sens voulu du mot.
Une autre source de notre connaissance des textes bibliques consiste en toutes sortes de citations de la Bible que l’on trouve chez les auteurs anciens, par exemple les Pères de l’Église. Un formidable travail de comparaison entre toutes ces sources par des savants spécialisés est à l’origine de la présentation du texte biblique et de son édition, puis de sa traduction dans nos langues modernes. Pour effectuer ce travail, les scientifiques doivent connaître non seulement les langues anciennes, mais aussi l’histoire de chaque source, de chaque manuscrit. Il leur faut aussi être des paléographes, c’est-à-dire des spécialistes des textes anciens, qu’il faut savoir déchiffrer, analyser, reconstituer à partir de morceaux divers le cas échéant.
Mais, demandera-t-on, cette abondance de matériel ne présente-t-elle pas des difficultés insurmontables pour reconstituer le texte de la Bible de manière fiable? On pourrait d’abord le penser, mais en réalité nous avons affaire, dans la très grande majorité des cas, à des variations très minimes de sens. Beaucoup d’éditions de la Bible fournissent d’ailleurs en notes l’essentiel de ces variations minimes, permettant au lecteur de se faire une idée par lui-même de leur influence sur la compréhension du message. D’ailleurs, la découverte des manuscrits dits de la mer Morte en 1947 a permis de vérifier la très grande fidélité des copies massorétiques avec des copies beaucoup plus anciennes. Ces quelque deux cents manuscrits, découverts dans des grottes situées en Israël près de la mer Morte, concernent la quasi-totalité de l’Ancien Testament, en particulier les deux rouleaux du livre du prophète Ésaïe. Ils datent environ du 3e siècle avant Jésus-Christ.
Concluons simplement en disant que dans sa providence, Dieu, durant une certaine période de l’histoire de l’humanité, a confié aux hommes sa révélation à travers une foule d’auteurs humains. Il a aussi permis que cette révélation nous soit transmise bien des siècles plus tard. Il l’a fait de façon à ce qu’aujourd’hui comme hier nous puissions entrer en sa présence et entendre sa voix. Le mystère de la composition de cette Écriture divinement inspirée, le mystère de sa préservation au cours des âges et dans des circonstances diverses et souvent improbables, doit nous inciter à prêter d’autant plus attention au message de la Bible, aussi actuel aujourd’hui qu’il l’était il y a deux ou trois mille ans.