Pourquoi certains livres de la Bible se répètent-ils?
Pourquoi certains livres de la Bible se répètent-ils?
Pourquoi avons-nous dans la Bible des livres qui présentent des contenus semblables qui se répètent ou se recoupent? Nous pensons par exemple aux livres des Rois et des Chroniques ou encore aux quatre Évangiles. De même, en lisant les lettres de Paul aux Thessaloniciens, on y retrouve beaucoup d’éléments que nous voyons dans l’Apocalypse. C’est très intéressant d’y voir les points communs. Mais si Paul en a parlé aussi clairement, quel est le but d’en reparler de manière aussi symbolique dans l’Apocalypse? Pourquoi Dieu semble-t-il se répéter?
Tout d’abord, il est important de se rappeler que la Parole de Dieu n’est pas un livre qui nous tombe du ciel, comme si Dieu nous donnait un livre de recettes ou une liste de questions et réponses comme un catéchisme qui passe en revue différents sujets doctrinaux. Si Dieu s’était révélé par exemple sous forme d’un ouvrage de théologie systématique, dans un sens ce serait plus simple pour nous. Nous aurions un premier chapitre traitant de la doctrine de Dieu, ses attributs, la trinité, etc. Puis un deuxième chapitre expliquant la doctrine de la révélation générale (dans la création et la providence) et spéciale (par ses œuvres de rédemption et dans sa Parole). Puis un troisième chapitre sur la doctrine de la création du monde et de l’homme, etc., jusqu’au dernier chapitre qui traiterait des fins dernières, du retour de Jésus-Christ, etc. Évidemment, la Bible n’a pas été écrite de cette façon. La sagesse insondable de Dieu en a décidé autrement.
En fait, la révélation biblique se présente plutôt sous forme d’une histoire qui suit la ligne du temps. Dieu, dans sa bonté, a bien voulu « s’adapter » à nous et s’abaisser à notre mode de vie et de pensée pour se révéler à nous. Cette caractéristique correspond d’ailleurs à la nature même de l’alliance qu’il a établie avec nous, la Bible étant le livre de l’alliance. Sa Parole est merveilleuse, pure, parfaite, grandiose. En même temps, elle est humaine. Elle a été inspirée par le Saint-Esprit, en même temps elle a été écrite par des hommes qui ont vécu à divers moments de l’histoire, dans différentes circonstances et cultures, sous diverses conditions. Chaque livre de la Bible porte la marque de son auteur humain (style propre à chacun, choix des mots, tournures et expressions, contexte du livre, etc.), en même temps qu’ils portent tous la marque de son Auteur divin. Il y a donc unité et diversité dans sa Parole, harmonie et variété, cohérence et différentes perspectives. Il y a en particulier la promesse et l’accomplissement; ou encore l’annonce d’événements rédempteurs à venir (Ancien Testament), leur réalisation (Évangiles) et leur explication (épîtres).
On pourrait se demander par exemple pourquoi avoir les deux livres de Samuel et des Rois, puis les deux livres des Chroniques. Les Chroniques semblent nous rapporter la même histoire. Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit toutefois que ce n’est pas tout à fait le cas. Les livres des Chroniques ont délibérément laissé de côté de grandes étapes de l’histoire du royaume du Nord (Israël) pour se concentrer sur le royaume du Sud (Juda) et sur les promesses faites à David. Ces livres nous apportent un éclairage nouveau sur l’histoire déjà rapportée par les livres des Rois. Ils ont été écrits dans la perspective du retour d’Exil et de l’accomplissement partiellement réalisé des promesses d’un roi dans la lignée de David, avec l’espérance de son parfait accomplissement. Ces livres, qui sont un peu plus près de la venue de Jésus, nous font donc regarder plus directement à Jésus-Christ que les livres des Rois.
De même, pourquoi avons-nous quatre Évangiles, et non pas un seul qui ferait la synthèse des quatre? Dans l’histoire de l’Église, il y a des gens qui ont essayé de « fusionner » les quatre pour nous donner une « harmonie » ou une synthèse des Évangiles (par exemple le Diatessaron de Tatien au 2e siècle). Ces fusions n’ont toutefois pas fait fureur, car en fait chacun des quatre Évangiles a sa saveur propre, ses perspectives particulières, etc., qui enrichissent notre connaissance de Jésus-Christ et de son œuvre. Nous pouvons étudier chacun des quatre séparément et y trouver beaucoup d’enrichissement, et ensuite, en comparant les quatre et en les regardant ensemble, de nouvelles perspectives se présentent sous notre regard.
Nous pouvons comparer cela au phénomène de la parallaxe. Qu’est-ce que la parallaxe? C’est bien simple. Il suffit de regarder un objet devant soi avec seulement l’œil droit, puis de fermer l’œil droit et de regarder le même objet avec seulement l’œil gauche, sans bouger la tête. On refait ensuite l’expérience en clignant les yeux en alternance. Les enfants peuvent s’amuser à le faire. L’objet semble bouger par rapport à son environnement ou ne pas être placé tout à fait au même endroit par rapport aux autres objets autour de lui. Deux yeux, deux perspectives, à cause de la distance séparant nos yeux, et pourtant un seul et même objet. Puis, quand nous regardons l’objet avec nos deux yeux en même temps, les deux images différentes captées par nos yeux (sans perspective ou profondeur) fusionnent dans notre cerveau pour ne former qu’une seule image, qui apparaît cette fois-ci en perspective. C’est ce qui nous permet de voir la profondeur et d’évaluer les distances. C’est la raison pour laquelle un borgne aura de la difficulté à saisir des objets ou à conduire sa voiture. Il ne voit pas la profondeur et son évaluation des distances est imprécise.
Quand nous regardons les quatre Évangiles, c’est comme si nous avions sous nos yeux une « image » en profondeur de Jésus. La perspective est beaucoup plus riche. L’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament est si grand qu’il fallait quatre photographies pour nous permettre de saisir plus pleinement toute la profondeur de l’amour de Dieu pour nous.
Un peu de la même manière, le reste du Nouveau Testament contient plusieurs lettres ou épîtres écrites et destinées à différentes Églises localisées à différents endroits et vivant des circonstances variées avec des problèmes et des joies multiples. Lorsque Paul écrit aux Galates, il est sévère et les exhorte vivement, car ils sont sur le point d’abandonner l’Évangile. Quand il écrit aux Philippiens, il est reconnaissant et plein de joie pour eux. Dans chacune de ses lettres, il nous parle du même Évangile sous différentes facettes. Il aurait peut-être été plus simple pour nous de n’avoir qu’une seule lettre de Paul qui nous révèle tout le contenu doctrinal et pastoral dont nous avons besoin. Tel n’est cependant pas le cas. Dieu, dans sa sagesse infinie, s’est révélé à nous à travers diverses expériences et circonstances vécues par Paul et par les Églises. Nous pourrions en dire autant des lettres de Pierre, de Jean, etc. Toutes ces épîtres sont en quelque sorte une explication de l’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament en Jésus-Christ.
L’Ancien Testament annonçait et préparait la venue du Sauveur, tout en nous montrant de quelle manière Dieu avait commencé à rassembler son Église et à se former un peuple qui lui appartient. Les Évangiles nous montrent la richesse de l’accomplissement de ces promesses. Puis les épîtres nous donnent des explications supplémentaires sur la signification de cet accomplissement pour l’Église. Diverses circonstances, problèmes, questions vécues par diverses Églises ont donné aux apôtres plusieurs occasions d’appliquer dans des contextes différents les grandes vérités de la rédemption que nous avons en Jésus-Christ. Tout cela implique bien entendu que nous devons étudier, chercher, essayer de mieux connaître le contexte particulier de chaque livre de la Bible, pour que nous puissions profiter au maximum des richesses de ce trésor de la Parole de Dieu.
J’ai parlé de l’Ancien Testament en général, des Évangiles et des épîtres. Maintenant, où le livre de l’Apocalypse se situe-t-il dans tout cela? L’Apocalypse est un livre à part, différent du reste du Nouveau Testament. Il y a quatre Évangiles assez semblables, dont trois très semblables, que nous appelons les synoptiques. Il y a le livre des Actes qui complète l’Évangile de Luc et qui donne le cadre général où nous pouvons situer la plupart des épîtres. Il y a plusieurs lettres assez comparables et parfois très semblables, ou avec des thèmes ou des sujets qui reviennent sous un éclairage particulier ou dans un contexte différent. Il n’y a cependant qu’une seule Apocalypse, et en plus c’est le dernier livre de la Bible qui vient clore le canon biblique. Ce livre occupe donc une place unique. Ce qui est intrigant, c’est que, même s’il est à part dans le Nouveau Testament, il est assez comparable à certains livres prophétiques de l’Ancien Testament : Daniel, Ézéchiel, Zacharie et quelques portions d’Ésaïe, de Jérémie, etc. La nature visionnaire de ce livre le rattache à plusieurs prophètes de l’Ancien Testament. Autrement dit, la manière dont Dieu s’était révélé autrefois par les prophètes et qui appartenait plutôt à « l’enfance » de l’Église et de la révélation divine est reprise par le dernier livre du Nouveau Testament. On se serait attendu à autre chose.
« Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières parlé à nos pères par les prophètes [à travers des visions, des rêves, des prophéties, des révélations directes, des apparitions d’anges, etc.], Dieu nous a parlé par le Fils en ces jours qui sont les derniers » (Hé 1.1-2).
Une fois que « la Parole a été faite chair et qu’elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité » (Jn 1.14), « nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce », car même si « personne n’a jamais vu Dieu, Dieu le Fils unique […] l’a fait connaître » (Jn 1.16,18). Nous avons par la suite seulement besoin des témoins oculaires autorisés qui ont vu la personne et les œuvres de Jésus-Christ (les apôtres) et de leurs écrits qui en rendent témoignage (Actes, Évangiles et épîtres). Nous n’avons plus besoin des anciennes méthodes utilisées autrefois par Dieu pour se révéler et pour préparer la venue de son Fils (rêves, visions, etc.). Nous avons la plénitude!
Et pourtant, le dernier livre de la Bible n’est pas simplement un récit des événements dont les apôtres ont été témoins (comme les Évangiles), ni un récit historique de la mission (comme les Actes), ni des explications théologiques et pastorales découlant de ces événements (comme les épîtres). Avec l’Apocalypse, c’est comme si nous retournions en arrière, dans l’Ancien Testament, avec cependant tout l’acquis du Nouveau Testament. Nous avons aussi bien l’accomplissement de la rédemption en Jésus-Christ (il est le premier d’entre les morts et le souverain des rois de la terre, il nous a délivrés de nos péchés par son sang, Ap 1.5) que l’explication ou l’application de ces vérités à l’Église (il a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, Ap 1.5; notons aussi la salutation au début de l’Apocalypse qui fait penser aux épîtres : « Que la grâce et la paix… », Ap 1,4, ou encore les « lettres aux sept Églises », qui sont des épîtres particulières).
L’Apocalypse n’est donc pas simplement un retour en arrière, à l’époque de l’Ancien Testament, où les promesses de rédemption se faisaient encore attendre et n’étaient annoncées que sous forme d’ombres et d’images imprécises. Nous avons désormais la pleine lumière des Évangiles et des épîtres. Cependant, tout n’est pas encore accompli. L’Apocalypse est une « révélation de Jésus-Christ que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt » (Ap 1.1). Ce livre nous fait donc progresser ou propulser vers l’avant. Tout ce qui est déjà accompli en Jésus-Christ, mais aussi tout ce qui reste à venir est en parfaite harmonie avec ce que les prophètes de l’Ancien Testament avaient déjà entrevu dans leurs visions des choses à venir.
Il nous faut comprendre les symboles complexes et mystérieux de l’Apocalypse dans ce contexte. Nous sommes en bien meilleure posture que les prophètes de l’Ancien Testament. Nos vies sont fondées sur ce que le Seigneur Jésus a accompli et sur ce qu’il nous a acquis une fois pour toutes. En même temps, nous sommes un peu dans la même situation que ces prophètes, dans ce sens que nous attendons encore des événements à venir. Ces événements sont tellement riches et grandioses que nous ne pouvons pas encore en comprendre tout le sens et toute la portée. Nous avons encore besoin d’une révélation sous forme de « visions » et de « prophéties » plus ou moins obscures. Les visions de l’Apocalypse sont beaucoup plus claires que celles de l’Ancien Testament, car elles reposent sur les grands événements rédempteurs déjà accomplis de la venue, de la mort, de la résurrection et de l’ascension de Jésus-Christ, comme elles reposent aussi sur son règne actuel. En même temps, ce ne sont encore que des visions qui s’empilent les unes par-dessus les autres dans une succession étourdissante de tableaux étranges présentés d’un chapitre à l’autre de l’Apocalypse.
Les deux lettres aux Thessaloniciens contiennent certes des perspectives eschatologiques semblables à l’Apocalypse. Toutefois, elles n’ont pas été écrites dans le but de nous procurer une consolation au moyen de révélations visionnaires de « ce qui doit arriver bientôt ». Elles avaient pour but d’affermir ces jeunes chrétiens dans la foi et de fonder plus solidement leur espérance. Ces nouveaux convertis, qui vivaient la peine de voir certains d’entre eux mourir, avaient besoin d’entendre parler de la résurrection des morts et des grandes lignes concernant le retour de Jésus. Évidemment, il y a forcément des recoupements avec l’Apocalypse, mais les lettres sont plus didactiques. Elles se fondent davantage sur ce que Jésus a déjà accompli. Ce que les épîtres nous disent à propos de l’avenir est en général beaucoup plus simple et plus direct, comme pour nous faire voir la simplicité de notre espérance qui découle des œuvres de salut déjà accomplies en Jésus-Christ. Tandis que l’Apocalypse nous présente plus de détails, mais de façon plus obscure, comme pour nous faire sentir que nous sommes encore loin de bien saisir toute la gloire à venir.
L’Apocalypse s’adresse à des Églises au milieu du combat, des persécutions, des tentations, etc. Ces événements à venir sont proches, « car le temps est proche » (Ap 1.3) et leur proximité nous procure ainsi un profond réconfort. En même temps, tous ces tableaux visionnaires donnent une impression de distance, pas nécessairement dans le temps, mais au moins « dans notre cerveau », car toutes ces visions électrisantes s’empilent mystérieusement dans notre esprit. Elles nous éclairent et nous étourdissent tout à la fois. Même si nous ne comprenons pas tous les détails, ces visions nous fortifient dans notre combat, car tel est le but de l’Apocalypse : encourager les chrétiens persécutés. Celui qui est au milieu du combat, l’épée à la main, l’outil du constructeur à l’autre main, n’a pas le temps de fouiller pour saisir tous les petits détails de ces visions, mais il en reçoit une impression générale très fortifiante.
Il y a un but à tout cela. Dieu ne nous donne pas simplement des « répétitions » d’informations semblables. Entre les deux lettres aux Thessaloniciens et l’Apocalypse, il y a unité et diversité. Ces livres nous parlent des mêmes choses, des mêmes réalités présentes et surtout à venir. Nos yeux regardent en quelque sorte le même objet. Mais le style, le contexte et la façon de révéler ces choses attirent notre regard de façon différente et nourrissent notre foi et notre espérance de façon complémentaire, comme pour nous donner des suppléments vitaminiques composés de substances semblables, mais qui nourrissent notre corps de façon différente et complémentaire.
Si nous n’avions pas les épîtres, nous n’aurions pas la simplicité du schéma des événements de la fin : lorsque Jésus reviendra dans sa gloire, la résurrection générale aura lieu, les vivants et les morts seront jugés, la terre passera par le feu et sera ensuite entièrement renouvelée en un nouveau ciel et une nouvelle terre, nous serons alors pour toujours avec le Seigneur. Si nous n’avions pas l’Apocalypse, nous n’aurions pas la complexité des jugements de Dieu et de ses actes de délivrance en faveur de son Église, et surtout, nous n’aurions pas toute cette puissance évocatrice que nous procure la révélation de la victoire de notre grand Roi qui s’accumule d’une vision à l’autre de cet étrange livre. En d’autres mots, nous pourrions dire que, comme des petits enfants, nous avons besoin des explications simples pour savoir où nous allons, mais nous avons également besoin des jeux d’ombres et d’images étranges qui fascinent les enfants, pour faire grandir en nous un sens d’émerveillement et d’adoration devant des réalités qui nous dépassent. Toute cette richesse de la Parole de Dieu nous étonne et nous fait tellement de bien.